De retour chez Itztli, je suis restée longtemps éveillée. Je profitais du balcon de la chambre des invités et des lourdes températures de l’île pour observer le village endormi et le manteau d’étoile qui le recouvrait.
Je pensais d'abord au regard menaçant de Suarez à l'angle de la ruelle. De sa part, je devais m'attendre au pire. Il ne me laisserait pas devenir le nouveau second du capitaine si facilement. Il se battrait contre moi jusqu'au bout, même si cela lui demandait de violer les règles de l'équipage.
Je songeais ensuite aux frissons qui me parcouraient à chaque fois que j'étais en présence du capitaine. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi cet homme me mettait si mal à l'aise ni pourquoi il apparaissait aussi souvent dans mes rêves.
Enfin, je me remémorais l'histoire d'Itztli.
Je méditais, Gamine, sur ce que j’avais appris.
Je ressentais une profonde compassion, comme si un lien mystique se tissait entre les derniers Azteca et moi. La vie m’avait dérobé mon père et ma mère tout comme les Espagnols les avaient coupés de leurs pères et de leurs mères, comme si l’histoire de la souffrance se répétait sans cesse en traversant les âges et les frontières.
Cependant, il existait encore de nombreuses zones d’ombre. Le Tlaloc pillait les navires espagnols pour permettre à ce refuge de survivre, cela, je l’avais compris. Mais pour eux, était-ce suffisant ? Notre capitaine semblait poursuivre un but encore plus grand.
Quelqu’un a soudain frappé à la porte de la chambre et interrompu mes pensées. Tandis que mon visiteur entrait, j’ai remis en hâte le bandana que j’avais retiré de mon visage. C’est Monteña, justement, qui et apparu sur le seuil. Il est venu me rejoindre sur le balcon et s’est adossé à la rambarde. Mon cœur s'est emballé malgré moi, même si cela ne se voyait pas.
« Tu as sûrement beaucoup de questions à me poser, maintenant, n’est-ce pas ? »
Ses lèvres se sont arquées en un léger sourire, le même qu’il avait affiché lors de notre première rencontre. Pour la première fois depuis notre départ de New Providence, je retrouvais le jeune capitaine rêveur qui contemplait la mer en pleine nuit, près de l’épave.
« Je crois comprendre le rôle du Tlaloc dans tout ça, ai-je déclaré. Vous faites partie de ce peuple et c’est pour ça que vous veillez sur eux.
— Je ne fais partie de ce peuple qu’à moitié. Mon père était un soldat de la marine espagnole. Il s’appelait Vicente Monteña. Alejandro est le nom catholique qu’il m’a donné, mais ma mère m’a toujours appelé Aztlán. Il m’a fait entrer dans la marine espagnole quand j’avais seize ans, aux dépens de ma mère qui voulait me garder auprès d’elle. À bord des galions, j’ai vu les atrocités que les soldats faisaient aux Azteca. J’ai quitté la marine et j’ai fui mon père. Au fil du temps, j’avais compris ses intentions. Il n’avait jamais aimé ma mère, il ne voulait que la posséder. Il lui a fait croire qu’ils partageaient le même rêve, celui de créer un monde de paix où Azteca et Espagnol seraient égaux. Mais quand je suis né, il lui a arraché son enfant. Il m’a été difficile de la retrouver.
— C’est pour ça que vous avez construit cet endroit ? À cause de la persécution espagnole ?
— Ça n’a pas été facile. On a dû aider des familles entières, réduites à l’esclavage, à s’enfuir des demeures de leurs maîtres. Avec l’aide des plus valeureux, nous avons volé un navire marchand et nous avons transporté nos camarades fugitifs jusqu’ici. Cette île ne figure sur aucune carte. Elle est stratégiquement dissimulée par les courants et il est rare de voir des bateaux traîner par ici. Et même quand ça arrive, ils ne font pas escale : au premier abord, cette île ne propose rien et la vallée est parfaitement dissimulée.
— Combien de temps vous a-t-il fallu pour rapatrier tout un village d’Azteca ?
— Trois ans. Mais nous n’avons libéré que les esclaves qui le souhaitaient et seulement sur la côte. Nous faisons en sorte que ceux qui vivent davantage dans les terres du pays connaissent notre existence. Parfois, certains d’entre eux viennent à nous après un très long périple. Nous nous rendons sur la côte mexicaine une fois par an pour aller les chercher. Mais à chaque fois, ils sont peu nombreux. La plupart périssent avant d’atteindre le point de rendez-vous… »
Le capitaine a soupiré. Ses efforts, sans doute, lui paraissaient insignifiants comparé à la souffrance que subissait chaque jour son peuple.
Mon regard a curieusement glissé sur la ligne de sa mâchoire saillante et fine, sur ses boucles noires, détachées pour la nuit, et sa clavicule qui se perdait sous sa chemise de lin. Ce pirate métis possédait une beauté rare, où l’on a façonné les traits d’un peuple très anciens à partir d’une peau faite d’eau et de sel.
Pourquoi avais-je soudain tellement envie de la toucher ?
Ce désir étrange que je ne maîtrisais pas m'a rendu vulnérable. J'ai senti que je ne pouvais plus me cacher. À quoi bon continuer alors qu'il venait de me livrer tant de secrets ?
« Saoirse, ai-je lâché timidement, dans un murmure.
— Qu’as-tu dit ?
— Mon vrai nom, c’est Saoirse, Saoirse Fowles. »
J’ai retiré mon bandana et laissé le capitaine entrevoir mon visage. Pourquoi maintenant, Gamine ? Parce qu’un étrange instinct avait pris possession de moi. L’instinct que je pouvais lui faire confiance, que je devais lui faire confiance.
« Ma mère était irlandaise et mon père anglais, voilà tout ce que je sais. J’ai vécu sur les docks de Portsmouth et volé ma pitance sur les marchés. Là-bas, j'ai sauvé la vie de Ferguson. Il m’a emmené et a fait de moi l’une des vôtres. Mais pas de fille à bord, donc je suis devenue Adrian Fowles. »
Le capitaine a souri. Il était loin d’être déconcerté, bien sûr, il avait deviné depuis longtemps. Non, il souriait parce que j’avais enfin prononcé la vérité et que, chez moi, ça représentait la meilleure preuve de confiance possible.
« Ton secret sera bien gardé, je te le promets. Mais à une condition : maintenant, tu devras m’appeler Aztlán, comme tous les autres qui me connaissent sous ce nom. Il n’y a que les pirates de Nassau qui m’appelle Alejandro. Je préfère qu’ils me croient espagnol, pour protéger les miens. »
J’ai acquiescé, disposée à suivre ses instructions.
« Et maintenant, que faisons-nous ? ai-je demandé.
— Maintenant ? On va leur rendre la monnaie de leur pièce, à ces salopards ! »
Il a détaché la bourse en cuir qui pendait à sa ceinture, l’a ouverte devant moi pour en sortir une minuscule pépite d’or. Je n’en avais jamais vu pour de vrai et je ne m’attendais certainement pas à en voir pendant ma carrière de pirate. Quoi, Gamine ? Tu croyais que les pirates trouvaient un trésor tous les quatre matins ? Eh bien, je te le dis, ce sont des balivernes. L’or pur était extrêmement rare dans notre profession et, bien souvent, quand une rumeur circulait à propos de pierres précieuses et de perles, les équipages s’y mettaient à plusieurs pour s’emparer du butin. La plupart du temps, ça finissait en bain de sang, car il y a toujours une bande de forbans plus cupide qu’une autre.
Aztlán fixait la pépite avec sérieux et détermination.
« Il y a cinq ans, quand j’étais encore au service du roi, j’ai rencontré à La Havane un vieux marin qui m’a rapporté une étrange histoire à propos d’un journal de bord enterré avec son capitaine. Il m’a raconté que, quand il voguait encore sur les flots, il s’est engagé un jour auprès de Nicolas Zaldívar, un adelantado au service du roi. Il cherchait alors de nouvelles îles dans les Caraïbes pour les coloniser et en devenir le maître. Il gardait toujours précieusement avec lui un journal de bord de cuir rouge. Selon le vieux marin, son employeur protégeait ce journal plus que sa propre vie. Seulement, alors que leur navire s’enfonçait plus profondément dans la mer des Caraïbes, la peste s’est invitée parmi les membres de l’équipage. Bloqués dans une accalmie, les marins mouraient un à un, lentement. Quand une brise est venue gonfler les voiles pour la première fois depuis des jours, Zaldívar, le marin et le charpentier du navire étaient les derniers survivants. Seulement, Zaldívar était gravement touché par le fléau et le mal le dévorait de l’intérieur. Les deux autres ont aperçu au loin une île déserte. Ils ont alors décidé de prendre la chaloupe et de s’y rendre dans l’espoir d’être épargnés. Alors qu’ils ramaient jusqu’à la plage, Zaldívar, agonisant, a révélé sa maladie qu’il avait cachée aux deux autres, puis prononcé ses dernières paroles, un dernier souhait : “enterrez-moi avec mon journal.” Le moussaillon et le charpentier ont accepté, bien entendu, laissant leur capitaine mourir en paix. Une fois à terre, les deux hommes se sont mis à creuser une tombe avec leurs mains et y ont mis la dépouille avec son précieux journal. Alors que le charpentier faisait son possible pour construire une croix pour la tombe, le moussaillon, lui, en a profité pour faire les poches du mort. C’est là qu’il est tombé sur cette pépite d’or. Quand il me l’a montré, dans la taverne où nous buvions à La Havane, je savais que je ne repartirais pas sans.
— Vous lui avez volé ?
— C’était un ivrogne notoire, rien de plus facile.
— Je ne suis pas sûre de comprendre… Comment ces deux hommes ont-ils pu s’en sortir ? Je veux dire, en enterrant le corps, ils ont dû forcément attraper le mal…
— Bien sûr, mais la maladie ne leur a pas été fatale. Mais, même si le fléau ne les a pas tués, la faim aurait pu le faire à sa place. Mauvais calcul : l’île regorgeait de ressources alimentaires. Pour le marin, “Dieu leur avait accordé sa miséricorde”. Moi, je crois plutôt que le seigneur de Mictlán1 ne voulait pas les emporter pour que moi, je puisse les retrouver ! Quoi qu’il en soit, les deux hommes ne pouvaient pas remonter sur leur navire : ils craignaient que la Peste s’y trouve toujours. Alors le marin et le charpentier ont marché sur la plage jusqu’à atteindre l’autre côté de l’île, puis ils ont allumé un feu. Un navire marchand les a repérés et ils s’en sont sortis.
— Et en quoi cette histoire a à voir avec ce que nous allons faire ?
— Je me suis longtemps posé la question, Saoirse. D’où venait cette pépite d’or, trouvé sur le cadavre d’un adelantado ? J’ai cherché des réponses, j’ai essayé de comprendre qui était ce capitaine. Tu ne devineras jamais ce que j’ai découvert ! En fait, Nicolas Zaldívar n’est autre que le descendant d’Hernan Cortés et de l’empereur Montecuzoma.
— Mais enfin, c’est insensé !
— Moi non plus, je n’y croyais pas. Mais peu de temps après La Havane, j’ai quitté la marine espagnole pour retrouver ma mère que je croyais morte jusque-là, car c’est ce que mon père m’avait toujours dit. Mais quand je l’ai retrouvé, elle m’a raconté une histoire affreuse à propos de ce qui était arrivé à notre peuple : Cortés ne s’est pas contenté de piller Tenochtitlán, ni même d’assassiner des Azteca. Il a aussi violé l’une des filles de Motecuzoma, Tecuihpo. »
Je suis restée muette. Ni toi ni moi n'avons connu Hernán Cortés, Gamine, mais crois-moi, son âme sanguinaire semblait planer au-dessus de moi dès que je découvrais quelque chose de nouveau le concernant.
« De cette union non consentie est née une fille, Léonor. Après les deux expéditions manquées de Cortés vers la Californie, la petite avait neuf ans et était très curieuse de connaître son père. Elle s’est donc rendue à Veracruz. Au port, elle l’a vu discuter avec le capitaine d’un navire. En s’approchant discrètement, elle a compris que son père s’apprêtait à sécuriser sa fortune et, bien entendu, il s’agissait du trésor volé de Motecuzoma. La fortune de mon peuple ! Cortés avait chargé l’or dans un navire pour le cacher sur une île déserte. Cette île, personne ne s’en souciait et l’explorateur était le seul à connaître ses coordonnées. Après avoir écrit le code secret permettant de les connaître sur un morceau de papier, il a coincé le billet dans le journal de bord du capitaine, le seul à savoir comment le déchiffrer. Mais Léonor était une petite fille futée. Tandis que les deux hommes s’étaient éloignés seulement de quelques pas du journal, Léonor s’est approchée et a recopié le code secret dans son carnet d’école tout neuf. La description d’Itztli est formelle : ce cahier correspond exactement au journal de bord de Zaldívar.
— Vous croyez que les descendants de cette gamine se sont transmis ce journal de génération en génération ?
— Si l’histoire que le vieux moussaillon m’a racontée est vraie, c’est fort probable.
— Pourquoi a-t-elle recopié ce code ? Qu’est-ce qui a bien pu la motiver ?
— Difficile à dire, la mémoire des événements passés se perd si facilement… Mais pour ma part, je pense que sa mère ne lui avait rien caché sur ses origines, ni même sur ce qui était arrivé à son grand-père. Peut-être que, déjà à son âge, elle se sentait plus légitime de posséder ce trésor que Cortés. Après tout, il s’agissait de son héritage.
— Et l’équipage qui a conduit le butin sur l’île ? Ils ont bien fini par connaître l’emplacement exact !
— L’équipage n’est jamais revenu, Saoirse.
— Comment ça ?
— Eh bien, ma mère tenait cette histoire d’un vieil Espagnol qui était le fils d’un transporteur de marchandise sur le port de Veracruz. Son père lui aurait alors dit que, quand il avait chargé la précieuse cargaison dans le navire de Cortés, il avait porté une grosse caisse remplie de bouteilles de rhum, sur laquelle était étiqueté un mot : “Cadeau de Cortés : n’ouvrir qu’une fois le travail accompli.”
— Et alors ?
— Alors, le transporteur pense que le rhum en question était empoisonné. Selon lui, aucune autre raison ne pouvait expliquer la disparition soudaine du navire et de son équipage.
— Et vous y croyez, vous ?
— Je suppose qu’on le saura seulement quand nous aurons découvert l’île. Comprends-moi bien, Saoirse, cette quête, aussi insensée soit-elle, est bien celle du Tlaloc. Avec ce trésor, ce petit village ne sera plus seulement un refuge, mais un état puissant. Après tout, l’or, c’est la seule langue que les Anglais et les Espagnols comprennent. Nous ne serions plus obligées de nous cacher, ni même de craindre les royaumes d’Europe. Mieux encore : mon peuple pourra enfin se reconstruire et espérer. Espérer pouvoir de nouveau vivre libre ! »
J’ai plissé les yeux, suspicieuse. Toute cette histoire me paraissait surréaliste. Non, c’était de la folie furieuse. Pourtant, quelque chose en moi me poussait à y croire. Ça venait de ses yeux. Son regard plein de détermination et de rêves insensés me contaminait.
« Donc si je comprends bien, ai-je repris après un long moment de silence, nous cherchons un trésor qui se trouve sur une île dont on ignore les coordonnées, et le seul moyen de mettre la main dessus, c’est de retrouver le journal de bord de Zaldívar, enterré avec lui sur une île dont on ignore également les coordonnées, c’est bien ça ? »
Mon capitaine n’a pas répondu tout de suite, hébété par ma manière de résumer la situation. Il a fini cependant par hocher la tête avec méfiance. Moi, je me suis contentée de froncer les sourcils. Tout cela me paraissait confus.
« Et moi, qu'est-ce que j'y gagne exactement ? ai-je demandé. J'étais d'accord pour être formée au poste de second, mais je vous ai déjà dit que mon but consistait à devenir capitaine de mon propre navire. C'est le seul chemin pour atteindre mon but, vous le savez bien. Alors je ne vois pas pourquoi j'irais me perdre avec vous dans une quête insensée où le butin n'est peut-être que l'illusion de vieilles histoires.
— Et si ce butin existe vraiment, ne regretterais-tu pas de ne pas avoir été des nôtres ? répliqua Aztlán. Si le trésor se trouve bien au bout de cette quête, chacun d'entre nous aura sa part. Crois-moi, avec ce que l'on trouvera, tu quitteras mon navire avec suffisamment de richesse pour faire construire ton propre bateau et recruter tes propres hommes. N'est-ce pas ce que tu veux ?
— Pour sûr, mais encore une fois, tout ça repose sur des suppositions. Et s'il 'n’y avait aucun trésor au bout du chemin ? Nous aurons tous perdu notre temps. »
Mon capitaine a soupiré. Les coudes posés sur la rambarde du balcon, il a laissé son regard se perdre dans la vallée. Soudain, comme touché par la lumière divine, il s'est retourné vers moi :
« Tu as bien dit que tu acceptais d'être formé comme second ? Dans ce cas, je te propose de participer à notre quête aussi longtemps que durera ton instruction. Si jamais nous n'avons pas retrouvé le trésor avant que tu achèves ta formation, je te laisserais partir et poursuivre ta route ailleurs. »
Je n'ai pu m'empêcher de pouffer.
« Et qui me dit que vous ne feriez pas durer mon apprentissage autant que ça vous arrange ? »
Il me lança un regard noir pour me faire ravaler mes paroles.
« Tu as ma parole, c'est suffisant. Si tu penses avoir besoin de plus, alors peut-être n'as-tu rien à faire ici. Un second doit faire confiance à son capitaine, sinon rien ne sera possible. Me fais-tu confiance, Saoirse ? Car si ce n'est pas le cas, peut-être vaut-il mieux que je donne ce poste à Suarez. »
Son ton cassant me pétrifia. Nous sommes restés un moment à nous défier du regard. Enfin, disons que j'essayais, mais au fond de moi, Aztlán me faisait peur. Comment pouvait-il être aussi attirant et aussi effrayant ?
J'ai baissé les yeux et entortillé mon bandana autour de mes mains pour réfléchir. Après tout, pourquoi pas ? Dans le pire des cas, l'idée de rester coincé avec lui jusqu'à ce qu'il ne veuille plus de moi me plaisait assez bien. Et puis, qui sait ? Peut-être y avait-il vraiment un trésor au bout du chemin...
J'ai relevé la tête vers lui.
« Alors ? Comment faire pour retrouver une tombe sans connaître le lieu où elle se trouve ? »
J’ai posé cette question avec tant de sérieux qu’Aztlán n’a pas pu s’empêcher de rire. Il savait ce que ça signifiait : que j’avais choisi d’en être, même si c’était un plan délirant.
« Comme le vieillard ne m’a pas donné les coordonnées de l’île la première fois, mais que cela ne fait que quelques années que j’ai entendu son histoire, nous avons envoyé un informateur Azteca à La Havane pour le retrouver. Seulement, voilà, tu as entendu Itztli comme moi au banquet : il est mort.
— Alors c’est fichu ?
— Pas tout à fait. Si tu m’as bien écouté tout à l’heure, j’ai dit qu’un deuxième homme se trouvait à l’enterrement de Zaldívar.
— Le charpentier ?
— Le charpentier. S’il n’est pas mort, il doit connaître les coordonnées de l’île où se trouve la tombe de l’adelantado.
— Et comment on va le retrouver ? »
Le sourire d’Aztlán s’est élargi. Il s’est approché, se penchant vers moi jusqu’à ce que ses boucles noires frôlent mon front. Une chaleur fiévreuse s'empara de tout mon corps. L'homme qui m'avait effrayé d'un seul regard avait disparu pour laisser place à un être particulièrement attirant.
« Dis-moi, Saoirse, quand tu cherches un homme dans ce coin du monde, quel est le meilleur réseau d’information à utiliser pour trouver sa trace ? »
J’ai réfléchi un moment, mais avec difficulté, car son regard profond m’hypnotisait. La réponse a soudain surgi naturellement dans mon esprit. Alors que je m’apprêtais à la prononcer, le capitaine a posé son index sur mes lèvres, m’invitant à garder le silence. Il s’est doucement éloigné de moi, a posé ses coudes sur la rambarde du balcon et a fixé son attention sur le village, pensif. Va savoir pourquoi, mais le ciel étoilé, sans aucun nuage, m'a soudain semblé plus sombre.
Je serais bien restée à contempler Aztlán pendant des heures, mais l'idée de partir à la recherche d'un trésor m'a totalement envahi l'esprit.
J’ai rompu le silence :
« Alors nous retournons à Nassau ?
— Alors nous retournons à Nassau. »
1Aztlán fait référence ici au Dieu de la mort dans la religion aztèque. Mictlán correspond au royaume des morts.