Chapitre XXXII : en proie à la géhenne

Par Makara
Notes de l’auteur : C'est un ancien chapitre que j'ai scindé en deux.

Notes :

Maintenant que la petite est partie, la chambre me semble glauque. Je n’entends plus ses bruits quotidiens, sa voix fluette, ses mouvements dans le lit.

Je m’étais habituée, au final.

La nuit est tombée, je sens qu’on va bientôt me demander de quitter l’hôpital. J’en suis pour l’instant incapable alors que les dessins de danseuses prennent des allures d’extraterrestre et que le rideau joue les fantômes dans mon esprit.

J’ai mal. Mon corps m’élance. J’ai tout oublié dans la violence de l’altercation et les picotements que remontent dans mon bras ne présagent rien de bon. J’ai avalé deux dolipranes 1000 pourtant.


 

Un petit bruit attira l’attention de Carla. Halima se tenait debout, de l’autre côté du lit de Justin. Elle était entrée avec une discrétion hallucinante. Vêtue d’une chemise de nuit blanche, échevelée, tremblante, les yeux rougis par les larmes, son être entier respirait la souffrance.

— ça ne va pas Halima ? s’enquit la jeune femme.

Carla se rendit compte que sa question était idiote. Bien sûr qu’elle n’allait pas bien. Elle avait été témoin d’une bagarre. Les enfants réagissaient très mal à ce type d’expérience.

— Il a fait du mal à ma famille, Carla.

L’enfant pointa Justin du doigt.

Carla fronça les sourcils. Comment Justin avait-il pu lui faire du mal ?

— Je ne comprends pas, Halima.

— Il a tué mon frère.

— Il a quoi ? répéta Carla, interdite.

Halima saisit les fils reliant Justin à la machine. Avec sa mine échevelée, les traces de pleurs sur ses joues et son teint cireux, la scène tenait plus de l’apparition que de la réalité.

— Qu’est-ce que tu fais ? Ce ne sont pas des jouets. Lâche ça tout de suite !

— Je suis désolée… Mais, cet homme doit mourir. C’est un meurtrier.

D’un coup sec, sous le regard horrifié de Carla, elle arracha les fils.

Les machines se mirent à biper avec des sons stridents. Des tremblements saisirent Carla ; elle ne comprenait pas ce qu’il venait de se passer. Les éléments ne s’emboîtaient pas. Halima ne pouvait pas avoir fait ça. Pas cette douce enfant, son amie ! C’était insensé !

Le souffle lui manqua.

L’enfant recula vers son ancien lit. Le corps de Justin se mit à frémir comme agité par des courants électriques. Carla ne pouvait pas bouger, l’effroi l’ankylosait. Son regard ne cessait de passer d’Halima à Justin.

Les constances de Justin s’agitèrent et les montagnes rouges cessèrent. Un trait horizontal apparut alors que des infirmières pénétraient en panique dans la chambre, et tentaient de rebrancher les fils. Non, c’était impossible. Il ne pouvait pas mourir sous ses yeux. Carla demeura pétrifiée, le regard rivé sur les lignes rouges.

Les infirmières sortirent le défibrillateur et le corps de l’homme se souleva.

Les rayons de mort persistaient. Des tirets infinis.

Comment la vie pouvait se résumer à un trait ?

Carla n’était plus que l’ombre d’elle-même, une fumée, une déroute. Elle avait la certitude de ne plus exister, d’être détruite de l’intérieur, immolée, sacrifiée sur l’autel de la vie, par l’innocence même. Son cœur se mua en escarre, ses yeux en flambées haineuses.

Elle se tourna vers Halima, qui se cachait sous son lit.


 

Elle se sentit ridicule d’avoir donné, d’avoir failli. La trahison était trop grande. Elle était livrée en pâture à la géhenne, aux affres de la torture et à l’épine du diable. Son calvaire n’avait-il donc jamais de fin ? Ses membres devinrent transis. L’acidité de sa gorge la fit tousser. Une toux âcre, sèche, irritante. Le goût des larmes était amer et glacé sur ses lèvres.

Halima la regardait, le visage déformé par la souffrance, elle avait joint ses mains l’une contre l’autre et pleurait silencieusement.

Pourquoi ? Pourquoi le tuer ? Carla se leva alors que les infirmières tentaient toujours de réanimer Justin. Alors que les lignes se multipliaient et étouffaient son horizon, noyait son esprit. Elle se dirigea vers l’enfant, tendit sa main vers celle qui avait anéanti son espoir. Halima se recroquevilla sous le lit, comme une petite souris.

— Halima…

Ce nom lui écorcha la gorge, le prononcer relevait maintenant de l’hérésie, mais Carla devait savoir.

— Pourquoi ? reprit-elle d’une voix cassée.

L’enfant était secoué de sanglots, des spasmes agitaient sa poitrine.

— Carla, je… je de… devais le faire, bégaya-t-elle.

Des actions sanglantes se bousculèrent à l’esprit de Carla, mais la force lui manqua, les mots la trahissaient, les souvenirs la tiraillaient.

— Pourquoi ? répéta-t-elle.

— Il… Il a tué mon frère…

Carla ne voulait pas faire les liens.

— C’est mon père qui est venu tout à l’heure pour me voir, quand je l’ai vu tenter de tuer Justin. J’ai compris…

Sa voix se brisa et se mua en cris plaintifs.

— Il a tué mon frère Carla ! Il l’a enlevé pour nous faire chanter et il l’a tué !

— Non.

— Si. C’est vrai.

— C’est faux. Tu n’es qu’une menteuse !

D’un mouvement violent, Carla attrapa le bras d’Halima pour la tirer de sa cachette, la petite hurla. Son cri résonna dans la poitrine de Carla et elle eut l’impression que son cœur allait exploser. Elle la relâcha.

Elle ne voulait pas la croire. Pourtant, avec ces éléments, elle savait que l’enfant disait la vérité. Cette souffrance était sa punition. Pour avoir contribué à la mort de ce petit garçon.

La réalité de ce qu’elle avait fait la percuta de nouveau et elle comprit qu’il n’y avait qu’une seule solution, une seule possibilité.

Elle entendit le personnel soignant déclarer l’heure de la mort. Certains se rapprochèrent d’elle et lui demandèrent ce qui était arrivé.

Carla se releva, fixa l’enfant bouleversé au sol, puis le corps inerte de l’homme.

Elle sut ce qu’elle devait faire.

Elle respira un grand coup, serra les poings et annonça d’une voix froide :

— Je l’ai tué.

 

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