Chapitre XX : Conseil de Guerre

— Bien, comme vous le savez, l’heure est grave. Un rapport de nos éclaireurs m’a annoncé ce matin qu’une armée de Spyr est en marche sur nos terres. D’après la lettre de Rigas, ils chercheraient à venger la mort de l’ancienne Flamme de la Guerre qui aurait été assassinée par des hommes appartenant à un ordre militaire installé sur nos terres. Vraisemblablement les mêmes hommes que l’on avait aperçus il y a quelques semaines en ville. Selon les récents retours des habitants sur place, ils auraient établi un campement au sud-ouest d’Ortie. Je ne sais pas ce qu'ils cherchent, mais l’on ne peut pas laisser Spyr agir ainsi à sa guise. C’est à nous qu’il appartient de régler leur cas. C’est pourquoi je propose de mobiliser nos soldats et d’aller à leur rencontre.

Théa avait demandé une réunion, mais le ton de sa voix laissait entendre que la décision était déjà prise. La reine souhaitait en découdre avec les Spyriens.

— Cela équivaudrait à une déclaration de guerre ! Protesta Daélia. En quoi devons-nous intervenir, ils pourraient se débarrasser de cet ordre pour notre compte !

— Et les laisser violer notre territoire sans nous avertir de leur mission au préalable ? Depuis quand Spyr sont nos alliés, au juste ? Même si je ne doute pas que tu te sois fait beaucoup d’amis là-bas, répliqua Théa acerbe.

Les deux continuaient de se détester et si Théa ne l’avait pas accusé directement d’avoir comploté contre elle, tout le monde autour de la table était au courant des prétendus agissements de Daélia auprès de Rigas.

— Et nous n’avons pas plus d’informations sur ce fameux Ordre ? Demanda l’un des conseillers.

— Pas grand-chose, j’en ai bien peur, hormis qu’ils se nomment l’Ordre des Brûlés. Les quelques rumeurs parlent d’un groupe de brigands ou bien de mercenaires à la recherche de quelqu’un…

— Il y a eu une intrusion dans une armurerie hier soir, ajouta un officier. On ignore encore qui a fait le coup, les gardes rapportent avoir vu des hommes en tuniques grises s’en échapper. Selon eux, ce ne sont pas les méthodes des Kléptars et il est possible que ce soi-disant Ordre en soit à l’origine.

— Vous voyez ! S’écria Daélia. Autant laisser les hommes de Spyr leur régler leur compte.

Elinora observait Ignace qui assistait sans rien dire à la scène. Ce n’est qu’après de longues discussions sur l’Ordre des Brûlés qu’il se résout enfin à prendre la parole :

— Votre Altesse, peut-être pourrions-nous envoyer nos hommes en direction de leur campement. C’est un ordre militaire après tout et ils pourraient très bien résister à un assaut d’une légion de Spyr.

— Vous souhaitez que l’on vienne en aide aux spyriens ? L’interrogea Théa suspicieuse.

— Attendons que les troupes de Spyr s’épuisent dans leur attaque, puis envoyons nos hommes finir le travail. On fera ainsi d’une pierre deux coups en se débarrassant de Spyr et des Brûlés.

— N’êtes-vous pas censé soutenir Spyr ?

— Votre Altesse, je représente les intérêts du Culte de Pyra avant ceux de Spyr. Et je pense que cet Ordre constitue une menace pour le bien de cette cité et pour notre foi.

— C’est vous qui constituez une menace ! S’emporta Elinora en se levant à son tour. Vos hommes sillonnent les rues de la ville en dénigrant Pyrel et en encourageant à la haine. Dois-je vous rappeler le nombre d’attaques d’Adorateurs envers les prêtresses du Culte ces derniers temps !

— Les prêtres en question ont été châtiés pour leur méconduite, je vous rassure. Ceci dit, vous ne pouvez pas leur interdire de propager leur foi dans Dérios. J’ai vu certaines de vos prêtresses faire exactement la même chose.

— Vous mentez, elles ne peuvent pas quitter le temple sans mon autorisation !

— Assez ! S’exclama Théa. L’on réglera vos différends religieux une autre fois. Les troupes de Spyr progressent à chaque minute et il nous faut agir.

— Ma reine ! Continua Elinora. Envoyez des hommes intercepter les soldats de Spyr, ils seront obligés de faire demi-tour s’ils ne veulent pas d’affrontement. Le problème de cet Ordre est sur nos terres et il doit être réglé en interne. Que vont penser les autres royaumes si Spyr gère la politique de notre pays à notre place ?

— Au contraire, ils reconnaîtront votre puissance en voyant nos soldats réussir là où Spyr aura échoué, le contredit Ignace. Ma reine, il faut intervenir maintenant. Saisissez cette chance !

— Et êtes-vous certains que les Spyriens perdront cette bataille ? Demanda la reine sceptique. S’ils gagnent et qu’ils repartent impunément à Spyr, cela sera une énième humiliation pour Dérios et je ne le permettrai pas.

— Eh quoi ? Vous tenez donc tant que cela à sacrifier des hommes inutilement afin d’arrêter les troupes de Spyr ? Demanda Daélia en soupirant de lassitude.

— Ils se battent pour Dérios au cas où tu l’aurais déjà oublié. Spyr aurait donc également acheté ton honneur ?

— On voit où l’honneur a conduit votre époux. Et vous allez tous nous conduire vers un bain de sang inutile parce que vous vous accrochez autant à son fantôme qu’à votre couronne !

— Sache que si tu n’étais pas la femme de mon fils et la mère du jeune prince, il y a longtemps que je me serais débarrassé de toi ! Alors encore un mot de ta part et les gardes t’emmèneront au cachot pour trahison.

— Ils n’en feront rien, il vous faut l’aval du roi pour cela. Et vu la façon déplorable dont vous traitez votre propre fils, je doute qu’il vous obéisse.

— Insolente ! Tout le monde sait que tu ne l’as épousé que par intérêt, alors ne vient surtout pas me parler d’amour !

Elles continuèrent à se traiter de tous les noms devant le regard gêné des autres personnes présentes dans la pièce. Elinora allait se risquer à essayer de les calmer, mais il se produisit un événement assez hors du commun. Éléon frappa du poing sur la table et tout le monde se tut. Puis il leva doucement son bras et le pointa en direction d’Ignace tout en le dévisageant du regard.

— On dirait… Il semblerait qu’il approuve le plan d’Ignace, avança Daélia perplexe.

— Qu’en savez-vous, il est peut-être juste perturbé par notre dispute, répondit Théa.

— Ah, vous voyez, vous ne l’écoutez pas encore une fois. Ne t’en fais pas, Éléon, ajouta-t-elle en se rapprochant de lui. Je prendrai soin de toi, je t’assure.

Elle se mit à serrer son autre main entre les siennes, mais Éléon ne réagit pas et continua de pointer Ignace du doigt. Elinora le fixa davantage et crut discerner dans son regard quelque chose qui s’apparentait à de la peur. Éléon était terrifié et personne en dehors d’elle ne semblait s’en rendre compte. Elle allait en informer la reine lorsque Théa prit la parole :

— Bon, ce débat n’a que trop duré. Général, préparez nos hommes, qu’ils partent en direction d’Ortie. Spyriens ou Brûlés, peu importe, ce sont nos terres et ils se doivent de les défendre.

Balwin inclina la tête et se leva pour débuter les préparatifs. Théa conclut la séance juste après avoir donné son ordre et demanda à rester seule avec Éléon sans que personne ne la dérange. Évidemment, Daélia s’y opposa et de nouveaux cris éclatèrent alors qu’Elinora et les autres convives quittaient la pièce. Elle échangea quelques formalités avec d’autres connaissances en prenant soin d’éviter Ignace, puis elle prit la direction de la maison où Lux l’avait hébergé en vérifiant que personne ne la suivit sur le trajet.

Une fois arrivée, Elinora toqua trois fois à la porte et Lux vint lui ouvrir. Elle avait le visage grave et l’emmena à l’intérieur où se trouvaient déjà réunis une dizaine d’hommes et de femmes en pleine discussion. Balwin était déjà présent et avait dû leur faire un topo de la situation. Lux s’avança au centre de la pièce où se trouvait une table avec une carte du continent. Après avoir échangé quelques mots avec d’autres Brûlés, elle prit alors la parole :

— Combien de temps avant l’arrivée des troupes de Spyr ?

— Ils ont été aperçus à la frontière, il y a un peu moins de trois jours. Vu leur vitesse, ils arriveront demain soir au niveau d’Ortie, peut-être après demain au plus tard, répondit Balwin.

— Pile le jour de l’arrivée de nos renforts. On a été imprudent, il ne sera pas possible de lever le camp à temps. Qu’en est-il des hommes de Dérios ?

— Le temps que je prépare les troupes, l’on ne partira pas avant la fin d’après-midi. En voyageant léger et avec le strict minimum, l’on devrait pouvoir arriver à Ortie dans deux jours à l’aube.

— La bataille se jouera donc de nuit. Il nous faudra repousser les Spyriens jusqu’à votre arrivée. 

— Combien d’hommes ont envoyé les Spyriens ? Demanda un Brûlé qu’Elinora n’avait pas encore rencontré.

— D’après nos rapports, environ trois mille hommes, répondit Balwin.

— Trois mille hommes contre trois cent des nôtres, souligna avec désespoir un autre homme.

Il y eut un lourd silence. Tous avaient une mine grave et réalisaient la gravité de leur situation. Finalement, Lux donna ses instructions :

— Préparez vos affaires, on se retrouve sur le port Ouest dans moins d’une heure. En chevauchant de nuit, l’on arrivera au campement avant les Spyriens. Si on ne les avertit pas à temps pour préparer notre défense, nous n’avons aucune chance de l’emporter.

Les brûlés la saluèrent et se dispersèrent aussitôt à l’intérieur pour enfiler leur équipement de combat. Balwin annonça qu’il devait retourner sans plus attendre à la caserne, car il ne souhaitait pas attirer les soupçons. Elinora se sentit un peu perdue au milieu de toute cette agitation. Elle ne savait pas vraiment comment se rendre utile et être d’une quelconque aide. Elle attrapa le bras de Lux qui était en train d’ajuster son plastron en bronze.

— Que voulez-vous que je fasse ?

— Malheureusement, pas grand-chose, répondit-elle à la hâte tout en continuant à s’équiper. Tout va se jouer sur le champ de bataille. C’est ma faute, à l’Est, l’on était plutôt bien accueilli par les seigneurs locaux, mais à Elanor, le culte de Pyra y est trop influent. J’ai été stupide de croire que nous pouvions simplement nous installer sans dangers.

Elle attrapa une longue cape brune qu’elle enfila pour dissimuler son armement et son épaulette facilement reconnaissable.

— Continuez de surveiller Ignis durant notre absence, mais soyez prudente. L’on ne risque pas de pouvoir entrer en contact avant un moment.

Une fois dehors, elle grimpa sur une monture et attendit nerveusement que les derniers Brûlés sortent du bâtiment avec précipitation. Elinora avait l’impression que cela ressemblait à des adieux et une boule lui noua le ventre. Et par-dessus tout, elle avait l’impression que leur destin allait se jouer là-bas et elle ne voulait pas être impuissante.

— Prenez-moi avec vous ? Dit-elle.

Lux arrêta soudainement ses préparatifs et la dévisagea stupéfaite.

— Pourquoi ? Vous êtes la matriarche du Culte, pas une combattante. Votre place est ici auprès des prêtresses.

— Pyrel m’est apparue de nouveau, lâcha-t-elle. Vous l’avez dit vous-même, vous avez besoin de son aide.

— A-t-elle accepté ?

Elinora hésita.

— Je la convaincrai. Si elle ne le fait pas pour vous, elle le fera pour moi. Je vous en prie, laissez-moi vous accompagner. C’est là-bas que je dois être, je le sais.

Lux hésita à son tour, puis elle finit par lui tendre sa main pour l’aider à grimper sur sa monture. Dès que les autres Brûlés furent installés, le groupe partit à toute allure en direction des quais de la cité.

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Talharr
Posté le 28/07/2025
ça arrive aha les batailles vont commencer ;)
Et voilà Elinora qui rejoint le groupe de Tanwen et de Luke. Très sympa :)
Au moins elle quitte cette cité insupportable ahaa Mais qui pour surveiller Ignace ?
A voir la suite :)

Les retours :

"Cela équivaudrait à une déclaration de guerre, protesta Daélia ? En quoi devons-nous intervenir, ils pourraient se débarrasser de cet ordre pour notre compte ?" -- je pense erreur de tonalité. Plutôt "Cela équivaudrait à une déclaration de guerre ! protesta Daélia. En quoi devons-nous intervenir, ils pourraient se débarrasser de cet ordre pour notre compte !"

"Dois-je vous rappeler le nombre d’attaques d’Adorateurs envers les prêtresses du Culte ces derniers temps." -- pareil ici plutôt un "!" à la fin.

"Il eut un lourd silence" -- "y eut"

A plus :)
Scribilix
Posté le 29/07/2025
Re,
Eh oui, la bagarre arrive (enfin).
Merci pour tes corrections, j'ai toujours un gros problème sur la ponctuation de mes phrases.
A la prochaine,
Scrib.
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