Evannah se réveilla, la tête contre des planches de bois. Elle avait l’impression que quelqu’un avait perforé son crâne. Elle voulut le toucher pour vérifier son état et réalisa que ses mains étaient ligotées. Elle essaya de les délier, mais c’était comme si elles étaient ensevelies de ciment. Devant ses yeux se dressaient des barreaux. Une cage ? Elle était prisonnière ? Evannah se redressa sur son séant, ce qui lui arracha un cri de douleur. En plus de la faim qui creusait dans son estomac, ses membres étaient courbaturés.
La vue de ses amis la rassura. Eux aussi étaient cloîtrés dans des cellules de bois. Son cœur se pinça lorsqu’elle vit Saphir inerte. Désespérée, elle l’appela plusieurs fois, mais le yotora ne réagit pas. Terrorisé, le Marionnettiste se tenait au fond de sa cage carrée tandis qu’Iuka tentait de défoncer les barreaux à coups de pied. Lyzel se réveilla quand Evannah posa les yeux sur elle.
Les cris de Foudre Bleue éclataient au loin. La jeune fille comprit que les prisons étaient placées sur une plateforme, au-dessus des arbres. Les grilles ne donnaient qu’une vue sur un seul côté. Les autres faces se composaient de planches noires.
Des bourdonnements retentirent derrière l’humaine qui sursauta. Elle approcha son visage des barreaux, mais son champ de vision demeurait réduit. Elle recula brusquement lorsqu’une femme étrangement belle atterrit devant elle.
Ses yeux verts et globuleux la fixaient avec fierté et fureur alors que sa bouche féline lui souriait. Plus pâle, sa peau lisse luisait d’humidité. Deux nageoires pointues et transparentes cachaient ses oreilles qui n’étaient que des trous. Ses cheveux bleus et fins dansaient dans le vent et suivaient la même direction que les feuillages. Ses ailes de libellule s’échappaient de ses épaules et descendaient jusqu’à ses mollets comme une cape. Son nez de chat s’approcha de la prisonnière pour la humer. Une de ses mains sans ongles tenait une lance.
Des ondes se dessinèrent dans son regard. Evannah savait qu’elles permettaient à la vupsan de zoomer sur chaque partie de son physique. Elles disparurent quand une de ses consœurs surgit à ses côtés. Les deux femmes communiquèrent avec leurs ailes. Les bourdonnements se faisaient brefs et chassaient les feuilles mortes à leurs pieds.
Iuka les insultait et frappait de plus en plus fort sur les barreaux.
– Inutile, lâcha la première vupsan avec mépris. Ces cages sont maintenues grâce à la force nébulienne. Ta misérable colère ne rivalise pas avec leur solidité, moadrin.
– Profites-en ! cracha la guerrière, enragée. Car une fois libre, je te casse la gueule !
– Du calme ! intervint Evannah. Ce n’est pas comme ça qu’on arrangera les choses.
– Arranger quoi, humaine ? la questionna sa geôlière.
– Nous ne sommes pas des voleurs ! Nous ne sommes que de passage !
– Ah oui ? fit la seconde vupsan, hautaine.
Celle-ci avait une chevelure blanche qui descendait sur ses épaules.
– Nous avons fui des yotoras, expliqua Evannah. Nous av…
– Et qu’est-ce que celui-là fait avec vous ?
Elle désigna Saphir qui ne réagissait pas.
– C’est un ami, répondit l’humaine, inquiète. Il nous a défendus quand sa meute a attaqué.
– Donc, vous êtes bien des criminels, en déduisit la première geôlière.
– Quoi ? Mais c’est complètement faux ! s’écria le Marionnettiste.
Elle se tourna vers lui et esquissa un rictus en coin. Du moins, c’était ce qu’Evannah crut voir car cette bouche de chat semblait figée dans un sourire. Seuls les yeux, les membres crispés et les ailes agitées montraient la colère des deux femmes.
– C’est tout à fait vrai, le contredit-elle. Deux humains hors de Mitrisiane, accompagnés d’un yotora traître, d’une damorial et, pour couronner le tout, le lépokyr a dégradé Ark’solius.
– Menteuse ! rugit Iuka.
– Tu ne peux rien dire pour ta défense ! Nous avons surpris ton animal en train de grignoter un de nos arbres !
Evannah laissa tomber sa tête à l’arrière, ignorant la douleur qui lui avait causé sa perte de conscience. Elle gémissait, désespérée. Foudre Bleue avait bel et bien échappé à la vigilance de sa sœur. La moadrin insulta la vupsan et nia les faits. De plus, elle ne supporta pas d’entendre son frère d’âme se faire traiter d’animal.
– On peut réparer ça…, tenta Evannah d’un air désolé.
– Même forcer son lépokyr à vomir ne suffira pas, ironisa la femme aux cheveux blancs. Néanmoins, vous avez de la chance d’être tombés sur deux Protectrices d’Ermyr. Si c’était une simple fille d’Ark’solius, votre sort aurait été vite réglé.
– Peut-être que ça aurait été mieux pour eux, dit sa consœur.
– S’il vous plaît ! les supplia Evannah. Il y a peut-être une solution pour arranger les choses !
– Votre arbre va très bien, grommela Iuka.
– Ce qui est dans Ermyr appartient aux vupsans ! rappela la première Protectrice en frottant ses ailes entre elles. Ark’solius nous donne nourriture, eau et matière pour ses filles et non pour les étrangers !
– Et vous êtes prêtes à laisser crever n’importe qui de faim pour une coutume à la con ?
– Iuka ! la gronda Evannah. Désolée, dit-elle en s’adressant à leurs geôlières, mais la plupart d’entre nous sommes blessés, le lépokyr y compris. Il avait besoin de nourriture pour sa survie.
– Et pourquoi ce yotora a attaqué sa propre meute ? l’interrogea la vupsan aux cheveux blancs.
– Il a… refusé de prendre part au conflit qui perdure entre son peuple et les moadrins.
– Je comprends la présence de la moadrin. Mais pourquoi deux humains et une damorial ?
Lyzel la fusilla du regard. Le nom de sa race avait été prononcé avec dégoût. Elle lança un coup d’œil furtif à son amie et aux deux ennemis. Evannah saisit ce qu’elle pensait. Les vupsans étaient-elles au courant pour la cause de Mosdrem dans Maciurim ? Attendaient-elles qu’Iuka l’avoue ou allaient-elles lâcher l’information bientôt ?
– Nos routes se sont croisées, expliqua la jeune fille en maîtrisant sa nervosité. Nous avons tous une raison d’être dans Leïvron.
Elle avait conscience qu’elle pénétrait dans une zone dangereuse.
– L’obscurité inquiète nos peuples, ajouta Iuka. On veut en savoir plus sur les problèmes que rencontre Leïvron.
– En quoi cela vous regarde ? rétorqua la vupsan aux cheveux blancs.
– Le fléau s’étend dans vos dimensions et vous croyez qu’on va rester dans nos mondes à attendre qu’il nous envahisse ?
– C’est bien gentil de vouloir nous aider, railla l’autre Protectrice. Mais nos voisins gèrent la situation.
– Vraiment ?
– Les fénékos traversent les dimensions pour y apporter la sécurité.
Une étincelle d’espoir éclata dans le cœur d’Evannah. Les fénékos vivaient dans Ixarian. Ce n’était pas sa destination, mais celle de Lyzel. Que se passerait-il si elle les rencontrait dans Ermyr ? Y avait-il moyen de les convaincre de mettre les pieds dans Maciurim ?
– Est-ce qu’ils sont déjà venus dans votre dimension ? s’enquit l’humaine.
– Pas encore, répondit la première geôlière. Les fénékos devraient arriver bientôt.
– Oh ! s’exclama le Marionnettiste, anxieux.
– Ne nous laissez pas ici ! les supplia Evannah. Nous devons les rencontrer !
– Ce n’est pas clair pour vous ? s’emporta la deuxième vupsan. Les problèmes de Leïvron ne sont pas les vôtres ! D’ailleurs, je veux bien croire à l’histoire de la moadrin, mais toi et l’autre humain… Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous n’êtes pas bien armés pour des guerriers.
– J’ai dû fuir mon monde. Le Marionnettiste est un simple voyageur. Je suis tombée sur sa route et il a accepté de me conduire dans… Maciurim…
– Je ne pense pas que tu survivras une minute dans Maciurim.
– Quant à moi, je suis curieuse de savoir ce que tu fais avec une damorial, dit sa consœur en plongeant son regard haineux dans les yeux orageux de Lyzel. Oh, je suis certaine que c’est un de ces parasites qui grouillaient dans Ixarian !
– Je suis à la recherche d’amis dans Ixarian, en effet, répondit froidement la concernée.
– Un plan que tu prépares auprès des autres bannis ? D’ailleurs, où sont-ils ?
– Ça m’étonne qu’elle n’ait pas cueilli les fleurs d’Ermyr, renchérit la vupsan aux cheveux blancs, dédaigneuse.
– Je sais bien me tenir, merci, rétorqua Lyzel, imperturbable.
Elle soutint le regard des deux geôlières. L’une d’elles émit un petit rire et attrapa le bras de sa collègue. Les femmes-libellules s’éloignèrent des cages et se concertèrent dans des bruissements d’ailes. Brefs et forts, ils couvraient presque les cris déchaînés de Foudre Bleue. Le lépokyr semblait seul. Le fait d’être emprisonné le rendait nerveux et son besoin vital de courir se communiquait dans la Nebula d’Iuka. La moadrin ferma les yeux et serra les poings.
Les deux guerrières revinrent et l’une d’elles déclara :
– Nous n’avons pas l’intention de vous exécuter. Du moins, pas pour le moment. Les fénékos arriveront. Étant eux aussi des Protecteurs, nous discuterons de votre cas. Nous serions d’accord pour leur livrer la damorial.
– Non ! cria Evannah, désespérée.
Les yeux gris de Lyzel noircirent de colère. Les Protecteurs fénékos avaient massacré la Serre des Os, son ancien foyer. Guerriers et juges, les serviteurs d’Ixarian ne traiteraient pas une orpheline de monde avec justice. Les damorials inspiraient la peur et la haine dans les quatre dimensions de Leïvron.
– Nous devons parler aux fénékos…, implora une dernière fois l’humaine.
– Ne t’en fais pas ! ricana la vupsan aux cheveux blancs. Tu auras le droit de leur parler, mais tu resteras sagement dans cette prison. Maintenant, si vous voulez nous excuser, nous avons du travail.
Iuka hurla de nouvelles insultes et frappa les barreaux. Les femmes-libellules quittèrent leur champ de vision. Battements d’ailes et vibrations se firent entendre derrière le dos des détenus. Lorsque les Protectrices cessèrent de grésiller, les cellules secouèrent les captifs qui perdirent l’équilibre. Puis, elles se soulevèrent avec lenteur dans les airs. D’autres vupsans devaient activer des manivelles pour amener les fautifs en hauteur. Les mécanismes grincèrent durant toute la montée. Les cages s’alignèrent et tournèrent en spirale autour d’un arbre fin. L’estomac d’Evannah se tordit. Elle se demandait si les prisons supportaient un certain poids. Saphir était lourd. Le porter dans Clya n’avait pas été une mince affaire malgré toute l’aide du groupe. De gros crochets de bois tenaient leurs cellules. Robustes, ils craquèrent pourtant et éjectèrent de la poussière.
Les cages cessèrent de monter brusquement et le cœur d’Evannah lâcha. Les détenus cernaient un large tronc.
Foudre Bleue s’égosillait en-bas. Le lien avec sa sœur se tendait douloureusement. En plus de la faim, l’immobilité le rendrait peut-être fou avant l’apparition des fénékos. La jeune fille espérait qu’ils arriveraient à temps et qu’ils accepteraient de leur parler.
Mais Evannah rejeta ses illusions. C’était certain que les vupsans laisseraient les étrangers pourrir en l’air.
« Nous avons surpris ton animal en train de grignoter un de nos arbres ! » → Ah bah bravo, Foudre Bleue… ^^
« Evannah se redressa sur séant » → est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt dire « sur son séant » ?
« Eux-aussi » → « Eux aussi »
« Le portait dans Clya n’avait pas été une mince affaire » → « le porter »
A bientôt :3