Elinora contemplait le lac azuré qui s’étendait à perte de vue. Elle était assise à son endroit favori et laissait son esprit vagabonder sur les flots. Elle n’avait pas eu une journée particulièrement chargée, mais avec la suite d’événements qui s’étaient succédé, Elinora n’avait pas eu beaucoup de temps pour elle. Et cela ne risquait pas d’aller en s’améliorant. Le soleil commençait à décliner et elle décida de se remettre en route. Ses pas la guidèrent jusqu’au pourtour de la ville, dans des quartiers vétustes et mal entretenus. Lorsqu’elle se dit qu’il était temps de rentrer, alors qu’elle allait prendre la direction du temple, elle vit devant une ruelle un homme portant une tunique décrépie qui jetait des regards mauvais aux passants. Derrière lui, ces deux compères s’en prenaient à un jeune homme plus petit qui essayait en vain de les calmer.
— Alors comme ça, la dernière fois ne t’a pas suffi ? Lança l’un des deux hommes.
— Tu n’aurais pas dû pousser ta chance, l’on va s’amuser un moment avec toi, ajouta son collègue.
— Messieurs, calmez-vous ! Les implora le jeune homme. J’ignorais que cette maison était habitée. Et encore moins qu’il s’agissait d’une des planques de Lucio, ajouta-t-il plus bas. Je vous propose une offre, vous me laissez partir et, en retour, je vous offre cette magnifique coupe en argent tout droit venue des coffres du royaume, proposa-t-il en agitant sous leurs yeux un verre en argent à moitié cabossé.
Les deux malfrats se regardèrent un instant puis éclatèrent de rire. Le jeune homme en profita pour essayer de s’enfuir, mais ils lui barrèrent la route et l’un d’eux le frappa au visage. L’homme tomba au sol et un filet de sang s’échappa de son nez alors que les deux autres continuaient à le rouer de coups.
Elinora s’approcha, elle ne supportait pas d’être témoin d’un tel spectacle sans agir. L’homme de garde la vit approcher et lui lança :
— Tire-toi, ça ne te regarde pas.
— Au contraire, répliqua Elinora. Il a eu son compte, vous allez arrêter cela tout de suite.
— Qu’est-ce qu’elle cherche, la vieille ? Tu en veux aussi ? Lâcha l’un des deux autres en arrêtant de se déchaîner contre le malheureux.
Les trois individus s’approchèrent et l’entourèrent de manière agressive. Elinora leur fit face et ne flancha pas.
— Je suis la matriarche du Culte de Pyrel, pauvres imbéciles ! Pour qui vous prenez-vous ?
— On va voir si ta déesse te protégera lorsque tu imploreras notre pitié en crachant ton sang sur ces pavés.
Face à des gens démunis de toute piété, elle savait qu’elle devait utiliser des arguments plus terre-à-terre.
— Avez-vous conscience de ce que cela signifie ? Si vous portez la main sur moi, la reine Théa s’assurera de vous le faire payer très cher. Et je doute que vous ayez envie de figurer en tête de liste des malfrats recherchés par la couronne.
Les trois hommes la dévisagèrent pendant quelques secondes et Elinora soutint leur regard avec détermination.
— Très bien, lâcha l’un d’entre eux en grommelant. Mais cette vermine aura ce qu’elle mérite.
— La couronne ne vous sauvera pas éternellement, ajouta un deuxième. Et lorsqu’elle tombera, vous la suivrez dans sa chute.
Ils s’en allèrent satisfaits de leurs menaces en la laissant seule dans la ruelle avec l’homme ensanglanté. Elinora s’approcha et reconnut son visage. C’était l’un des deux voleurs qui avait débarqué à l’improviste durant leur réunion nocturne avec l’Ordre. Si sa mémoire était bonne, il s’appelait Finn. Fort heureusement, il respirait encore, même s’il était dans un piteux état. Elinora s’agenouilla et posa délicatement ses mains au-dessus de lui. Elle murmura une prière à sa déesse et une faible lumière en émana. Elle était heureuse de constater qu’elle n’avait pas perdu ses pouvoirs, bien que Pyrel ne lui était pas réapparu depuis cette fameuse nuit. Finn ouvrit les yeux et poussa des cris de panique en se débattant.
— Haaa ! Lâchez-moi ! Ce n’est pas moi qui ai piqué votre bourse !
— Calme-toi ! Lui dit Elinora sans prêter attention à ces propos. Tu es encore faible, il faudra te reposer quelques jours si tu veux totalement récupérer.
— Je vous reconnais vous. Vous étiez à la réunion des Brûlés. La prêtresse du temple, c’est ça ? Je vous remercie, mais je n’ai pas besoin de l’aide d’un dieu ou d’une déesse pour me débrouiller.
Il tenta alors de se relever et Elinora le rattrapa avant qu’il ne s’effondre de nouveau.
— Bon d’accord, peut-être un petit peu d’aide, admit-il.
— Je vais t’emmener au temple où l’on pourra finir de soigner tes blessures.
Elle l’aida à se relever en mettant l’un de ses bras autour de son épaule et ils prirent la direction du temple. Une fois arrivée, on lui trouva un lit dans l’aile réservée aux malades. Dès qu’il fut bien installé, Elinora l’interrogea aussitôt.
— Peut-être vas-tu enfin pouvoir me dire ce que tu faisais dans ce coin de Dérios ?
— Des affaires.
— Dans un quartier si mal famé ?
— C’est un lieu tout à fait correct avec des gens respectables. Évidemment, si vous ne sortez jamais de la haute-ville, vous ne risquez pas de vous en rendre compte.
— Et c’est pour cela qu’ils t’ont mis dans cet état. Une règle de courtoisie, j’imagine ?
— Ce sont des Kléptars. Ces ordures n’ont rien à voir avec nous. N’importe qui aurait pu s’en rendre compte.
Des Kléptars, voilà qui pouvait peut-être l’aider à en savoir plus sur Lucio. Il est vrai qu’Elinora connaissait mal ces quartiers de la ville ainsi que les habitants qui y vivaient. Néanmoins, le manque de manière de Finn commençait à l’agacer sérieusement.
— Et donc, pourquoi t’es-tu retrouvé en si mauvaise compagnie ?
— Je vous l’ai déjà dit, je faisais des affaires.
— Tu étais à la réunion des Brûlés, non ? Tu as accepté de nous aider.
— J’ai accepté de vous aider à vous débarrasser de Lucio, rien de plus. Alors vos histoires de déesse et de pyromane, vous pouvez les garder pour vos prières du soir, cela ne me concerne pas.
— Je commence à me demander si j’ai bien fait de te venir en aide.
— Rien ne vous y obligeait.
Il y eut un long silence dans la pièce, puis Finn souffla du nez et se décida à parler.
— J’enquêtais sur Lucio, lâcha-t-il. Je cherchais un plan des différentes installations des Kléptars dans la cité.
— Et tu l’as trouvé ?
— Évidemment que oui ! Dit-il fièrement. Je suis le plus grand voleur de cette ville.
Il lui tendit un bout de papier représentant une carte de la cité sur laquelle étaient gribouillées plusieurs croix à certains emplacements.
— Et ce n’est pas tout, ajouta-t-il. J’ai entendu quelque chose de très intéressant avant que ces trois vermines ne me repèrent. Ils prévoient d’assassiner la reine.
— Je te demande pardon ? Dit Elinora en levant les yeux de la carte.
— Libre à vous de ne pas me croire, je ne fais que rapporter ce que j’ai vu et entendu.
Elle était stupéfaite. D’ordinaire, les Kléptars n’osaient jamais entreprendre pareille aventure et faisaient tout pour ne pas trop s’attirer les foudres de la couronne. Est-ce qu’Ignace les aurait-il poussés à agir de la sorte ?
— Ont-ils dit quelque chose d’autre à propos d’un Adorateur du Brasier ou de quand ils comptent passer à l’action ?
— Non pas que je sache, simplement qu’ils comptent agir durant Novi-Fyr.
Elinora soupira. Finn ne lui semblait pas être quelqu’un de confiance et elle ne savait pas si elle pouvait croire à ses histoires.
— Repose-toi un moment ici. Mais sois plus prudent la prochaine fois, je ne serai pas là pour te tirer d’affaire.
Alors qu’elle se dirigeait vers la sortie, il ajouta :
— Et la carte ?
— Elle nous sera peut-être utile. Je la garde comme offrande faite à Pyrel.
— Tous les mêmes, soupira-t-il. J’espère vraiment que Tanwen sait ce qu’elle fait en s’alliant avec vous. Je n’ai pas l’habitude de travailler avec des gens qui ne sont pas du milieu.
— Eh bien, dans ce cas, nous sommes deux, répondit-elle.
Quand Elinora eut fini sa conversation, elle laissa Finn aux soins des prêtresses et ce dernier leur lança aussitôt un sourire charmeur. Après s’être assurée de l’état des autres malades, elle fila dans ses quartiers. Depuis quelques jours, elle feuilletait tous les ouvrages des différentes bibliothèques de la cité traitant du conte d'Ignis. Elle ne savait pas quoi faire de plus en attendant que les Brûlés passent à l’action. Les Adorateurs du Brasier semblaient se faire plus discrets et on ne lui avait pas fait parvenir d’autres attaques pour le moment. Durant ces derniers jours, elle avait fait inspecter plus en amont les recoins de la cité. Au total, elle avait trouvé une trentaine de symboles gravés sur différents édifices, et leur nombre ne semblait plus augmenter. Soit elle n’avait pas encore trouvé les derniers signes, soit Ignis n’avait plus besoin d’en faire. En répertoriant les symboles sur une carte de la ville, Elinora pencha pour la deuxième option. L’emplacement de chacun d’entre eux semblait aléatoire, mais en les reliant, on obtenait exactement le même symbole qu’ils représentaient : un demi-cercle horizontal surmonté d’un cercle et de trois traits ondulés.
Alors qu’elle examinait les cartes plus attentivement, l’on toqua à la porte et Anna entra dans son bureau.
— Sainte-Mère, vous souhaitiez me voir ? Demanda-t-elle.
— Oui, j’ai quelque chose pour toi.
Elinora sortit une clef en bronze d’un coffre derrière elle et la lui tendit.
— Mais… Ce sont les clefs du temple, dit-elle troublée.
— En effet, j’ai jugé bon d’en faire fabriquer une nouvelle paire.
— Pourquoi me les confier ?
— Car tu es celle qui me succédera à la fonction de Matriarche le jour venu. J’ai confiance en toi et je sais que tu en seras capable.
Anna s’inclina remplie d’émotion.
— Je vous remercie, Sainte-Mère, c’est un immense honneur !
Elinora sourit. De toutes les prêtresses du culte, elle était celle qui le méritait le plus. Elles parlèrent encore un moment de la vie du temple avant qu’Anna ne s’en aille pour aller donner un cours d’incantation aux novices. Elinora se dit qu’elle aussi aurait bien aimé y assister. Après tout, elle n’avait jamais vraiment pu développer ses pouvoirs et, à bientôt cinquante ans, elle ne pensait plus en recevoir un jour. Elle ne pouvait pas le faire devant témoin, la honte serait trop forte, il lui fallait des cours particuliers. Elle songea à en faire la demande à Anna la prochaine fois. Elles en avaient souvent discuté toutes les deux et après ce qu’elles avaient vécu, Elinora était certaine qu’elle accepterait. Mais pour l’heure, elle avait déjà une mission à terminer et elle reprit la carte en se mettant à rechercher sans succès d’autres signes qui lui auraient échappé. Comme à son habitude, ce n’est qu’à la nuit tombée qu’elle sortit de bureau.
Le lendemain matin, elle reçut de bonne heure une missive de la reine. Elinora se prépara en vitesse et fonça en direction du palais. Théa avait convoqué tous ses conseillers pour une réunion d’urgence. La reine aurait reçu une lettre de Rigas l’informant d’une expédition de Spyr sur ses terres et un important groupe de soldats en armes aurait été aperçu traversant la frontière. Sur le chemin, elle se demanda si elle devait aborder cette histoire d’assassinat ou bien attendre d’en savoir plus avant de lui en parler. Finalement, Elinora décida de ne rien en dire, connaissant le tempérament de Théa, celle-ci refuserait de s’inquiéter à cause de simples rumeurs.
Dès qu’elle pénétra dans le palais, elle tomba sur Éléon seul dans son fauteuil au beau milieu d’un couloir désert. Elle s’inclina en signe de respect, mais il ne sembla pas la remarquer comme perdu dans ses pensées. Elle éprouvait de la peine envers cet être que les dieux n’avaient pas gâté. Surtout, elle méprisait la tripoté de nobles, lui tournant sans cesse autour, telles des mouches sur un pot de miel. Aucun d’entre eux ne voyait en lui une véritable personne, juste un homme de paille extrêmement riche et avec une couronne brillante sur la tête. Plus d’une fois, elle avait vu l’un d’eux essayer de lui faire signer contre son grès n’importe quel acte susceptible de pouvoir renflouer les caisses de leurs villas déjà luxueuses.
Alors qu’elle allait s’enquérir de son état, Daélia pénétra en trombe dans le couloir en claquant une porte derrière elle. Elle s’adressa directement à Éléon sans même saluer Elinora.
— C’est donc ici que vous vous trouviez, mon roi ? Il faut se dépêcher, l’on attend plus que vous pour commencer.
Elle saisit brutalement son fauteuil et le tira avec force en direction de la salle de réunion. Éléon se cogna violemment la tête contre le bord de son fauteuil et émit un cri de protestation que Daélia ignora en continuant son chemin. Elinora était choquée par la scène à laquelle elle venait d’assister et par la façon dont Daélia traitait le roi, mais elle les suivit tous deux sans rien dire. En pénétrant dans la salle de la réunion, elle vit que la reine Théa était déjà là ainsi que la tripotée de nobles et d’officiers habituels, dont Balwin qui caressait sa grosse barbe l’air songeur. Mais surtout, elle vit Ignace, assis l’air de rien avec les autres nobles autour de la grande table. Lorsqu’il l’aperçut, il lui lança un sourire mauvais en la fixant de ses yeux bruns vitreux. Elinora sentit son sang se glacer dans ses veines. Elle alla tout de même s’asseoir à sa place juste en face de ce dernier. Une fois qu’ils furent tous installés, Théa débuta l’audience :
Sinon Elinora toujours aussi posé et intéressante à suivre. Etrange qu'Ignace soit toujours à la table du roi et de la reine mère... Théa est pourtant au courant. A voir pourquoi personne ne le questionne ;)
Les retours :
"— Je vous reconnais vous." -- j'aurais juste enlever le deuxième vous.
"on lui trouva un lit dans l’aile réservée au malade" -- "aux malades"
"Alors vous, histoire de déesse et de pyromane, vous pouvez les garder pour vos prières du soir, cela ne me concerne pas" -- "Alors vos histoires de déesse et de pyromane, vous pouvez les garder..."
"Il y eut un long silence dans la pièce, puis Finn se décida à parler" -- là en connaissant la personnalité de Finn, j'aurais peut-être mis "souffla puis se mit à parler" ou quelque chose comme ça :)
"Pourquoi vous me les donnez-vous ?" -- peut-être "Pourquoi me les confier ?"
Je continue :p