Chapitre XXX Le jour des fous

Par Fidelis

                                                                                                         

Une routine remplie d’efforts et de sueur s’installa au manoir. Épiphyte s’occupa tout d’abord de ces parcelles cultivables. Il les assainit en creusant des tranchées tout autour afin que l’eau se retire et voir la terre émerger. Quand elle réapparut, couverte d’un limon riche et fertil plein de promesses pour ses récoltes à venir.

Il tenait aussi à participer aux travaux de sa communauté. Occasion pour lui d’entretenir des relations avec les habitants, qui le toisaient d’un regard suspicieux depuis qu’il logeait au manoir, lieu de nombreuses légendes.

La journée prenait fin.

Le jeune homme rentrait à pied, avec la satisfaction d’une bonne fatigue engendrée par les vendanges qui se déroulait chez l’un de ses voisins. L’esprit léger, il empruntait les chemins de traverse, et tentait de surprendre, les premiers signes qui indiquaient que la nature commençait à changer.

Époque charnière qui profitait encore de chaleurs tardives, et revêtait la végétation d’un feuillage jaune, puis d’un rouge flamboyant. Dernier coup d’éclat qui précède le repos hivernal, et qui imprégnait l’atmosphère de reflets dorés quand le soleil tirait sa révérence.

Sur le trajet, il s’arrêta devant un roncier vigoureux.

Il cueillait quelqu’une de ces mûres, tant appréciées des oiseaux que des promeneurs, au goût sucré et au jus qui laissait les doigts témoins de leur rencontre, avant le prochain lavage. Son regard détaillait le buisson protecteur, pour essayer d’apercevoir la vie endémique reliée à ce microcosme, dont les épines abritaient de nombreuses espèces, quand il remarqua le Geai. Il se trouvait sur la branche d’un noyé, à sa hauteur en face de lui, et l’observait avec intérêt.

Épiphyte mi un certain temps à se remémorer.

Ces oiseaux aux plumes bleues de nature sauvage n’appréciaient guère la compagnie des humains. Il fallait faire preuve d’une grande habileté pour se familiariser avec eux, et bien plus pour les apprivoiser, ou leur faire transporter du courrier.

Il connaissait une personne à y être parvenue. Son souvenir ressurgit quand le volatile se leva de sa branche, vola d’un bond pour se poser sur son épaule. C’était bien à lui qu’il venait s’adresser pour délivrer son message, sous la forme d’un lambeau de papier finement roulé.

Il le lut en silence, non sans avoir oublié de remercier le Geai, en lui donnant une mûre, qu’il accepta sans rechigner, puis cria dans son oreille comme pour le saluer et fila d’un coup d’aile.

Dessus était inscrite une phrase simple, au sens lui, moins évident.

 

J’ai trouvé une palourde en bon état.

GOERI

 

À moitié étonné d’avoir reconnu l’expéditeur, il sourit en songeant à son ami. Il avait fait sa connaissance au moment où Épiphyte commençait à vagabonder. La fin de l’été, période propice à toutes sortes de festivités associées aux récoltes, comme le vin avec ces vendanges. Mais il en comptait bien d’autres, l’ail, les champignons, les citrouilles, les tomates, et toutes étaient ponctuées, d’une fête qui durait deux jours avant de passer au village voisin.

Goeri se comportait à l’image du tournesol avec le soleil et les suivait au cours de la saison. Ce qui lui permettait de travailler un peu, de profiter des produits célébrés et de festoyer beaucoup, le tout au moindre coût. C’est durant l’une de ces récoltes qu’il avait fait sa connaissance. Ils avaient très vite sympathisé, Épiphyte appréciait sa pensée logique.

Ces interprétations historiques de l’époque ne laissaient dans le ton qu’il employait aucune place à l’amateurisme, mais reposaient sur des faits, et prenaient soin d’écarter tout ressenti personnel ou opinion nuisible à la compréhension.

Goeri avait l’esprit jeune et alerte, en perpétuelle évolution.

Il n’était pas rare, après avoir vidé plusieurs bouteilles de vin du chai, qu’il définisse l’origine d’un conflit territorial sanglant. Celui-ci résultait du choix non partagé d’un morceau de volaille cuisiné sous le même nom, dans les deux provinces attenantes. Raccourci mémorable qui les entraînait dans des fous rires sous le ciel étoilé des nuits d’été. Au cours de ces vendanges, Un jour, Épiphyte avait déterré une palourde fossilisée entre les rangs de la vigne. Il l’avait observé de tous côtés, et finit par admettre sa nature véritable, celle d’un coquillage qui avait traversé les millénaires, à sa manière.

Ce qui laisser deviner que l’endroit sur lequel il se situait à présent se trouvait, il y a fort longtemps couvert d’eau. La compréhension de son esprit avait du mal à juxtaposer un paysage maritime à cet endroit. Toute cette nature aux collines douces, vallonnées et boisées, immergées. Ce témoin du passé avait regardé les siècles défiler, pour terminer sa course entre les mains du plus improbable des vagabonds, Épiphyte.

Ils en avaient discuté avec entrain, pour finir par se persuader qu’un jour, ils apprendraient les secrets du coquillage pour traverser les âges, imperturbable et serein.

C’était ce qui l’intriguait le plus à l’instant présent, pour quelle raison évoquer ce fossile après tant d’années ?

Une palourde en bon état. À quoi songeait son vieil ami ?

Il réfléchit et continua son chemin.

Sa curiosité éveillée par ce souvenir endormi était piquée au vif, de toute façon, conclut-il, les vendanges venaient de prendre fin, le temps de rendre une visite à Goeri s’imposait. Mû par le désir inconscient de comprendre cette énigme, il prépara ses affaires le soir même et partit le lendemain.

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