Chapitre XXVI : La série télé TF1

Par Makara
Notes de l’auteur : Bonne lecture :)

Halima répétait les exercices du médecin, la tête ailleurs. Elle avait des difficultés à faire les mouvements demandés, ils n’étaient pas difficiles, mais elle ne voulait pas juste tendre et détendre sa jambe, mais la lever le plus haut possible. Elle ne voulait pas juste bouger ses bras mais tournoyer. Le docteur la reprenait gentiment, avec un brin d’amusement.

— Halima, encore un peu de concentration.

Son regard s’égara dans les dessins qu’elle avait accrochés dans la chambre. Ils formaient un immense arc-en-ciel, une jonction entre son lit et celui de l’homme aux bleus. Ce kaléidoscope de danseuses embellissait le lieu et lui permettait d’avoir toujours à l’esprit son but : intégrer les petits rats quoiqu’il en coûte. Sa composition l’avait occupée durant trois jours, depuis l’absence de Carla. Lorsqu'elle entendait des bruits de pas dans le couloir, des portes qui claquaient, des éclats de voix, cela lui faisait systématiquement tourner la tête dans l’espoir de la voir passer le seuil de la porte avec son air renfrogné. Sa présence lui manquait et elle espérait qu’il ne lui soit rien arrivé. Arthur était passé en début de matinée, ils avaient discuté ensemble, mais elle avait compris qu’il recherchait la jeune femme. Où se cachait-elle ?

Le docteur lui demanda de répéter un nouveau mouvement avec plus d’attention, elle s’exécuta et s’appliqua du mieux qu’elle put.

Une silhouette se glissa silencieusement dans la chambre.

— Carla ! s’écria-t-elle immédiatement avec un sourire réjoui.

La jeune femme la regarda à peine. Elle avait un bras en écharpe et une mine épouvantable. Elle fixait l’homme aux bleus, le corps tendu, les poings serrés. L’enfant se mit à gesticuler pour attirer son attention.

— Halima, restez tranquille. On a bientôt fini, la rappela à l’ordre le docteur.

Elle soupira en exécutant les derniers gestes.

— Bon, il y a une bonne amélioration et tu as repris du poids. C’est bien. Nous ferons un bilan ce soir avec l’équipe de soin.

La petite fille lui adressa un grand sourire, mais ne répondit rien, pressé qu’il parte. Après avoir noté quelques éléments dans son classeur, le docteur sortit de la chambre en lui faisant un signe. Halima le suivit des yeux puis son attention se porta sur Carla. Elle se tenait à présent dans un coin de la pièce comme si elle voulait se fondre avec le mur.

— Ça va Carla ? Qu’est-ce que tu t’ais fait au bras ? demanda-t-elle, inquiète.

— Je suis tombée, rétorqua la jeune femme abruptement.

— Pourquoi tu restes là-bas ?

Carla hésita puis se déplaça. Elle remarqua les dessins accrochés aux murs et se mit à les inspecter. Halima se demanda si elle allait les aimer. Parfois, la jeune femme passait un doigt sur les feuilles, tournait paisiblement la tête d’un côté, puis examinait le suivant.

— Tu aimes ? s’enquit-elle avec espoir.

— Oui.

Sa réponse lui réchauffa le cœur, lui fit presque oublier qu’elle s’était sentie si seule pendant trois jours. Carla s’approcha et s’adossa contre le mur, à quelques centimètres de la fenêtre.

— Tu m’as manquée, murmura Halima.

Un marmonnement inaudible lui répondit. La petite fille choisit d’entendre « moi aussi ». Carla fixait l’homme aux bleus, mais ce n’était pas le même regard que d’habitude. Il y avait dans ses yeux une lueur différente, mais Halima ne savait pas quoi.

— Tu as meilleure mine, finit par dire la jeune femme en reportant son attention sur elle.

— C’est vrai ? Tu trouves ? Alors je vais bientôt pouvoir danser ?

Carla lui sourit, l’air amusé.

— Oui, certainement.

— Mais ça se trouve, je serai devenue nulle, avoua-t-elle, attristée.

Carla lui fit les gros yeux, ceux qu’elle avait quand elle n’était pas contente.

— Ne dis pas ça. Tu vas tous les impressionner. Parce que t’es pas comme ces petites bourgeoises, t’es différente, tu connais la vie, tu as souffert donc tu as un truc que les autres petites filles n’ont pas. Ça va se voir dans la danse.

— Ah bon ? C’est vrai ! Oh, j’espère que tu as raison ! Mais parfois, je me dis que j’y arriverais jamais...

— T’as pas intérêt de repenser ça, jure-le-moi. Quoi qu’il arrive, tu t’obstineras.

— Quoi qu’il arrive ! répéta-t-elle avec force en bombant sa poitrine.

Carla lui sourit franchement et la peine d’Halima s’émietta en confettis en voyant son expression. Qu’est-ce que Carla pouvait être belle quand elle souriait ! Elle espérait qu’elle serait aussi jolie qu’elle plus tard.

— Tes parents sont venus ? l’interrogea-t-elle.

— Ma mère, oui. Elle m’a dit que mon père n’allait pas bien, qu’il devenait fou et qu’il ne devait pas venir me voir dans cet état.

— Pourquoi il devient fou ?

— C’est à cause de la mort de mon frère.

— Je ne savais pas que tu avais perdu ton frère.

— Si, mais je n’ai pas le droit d’en parler. Maman m’a dit qu’il ne faut pas, car après, on risque de devoir partir de la France.

Carla fronça les sourcils, mais n’ajouta rien. Halima continua:

— Je ne préfère pas trop en parler, ça me rend triste.

— Je comprends. Tu n’es pas obligée.

Carla lui prit la main et la serra. L’enfant eut l’impression qu’elle partageait la même peine et elle se sentit un peu mieux, un peu moins seule.

Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir. Le corps de Carla se raidit et elle libéra sa main. L’enfant tourna la tête : Bambi.

La femme de l’homme aux bleus avait accouché, elle tenait dans ses bras un nourrisson. Carla recula et se colla au mur comme si elle voulait disparaître. Bambi s’avança et s’adressa à son mari.

— Voici, ton fils, il s’appelle Lucien comme mon père. Je vais l’élever seule que tu te réveilles ou pas.

Sur ces mots, elle contourna le lit de l’homme aux bleus, s’arrêta près d’Halima, lui sourit et dévisagea Carla. La petite fille était entourée par les deux femmes, de chaque côté du lit. Elles se regardaient sans animosité.

— ça va ton épaule ? interrogea Bambi.

— Oui, c’est rien. T’inquiète.

Les yeux de Carla se posèrent sur le nourrisson.

— Tu veux le porter ? proposa Bambi

— Non.

Halima fixait les deux femmes avec intérêt, elle eut l’impression de discerner du respect dans leurs regards, mais peut-être l'imaginait-elle...

— Moi, je peux ? demanda-t-elle doucement.

Bambi la regarda avec surprise et murmura.

— Oui, bien sûr. Si tu fais très attention...

Halima acquiesça. Bambi lui déposa le nouveau-né dans les bras. Il avait déjà des cheveux noirs et sa peau sentait la lotion. Il gigota un peu et émit un petit gargouillement qui la fit rire. Il était trop mignon.

— Il vous ressemble, remarqua l’enfant en lui caressant la tête.

— Tant mieux, répondit la jeune femme.

Halima contemplait le nouveau-né, il lui rappela son petit frère à sa naissance. Son père était tellement content d’avoir un garçon, elle se rappelait qu’il avait fait une grande fête pour le retour de la maternité de sa mère. Bambi récupéra son fils et lui déposa un baiser sur le front.

— Au revoir, Carla. Si tu as besoin, tu connais le chemin de ma maison...

Carla ne répondit pas, suivit seulement la femme des yeux alors qu’elle sortait de la pièce, puis elle s’assit, contempla le sol et cacha sa tête dans ses mains. Elle ne pleurait pas, mais semblait troublée.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit Halima.

— Pas tes oignons.

L’enfant se renfrogna en entendant la réplique et récupéra son portable sur la table de chevet. Carla l'aperçut.

— Depuis quand tu as un portable ? lui demanda-t-elle, l’air étonné.

— C’est un cadeau d’anniversaire de ma mère.

Halima commença à taper un texto devant les sourcils froncés de Carla.

— À qui tu envoies un message ?

— Pas tes oignons, répliqua-t-elle sur le même ton.

Carla ouvrit la bouche et la referma, stupéfaite. Elle se releva et se saisit de son carnet en marmonnant « c’est pas croyable l’insolence de nos jours ». Pendant plus d’un quart d’heure, elle gribouilla à l’intérieur. Halima resta fascinée par les mouvements du stylo sur le papier, les traits concentrés de son amie. Rien ne paraissait exister à part son écriture. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien noter ? Et sur qui ?

Un sifflotement tranquille leur parvint. Carla leva immédiatement les yeux vers la porte. Le prince-policier entra dans la chambre. Halima lui sourit : il en avait mis du temps. Elle sentit ses épaules chauffer sous le regard assassin de Carla.

— Tu lui as envoyé un message ?

— Oui, il m’a dit de le prévenir quand tu serais là.

Elle lui jeta un regard incendiaire. Arthur Jakes s’avança, enleva son chapeau et fixa Carla très sérieusement.

— Il faut que je te parle, ordonna-t-il d’un ton de policier qu’Halima ne lui connaissait pas.

— On en a vraiment besoin ? Parce que je suis très bien là où je suis…

La réplique de la jeune femme acheva de mettre mal à l’aise l’inspecteur. Halima les regardait tour à tour, très attentivement, particulièrement intéressée par leurs réactions. Pourquoi se tutoyaient-ils ? Que s’était-il passé entre eux ?

— Carla, tu veux qu’on en parle ici ou dans le couloir ?

Halima pria pour qu’ils règlent leurs comptes en sa présence. Elle avait l’impression de regarder une série de télévision de TF1, mais Carla finit par se lever en grimaçant.

— Ça va je te suis…

Elle traversa la pièce sans lui jeter un coup d’œil. Ils refermèrent la porte sur eux, et Halima entendit les échos d’une conversation. Sans attendre, elle se leva, parcourut la pièce et plaqua son oreille contre la porte.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Arthur.

— Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Cette histoire est d’un ridicule !

— Je sais mais...

— T’es flic sur cette affaire, je dois te le rappeler ? Il y a encore une semaine, tu étais à deux doigts de m’enfermer. Dans quel monde tu vis ? En plus, tu sais très bien que je n’aime personne à part Justin…

— Qui essayes-tu de convaincre ?

Halima n’entendit pas la réponse de son amie, plus proche du grognement que du mot. Arthur reprit la parole.

— Donc on fait comme si de rien n’était, comme s’il ne s’était rien passé.

— Oui, ça m’arrangerait.

La porte s’ouvrit brusquement sur Carla. Halima, sous la surprise, tomba à la renverse. Elle croisa les yeux furibonds de son amie. Celle-ci se jeta sur elle, la releva et lui tira l’oreille.

— Aie, aie, aie ! hurla-t-elle, Carla arrête ! Promis j’écouterai plus aux portes !

Elle la relâcha et l’enfant rampa jusqu'à son lit avec un mince sourire aux lèvres. Carla se mit à faire les cent pas dans la pièce puis s’assit, se releva, s'adossa contre le mur, se déplaça jusqu'à la fenêtre pour voir l’inspecteur traverser le parking, serra les poings, se rassit, plongea sa tête dans ses mains. C’était vraiment la pagaille dans sa tête.

Il s'était forcément passé quelque chose entre eux. Tous ses rêves devenaient réalités ! Merveilleux !

Halima se pencha vers son amie et demanda le plus innocemment possible.

— Dis, Carla, avec Arthur vous avez fait l’amour ?

La question fit sursauter Carla puis la tétanisa.

— Tu ne sais même pas ce que ça veut dire ! répliqua-t-elle pour éviter de répondre.

Halima pouffa.

— Bien sûr que si, la maîtresse, elle nous l’a expliquée. C’est quand les deux personnes elles vont dans le lit et que…

— C’est bon, merci, je connais les détails.

— Alors ? insista l’enfant.

— Quoi ?

— Tu l’as fait ?

— Mais ça ne te regarde pas ! s'offusqua la jeune femme, outrée.

— Oh ! Alors, tu l’as fait, t’aurais nié sinon ! c’est trop bien !

— Déjà NON. Et c’est pas bien, Halima, c’est la MERDE.

— T’es trop drôle quand t’es gênée.

La jeune femme lui asséna un regard noir, récupéra ses affaires et se dirigea vers la porte.

— Mais nonnnn, Carla, resteeee ! Promis, j’arrête de t’embêter !

Trop tard, elle entendait ses pas dans le couloir. L’enfant soupira, frustrée qu’elle s’en aille. Elle n'aimait vraiment pas être taquinée ! Subitement, elle eut une idée. Elle déchira une feuille de son carnet et se mit à dessiner deux personnages qui se tenaient la main. Carla et l’inspecteur, ils étaient trop beaux tous les deux.

Elle allait scotcher le futur chef-d’œuvre sur la porte.

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Alice_Lath
Posté le 04/05/2021
Hahahaha la remarque d'Halima à Carla à la fin m'a tuée haha c'est tellement ça, l'innocence des gamins matures
J'ai trouvé le passage avec Lucie un poil trop court, surtout vers la fin où il y avait un effet : bonjour/au revoir un peu étrange
Sinon, en dehors de ça, tout est au poil, même si je me demande en quoi la mort du petit frère peut aboutir à l'expulsion de Halima et de sa famille, mais pour le coup, c'est vraiment de la curiosité juridique
Je me prononcerai toujours pas sur l'histoire d'amour Carla/Arthur par contre hahaha, on verra à la fin si j'ai un mot à dire à ce sujet
Makara
Posté le 09/05/2021
Coucou :)
"J'ai trouvé le passage avec Lucie un poil trop court, surtout vers la fin où il y avait un effet : bonjour/au revoir un peu étrange" => C'est noté ! Il y a peut-être moyen que je le rallonge, surtout qu'après on ne revoit plus du tout Lucie !

"Je me prononcerai toujours pas sur l'histoire d'amour Carla/Arthur par contre hahaha, on verra à la fin si j'ai un mot à dire à ce sujet" => Histoire d'amour c'est un peu fort ;)
Gabhany
Posté le 15/12/2020
Héhé je me demande bien ce qui s'est passé dans la tête de Carla par rapport à Justin ! C'est cruel de nous laisser dans l'incertitude ^^ j'ai adoré encore une fois les échanges entre Carla et Halima, et je sens une vraie affection de Carla pour Halima. Encore un super chapitre ;-)
Makara
Posté le 15/12/2020
Merci pour tes retours ! J'avais hâte d'avoir ton ressenti <3
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