Chapitre XXXII

Point de vue : elle

Je voudrais lui dire que je suis là, que je comprends ce qu'il ressent et qu'il peut tout me confier. Même si je sais déjà tout, je ne lui en dirais pas un mot. Ça pourrait lui faire du bien, d'en parler. On pourrait essayer et voir ce qui se passera ensuite. J'hésite à envoyer le message. Mon doigt tremble au-dessus du bouton. Je me demande pourquoi mon hésitation dure autant alors que tout est clair dans mon esprit. Je ne sais pas comment il va réagir. Et s'il n'accepte pas de me remplacer ? Je n'ai aucune idée de ce qui se passera ensuite. Faudra-t-il que je trouve quelqu'un d'autre ? Est-ce que je disparaîtrais à jamais pour avoir été fautive ? Je ne sais pas quoi penser.

Ça le surprend quand son téléphone vibre. Il m'a enregistrée comme inconnue dans ses contacts. Ça me fait sourire, je ne l'avais pas remarqué auparavant... Peut-être qu'au fond de lui il attendait d'autres messages de ma part. Tu sais, je suis là pour t'écouter. Il ouvre des yeux surpris. Des gouttes de sueur perlent sur son front, le rythme de sa respiration et son pouls s'accélèrent. Il sait que je le connais bien, que je ne suis ni un de ses parents ni une de ses récentes rencontres, et encore moins les petits parce qu'ils n'ont pas de téléphone. Il ne peut pas se résoudre à ce que ce soit Mme Hawthorn ou Sarah parce que ce serait juste impossible. Ça pourrait bien être le père de Sarah, par contre. Faudrait-il qu'il les ai vus ensemble et qu'il ait réussi à dénicher son numéro. Et puis, ce n'est pas une femme et les messages ont débuté bien avant que Andrew sache où habite Sarah. Même si dans l'état où il doit être, ça ne serait pas étonnant. Non, il ne peut pas y songer. Son père ne sait même pas à quoi Andrew ressemble.

Il en conclut que les messages commencent à le rendre fou. Mais c'est plutôt les évènements qui le dépassent. Parce qu'il aime tout contrôler et qu'il ne contrôle plus rien depuis l'enterrement. C'est pour ça qu'il me semble parfait pour me remplacer parce que je contrôle le Monde des humains. A ma manière, mais je le contrôle. Les humains peuvent dire ce qu'ils veulent mais c'est grâce à moi qu'ils ont l'instinct de survie et qu'ils veulent profiter de la vie et de ce qu'ils aiment. Parce qu'ils savent qu'au moment où je pointerai le bout de mon nez, ce sera fini. Ils savent qu'ils peuvent tout perdre en un claquement de doigt. Mais le problème, c'est que bien souvent, ils ne s'en aperçoivent qu'au moment où ça leur arrive. Sans moi, la vie aurait beaucoup moins de valeur. Voire plus du tout. Parce que vivre n'a que très peu d'intérêt quand on est immortel. Les jours se répètent sans cesse, on meurt sans vraiment mourir. C'est assez monotone. Et on peut pas vraiment savoir ce qu'est la vie sans connaître ce qu'est la mort.

C'est assez étrange qu'il n'ait jamais essayé de me répondre ou de m'appeler pour me poser des questions. Il semble pourtant obsédé par cette quête de réponses pour pouvoir expliquer ce qui se passe autour de lui.

« - Monsieur, pourriez-vous vous diriger vers la sortie s'il vous plaît ? Nous devons préparer la prochaine cérémonie. »


Andrew est embarrassé. Il rejoint sa voiture. Il baisse la fenêtre. Il allume une cigarette. Il met le contact et attend quelques secondes. Il jette un regard derrière lui pour voir cet endroit où tant de personnes se sont envolées. Il pense aussi à toutes celles qui s'envoleront dans le futur.

Il fait le tour du rond point avant de se décider à prendre la première sortie. Ne pas refaire la même erreur que la dernière fois et éviter d'avoir à assister à un nouvel accident. Parce que ça ne m'a pas du tout aider. Il ne fera aucune pause dans la forêt et ça tombe bien. Il continue sa route tranquillement. Il donne un coup de volant de temps à autre. Il marque un arrêt dans une station essence. Il ouvre la portière et jette violemment sa cigarette sur le sol. Il l'écrase furieusement sous son pied gauche. Du moins, c'est le sentiment que son geste laisse présager. Il prend le volant dans la main droite. Il hésite à se taper la tête. Il ne se sent pas très bien en ce moment. Il sort. L'odeur du pétrole lui fouette le nez avec une de ces forces qui vous empêche de respirer normalement. Il remplit son réservoir. Il paie avant de partir.

Il laisse son bras posé sur le rebord de la fenêtre toujours ouverte. Il parcourt les kilomètres sans vraiment porter attention à ce qui l'entoure. Il rentre chez lui, complètement vidé, comme dépourvu de vie. Il faudrait appeler Sarah. Mais il n'en a pas la force. Pas maintenant, c'est encore trop tôt.

Quelque chose vient se cogner sur la fenêtre de la cuisine. Ça le fait sursauter. J'aurais sûrement réagi de la même manière si je ne m'y attendais pas. Il pose ses affaires et va jeter un petit coup d'œil, histoire de vérifier. Il n'y a aucune fissure et c'est tant mieux. Il tente de se convaincre qu'il n'y va pas pour voir s'il y a quelqu'un, qu'il n'a pas d'appréhension, qu'il n'a pas peur. C'est juste pour regarder ce qu'il se passe dehors. Il ne veut pas se l'avouer, il veut se prouver qu'il peut battre sa peur.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le fait d'avoir peur est honteux. Les gens se cachent leurs sentiments en permanence et sans aucune raison. J'aimerais croire que ça fait partie de la nature humaine. J'ai probablement déjà ressenti cette honte avant de me transformer. Mais je pouvais l'expliquer à l'époque. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas.

Ça me désespère d'oublier les choses comme ça, sans aucune explication. Ça me provoque même un pincement au cœur de ne plus pouvoir me souvenir de ma vie d'avant. Je n'ai plus que quelques bribes de souvenirs, quelques images. C'est pour ça que je me force à chercher des pistes pour tenter de recoller les morceaux. Je sais quelles sont les personnes mortes qui ont faisaient partie de ma vie, les proches comme les moins proches. Mais je ne sais pas ce qu'elles représentaient vraiment pour moi. Mais je n'ai jamais été capable d'en découvrir plus.

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