Chapitre XXXV

Point de vue : lui

Je sais plus où je suis, où je dois me mettre. Je ne suis pas sûr d'être à ma place ici, avec elles. Ça ressemble plus à une réunion de famille que ce à quoi je m'attendais. Même si je préfère que ça se passe comme ça, à vrai dire. Est-ce le fait que je sois là ? Ou ça se passerait comme ça même si je n'étais pas ici ? Je n'ai pas la réponse.

« - Ecoute, je sais très bien que ton père s'est enfermé dans son bureau. Et aussi que vous avez vécu seuls pendant un bon bout de temps. En fait, il m'a aperçue dans un supermarché. J'étais avec un de ces gars armés. Il tenait discrètement un pistolet entre lui et moi. Je lui devais de l'argent et il m'a obligée à le voler. Ton père l'avait remarqué, il avait vite compris. Il m'a regardée partir, complètement démuni. Il voulait m'aider mais ne savait pas comment faire. Ça m'a fait mal de le voir s'inquiéter autant pour moi. J'ai eu l'impression que j'étais moins affolée que lui. Il y a une fois où il a réussi à me contacter par téléphone. Il m'avait promis qu'il me sortirait de là. J'ai tout de suite compris qu'il allait passer du temps à me retrouver plutôt que de rester à vos côtés. Je ne sais pas comment il a su que j'étais sortie de ce pétrin. Mais ce serait quand même étrange. Je n'ai plus adressé la parole à ton père depuis cette fois-là. J'aurais dû le faire, depuis le temps que je suis libre. Surtout que je crois avoir encore des sentiments pour lui. Il me manque beaucoup, et vous aussi. Ma famille toute entière et ma vie d'avant me manquent. Je n'ai pas donné de nouvelles à mon sauveur depuis cette nuit-là. Il s'est peut-être sauvé, à l'heure qu'il est. Le pire, c'est que ça ne m'étonnerait même pas de lui. je dois sûrement être une femme parmi beaucoup d'autres. Il était peut-être même flic. Sarah, je... je suis vraiment...

- Navrée, c'est ça ? »

Sa mère sourit nerveusement et hoche la tête. Elle aurait préféré que sa fille ne la coupe pas parce qu'elle aurait voulu arriver à sortir le mot d'elle-même. Ça se voit sur son visage.

« - Désolée, oui. Je ne voulais pas, je... je ne pensais pas que... qu'il te toucherait, qu'il te ferait du mal à cause de moi. »

Une grimace creuse son visage. Elle pose une main sur son ventre. La douleur la lance. Elle serre les dents, se retenant de ne pas hurler. Elle essaie de cacher sa souffrance pour ne pas nous affoler.

« - On appelle une infirmière.

- Merci Andrew. Merci de l'avoir amenée jusqu'ici. Très franchement, je n'aurais pas eu le courage de lui faire face à ma sortie. J'aurais eu trop de remords pour y parvenir. Je serais partie sans trop oser garder le contact avec elle après tout ça. »

Je lui souris. La porte s'ouvre.

« - Prenez soin d'elle pour moi.

- Je la garde à l'œil. Aucune inquiétude à avoir là-dessus. »

Je jette un dernier coup d''œil dans la chambre avant de fermer la porte. J'ai glissé le numéro de Sarah sous la couette de sa mère. Je prie pour qu'elle le voie. Sarah semble être heureuse et soulagée à la fois.

« - Écoute, si tu veux te changer les idées, ce soir je vais au resto avec mes parents.

- Non merci, c'est vraiment très gentil mais j'ai besoin de temps pour tout remettre en place, pour tout assimiler. J'ai besoin de me poser au calme pour digérer tout ça. Une prochaine fois, ce serait avec plaisir par contre.

- Tu veux passer quelques nuits chez moi, le temps qu'il s'apaise ? Ou à l'hôtel ? Ou chez quelqu'un d'autre ? Je laisse pas y aller toute seule, en tout cas. »

Le trajet se fait sans un mot. Juste la radio et le moteur qui tourne en fond. Il n'y a pas grand monde sur la route. C'est tranquille, calme. On dirait que la ville a été complètement désertée, comme vidé de tous les êtres qui l'habitait jusqu'ici.

Je passe chez moi avant de repartir. Le temps de prendre une douche pour être un minimum convenable pour ce soir. L'eau froide tambourine sur mes tempes, ça détend. Je pense à autre chose. J'en oublie que les secondes s'écoulent les unes après les autres, que le temps est éphémère. Je ne me rends pas compte que le temps me file entre les doigts comme la rivière court à travers la forêt.

Je ferme le col de ma chemise jusqu'en haut, comme d'habitude. Même si maman préfère que les deux premiers boutons soient ouverts. Une ou deux pressions de parfums derrière les oreilles. Ma montre noire au poignet gauche. Mes chaussures noires et vernies aux pieds. Je prends mes clés, ma veste et mon portefeuille en passant devant la console. Porte claquée, comme emportée par le mouvement. Je cours jusqu'en bas des escaliers. Je rejoins mes parents directement au restaurant. Je suis parti bien en avance. Pas besoin de voiture ou de transports en commun, j'y vais à pied. Musique dans les oreilles pour que le temps passe plus vite. Ça m'aide aussi à m'évader du monde réel pendant un instant.

J'arrive, je m'installe à une table. Ils ne sont pas encore là. J'attends une dizaine de minutes. Cinq minutes de plus. Une demie-heure déjà s'est évaporée et ils ne sont toujours pas là. Je suis inquiet. J'appelle ma mère. J'appelle mon père. Aucune réponse. J'espère qu'ils ne leur est rien arrivé. Dites-moi qu'ils ne m'ont pas posé de lapin. Au moins ça. Ils ne me feraient pas ça, quand même ! Pas aujourd'hui, pas avec ce qui s'est passé ces derniers temps. Les gens qui marchent dans la rue accélèrent le pas. Personne ne remarque. Quelque chose cloche... Il y a quelque chose ne tourne pas rond. Un truc est anormal. Mon cœur s'emballe tout seul et mon rythme cardiaque augmente de plus en plus. Je ne sais pas comment me calmer. Je m'inquiète de plus en plus. Ça ne me dit rien qui vaille.

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Niels
Posté le 11/03/2022
Bonsoir !
Pas grand chose à dire sur ce chapitre, si ce n'est que les tourments de ce pauvre Andrew ne cessent jamais...

Coquilles que j'ai repérées :
- Je te* laisse pas y aller toute seule
- Comme vidée* de tous les êtres l’habitaient* jusqu’ici
- Personne ne remarque* (il manque un mot mais je ne sais pas lequel !)
- Il y a quelque chose qui* ne tourne pas rond (ou quelque chose ne tourne pas rond)
InTheKiosk
Posté le 08/05/2022
Hello !
Je m'excuse de ne répondre que maintenant !
Oui, effectivement, ils sont encore très présents...
Merci pour les coquilles, je note pour la réécriture (par ailleurs, je te remercie d'être allée si loin dans la lecture de mon histoire).
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