Lyzel se réveilla. Une flamme bleue vacillait sur une table de chevet, devant ses yeux. Bizarrement, elle n’avait pas mal, mais était exténuée. Un drap fin l’enveloppait et gardait son torse nu au chaud. Ses doigts d’os parcoururent son front et descendirent jusqu’à son pendentif… qui n’était plus à son cou. Paniquée, elle tâtonna ses poches, le matelas et se redressa brusquement. Une main gantée saisit son épaule dépourvue de peau.
– Doucement, Lyzel, murmura une voix familière, parfumée à l’hibiscus.
La fille blanche recouvra son calme. Si elle venait à angoisser, elle pourrait s’égarer dans le courant de ses émois. Elle leva la tête vers son sauveur.
Un damorial la détaillait avec bienveillance, les yeux noirs luisant d’émotions. Sa chevelure brune et longue se joignait en une queue de cheval mais quelques-unes de ses boucles s’échappaient. Des rameaux de cerf poussaient sur son crâne et se penchaient légèrement vers l’arrière. Son oreille droite se perçait d’anneaux alors que la gauche était inexistante, la faute à la peau sombre qui ne recouvrait pas certaines parties chez les damorials. Les os de son cou et de son torse s’exposaient aux regards des autres. Vêtu d’une longue cape verte et d’habits usés, cet être semblait fébrile. Des senteurs de rose, de lilas et d’hibiscus se mêlèrent, s’enlacèrent.
Cette personne fragile, Lyzel l’avait toujours connue et était soulagée de la retrouver.
– Quel plaisir de te revoir en vie, Lyzel ! s’écria le damorial, fou de joie. Je pensais t’avoir perdue pendant l’attaque des ombres.
– Niyaëv, c’est bien toi ? demanda l’Enfant-Cristal, incrédule.
– Oui, c’est moi.
– C’est impossible ! Je croyais que tu avais été dévoré par Mosdrem !
Ils s’enlacèrent, les larmes aux yeux. Malgré les bras froids de son ami, Lyzel se sentit dans une couverture de chaleur. Ni l’un, ni l’autre n’osa se lâcher, de peur de se séparer de nouveau. Ce contact leur avait manqué.
Les deux damorials se caressèrent de leurs parfums de fleurs. Tous les mots de la Langue de l’Arbre, la langue commune à toutes les espèces, ne suffisaient pas à communiquer leur joie.
Les odeurs s’évaporèrent dans le calme. Niyaëv s’assit sur le matelas et lui tendit un bol chaud qui était posé près d’une flamme bleue. La lumière lévitait à quelques millimètres sur la table de chevet en pierre. Elle se tordait comme un serpent serré dans un poing. La damorial saisit le récipient qui répandait une senteur de lavande, la même qui dominait l’atmosphère après cette explosion olfactive. Elle but une première gorgée, sous le regard examinateur de son ami.
– Tu n’as plus ton pendentif ? s’étonna-t-il, une once de nervosité dans la voix.
Instinctivement, l’Enfant-Cristal porta sa main à sa poitrine. Son étoile à huit branches avait bel et bien disparu. Elle ne rêvait pas. Affolée, elle demanda à Niyaëv s’il ne l’avait pas vue. Elle savait que ce n’était pas le cas s’il lui posait cette question, mais elle avait besoin d’être rassurée. Non, elle ne pouvait pas l’avoir perdue ! Son odeur de transpiration, que seul un damorial pouvait sentir, communiqua sa nervosité. Le sang dans ses veines pulsa alors qu’elle enlevait les draps pour vérifier si son bijou n’était pas dans le lit, séparé de la chaîne qui s’était peut-être brisée. Sa tunique avait aussi disparu et Lyzel oublia sa pudeur. Après tout, Niyaëv l’avait déjà vue nue dans le passé. Rien n’avait jamais été sexuel. Les deux amis prenaient souvent des bains ensemble.
Le damorial à la peau sombre plaqua une main rassurante sur l’épaule de l’Enfant-Cristal. Mais cette dernière demeurait anxieuse.
– Qu’est-ce que je fais ici ? s’alarma-t-elle. Je me rappelle seulement être dans Ermyr et d’avoir sauvé une amie.
Lyzel se laissa choir sur le matelas et saisit chaque fragment de sa mémoire comme si elle assemblait les pièces d’un puzzle. Un puzzle qui se révélait incomplet.
– Tu es sans doute tombée dans un portail vagabond, supposa Niyaëv. Le même qui s’est ouvert entre Ixarian et Ermyr. Deux de mes hommes t’ont trouvée dans les environs et t’ont amenée à moi. J’ai pris soin de toi jusqu’à ton réveil.
– Deux de tes hommes ? Tu diriges un groupe ? s’étonna Lyzel.
Niyaëv, un dirigeant ? Quelle surprise ! Il n’avait jamais eu l’âme d’un meneur et encore moins le charisme. Il préférait la solitude aux foules et s’entourait de très peu d’amis. Il ressemblait beaucoup à Lyzel sur ce point-là. Silencieux, il était l’une des personnes les plus invisibles qu’elle connaissait.
– Oui, confirma Niyaëv. Depuis le massacre, les rescapés m’ont élu en tant que leader. Mes pouvoirs sur les ombres les ont beaucoup aidés. J’espère au moins qu’ils ne regretteront pas leur choix. J’ai endossé ce rôle contre mon gré, mais ils avaient besoin de quelqu’un.
– Je ne doute pas de toi, lui confia honnêtement Lyzel. Tu es une personne forte, Niyaëv. Tu as toujours su te battre contre la vie.
Avant le fléau, Lyzel se réfugiait dans la bulle d’obscurité invoquée par son ami quand elle désirait sortir de la Serre des Os. Niyaëv se servait de ses pouvoirs pour dissimuler les exilés. Il était un maître des ombres comme Oleïd, le créateur de Mosdrem. Leur camarade Alaïa était persuadée qu’il contrôlerait le monstre protecteur si le père de celui-ci venait à mourir. Selon les paroles de Niyaëv, c’était ce que pensaient les survivants, désormais. Nourri par les rêves des autres, le jeune damorial devait s’entraîner durant tout son temps libre pour chasser les brumes noires.
– Quand Mosdrem refuse de m’écouter et veut déchaîner sa colère, je peux le repousser grâce à mes Nebulas, expliqua Niyaëv en examinant ses mains. J’ai pu ainsi éviter l’emprisonnement de nouvelles âmes. Enfin, presque… J’ai encore beaucoup à apprendre.
– Mais c’est déjà très bien ! le félicita Lyzel, impressionnée. Je ne te croyais pas capable de telles choses !
– Moi non plus, pour être honnête.
Le damorial aux rameaux de cerf se leva et fouilla dans une vieille armoire. Il en sortit une tunique sombre qu’il donna à son amie. Puis, il fit le tour de la pièce circulaire, la tête dans ses réflexions. Désormais, une apaisante odeur de camomille flottait dans la salle.
– Je suis un être de l’ombre et toi, un être de la lumière, dit-il. À deux, nous pouvons libérer notre race de la peur et de l’errance. À deux, nous pourrons repousser Mosdrem à chaque fois qu’il s’acharnera contre nous. Mais, je peux aussi lui parler. Je sais qu’il m’écoute, Lyzel. Je sais qu’il souffre.
– Alors, est-ce que tu as les mêmes Nebulas qu’Oleïd ? demanda l’Enfant-Cristal. Est-ce que le créateur de Mosdrem pouvait comprendre sa bête ?
– En toute logique, oui. Mais qu’en savons-nous ? Oleïd aimait être seul et ne communiquait avec personne. Mais, parfois, j'apercevais une tête reptilienne tendre son cou vers lui, lorsque la Serre des Os était protégée par Mosdrem. Pour beaucoup, il n’était qu’un monstre de brouillard. Mais moi, je vois un Maître Dragon de la Serre des Os, une créature qui règne sur notre race. Tout comme nous, il a été séparé de son père et de la terre où il a vécu. Je sais qu’il cherche un autre refuge. Je sais qu’il pleure la cité perdue. C’est pour ça qu’il capture les âmes, Lyzel. C’est parce qu’il se sent si seul.
– Ce n’est qu’une théorie, Niyaëv. Je pense que Mosdrem terrorise les dimensions car il n’a plus personne pour le contrôler. Mais tu peux le faire, j’en suis certaine.
– Je ne pourrais pas, tout seul.
– Niyaëv, tu peux faire tellement de choses !
L’enfant de l’ombre se tourna vers Lyzel. La morosité régnait dans tout son être, désormais. Il se dirigea vers le lit et se laissa tomber sur le matelas, las. Inquiète, Lyzel le regarda, la tunique serrée sur son cœur.
– Lyzel, je suis fatigué de me battre, admit-il. Je me suis battu depuis ma naissance et rien ne s’améliore. J’ai l’impression de m’enfoncer de plus en plus chaque jour. Mais ça, personne ne doit le savoir. Les damorials attendent que je les guide vers un nouveau foyer. Je suis leur dernier espoir depuis la mort de Sowéyan.
– Sowéyan ?
– Ah, bien sûr, tu ne l’as jamais rencontré, toi !
Son ton était plein de mépris.
– Sowéyan était un fénékos qui – soi-disant – avait regretté d’avoir participé à notre massacre. Il est venu vers nous et a réussi à convaincre les rescapés avec ses jérémiades. Le pauvre se sentait mal après avoir versé tellement de sang d’innocents, mais il n’avait pas eu le choix, tu comprends. Mais Sowéyan n’était pas n’importe qui : il a travaillé sur les recherches de Hérannévya et a su détecter sa position. Enfin, c’est ce qu’il a toujours prétendu. Son but était de trouver un moyen d’ouvrir un portail entre Ixarian et Hérannévya. Ainsi, on aurait tous vécu heureux jusqu’à la fin de nos vies dans le plus merveilleux des mondes.
« Mais Sowéyan a disparu du jour au lendemain, nous abandonnant à notre sort. Ce sont les recherches des fénékos face au monstre d’Oleïd qui ont abouti. Ils ont conçu des lumières capables d’éloigner Mosdrem et de protéger leurs cités. Pire encore, ils fabriquent des armes à partir de la puissance du Cœur. Ils n’hésitaient pas à s’en servir contre nous. Sowéyan nous a nourris de faux espoirs dans le but de donner du temps à ses compatriotes. Il n’était qu’un menteur. Il a séparé les rescapés : ceux qui croient en Hérannévya et ceux qui n’y croient pas. Je fais partie de ces derniers et je l’ai toujours su : Hérannévya est un mythe.
– C’est faux, Niyaëv ! Hérannévya existe. Ixarian avait un Démiurge qui a créé Hérannévya.
– Non. Ce Démiurge est mort, tué par ses semblables. Sa mère a été emportée par les Dragons et son père a sans doute été éliminé durant l’attaque, voire dévoré. Lyzel, peu importe ce que racontait ta mère. Hérannévya n’est pas une nouvelle Camoren.
À la mention de sa dernière famille, Lyzel sentit la tristesse l’envahir. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais ne coulèrent pas.
D’une belle rareté, les Démiurges étaient des êtres capables de bâtir un monde. La création n’était pas de leur propre volonté, mais de celle d’un fœtus de Dragon qui dormait dans leur cœur. Le développement de celui-ci pouvait varier de quelques mois à plusieurs années. Lorsqu’ils avaient la chance de mettre la main sur un Démiurge, les scientifiques étudiaient la bête. Les résultats étaient maigres et le secret de ces êtres d’exception restait inaccessible.
– Dans ce cas, quel est ton projet ? demanda Lyzel, en voilant sa douleur. Qu’est-ce que tu veux donner aux rescapés ?
– Je veux leur rendre la Serre des Os, répondit-il. Je contrôle de mieux en mieux mes ombres, Lyzel. Je reprendrai l’idée d’Oleïd et calmerai le monstre qu’il a engendré. Il n’a pas supporté la mort d’Oleïd et répand son chagrin dans les dimensions. Je veux l'approcher et qu’il recouvre la raison. Pour qu’il se rappelle que son rôle était de nous protéger.
– Niyaëv, des exilés se sont réfugiés dans Ibyulis. Là-bas, personne ne vient les importuner. Tu pourrais mener le…
– Nous ne quitterons pas Ixarian, Lyzel ! La Serre des Os a toujours été notre demeure et je refuse de la voir mourir ! Les fénékos nous traqueront où que nous soyons ! Nous devons leur montrer notre force et nous imposer dans Ixarian ! Nous devons reprendre la Serre des Os !
Lyzel se tut, à court d’arguments. Mais elle était surtout fatiguée de toutes ces histoires et elle ne voulait pas se disputer avec Niyaëv. Pas avec un ami qu’elle pensait avoir perdu.
– Lyzel, en fuyant sans arrêt, nous serons toujours chassés, continua-t-il, plus calmement. Nous ne devons pas abandonner.
Et il avait raison. Ibyulis n’était pas un endroit sûr. Sur l’archipel Garyon, les monstres grouillaient et n’hésitaient pas à attaquer les réfugiés. De plus, les yotoras réagiraient un jour si les damorials se multipliaient de plus en plus sous leurs terres.
Mais aucune idée ne se manifestait dans la tête de Lyzel. Niyaëv restait sur sa décision et ses projets étaient acclamés par les exilés.
– Je suis heureuse et soulagée de te revoir, Niyaëv, confia-t-elle.
– Moi aussi, Lyzel. Dis-moi, comment tu t’en es sortie, en dehors d’Ixarian ?
– J’aimerais bien tout te raconter, mais ça risque d’être très long.
– J’ai suffisamment de temps pour les longues histoires.
– Bien…
Lyzel but une gorgée de thé et posa le bol sur la table de nuit. Elle lui narra tout, sans omettre le moindre détail. Niyaëv n’hésitait pas à la questionner et son amie répondait en toute franchise.
– Evannah doit être morte d’inquiétude, conclut-elle. Je ne devrais pas tarder.
– Le mieux serait de rester ici, conseilla Niyaëv. Je suis sûre qu’elle te rejoindra.
– Tout ne dépend pas d’elle, malheureusement. Mais… nous nous sommes beaucoup attachées, elle pourrait faire n’importe quoi pour me retrouver, je le sais.
– Elle est si courageuse, malgré tout. Je suis certain qu’elle viendra, peu importe le danger.
– Elle est tellement adorable ! Je suis sûre que tu l’apprécieras ! Elle aime le dessin et est très gentille.
– Elle est talentueuse ?
– Très. Elle est aussi chanteuse et poétesse.
– Vous avez vraiment de la chance de vous être trouvées.
– Je nous imagine tous ensemble, toi, elle, Alaïa et moi ! On pourrait lui donner un nouveau foyer, on…
Niyaëv s’était levé et un lourd silence tomba. Une odeur de sang et de sel dévora le parfum de camomille.
– Comment va Alaïa ? s’enquit Lyzel, le ventre tordu par la crainte.
– J’espérais vraiment que tu le savais… Je ne voulais pas te l’annoncer, répondit Niyaëv, la voix tremblante. Alaïa est morte, Lyzel. Les fénékos l’ont tuée.
Dans l’obscurité, les mots surgirent comme un cauchemar. Niyaëv s’effondra dans ses bras. Son amie lui flatta le dos, le visage pétrifié par le choc de la nouvelle. L’arôme de chair brûlée et de sueur s’engouffrait dans leurs narines. Elle n’arrivait pas à y croire. Elle le vérifierait par elle-même. Avec délicatesse, elle écarta le damorial à la peau sombre et se vêtit de la tunique qu’il lui avait passée.
– Où est-elle ? demanda Lyzel, la gorge pressée.
– Avec les autres morts, répondit Niyaëv, la voix secouée par le chagrin. Enterrée sous la Serre des Os.
Les jambes tremblantes, l’Enfant-Cristal se leva et se dirigea d’un pas rapide vers la porte en bois. Son ami lui saisit le poignet et la tira vers lui.
– Lyzel… qu’est-ce que tu fais ? murmura-t-il, accablé par la tristesse et la peur.
– Je veux la voir une dernière fois, répondit la fille blanche alors que les larmes coulaient. Je te promets de revenir vite. Je ne veux plus te quitter.
– Lyzel, s’il te plaît…
– Je me fiche de Mosdrem. J’ai su le repousser plusieurs et ce n’est pas aujourd’hui qu’il m’attrapera.
– Mosdrem n’erre pas par là. Il est à la recherche d’âmes. Plus personne ne traîne dans les environs de la Serre des Os, mais tu risques de croiser des fénékos sur le chemin et je ne veux pas te perdre.
– Eux non plus, ils ne m’auront pas.
Lyzel essuya ses yeux et lui sourit d’un air rassurant. Elle saisit la main de Niyaëv entre ses doigts pour y répandre une douce chaleur. Son parfum de rose caressait son odorat. Mais son ami demeurait anxieux.
– Je reviendrai, promit Lyzel encore une fois alors que ses ailes apparaissaient. On réglera le problème ensemble.
Elle lâcha Niyaëv et ouvrit la porte. L’enfant de l’ombre désirait rattraper la damorial, mais elle s’était déjà envolée.
Mais je suis un peu perdue : je croyais que Niyaëv avait été pris par Mosdrem? Je me suis trompée? Ou alors c’est Lyzel qui a cru qu’il avait été emprisonné par Mosdrem, alors qu’en fait non? Dans ce cas, pourquoi n’est-elle pas plus surprise que ça de le voir?
-« Ce contact les avait manqués. » -> « leur avait manqué »
-« La lumière se lévitait » -> un « se » qui s’est incrusté ;)
-« Instinctivement, l’Enfant-Cristal porta sa main à sa poitrine. Son étoile à huit branches avait disparu. Affolée, elle demanda à Niyaëv s’il ne l’avait pas vue. » -> ce passage est un peu bizarre, on a l’impression que Lyzel réalise seulement à ce moment-là qu’elle a perdu son collier, alors qu’elle s’en est déjà rendue compte en se réveillant, et qu’on l’a déjà vue paniquer à ce sujet
-« alors qu’elle enleva les draps » -> « alors qu’elle enlevait »
-« À deux, nous pouvons mener libérer notre race de la peur et de l’errance. » -> un mot en trop dans cette phrase
-« La création n’était pas de leur propre volonté, mais de celle d’un fœtus de Dragon qui dormait dans son cœur. » -> « dans leur cœur »
Lyzel n'avait plus eu de nouvelles de Niyaëv, tout simplement. Donc, pour elle, il aurait pu lui arriver n'importe quoi. C'est donc plus un soulagement qu'il soit en vie qu'une surprise (s'il avait été dévoré par Mosdrem)
Ah oui, en effet, je devrais retourner la phrase concernant le pendentif autrement ^^
A bientôt !