Chapitre XXXVII

Point de vue : lui

Je ne sais pas comment s'est arrivé à sortir d'une seule traite. Je parlais sans vraiment réfléchir. Je ne me rendais pas compte de ce qui sortait de ma bouche. Je ne pensais même pas en parler. Je n'ai pas réalisé ce que je disais. Je n'avais même pas vraiment conscience que l'écriture prend de plus en plus de place en moi, qu'elle m'envahit petit à petit.

    J'ai gardé la tête baissée pendant tout le temps que je parlais. Je n'ai pas osé les regarder en face ou les fixer dans le blanc des yeux. J'ose à peine me risquer à jeter un regard pour voir la tête qu'ils font. Papa se frotte le visage de ses mains toutes sèches. Maman tient sa fourchette dans sa main droite, elle la bouge dans tous les sens comme si elle n'écoutait que d'une oreille distraite.

    J'apprécie beaucoup le soutien qu'ils m'apportent au quotidien. Ils sont très disponibles pour moi et à l'écoute. Mais il y a des fois où j'ai juste l'impression qu'ils sont absents. Un peu fantômes sur les bords, comme par magie. Ils sont là sans être là. Leur corps est bel et bien présent mais leur esprit est ailleurs, autre part. Ça ne me dérange pas qu'ils aient des moments d'absences parfois parce que ça arrive à tout le monde. Mais ce silence, une fois que je leur ai parlé de moi, de mes besoins et de mes envies. Ce n'était pas censé se passer comme ça. C'est désespérant d'attendre dans ce silence de plomb. Attendre qu'ils aient une quelconque réaction. Peu importe soit-elle. Pourvu qu'ils réagissent, ce sont mes parents après tout. J'ai besoin de leur avis.

    La serveuse pose les plats sur la table étroite. On fait de la place. Je peine à déglutir, ma gorge me fait mal. Mon père me fixe, ça ne me rassure pas du tout. Je ne sais plus si j'ai encore envie de connaître leur opinion. Son regard ne me dit rien qui vaille. Il me fait  presque peur. J'ai envie de partir. Je pourrais m'excuser d'aller aux toilettes, juste pour échapper à leurs commentaires. Mais je dois affronter ce moment. Je sais pertinemment que je ne suis pas tout à fait le fils dont ils rêvaient quand ils m'ont eu. Ils auraient préféré que je devienne médecin, ministre ou encore avocat. Enfin n'importe quelle profession, tant qu'elle est reconnue et qu'on peut devenir haut placé. Mais leur fils veut écrire. J'ose pas imaginer ce qui se trame dans leur esprit.

    J'ai déjà eu du mal à leur expliquer pourquoi j'ai décidé de rentrer dans cette université. Je les ai rassurés en leur disant qu'on y apprend à écrire des discours et parler en public. Je leur ai fait croire que je voulais devenir politicien, et même rentrer à l'ENA. Ça n'a jamais été dans mes projets mais ils ont digéré la pilule comme ça. Je ne me plains pas.

« - T'as jamais voulu faire de la politique, hein ? »

    Il le savait depuis longtemps, pas besoin de le nier. Je n'ai pas eu à le dire, il l'avait deviné. Je fais non de la tête. Il semble déçu mais pas si surpris que ça. Il s'y attendait un peu. Et maman aussi.

« - C'était évident ! Tu ne t'y es jamais intéressé. Comment on a pu y croire ?

- J'ai voulu vous en parler et j'aurais dû le faire bien avant. Mais je me suis dit que vous ne comprendriez pas. Je ne voulais pas perdre votre estime. J'espérais que vous voir fiers de mon choix de vie. J'ai pensé que vous ne voudriez pas en entendre parler sans que j'aie fait mes preuves. C'est pour ce genre de bêtises qui nous mettent en colère et pour lesquelles on ne s'adresse plus la parole pendant longtemps. J'ai besoin de votre soutien, que vous soyez derrière moi. Surtout depuis l'enterrement de Mamie. Je pars un peu en vrille. J'ai même fait un malaise l'autre jour. J'ai un très mauvais sommeil dernièrement. Heureusement qu'il y a Sarah et Mme Hawthorn. Sans elles, je ne serais peut-être plus là. »

    Mon regard s'est baissé de nouveau, comme s'il était aspiré par mon assiette plutôt que par les personnes à qui je parle. Soudain, je lève les yeux, je n'ai plus peur. Je leur ai tout raconté. Ils ont l'air un peu émus. Je ne sais pas ce qu'ils ont ressenti en écoutant mon discours. Leurs yeux se mouillent de larmes. J'aimerais qu'ils soient fiers de moi, aujourd'hui. Fiers de ce que je deviens, de la voie que j'ai empruntée. Fiers parce que j'ai réussi à le leur dire, après tous ces jours passés dans le mensonge et les non-dits. J'aimerais qu'ils soient heureux d'avoir un fils qui a enfin trouvé un but dans sa vie, qui s'épanouit dans ce qu'il fait. Même si ce n'est pas ce qu'ils avaient imaginé pour lui au départ. Je ne sais pas si ça arrivera un jour. Je ne suis même plus sûr que ça soit une bonne chose que de leur avoir tout dévoiler en un seul coup, en ce moment en plus. Avec mamie, et tout ce que ça comporte. Je ne suis plus sûr d'avoir l'envie ni le besoin de connaître leur avis.

    En fait, je crois que je préférerais partir loin d'ici. Mais vraiment loin, le plus loin possible. Pour ne pas me confronter à eux encore une fois après toutes ces révélations. J'aurais dû réfléchir avant de tout déballer. De toutes façons, ils l'auraient appris un jour ou l'autre.

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Niels
Posté le 11/03/2022
Ce chapitre m’a beaucoup touché ! Je pense que beaucoup de lecteurs amateurs d’écriture peuvent se reconnaître en Andrew (la réaction des parents, la peur du « écrivain ce n’est pas un vrai métier ! »). Alors effectivement, reste à voir comment la réaction des parents va évoluer, et quel impact elle aura sur Andrew.
A suivre donc !


Les coquilles que j’ai repérées :

- Je ne sais pas comment c’est* arrivé
- J’espérais vous voir fiers de mon choix de vie*
- De toute façon*
InTheKiosk
Posté le 08/05/2022
Aaaah je suis trop contente que ça t'ait touché ! (merci de le noter, ça me fait vraiment plaisir !) J'espère que tu ne seras pas déçu...
Merci encore ;)
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