Point de vue : elle
Il est persuadé qu'il est arrivé quelque chose à ses parents. Il ne sait pas que ce ne sont que des rêves. Je le sais parce que je les lui ai suggéré. C'est cruel mais je n'ai pas le choix. Il fallait qu'il s'inquiète pour leur vie et qu'il ait peur de les perdre. Je pense qu'il devrait se préoccuper un peu plus d'eux parce qu'un jour, il sera trop tard pour le faire, et il s'en voudra pendant tout le reste de sa vie. Il le regrettera jusqu'à la fin de sa vie et il ne le supportera autant de temps. Je le connais.
Il est arrivé une demi-heure en avance, sans s'en rendre compte. Ça lui a laissé le temps d'imaginer tout un tas de scénarios tous aussi improbables les uns que les autres. Il n'a pas regardé l'heure en arrivant. Il n'a fait que des estimations. Il pensait qu'une demi-heure s'était écoulée avant de remarquer que seulement dix minutes avaient défilé. Il lui en reste encore vingt à tuer. Ça risque d'être long et ennuyant.
Il attend encore. L'anxiété prend de plus en plus de place. L'appréhension se voit avec les grimaces qui se dessinent sur son visage. Ses sourcils sont froncés et ses yeux perçants scrutent les environs. Son regard est incertain, il fait des va-et-vient incessants. Il voit les aiguilles de l'horloge tourner et les minutes s'écouler. Il ne sait pas quoi faire pour s'occuper. Il n'a pas trop le choix, à part attendre. Il commande une limonade, pour que ça passe plus rapidement pendant quelques instants. Encore treize minutes. Plus que douze. Une minute de plus ou de moins ne change pas grand chose. Il fait un tour sur les réseaux sociaux. Le temps file entre ses doigts sans même qu'il ne le remarque.
Une voix d'homme. Il la reconnaît. Il pose son téléphone pour les rejoindre. Ils se serrent dans les bras. Ils s'assoient à table. Pas de discussion pendant une dizaine de minutes. Chacun reste caché par la carte, chacun dans son coin en réfléchissant à ce qu'ils pourraient prendre à manger.
Ils venaient souvent à ce restaurant quand Andrew était petit parce que c'était son préféré. La fréquentation avait largement diminuée depuis qu'il était entré au lycée, sans explication. Ils ont de bons souvenirs dans cette salle. Ils s'offraient leurs cadeaux, à chaque date et occasion importante, à chaque anniversaire. Andrew se souvient d'avoir ouvert un ours en peluche sur la chaise près du comptoir, son père avait eu une montre à la table de l'entrée et sa mère un collier de perles près de la fenêtre à la vitre cassée.
Ils avaient partagé des moments avec pas mal de personnes ici, dont sa grand-mère. Ça lui fait bizarre de se dire qu'ils l'ont amenée ici quelques semaines auparavant. Qu'elle était encore vivante. Il se souvient à quelle table, ce qu'elle a mangé et même qu'elle a râlé parce que la viande manquait de sel. Cette sensation est assez étrange. J'ai du mal à la saisir, comme d'habitude. J'ai besoin de m'améliorer sur la gestion des souvenirs, mais je n'ai pas autant de temps qu'il me faudrait parce que Andrew prendra bientôt ma place. Il va bientôt pouvoir me remplacer, il faut que je sois sûre de mon coup. Ce serait dommage que ce ne soit pas le bon. Sinon, il faudra que je recommence tout avec un autre et que je m'occupe de Andrew, d'une façon ou d'une autre. Mais je me suis beaucoup trop attachée à lui, ça me ferait trop de mal et je m'en voudrais trop.
La commande est passée. Ils se regardent les uns les autres, ne sachant pas à quoi penser, ou quoi dire. Ils sont contents de se voir mais un peu gênés à la fois. Ils ne sont pas vus que depuis quatre jours. Mais la dernière fois, c'était à l'enterrement. Ils ne savent pas s'il doivent en parler ou non. Personne n'ose mettre le sujet sur la table non plus. Je suppose que ça ne doit être facile pour eux. Je ne me souviens évidemment pas d'avoir vécu ce genre de situation. Ma mémoire est défaillante, après tous ces siècles. J'aimerais ressentir ces sensations parce que ça m'intrigue. L'être humain en général m'intrigue. N'étant plus tout à fait humaine, je me pose tout un tas de questions dont je n'ai plus la réponse. Il faudra que je pense à les lui poser quand il me rejoindra, avant qu'il les oublie à son tour. La conversation s'installe enfin.
« - Comment ça se passe, à l'université ?
- Ça va plutôt bien. Les cours de Mme Hawthorn me plaisent de plus en plus. Et j'ai vraiment l'impression que ça m'aide à m'épanouir de jour en jour. Puis, elle est super à l'écoute. Comme... si elle savait exactement ce qui se passe dans nos têtes à chaque moment. J'ai l'impression qu'écrire prend de plus en plus de place dans mon cœur aussi. Elle a su déclencher le déclic pour que ça grandisse. Un peu comme de l'engrais pour une plante. Je suis de plus en plus convaincu que je suis fait pour écrire tous les jours. »
Je le sais, je le vois. J'attendais depuis longtemps ce moment où il leur annoncerait. Il l'a fait, ça y est ! Je suis fière de lui et fière d'avoir trouvé ce petit gars. Je ne le lâcherai pour rien au monde. Je tiens maintenant trop à lui. Je crois que je m'y suis trop attachée avec le temps. Je crois qu'une émotion remonte. Ce n'est pas de l'amour, mais peut-être plus de l'affection, je dirais. D'ailleurs, je ne sais plus vraiment ce qu'on ressent quand on aime. Pourtant, ça leur semble si facile, aux humains, de savoir s'ils ressentent de l'amour, de l'amitié ou de la sympathie.
Les coquilles que j’ai repérées :
- Je les lui ai suggérés*
- Ennuyeux*
- La fréquentation avait largement diminué*
- Ils ne se* sont pas vus depuis quatre jours
Merci encore une fois pour les coquilles (ça va m'être très utile pour la réécriture).