Arthur posa la tasse de thé bouillante en face de son frère, sur la table de la cuisine. La radio diffusait du folk, une musique se prêtant bien à ce début d’hiver et à l’humeur de son cadet, grise comme la brume qui recouvrait la ville. Osiris jappait près d’Arthur, il attendait son câlin matinal et il n’aimait pas qu’on déroge à leurs habitudes.
Arthur agita une main devant Eliot pour le sortir de ses pensées.
— Allez fréro, change de disque. Bois un coup. Mange un peu !
Il poussa, de la paume de la main, le pain frais et la confiture vers lui. Eliot regarda l’ensemble d’un œil vide.
Carla ne savait pas qu’elle mettait en péril le fragile équilibre de son frère. Eliot était un perpétuel funambule, un acrobate des émotions. Un pas de côté et son moral chutait, un arrêt brutal et le fil se brisait. Arthur passait plus de temps à faire le pareur et à sortir le filet de sécurité qu’à contempler le spectacle.
Il soupira. Carla n’avait pas tort, il aurait préféré qu’elle le choisisse. Au-delà de la fascination qu’il commençait à développer pour elle, il n’aurait pas eu à gérer les répercussions comportementales d’Eliot. Celui-ci jetait des regards répétés à son portable.
— Je doute qu’elle te rappelle, dit-il doucement.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— Je la côtoie depuis quelque temps et je commence à la cerner.
La mâchoire de son frère se crispa et il avala son café cul sec.
— J’ai vraiment un cœur d’artichaut. Je comprends pas. Tu crois que je vais rester seul toute ma vie ?
— Non, mais essaie d’aller mieux déjà.
— Comme si c’était simple !
Arthur ne répondit pas, il pouvait paraître condescendant et moralisateur. Ils s’embrouillaient souvent à ce sujet.
Il regarda son chien, s’écarta un peu de la table et tapota ses cuisses. Osiris n’attendait que le signal. Il se jeta sur les genoux d’Arthur en lui donnant de grands coups de langue. Il fut pris d’un grand éclat de rire. Son frère les fixa et se dérida un peu. Il se mit lui aussi à caresser l’animal puis se rassit.
— J’aimerais tellement tout réussir comme papa…
Arthur leva les yeux au ciel.
— Si pour toi réussir c’est écraser les autres…
— Tu recommences !
— Quoi ?
— À le rabaisser !
— C’est juste une réalité ! C’est un connard ! J’y crois pas une seule seconde à son aide ! Tu te voiles la face à son sujet ! Moi, je veux t’éviter une déception !
Son cadet se redressa et prit la direction des escaliers.
— Eliot, t’es la personne la plus intelligente que je connaisse. Avec le bon traitement, un bon suivi, et mon aide, tu réussiras ! J’en suis sûr !
Arthur se demanda s’il avait entendu toute sa phrase, car son frère venait de disparaître de son champ de vision. Il récupéra un papier et nota la liste des choses à faire pendant son absence. Les courses, sortir le chien, se renseigner sur la plongée, faire un jogging. À côté de chaque élément, il dessinait un petit carré, car Eliott aimait bien les colorier pour prouver qu’il avait mené à bien ses activités.
Arthur termina son thé et sa tartine puis récupéra son manteau. Avant de refermer, la porte de son domicile, il s’exclama :
— J’y vais, Eliot ! Ne fais pas le con ! À ce soir !
Sur le chemin du commissariat, il appela Stéphane qui lui fit un compte-rendu de la nuit entre Lucie Cruzet et Carla Cole. Il fut déçu sans vraiment savoir pourquoi. Plus il souhaitait pousser Carla Cole dans ses retranchements plus il avait l’impression qu’il s’y poussait lui-même. Il se concentrait trop sur sa personnalité et pas assez sur les indices. Cela devait cesser. Il tournait en rond.
Il se gara, puis traversa les bureaux en distribuant des sourires, des bises et des poignées de mains. Cela lui faisait du bien de voir ses collègues, d’entendre les petits tracas quotidiens. Il ouvrit la porte de son bureau, s’y engouffra et s’effondra dans le fauteuil.
Il laissa un instant son regard se perdre le long des fissures qui serpentaient les murs puis récupéra tout le dossier de l’enquête qu’il relut en silence. Les faits, le dossier médical de Carla, son casier, les informations sur Justin, les messages entre Carla et son cher et tendre. Il disséqua tout, certain d’avoir loupé quelque chose. Son attention s’arrêta sur plusieurs messages où il était mentionné « On se retrouve là-bas ». Là-bas. Il avait supposé d’abord qu’il s’agissait de leur travail, mais non cela ne collait pas avec les heures d’envois des messages. Où pouvait-il se retrouver ?
Il était en train d’agiter la souris d’ordinateur pour la faire fonctionner lorsque Charlie entra dans la pièce. Il arrêta son geste et lui adressa un grand sourire.
— Oui ?
— Lieutenant, j’ai trouvé quelques éléments…
— Dites-moi…
— La première chose c’est qu’en fouillant dans l’ordinateur de Justin Cruzet, j’ai trouvé des mails assez étranges regroupés dans un dossier « police ».
Elle lui posa sur le bureau une liasse de feuilles qu’il lut en diagonale. L’expéditeur portait les initiales « MS ».
15-04-2006 : Je vous remercie d’accepter cette étude.
26-05-2006 : Comme convenu voici l’argent. Merci de votre collaboration.
31-08-2006 : Je comprends vos doutes mais nous ne pouvons-nous arrêter là. Cela prouve mes théories.
02-09-2006 : Ne paniquez pas. Je vais vous aider. Utilisez-là. Elle est votre porte de sortie.
Arthur resta soucieux. MS, ces initiales lui disaient quelque-chose. Le dernier mail éveillait son attention. Il sentait que ces éléments avaient une importance capitale et qu’ils étaient liés à l’enquête. Le mystérieux MS était-il lié au trafic de drogue ? Les termes étude, collaboration, théorie ne coïncidaient pas avec cette thématique.
— Est-ce que l’équipe informatique a pu tracer le mail et trouver la localisation de l’ordinateur ? demanda-t-il.
— C’est en cours d’analyse. Nous devrions avoir les résultats dans la journée. Apparemment l’expéditeur a utilisé un VPN.
Arthur hocha la tête.
— Bon, il faut être patient alors… Du nouveau sur des disparitions ces derniers temps ?
— Non, de ce côté-là, il n’y a aucune disparition signalée dans la commune depuis un an. Par contre, vous savez que vous m’aviez aussi demandé de me renseigner sur l’entourage de Monsieur Cruzet…
— Oui ?
— Et bien, vous saviez que les parents de Lucie Cruzet possédaient une ferme immense ?
— Oui, c’est vrai que ses parents sont agriculteurs.
— Vous saviez aussi que le nom de jeune fille de Lucie Cruzet est Sabattier ?
— Non.
— Son père se nomme Michel Sabattier.
— MS, comprit le lieutenant.
— Oui, c’est une piste, confirma Charlie. Ce qui est étonnant c’est que Lucie Cruzet a acheté une partie de la forêt à côté de la maison de ses parents, il y a huit mois.
— Ah bon ? Une forêt ? Pour quel usage ?
— Aucune idée… Peut-être un placement d’argent ? Il paraît que ça rapporte.
Arthur resta songeur. Acheter ce type de terrain n’attirait pas forcément l’attention, mais cela pouvait être un excellent point de rendez-vous. Justin aurait-il fait acheter à sa femme le terrain pour ensuite l’utiliser pour ses propres magouilles ? Le père de Lucie aurait-il surpris le trafic de drogue et décidé de faire disparaitre son beau-fils ?
Cette hypothèse pouvait tenir debout.
— Où est Michel Sabattier ? interrogea-t-il.
— En vacances pour trois semaines en Asie.
— Ah.
— Je leur ai laissé un message pour qu’on puisse les joindre rapidement.
— Très bien. Parfait. Bon, en entendant, nous pouvons toujours aller voir cette parcelle.
— C’est ce que je pensais. J’ai pris les devants et j’ai appelé Lucie Cruzet pour lui demander l’autorisation.
Le lieutenant fut impressionné.
— Parfait, Charlie ! Vous avez fait un super travail ! Il ne nous reste plus qu’à faire un tour de la propriété.
À ces mots, il se leva et récupéra ses affaires.
— Suivez-moi, on y va !
La brigadière s’exécuta, avec un sourire.
* *
*
Ils roulaient depuis une quinzaine de minutes dans la campagne. Les pâturages laissaient parfois place à quelques îlots de forêts et à des étangs tourbeux. La brume stagnait dans l’ombre des marais et les vaches levaient leurs museaux en entendant l’automobile filer sur le ruban goudronneux.
Charlie passait son temps à nommer les différentes espèces d’oiseaux ce qui amusa Arthur.
— Vous vous y connaissez bien, dis donc !
— Oui, mon père était ornithologue, il m’emmenait souvent observer les oiseaux. C’était assez apaisant comme activité.
— Vous aviez de la chance de partager ça avec votre père.
— Vous ne faisiez pas d’activités avec le vôtre ?
— Non, c’est à peine si je le voyais le matin et le soir tant il travaillait. Il n’était pas trop « famille ».
— Ah, je suis désolée pour vous…
— Ce n’est rien… C’est ici, n’est-ce pas ? demanda-t-il en montrant un chemin de terre boueux.
— Oui, oui. C’est ce que le GPS indique.
Ils s’engagèrent sur le sentier cabossé.
— Vous avez vu les traces de pneus ? Quelqu’un est passé par là récemment !
Charlie acquiesça, le visage bien plus soucieux. Ils parcoururent un bon kilomètre avant d’apercevoir un bâtiment. Il s’agissait plus d’une cabane en bois que d’une véritable maison. Elle ne possédait qu’une seule fenêtre et était envahie par le lierre. Arthur arrêta le véhicule et en descendit, bientôt suivi par sa coéquipière. Ils firent le tour de l’habitation en silence. Elle était nichée sous d’immenses arbres. Les branches des géants semblaient la protéger des regards extérieurs, du ciel, des éléments. Sous le paravent de feuilles, l’obscurité saisissait le lieu.
Ils s’arrêtèrent devant un amas de bois et d’objets brûlés. Charlie prit des photos. Les flashs tonnaient dans la clairière, aiguisant les contours et les angles des matières.
Un genou au sol, Arthur examinait le bûcher. Il reconnut une structure en fer qui lui rappela fortement la forme d’un sommier, une pelle, quelques boîtes à musique et des bidons en plastique.
Les traits de son visage se tirèrent, soucieux. Un mauvais pressentiment prenait naissance dans son esprit, une déception aussi. Carla était bel et bien impliquée dans une sale affaire et elle persistait à lui mentir.
Il se releva et se dirigea vers la fenêtre. Il posa ses mains en entonnoir autour de son œil pour regarder à travers la vitre. Dans l’obscurité, on ne distinguait pas grand-chose, seulement du vide, de la poussière et des formes de mobilier. Son regard s’arrêta sur une tache sur le parquet, à moitié éclairée par la clarté de l’extérieure. Une tache rouge. Quelqu’un avait été tué dans ce chalet.
Charlie le rejoignit et ses yeux s’agrandirent de stupeur.
— C’est du sang, lieutenant ? murmura-t-elle.
— Je ne sais pas. On dirait qu’il a été en partie nettoyé. Lucie Cruzet vous a-t-elle dit comment entrer ?
— Oui, apparemment, la clé est en dessous du petit escalier à l’entrée. Mais, on ne peut pas entrer sans autorisation écrite de la part de Mme Cruzet et il nous faut des témoins…
Arthur ne l’écouta pas, il fit le tour de la maison et regarda sous les marches. Rien. La clé avait disparu. Il soupira. Carla n’était pas idiote, elle n’aurait pas fait le ménage et laissé la clé à la portée du premier venu…
Il tenta de forcer la serrure sous le regard inquiet de Charlie, mais ses tentatives restèrent sans succès.
— Lieutenant, nous reviendrons avec des témoins pour mener cette perquisition ainsi que du matériel. C’est la marche à suivre…
— Oui, oui. Je sais. C’est ce qu’on va faire. Vous avez raison.
Arthur se retourna, les mains sur les hanches, la mâchoire serrée d’énervement. Il n’aimait pas attendre après les papiers alors que les preuves d’un crime se tenaient à quelques mètres.
— Rentrons, insista Charlie.
Le lieutenant finit par acquiescer et remonta dans la voiture. Il récupéra son portable qu’il avait oublié. Le voyant bleu clignotait indiquant qu’une personne avait essayé de le joindre. Il le déverrouilla. Sept appels manqués de son frère et un message.
Ça ne va pas. Viens me chercher.
Il mit immédiatement le moteur en marche et partit sur les chapeaux de roues. Eliot ne demandait de l’aide que lorsqu’il était à deux doigts de commettre une bêtise.
La perquisition allait devoir attendre.
Sinon, pauvre Eliot, avec son frère qui lui demande d'aller mieux malgré sa bipolarité... Bon courage à lui. Au moment où ils arrivent au niveau de la cabane dans les bois par contre, je me demande s'ils ne peuvent tout de même pas entrer s'ils voient du sang et des preuves comme quoi il pourrait y avoir un crime à cet endroit ? Pour moi, c'est le seul cas de figure où ils ont le droit, non ?
Bref, c'est toujours aussi sympa à lire haha, même si je pense préférer les parties de Carla à celles d'Arthur, le pauvre fait vraiment petit chiot perdu
C'est comme ça que je m'adresse à mon frère :p
"Au moment où ils arrivent au niveau de la cabane dans les bois par contre, je me demande s'ils ne peuvent tout de même pas entrer s'ils voient du sang et des preuves comme quoi il pourrait y avoir un crime à cet endroit ? Pour moi, c'est le seul cas de figure où ils ont le droit, non ?" => Non, je me suis renseignée, s'il y avait un corps ou quelqu'un en danger oui, mais là juste des tâches de sang dans une cabane, ils doivent ouvrir en présence de voisins ou des propriétaires...
"le pauvre fait vraiment petit chiot perdu" En vrai, je suis contente que tu dises ça XD. C'est vraiment ainsi que je le vois^^ Et ça ne va faire qu'empirer Ahahaah
J'ai hâte que tu lises le chapitre suivant (il se passe pleins de choses :p)
Tu connais mon penchant pour les cliffhanger ^^ hiiiiii
Allez pleins de bisous volants <3
Coquillette et suggestions :
« Arthur se demanda s’il avait entendu toute sa phrase, car son frère venait de disparaître de son champ de vision. » Les pronoms ne sont pas très clairs ici... Arthur se demanda si son frère avait entendu, car il venait de... ?
« Vous avez vu les traces de pneus ? Elles ressemblent à ma voiture ! » Alors j’sais pas toi, mais perso j’ai aucune idée d’à quoi ressemblent les traces de pneus de ma titine...
« Carla était belle et bien (bel et bien) impliquée dans une sale affaire » Joli faux sens par contre xDD
Oho, l’enquête reprend ! J’trouve ça cool que ce soit Charlie qui ait découvert ce morceau de forêt, comme ça elle sort un peu de son rôle de plante verte :P
Du coup, encore des boîtes de musique ? Ils en avaient combien ? xDD Parce que Lucie en a déjà brûlé la plupart... et un meurtre, oooh, je me demande bien qui c’est et pourquoi. Voilà voilà, j’ai plein de questions, j’ai hâte de voir la suite :D
(Mais Eliot :(( )
Merci de ta lecture rapide <3. Merci pour les coquilles et les remarques ! J'avoue que pour le "Carla était belle", la faute est assez drôle ! Ahaha.
C'est vrai, que c'est bien que Charlie sorte de son rôle de plante verte :p
Ils avaient beaucoup de boites à musiques, c'est un collectionneur :p
Oui, pauvre Eliot, il nous fait des rechutes le choupinou...
Pleins de bisous volants <3