Notes Carla,
Parfois je repense au centre éducatif fermé. Ça me prend comme ça, sans que je comprenne pourquoi. Les images défilent alors dans ma tête comme un satané TGV.
Je repense à cette vingtaine de filles enfermées dans ce grand bâtiment entouré d’un immense muret de deux mètres 50. Avec juste une cour pour les sorties. Je repense à ces gamines, foutues, comme moi, avant même d’être adulte.
Le portail ne s’ouvrait que par code, les visites de la famille se comptaient sur les doigts de la main, mais les caméras de sécurités étaient innombrables.
C’est peut-être le seul endroit où je ne me suis pas sentie seule. Oh, je ne m’y suis pas fait des amies non plus, j’ai failli être tué là-bas.
Mais on avait le sentiment d’appartenir à la même caste ; celle des déviants. On rejetait les diktats, le patriarcat, les codes sociaux et sociétaux. On était de sacrés fauves !
Nous formions une entité de jeunes femmes à la dérive, sans points d’amarres, sans ancres. Que cherchions-nous ? Un but ? Un sens à la vie ? Rien de tout cela…
Non, on hurlait seulement notre rage ou notre désespoir. Chaque cri nous rapprochait de la marginalité, de la rue, du désespoir ou de la mort…
Nous cherchions le conflit, nous l’attendions et le redoutions.
C’était pas simple tous les jours. On avait toutes été victimes d’abus. Il ne faut pas se leurrer, on arrive pas là-dedans quand on a été élevé dans un environnement sain.
Le plus dur pour moi, à cette époque, c’était d’être loin de Justin. J’étais son bras droit dans la rue, son chien de garde. Quand je m’étais fait prendre, j’avais nié son implication. J’avais tout assumé, les vols, le trafic de drogue, les agressions. Il n’y avait rien à réfléchir. Il était le seul à m’avoir aidé petite, je lui devais bien ça.
Jamais, je n’oublierai son regard à ce moment-là. Quelque chose avait lui dans ses yeux, de la reconnaissance, de l’amour peut-être ? J’en sais fichtre rien, mais ça m’avait suffi.
Quand je suis sortie, il était là. Il m’attendait et j’ai su que j’avais fait le bon choix de tout endosser.
— Carla, tu veux quelque chose à manger ? demanda Bambi de la cuisine.
— Non.
La jeune femme rangea précieusement son carnet de notes dans son sac et laissa son regard se perdre dans le feu de cheminée. Elle entendait au loin Stéphane se disputer avec sa femme au téléphone. Une sombre histoire d'heure de coucher pour les enfants.
Le feu crépitait. Carla observa attentivement les flammes dévorer les bûches. Il y avait quelque chose de rassurant de voir que rien ne résistait à cet élément.
Lucie s’assit près d’elle, un chocolat chaud dans la main et un album photo de l’autre. Rapidement, elle se mit à pleurer en feuilletant l’album. Les larmes s’écrasaient sur le feuilles plastifiées. Carla se demanda d’où provenaient ses larmes. Clairement, elles n’avaient pas la même réserve lacrymale.
— On était si heureux, murmura-t-elle.
La mâchoire de Carla se contracta.
— Tu n’as pas de photos de Justin quand il était adolescent ?
— Non et même si c’était le cas, je ne te les donnerai pas.
— Oui. Je m’en doute… C’est dommage.
Elle continua à tourner les pages, le visage saisi par une expression mélancolique.
Carla sortit son livre fétiche – le tome 4 « Des rêveries du promeneur solitaire » et commença à lire.
— Ce bon vieux Rousseau… commenta son hôte avec un petit rire.
Carla préféra l’ignorer.
— C’est vraiment caustique de te voir lire cet auteur.
Garde ton calme, garde ton calme, pensa la jeune femme.
— Pourquoi tu as choisi Rousseau ? reprit-elle immédiatement.
— Mais toi, t’as décidé d’être super chiante ce soir ! T’as reçu des ordres de l’inspecteur de me faire parler ou quoi ? s’exclama Carla en haussant le ton.
Bambi ne rétorqua rien, mais Carla devina qu’elle avait touché juste.
Elle se leva brusquement, Lucie eut un mouvement de recul, comme si elle allait l’agresser. Si elle continuait sa mascarade, ça ne tarderait pas ! La jeune femme se préparait un café dans la cuisine quand elle l’entendit crier.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Une contraction.
Carla blêmit.
— Tu vas pas accoucher, j’espère ?
— Non, c’est courant d’en avoir à l’approche du terme, il faut s’inquiéter quand on en a plusieurs à la suite…
— Ah, ok.
La dernière chose qu’elle souhaitait, c’était assister à la mise à bas de Bambi. La tasse de café entre les doigts, elle monta à l’étage. Elle traversa le couloir et resta un instant immobile à fixer la chambre du bébé. La peinture vert pâle contrastait avec les jouets en bois et le berceau en cèdre. Des photos du couple parsemaient la pièce et des petites étoiles en plastique diffusaient une douce lumière. La tanière était prête.
Carla se rappela la première fois où Justin l’avait invité dans sa maison. Plus de huit mois auparavant. C’était leur première dispute. Elle ne comprenait pas son besoin de mener une double vie, de s’installer avec Bambi. Il lui avait répondu que cela ferait une bonne couverture pour leur trafic. Elle ne comprenait toujours pas son choix. Se marier, avoir des enfants, c’était un truc pour les gens lambda, pas pour eux.
— Qu’est-ce que vous faites ?
Le chien de garde d’Arthur la dévisageait avec suspicion. Carla leva les yeux et répliqua :
— Je vais pisser ! J’ai encore le droit, non ?
Elle termina son café cul sec et se dépêcha d’aller aux toilettes. Lorsqu’elle en sortit, elle entendit les échos d’une discussion animée entre Bambi et Stéphane. Arrivée au rez-de-chaussée, elle s’aperçut que Bambi avait troqué l’album photo pour des aiguilles à tricoter et de la laine. Le brigadier, quant à lui s’était posté près de la fenêtre et regardait le jardin, le regard dans le vague.
Carla s’assit dans le fauteuil et reprit sa lecture.
— Pourquoi tu me détestes ?
Carla toisa son hôte avec incompréhension.
— C’est quoi cette question ? Tu veux vraiment qu’on s’entretue ?
— Réponds-moi ! Tu ne voulais pas que Justin ait une vie normale ?
— Une vie normée, tu veux dire…
— Je ne vois pas la différence…
— Prends un dictionnaire alors.
— Qu’est-ce qu’a fait Justin pour que tu lui sois aussi fidèle ?
Carla haussa les épaules.
— S’il te plaît, je n’ai plus confiance en mon mari et si tu pouvais juste me raconter une de ses bonnes actions, je lui pardonnerais peut-être ses mensonges…
— Ma vie n’intéresse que moi.
— Ta vie, ta vie… Tu n’as pas de vie !
— Selon les codes de la société, oui. Mais j’emmerde la société. Je la vomis même.
Bambi fronça les sourcils, dégoûtée, mais insista :
— Tu sais, je crois que j’ai toujours eu peur de toi. Mais, j’ai aussi eu peur de cette relation que tu avais avec mon mari. Tu te dis libre, affranchie des codes, mais je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi enchaîné que toi.
— Tu racontes n’importe quoi ! Est-ce que tu t’entends ? T’es vraiment débile !
— Non et je sais que j’ai raison. Tu as construit toute ta vie autour de lui ! J’ai été tellement choquée de voir à quel point tu lui étais soumise, que tu lui obéissais aux doigts et à l’œil. Il suffisait que Justin te jette un regard pour que tu deviennes aussi docile qu’un agneau. Tu crois que je ne sais pas comment tu m’appelles. Bambi ? Mais qui est la plus naïve des deux ? Celle qui croit être aimée depuis 15 ans en secret ou celle qui pense que son mari est blanc comme neige ?
— Ta gueule.
L’insulte cinglante fusa et résonna dans la pièce. Stéphane se rapprocha, prêt à intervenir. Lucie se redressa, une main sur le ventre. Ses yeux n’avaient plus rien d’une biche, ils reflétaient une telle rage, une telle amertume que Carla regretta – presque – de l’avoir insultée.
— La vérité Carla, c’est que nous avons toutes les deux été dupées et manipulées. Le lieutenant m’a tout raconté. Le trafic de drogue avec les boîtes à musique, son renvoi du boulot, les années en centre de détention que tu as fait pour lui. Je sais tout ! Pourquoi Carla ? Pourquoi a-t-il fait cela ?
— C’était notre truc ! Tu ne peux pas comprendre !
— Tu es pathétique ! Tu penses toujours qu’il t’aime ? Après toutes ces années ?
— Ferme-la, je t’ai dit.
Stéphane fit un pas vers Carla. Elle hocha la tête et récupéra ses écouteurs. Elle préférait écouter de la musique que les absurdités de Bambi. Le son asphyxia le bruit de la pièce, étouffa les paroles de son hôte, mais les mots prononcés un peu plus tôt s’immiscèrent dans son esprit, insidieusement, et tournèrent en boucle comme une mauvaise berceuse.
Pourquoi avait-elle le sentiment que son monde s’étiolait, que ses certitudes vacillaient ?
Et je dois dire que Bambi remonte du coup de ouf dans mon estime, bien joué à elle ! Carla est bornée et entre Bambi et Arthur, les deux vont bien réussir à la faire sortir de sa coquille. Il est temps qu'elle vive, la pauvre
J'aime beaucoup comme tu as décrit Bambi je dois dire, sa psychologie est vraiment intéressant et c'est un personnage intéressant
J'ai rien à redire sur ce passage qui était vraiment top et qui approfondit un peu plus l'univers !
Je suis contente si tu as bien aimé mon développement de Bambi, je voulais la sortir de son rôle d'épouse épleurée^^
En effet, je pense qu'à ce stade du récit on a envie que Carla se REVEILLE XD ( ça arrive :p)
"Oh, et je rêve de voir Carla assister à l'accouchement XD je suis sûre que ce sera mémorable XDD"=> Tes rêves vont devenir réalité^^ ahaha
T’es on fire en ce moment dis-moi xD
Coquillettes :
« de deux mètres 50 (2m50 / deux mètres cinquante). Avec juste une cour pour les sorties. Je repense à ces gamines, foutues, comme moi, avant même d’être adulte(s) »
« j’ai failli être tué(e) là-bas »
« Carla se rappela la première fois où Justin l’avait invité(e) dans sa maison »
« que tu lui obéissais aux doigts (au doigt) et à l’œil »
« Celle qui croit être aimée depuis 15 (quinze) ans en secret »
Ah, le retour du carnet de Carla, c’est vrai que c’était une bonne idée pour nous donner un accès direct à ses pensées, surtout qu’elle est pas du genre à se confier aux autres persos :P La description des ses années (?) au centre est... y a un mot pour dire à la fois « touchante » et « brutale » ? On sent bien qu’elle est à part de la société, que la seule chose qui la relie (reliait ?) au monde, c’était Justin...
Tiens, Bambi remonte un peu dans mon estime après ce chapitre. C’est vrai qu’influencé par Carla, je pense qu’on la prend un peu pour la godiche de service, mais en fait c’est un ‘’vrai’’ personnage, avec ses émotions, ses désirs et ses doutes... et tout ce qu’elle apprend sur son mari, la pauvre :( J’aime bien aussi le fait qu’elle se laisse pas vraiment démonter, et qu’elle essaie d’appliquer les consignes d’Arthur malgré le risque de se faire étrangler par Carla xD
La majorité du dialogue sonnait bien, ce qui n’est pas forcément facile quand on parle d’émotions, mais certains passages m’ont paru un peu trop forcés... surtout ce passage : (« — Tu sais, je crois que j’ai toujours eu peur de toi. [...] Il suffisait que Justin te jette un regard pour que tu deviennes aussi docile qu’un agneau ») et la toute dernière phrase... Pour le dialogue, je pense que c’est parce que Lucie en dit beaucoup, qu’en vrai elle penserait peut-être pas à le formuler de plusieurs façons différentes comme elle le fait là, surtout avant de se faire interrompre par Carla (dont la réplique à ce moment sonne un peu bizarre aussi...). Pour la dernière phrase, c’est que ça fait un peu trop « tell » et non « show », surtout que 1) on sait que c’est le but d’Arthur et donc un peu de Lucie, de faire vaciller ses certitudes, et que 2) on sent déjà bien qu’elle est perturbée par ce qu’il vient de se dire...
Voilà voilà, un très beau chapitre malgré tout, comme toujours <3
"T’es on fire en ce moment dis-moi xD" => Oui, j'avoue que la locomotive est lancée ! XD.
Merci pour les coquilles ! Je corrige ça tout de suite ! :D
Au sujet du carnet de Carla, ça faisait longtemps que je n'avais pas mis d'extrait ! Je suis contente si tu les trouves pertinents :)
"Tiens, Bambi remonte un peu dans mon estime après ce chapitre. C’est vrai qu’influencé par Carla, je pense qu’on la prend un peu pour la godiche de service, mais en fait c’est un ‘’vrai’’ personnage, avec ses émotions, ses désirs et ses doutes... " => J'avoue que même moi, j'ai du mal à la voir autrement que le portrait qu'en fait Carla XD
Il fallait un peu la mettre en valeur :p
Je note pour la partie du dialogue que tu trouves un peu lourde ! C'est vrai qu'en relisant, je trouve ça un peu forcé ! Je vais voir comment reformulé ça^^
J'enlève la dernière phrase, t'as raison, on en a pas besoin^^
Pleins de bisous volants <3