Chapitre XXXI

Point de vue : lui

La mère me voit et se jette littéralement dans mes bras. Ça me surprend parce que je ne m'y attendais pas. Je lui frotte le dos pour la rassurer, même si je ne pense pas que ça change quelque chose. Sa respiration s'apaise tout de même et ses larmes se résorbent peu à peu. Je me baisse pour dire bonjour au petit qui me sourit, malgré toute la tristesse de ses yeux. Le père me fait un signe de la tête, mais rien de plus. A vrai dire, je n'en attendais pas plus de lui puisqu'il ne m'a beaucoup adressé la parole, l'autre jour.

On entre. Je me mets en retrait parce que je ne connais personne et que je ne veux pas m'immiscer dans l'intimité de la famille. Je me mets à part et à l'opposé de ma place de la dernière fois. Au cas où les visions reprennent. Et si jamais je reçois un nouveau message de l'inconnue, j'aurais un angle de vue différent. Je verrai toute l'assemblée. Ça me permettra peut-être d'apercevoir des détails qui m'avaient échappés l'autre fois, de la repérer. Je me fais certainement des films. Je suis un peu parano parfois. Mais autant prendre mes précautions. On ne sait jamais, après tout. La cérémonie démarre. C'est la répétition de la précédente. Ça fait partie des choses dans la vie qu'on ne choisit pas, et qu'on est contraint de supporter malgré nous. On se retrouve dans la même église avec ce même homme en blanc qui murmure encore et toujours ces paroles incompréhensibles. Les gens sont assis les uns à côté des autres. Certains se tiennent la main.

Ça me fait de la peine de voir ce si petit cercueil. Mourir si jeune n'est pas normal. Tout comme ce bébé mort avant même d'avoir vu le jour. J'ai l'impression que rien ne tourne rond en ce moment. Toutes ces morts en moins d'une semaine. Ça ne m'était jamais arrivé. En 19 ans, je n'avais jamais frôlé la mort de près. Ni dans ma famille, ni chez mes amis. Je n'avais jamais assisté à un accident. Et là, douze vies que je n'avais jamais effleurées viennent d'être enlevées en seulement quatre ou cinq jours. Ça s'est passé sous mes yeux ou bien je l'ai vu dans mes visions. Non, je ne peux pas me résoudre à trouver cela normal. Parce que ça ne l'est pas.

La mère est noyée dans ses larmes. Son mari a le visage constamment caché par ses mains. Le frère regarde dans le vide, on ne sait pas vraiment où. Il est totalement perdu dans son monde. Les voir comme ça est insupportable. Ce n'est pas une chose qu'une personne devrait avoir à subir. Tout comme la mère de Sarah n'avait pas non plus à subir la mort de son bébé.

Je détourne le regard pour ne pas fondre en larmes. Des gens se lèvent pour aller poser leur main sur le cercueil. Comme si ça allait changer quoi que ce soit. Je trouve ça ridicule mais si ça les aide, après tout, pourquoi pas. Qu'est-ce que j'en ai à faire, de toutes façons. Et quand bien même ça ne les aide pas eux, je sais que ce geste compte pour les parents parce que c'est la preuve qu'ils sont soutenus. Je n'en ressens pas la nécessité, et pas l'envie non plus. Je ne me lève pas.

Deux hommes en noir s'emparent du cercueil avec facilité. Ils auraient presque pu le prendre à une main. C'est stupide de penser à ce genre de chose pendant un tel moment mais je n'arrive pas m'en empêcher. Je n'aimerais surtout pas être dans ma tête en ce moment parce que ça doit être insupportable d'avoir toutes ces petites voix qui vous parle en même temps de sujets qui n'ont rien à voir entre eux. Il y a de quoi vous donner une bonne migraine, comme un gros coup de massue.

Les gens sortent pour faire la queue dans le couloir. Ils attendent sagement leur tour. Ils défilent les uns après les autres dans le salon pour faire les condoléances avant de s'en aller, le cœur peut-être un peu plus léger. Des voitures démarrent et sortent du parking.

J'entre dans le salon. Je suis le dernier. Il y a ces fauteuils où sont posés des sacs, des vestes et des affaires. Il y a cette table et cette même boîte de mouchoirs avec une poubelle pour les jeter. La plante verte et la baie vitrée. Ces mêmes murs d'un blanc vif. Rien n'a bougé depuis la dernière fois. Seules les visages ont changé, comme des pions sans importance. Il n'y aurait que moi, l'homme en blanc et ce lieu qui seraient restés là, comme suspendus dans le temps.

Ça me rend triste de voir les choses de cette manière. Mais au fond de moi, c'est ce que je ressens vraiment. Pour une fois que j'écoute ce qui se trame au fond de moi. Presque comme si ce n'était plus tout à fait moi, comme si un autre esprit venait de se loger en moi. Il faudrait que j'arrête de trop penser parfois parce que ça pourrait me vider la tête.

Je tente de les rassurer tant bien que mal. Je leur propose mon aide, si jamais ils ont besoin de quelqu'un pour leur changer les idées et leur remonter le moral ou s'ils ont besoin d'une oreille pour les écouter. Je serais là. Ils peuvent m'appeler quand ils veulent à n'importe quelle heure.

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Niels
Posté le 27/02/2022
Bonjour !
Chapitre intéressant où l'on se rend bien compte de la détresse à la fois silencieuse et assourdissante d'Andrew ; silencieuse car il ne laisse rien paraître et assourdissante à cause de la bataille des voix qui se joue dans sa tête. L'omniprésence de la mort va finir par avoir raison de lui, j'ai l'impression. Il n'en ressortira pas indemne
InTheKiosk
Posté le 27/02/2022
Bonjour,
Merci beaucoup pour ton commentaire et tes ressentis, ça me fait super plaisir !
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