Chapitre XXII

Par Fidelis

Épiphyte n’en revenait pas, l’alchimiste en herbe avait reconnu l’ouvrage. Ce qui lui fit comprendre que Floxel était connu parmi ces organisations meurtrières.

Il essaya de s’expliquer pour dissiper tout malentendu.

— Mais non c’était un ami de longue date et je l’ai trouvé mort hier matin, j’ai récupéré son bouquin par inadvertance.

Giboin se mit à regarder autour de lui comme s’il appréhendait une réaction du reste de la salle, puis rajouta en parlant plus bas.

— L’un n’empêche pas l’autre, je sais de quoi je parle, mais cache-le tout de même, si l’on te voit avec c’est ce qu’on va penser.

Le jeune homme surprit par son explication, s’exécuta sans rien dire, et le dissimula au fond d’une poche.

Puis il songea d’un coup à l’édenté qui l’avait questionné et, comme pour confirmer sa crainte, la porte s’ouvrit avec fracas pour laisser place à un colosse ainsi qu’une troupe en arme.

Toutes les discussions se suspendirent, avant de reprendre de manière plus feutrée.

Épiphyte sentit sa gorge se nouer, réflexe conditionné par son instinct qui lui signalait un danger.

Il frémit et déclara sur un ton sans assurance.

— Raaaa ! c’est quoi ça !

Giboin arborait un sourire frimeur avant de lui répondre.

— Mon client, le chef des Grabouges, Odo.

Le nouveau venu fouilla l’intérieur du regard avant de repérer l’alchimiste et de se diriger droit sur eux, pendant que ses hommes se dispersaient dans la salle.

Giboin ne semblait pas du tout effrayé.

Il salua le colosse revêtu d’une armure de cuir, équipé d’une masse qu’il aurait été incapable juste de soulever, estima Épiphyte.

Odo possédait de petits yeux sombres, ténébreux et profonds qui lui donnaient une dimension abyssale. Dans lequel un esprit en avance sur son temps, aurait entrevu les lois de la physique qui déterminent celles du trou noir, puisqu’ils ne s’y reflétaient aucune lumière.

— Salut, Odo, content de te retrouver !

Le géant hocha la tête et se mit à grogner, ce qui devait vouloir dire la même chose. Il s’installa à côté d’Épiphyte qui entendit le banc craquer et se courber sous son poids avant de se tourner vers lui, et entra aussitôt dans le vif du sujet.

— Alors c’est toi le nouveau lecteur ?

Il le lui jeta un regard sans fond, avant de continuer.

— Tu es jeune, tu as de l’ambition, tu iras loin, c’est bien, Odo faire court, Odo te protège et toi tu lis.

Épiphyte comprit que les nouvelles circulaient bien plus vite qu’il ne se l’imaginait. Il scruta Odo puis Giboin tour à tour sans rien piger à leur discours.

L’alchimiste sentit le malaise et interféra pour l’aider.

— Félicitations tu viens de décrocher un nouveau travail, tu seras le lecteur, donc tu liras le livre pour trouver des trésors et Odo lui assurera ta sécurité, le même contrat que pour Floxel.

Il déglutit avec nervosité, en réalisant le néant qui séparait l’instant présent à celui d’il y a cinq minutes.

Il estima, en moins de temps qu’il lui fallait pour se gratter le nez qu’à l’inflation de conneries auxquelles il était soumis, les probabilités pour que la situation dégénère se concrétise.

Il tenta une parade.

— Euh oui, en effet, je peux le lire, mais après ça demande une interprétation, je ne suis pas un érudit comme Floxel.

Odo fronça les sourcils et regarda l’alchimiste pour l’inviter à traduire.

Giboin comprit le malaise et le reprit.

— Le lecteur c’est celui qui lit le livre, érudit y pige pas ça sert à rien, pour lui, si tu sais lire, tu peux trouver les trésors. Chez lui, tous ses hommes portent un nom correspondant à leur fonction, les brigands, l’empailleur, le fossoyeur…

Il le coupa aussitôt.

— Le quoi !

Giboin le regarda interloquer.

— Le fossoyeur c’est le mec qui enterre les cadavres, te fais pas plus con que tu ne l’es.

Épiphyte grimaça.

— Non avant.

— Ah l’empailleur, oui, Odo est un naturaliste amateur, il aime bien conserver les gens qu’il apprécie, sa facette culturelle tu vois.

Il reprit.

— Et donc toi, tu seras le lecteur. Celui qui lit le livre pour trouver des trésors et, en échange, lui, il te protégera, bien sûr, il prendra sa part sur les gains. Mais ça, comme je te l’avais dit, fallait rester plus discret avant de sortir ton bouquin en pleine taverne.

Il réfléchit, un rien sceptique, avant de le lui demander.

— Je suppose que je n’ai pas vraiment le choix ?

Giboin sourit

— Non pas vraiment, t’as tout pigé.

Il pesta en silence contre ce concours de circonstances qui venait de les mettre en fâcheuse posture.

Son esprit échafaudait déjà des plans pour s’en aller le plus loin possible de ce lieu absurde, en même temps qu’il regardait Odo en oscillant de la tête avant de lui répondre pour le rassurer.

— Merci pour cette association Odo, je suis très honoré de devenir ton nouveau… Lecteur.

Comme pour confirmer ses dires, il sortit le livre de sa poche pour le poser sur la table, et le tapota du plat de sa main.

Le colosse afficha une grimace qui devait représenter un sourire avant de lui asséner une claque sur le dos qui faillit lui faire manger son godet avec le front et de rajouter pour en finir.

— Bien très bien petit lecteur, deux de mes hommes t’accompagneront, ils t’aideront pour creuser ou éloigner les curieux.

Il fallait bien s’attendre à ce genre de mesure de la part d’Odo, et pensa à cet instant que la situation ne pouvait pas être pire.

La suite lui démontra rapidement le contraire.

Odo se leva sans rajouter un mot pour se diriger vers le comptoir.

Le nouveau lecteur en profita pour se pencher vers Hroll afin de le rassurer, et lui parla à voix basse.

— Laisse tomber on est entourés d’illuminés, on termine nos godets comme si de rien n’était et l’on file discrets.

Le Viking oscilla du chef et lui précisa juste.

— Jà, mais si tu veux j’en écrase un ou deux et les autres se calmeront.

Son ami lui fit signe négatif de la tête que ce n’était pas nécessaire.

Giboin discutait un peu plus loin avec Odo en regardant le tonnelet sur la table.

— Non Hroll, on va les laisser dans leur folie on a encore de la route avant d’arriver à Nevers et Morgane ne me pardonnerais jamais de t’avoir mis en danger pour un vieux bouquin mité. Je t’avoue que si je ne m’étais pas arrêté ici, je n’aurais jamais pu croire que Floxel était associé avec des brigands.

Giboin revient s’asseoir à leur table, un grand sourire aux lèvres et un godet en terre cuite rempli de vin dans sa main.

— Les affaires semblent marcher pour nous, on dirait.

Il caressait son tonnelet l’air satisfait et trinqua avec les deux voyageurs.

— À notre réussite ! j’ai négocié ma commande et vous vous êtes trouvé du boulot.

Une question chiffonnait le nouveau lecteur

— Dis-moi Gidoin pourquoi Odo ne se sert-il pas du livre, ça serait moins risqué non ?

L’alchimiste sourit et tourna la tête vers Hroll.

— Il est long à la détente ton pote, c’est marrant, mais je pensais que c’était toi le moins éveillé.

Le Viking se mit à grogner l’air menaçant, puis Gidoin regarda à nouveau à l’intention d’Épiphyte.

— Parce qu’il ne sait pas lire ni lui ni aucun des sbires de son clan, ils ont du mal à reconnaître la droite de la gauche, alors imagine.

Il laissa échapper un rire moqueur, mais sa joie ne dura pas.

La porte s’ouvrit une nouvelle fois en claquant contre le mur.

Le garde qui se trouvait à proximité réceptionna une hache dans la tête, avant qu’il n’ait eu le temps d’émettre le moindre son. Il libéra le passage à une nuée d’hommes. Ce qui propagea une onde d’incertitude dans la salle dont les dimensions parurent se réduire de manière drastique.

Gidoin changea de couleur et se mit d’un coup à bégayer, tout le monde sortit son arme, mais personne ne bougea.

Un individu s’approcha d’Odo.

Il semblait très souple, avait deux épées rangées croisées dans son dos et l’on ne voyait que ses yeux apparaître de sa combinaison composée de peaux de serpent.

— Les… les… reptiliens !

Finis par lâcher Gidoin qui se réfugia sous la table.

Odo essaya d’apaiser la situation.

— Nous avions un accord ! toi et tes lézards ne devez pas venir ici en même temps que mon clan !

L’homme en noir sifflait tel un bifide au sang-froid.

— Avec l’ancien lecteur. À présent, il est mort parce que tu n’as pas su le protéger !

Le géant au regard vide commença à serrer les dents.

— Je t’ai toujours donné ta part, rien n’a changé !

Les deux ne se trouvaient plus qu’à trois mètres l’un de l’autre.

— Au contraire, un nouveau contrat doit être mis en place avec le nouveau lecteur, à nous de nous en occuper dorénavant puisque tu es incapable d’assurer sa sécurité !

Une question traversa l’esprit d’Épiphyte qui se pencha sous la table pour demander à Gidoin.

— Et les reptiliens y savent lire !

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Plume de Poney
Posté le 18/03/2025
Belle fournée de répliques qui font mouches !

Et c'est vrai que niveau connerie il y a une belle inflation, ça va vite partir en fouttoir général tout ça.

Un chapitre qui fait bien plaisir et qui annonce de bien belles aventures pour Acelin, mieux que d'aller à Nevers en tout cas! ( Même si oui, le déclin de la ville date de l'ère industrielle)
Fidelis
Posté le 18/03/2025
Mais il reste pragmatique, on le découvre dans sa dernière question.

En tout cas, ça sent mauvais, et devine bien tout l'intérêt du Viking qui l'accompagne, mais pas seulement à cet instant, surtout à la fin.

Plume de Poney
Posté le 18/03/2025
C'est vrai qu'il garde une certaine lucidité dans tout ceci. C'est peut être pour ça qu'il attire tant les soucis, car il est une sorte d'ancre de raison dans la folie du monde.
Fidelis
Posté le 18/03/2025
Ah complétement, tous les gens qui l'entourent, que ce soit dans l'église, le tribunal, ou partout, y sont gratinés. Y a du level, y sort du lot tout de même le garçon.
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