Chapitre XXIX

Point de vue : lui

J'ouvre les yeux. Il est déjà six heures du matin. J'ai encore mal au crâne. Presque comme tous les matins, je dois prendre mon aspirine. De quoi ai-je rêvé cette nuit ? Parce que d'étranges images défilent encore dans ma tête. Je ne sais pas d'où elles sortent ni comment elles sont arrivées ici. C'est pas très agréable d'avoir de telles pensées de bon matin, surtout quand on est à moitié réveillé. Je n'arriverai certainement pas à me rendormir, même si je suis crevé. Tout ça m'a coupé le sommeil. Un petit café pour la mise en route. Et une barre de céréales aussi. Aucun message, aucun appel en absence. A vrai dire, ça ne me dérange pas. Pour une fois. De toutes façons, je n'y aurais pas répondu, pas envie.

Je m'assois dans un fauteuil du salon pour jeter un coup d'œil sur les nouvelles sorties pendant la nuit. Histoire de me tenir au courant de l'actualité. Je me sens un peu moins seul, quand je le fais. Parce que je me rends compte que je ne suis pas un cas isolé. Qu'il y a aussi pire que moi dans le monde. Mais je ne lis rien de très intéressant. Ça ne change pas trop de d'habitude. Je prends mon bouquin avant de m'affaler sur le canapé et de poursuivre ma lecture.

C'est tout de même étrange, ce livre. Elle parle d'une femme aux habits noirs et déchirés. D'une femme aux mains abîmées et toute sale. Ça me fait penser à quelqu'un que j'ai déjà vu. Peut-être que je l'ai vue dans les cauchemars que je fais depuis l'enterrement de mamie. Ça me fait penser qu'il faut que je me prépare. Il est déjà sept heures et demie passées et c'est à presque une heure de route.

Neuf heures moins le quart. Je descends de la bagnole. Je m'achète un pain au chocolat dans une boulangerie. Comme ça, je n'aurai pas faim avant midi. J'espère que ça me donnera un peu plus d'énergie pour ne pas m'endormir pendant l'enterrement. Il est tout juste neuf heures. Je remonte dans ma voiture. Je rallume la musique mais pas trop fort parce qu'il est encore tôt. Je démarre. C'est reparti. Me voici en route pour voir des gens pleurer un gamin mort trop tôt. L'injustice. Encore une fois. Comme pour changer, tiens. Je ne connais personne, ça va être d'un ennui mortel. Je vais avoir droit à des regards déplacés, comme à chaque fois. C'est fou comme les gens sont prévisibles. Moi aussi, je dois être certainement comme eux, prévisibles.

Je roule encore quelques kilomètres avant de rejoindre la route 77. C'est celle que je préfère parce qu'elle est bordée de végétation. Ça fait du bien d'en voir de nos jours, pendant que la ville grignote peu à peu tous les coins de verdure. Des oiseaux s'envolent des arbres. On voit parfois même des animaux qui parcourent la forêt. Je la préfère en automne, avec ces tons rougeâtres et la couleur orangée des feuilles traversées par la lumière ainsi que le bois vieillissant qui s'entremêle. Je tourne la tête du côté gauche. Une fumée noire grimpe jusqu'au ciel. Je baisse la musique. Je prends mon portable pour composer le 911.

« - Le 911, bonjour ! Quel votre problème ? »

C'est une voix d'homme, encore fatiguée d'une nuit trop courte. Elle n'est pas très avenante. Ce genre de métier ne doit pas être facile à exercer tous les jours. Tous ces cons qui doivent appeler pour tout et n'importe quoi.

« - Bonjour, il y a un début d'incendie dans la forêt nationale de Talladega. On voit la fumée de la route 77. Il pourrait avoir beaucoup de dégâts.

- Dans quelle partie de la forêt ?

- Je ne suis pas loin du pont couvert de Waldo. C'est au Nord, à gauche.

- Merci de nous avoir informés. J'envoie un hélico et des hommes avec. Restez joignable, on ne sait jamais. N'hésitez pas à rappeler si besoin. Votre appel sera directement redirigé à mon poste. Vous pouvez raccrocher. »

C'est la première fois de ma vie que j'appelle les urgences. Ça n'a duré que très peu de temps. Mais c'est satisfaisant de se dire qu'on a aidé à éviter le pire. Je ne saurais trop comment décrire ce sentiment. Le stress mêlé à du soulagement. Mais je ne suis pas encore tout à fait rassuré. C'est peut-être ça.

J'espère qu'il n'y avait personne, ni même un animal, coincé dans le feu. J'aimerais me sentir utile. Pas que je ne l'ai jamais été dans ma vie, mais là j'aimerais avoir aidé à épargner des vies. J'espère ne pas avoir à lire ou entendre des horreurs dans la journée sur les ravages causés par cet incendie. Je crois que ça me ferait mal, avec une douleur plus forte que celle que je ressens déjà. Les désastres écologiques qui consume petit à petit la planète. Il nous reste si peu d'avenir sur Terre.

Bon, il faut que je pense à autre chose. J'augmente le volume de la musique, espérant que ça me détende un peu plus. Je crois qu'il me reste un chewing-gum à la menthe quelque part. Peut-être dans la boîte à gants, au milieu de tous ces CD entassés. Ma mémoire ne me trompe jamais. J'en avais bien besoin, d'un chewing-gum à la menthe. Ça faisait longtemps à vrai dire et j'avais du plaisir à sentir cette fraîcheur envahir ma bouche. Cela doit faire un moment que je l'ai laissé dans la voiture mais il n'est pas si mauvais que ça après tout.

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