Chapitre XXI

Par Fidelis

Un rictus affreux s’affichait sur son visage, allongé par terre sur le dos, devant sa roulotte. Il ne portait pas de blessure apparente. Ça ressemblait à un décès naturel, comme si son cœur en avait eu marre de le supporter après tant d’années.

Épiphyte ne lui connaissait aucune famille, et, malgré ses déclarations, il n’imaginait pas un instant qu’il était devenu fortuné. En tout cas, il n’ignorait pas son aversion pour les autorités religieuses, et ne savait que faire de sa dépouille, il se décida juste, à la glisser dans l’un des trous qu’il avait lui-même creusés.

Pauvre Floxel, il l’aimait bien. Il était cinglé, pensa-t-il, mais n’avait eu guère de chance durant sa vie, comme il le lui avait conté.

Quand il eut fini de l’enterrer, il alla chercher un bouquet de fleur des champs qu’il posa au-dessus. C’est au moment de partir qu’il découvrit son fameux livre par terre à côté de sa tombe.

Le jeune homme était persuadé qu’il était resté sous son manteau et pesta contre son manque d’attention.

Il n’avait cependant pas envie de creuser à nouveau juste pour le lui rendre, aussi il le prit avec lui en le glissant dans sa chemise.

Non par avidité, Floxel avait une imagination débordante. Il avait toute sa vie observé le vol des oiseaux, fouillé les entrailles des chèvres ou des poules noires pour en trouver des signes. Hier, c’était un grimoire demain, ça aurait été la manière dont les araignées tissaient leurs toiles. Il était rongé par l’idée que notre vision du monde ne pouvait être que partielle.

Épiphyte n’ignorait pas qu’il avait raison, mais il savait aussi qu’il était inutile de chercher une porte ou une clé pour tout expliquer. Parce que notre compréhension ou notre condition d’être humain régie par nos seuls sens ne nous permettait pas d’y accéder.

Il s’agenouilla un instant sur sa tombe, toucha la terre qui le recouvrait en se remémorant les bons moments qu’ils avaient partagés, puis reprit sa route. Son bouquin mité lui procurera un peu de lecture et un souvenir de sa personne, pensa-t-il, sans se douter que la renommée de ce dernier dépassait tout ce qu’il aurait pu imaginer.

Il repartit le cœur lourd. Son teint sombre et sans vie émut ses amis, ils se dirigeaient vers une étape fréquentée, par les voyageurs. Hroll, en accord avec Morgane, décida d’improviser une halte afin de boire un godet, pour lui changer les idées. Morgan les attendrait un peu en retrait dans la roulotte, le temps pour Hroll de le remotiver.

Ils se savaient à proximité d’un carrefour important, et ils furent à moitié surpris de trouver une ruine réaménagée à cet effet. La bâtisse avait le toit en partie effondré. En s’approchant, il put distinguer un guetteur, dont la tête apparaissait au premier étage, là où manquait un bout de la couverture. Du bruit et de la lumière provenaient de l’intérieur, leur indiquèrent que celle-ci était bien en activité.

Il se dit finalement que le Viking avait eu raison, une pause lui ferait le plus grand bien. Une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Le p’tit Four » pendait au bout d’une chaîne à son entrée.

Épiphyte poussa la porte, et découvrit un gaillard en arme qui les toisait. Il devait assurer la sécurité, pensa-t-il, ce dernier finit par émettre un râle en les regardant, ce qui devait signifier qu’ils pouvaient passer.

Ils pénétrèrent dans une grande salle accueillante. Une cheminée aux dimensions honorable occupait tout un mur. Elle dégageait une chaleur confortable, à l’opposé, un comptoir avec derrière un homme qui discutait avec deux clients. En son centre au plafond, un immense chandelier bricolé avec une roue de charrette, dominait l’intérieur de la taverne pleine de monde.

Ils se dirigèrent vers le tenancier pour commander deux hypocras. Ce dernier les toisa avant de se munir d’énormes godets qu’il remplit dans un tonneau ouvert.

Épiphyte posa des deniers sur le comptoir.

L’homme au regard suspicieux, et s’assura au moment de se saisir des piécettes.

— Vous êtes nouveaux vous ici, amusez-vous bien et pas d’histoire, hein !

Il le lui indiqua un signe d’approbation en opinant du chef avant de prendre les immenses récipients, d’en passer un à Hroll et de se mettre à la recherche d’un coin pour s’y installer.

Les clients portaient des têtes pas très recommandables.

Ça leur changeait des notables habituels, pensa-t-il en s’asseyant avant de poser son godet sur la table et de sortir le livre de Floxel pour le feuilleter.

Il continua d’expliquer au Viking qui ne l’écoutait que d’une oreille distraite, l’étrange personnage qu’il était devenu.

Le vin se découvrit agréable, tiède et parfumé à souhait, il huma un court instant le breuvage et eut très vite la sensation d’être surveillé. Il se tourna pour se trouver nez à nez avec un individu tout sourire qui l’observait derrière l’épaule.

Le curieux le questionna aussitôt démasquer.

— Vous savez lire ?

Il lui manquait une dent et se recula d’un pas quand il se sentit dévisagé.

— Euh oui, bien sûr, sinon quel intérêt d’avoir un livre ?

L’inconnu opina de la tête, puis se dirigea sans traîner vers la sortie.

Épiphyte laissa courir et continua à bavarder avec son ami, peu de temps avant d’être à nouveau interrompu.

— Hey salut à vous les gars !

Un jeune homme vint poser un tonnelet sur la table avant de se présenter.

— Moi c’est Giboin.

Le nouveau, un grand sourire aux lèvres s’installa en face d’Épiphyte. Les cheveux tirés en arrière, le visage émacié et l’allure filiforme, il semblait euphorique.

Il soupira avant de fermer le livre, et il lui rajouta en désignant le Viking.

— Enchanté Giboin, lui c’est Hroll et moi Épiphyte.

Giboin les observa en détail.

— Vous n’êtes pas du coin, vous cherchez une place ou vous travaillez en duo ?

Épiphyte réfractaire au terme employé préféra décliner la proposition.

— Non, on ne fait que passer, c’est quoi ce tonneau de la bière ou du vin ?

Giboin se saisit du godet d’Épiphyte pour en boire une gorgée sans qu’il ait été invité, avant de le reposer, et s’essuyer la bouche avec sa manche.

— Raaa ça c’est bien mieux, ça vaut une fortune.

Puis il se pencha pour le lui chuchoter.

— C’est du feu grégeois tu connais ?

Épiphyte ravala sa salive et manqua de s’étrangler.

— Aaaagl oui, bien sûr, mais ce n’est pas un peu risquer de te promener avec ça ?

Giboin continuait de sourire, et le lui indiqua en leur désignant le tonnelet.

— T’inquiètes, je viens le livrer, je suis alchimiste et celui-là est réservé aux Grabouges.

Il l’estima plus jeune que lui et se demanda s’il parlait bien de la même chose, sauf s’il avait découvert le secret de la vie éternelle.

— Grabuge, tu veux dire, mais pardon, tu n’es pas un peu vert pour pratiquer cet art ?

Giboin tourna sa tête de droite à gauche en signe de désaccord.

— Non, Grasbouge c’est leur vrai nom, t’es nouveau normal, y savent pas ce que ça signifie de toute façon, et pourquoi je ne serais pas assez vieux. J’ai dégoté un grimoire ancien écris par un maître en la matière, à présent je suis comme vous indépendant, je vends mes services au plus offrant, mais alchimiste c’est moins risqué que brigand.

Le jeune homme réalisa d’un coup, en écoutant la fin de sa phrase, où ils se trouvaient.

Dans un repaire de coupe-jarrets.

Giboin les avait pris pour des malandrins comme tous les autres d’ailleurs, sinon ils seraient morts à peine le seuil franchi, comprit-il.

Gidoin posa ses yeux sur le livre avant de le regarder, à nouveau, et s’exclama.

— Raaaa le livre du vieux Floxel, tu l’as tué ?

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