Charlotte aux framboises

Quelques jours plus tard, en fin de matinée, Zoé arrive au petit café Bleu. Les Delta ont convenu de se voir pour faire le point sur leurs recherches, Zoé aperçoit ses trois amis à nouveau assis autour d’une table, les boissons éparses devant eux, ils ont l’air morose. Elle a l’impression de revivre la scène de leur précédente rencontre, elle sent que ce n’est à nouveau pas une bonne journée pour l’équipe. Elle approche en affichant un visage neutre, car même si au fond d’elle-même elle se sent portée par l’espoir de réussir, elle ne veut pas montrer de triomphalisme.

 

  • Salut Zoé, dit Alphonse, tu bois quelque chose ?
  • Oui un thé je veux bien, merci. Alphonse fait signe à la serveuse qui apporte une grosse théière en argent et verse la boisson brûlante dans une tasse.
  • Alors, du nouveau ?
  • Oui peut-être. Je vais vous expliquer dans un instant, laissez moi m’installer !

 

Elle s’assied à côté d’eux. Les filles sont sur la banquette déchirée, les garçons sur les deux chaises bancales, face à la glace. Alphonse est toujours aussi beau avec ses cheveux frisés blonds un peu fous, et Cezary toujours aussi lunaire avec ses boucles noires et ses lunettes au bout de son nez. Violette a mis un joli collier de perles de couleur, porte des boucles d’oreilles assorties et un tee shirt jaune. Tous trois sont égaux à eux-mêmes, un peu losers et en même temps si pleins de charme. Zoé sent monter en elle un brusque élan d’amitié pour eux trois, avec qui elle a partagé une expérience si forte.

 

  • Et que racontez-vous ? demande-t-elle avant d’exposer ses plans, elle a envie de prendre un peu la température pour savoir comment aborder son sujet.
  • J’ai commencé à travailler dans le restaurant, dit Violette. Là je suis en pause, mais je dois y retourner d’ici une demi-heure. C’est dans Paris, donc je fais les trajets aller et retour depuis la maison. Le patron pour l’instant est sympa, il s’appelle Saïd, ça se passe plutôt bien je dirais. Ce n’est pas le job dont je rêvais en faisant la formation, mais je continue à chercher, on verra bien.
  • Au moins tu peux compter sur un revenu d’appoint, concède Zoé
  • Oui, répond Violette. Et au fait, John est en pleine forme, sa rentrée s’est bien passée, il a retrouvé ses copains et il est heureux comme un roi !
  • Tant mieux, c’est magnifique, dit Zoé. Tu vois, il s’adapte toujours aux changements, ce n’est pas la peine que tu te fasses autant de souci pour lui.
  • Tu ne m’en empêcheras jamais, rétorque Violette
  • D’accord, répond Zoé avec un sourire.
  • Je ne peux pas dire que je recherche ardemment un job, enchaîne Alphonse qui prend le relais, je me suis donné un peu de temps. Pour l’instant j’en profite pour voir plus souvent mes copains, je n’en ai pas beaucoup eu l’occasion l’année dernière à cause du stage. Mais promis, je vais m’y mettre. Là, j’attends ton feedback aussi, Zoé, peut être que ça va m'intéresser ta fameuse idée.
  • Pour moi, je pense que je vais bientôt conclure avec une société de services, poursuit Cezary. Là ils me cherchent une mission, et dès qu’ils la trouvent, bonsoir Messieurs Dames, je signe mon contrat, je travaille, je touche un salaire et je change de vie. Terminé le foyer, je me trouve un appart moi aussi, et je m’amuse un peu.
  • Tu dis ça Cezary, mais tu es un bourreau de travail, tu vas bosser comme un fou, on te connait. Essaie de ne pas te faire exploiter ! se moque Alphonse
  • Ne vous inquiétez pas, j’ai bien l’intention de ne pas me laisser marcher sur les pieds, c’est fini le temps où Cezary était un esclave du boulot !
  • Tu es trop drôle, tu nous fais rigoler ! les trois autres complices éclatent de rire et Cezary est tout penaud, sa remarque a au moins eu l’avantage de détendre l’atmosphère.
  • Vous verrez bien ! conclut-il pour avoir le dernier mot.
  • Bon, c’est à toi Zoé maintenant de nous raconter ton histoire ! rebondit Alphonse.
  • Et oui c’est mon tour ! Donc voilà !

 

Zoé commence par expliquer sa démarche avec Louis.

 

  • Je suis allée voir mon ami Louis car je me suis aperçue que c’était beaucoup plus compliqué que je ne le pensais au début. Il y a plein de démarches administratives, juridiques, commerciales à faire, et je me suis vite sentie dépassée. Louis, lui, il connaît ces passages obligés, grâce à son ancien métier. Je voulais simplement lui demander conseil, mais il a pris le projet à cœur et il va beaucoup nous aider.
  • Un homme précieux ! admire Alphonse, qui se met au service de notre cause ! Bien joué Zoé !
  • En effet, poursuit Zoé, il propose de changer la cible, car nous n’avons pas d’argent pour démarrer avec quelqu’un qui connaitrait la cuisine et pourrait l’enseigner, ni pour louer un local et du matériel pour faire les cours. Louis monterait une association avec des membres, des  bénévoles et des adhérents, et dès que nous aurions un peu de notoriété, nous pourrions être embauchés comme salariés. Sa grande idée novatrice est de travailler avec des grands-mères et des grands-pères du quartier. Ce sont des personnes en pleine forme, qui s’ennuient chez elles et qui iraient chez les adhérents pour les aider à cuisiner, ou leur apporter des plats tout prêts. Bien sûr on mettrait nos recettes sur le site, mais elles seraient gratuites et facilement accessibles. On ferait payer l’adhésion puis les cours à domicile et les livraisons. Ce serait là notre source de revenus...

 

Zoé observe les réactions de ses trois collaborateurs, et elle n’y voit pas du tout le même regard constructif que chez ses amis de la rue N. Elle sent la réprobation et l’incompréhension dans leur posture, ils sont déçus.

 

  • Mais on ne va pas gagner d’argent avec ta proposition. Le bénévolat, ce n’est pas ce qu’il nous faut !
  • Au début, nous n’aurons rien c’est certain, il faut qu’on monte en charge, qu’on soit connus et reconnus, il nous faut créer notre propre marché, répond Zoé.
  • C’est bien joli ton truc, mais comment on va faire pour payer les courses et le loyer ?

 

Violette fait une grimace, pour elle la proposition ne rime à rien, il n’y a pas de rémunération à gagner. Elle veut quelque chose de concret, un contrat où l’on signe en bas d’une page, et puis au bout de quelques jours de travail, un montant est viré sur le compte en banque.

 

  • Cà ne me va pas, je suis désolée de te le dire Zoé, dit Violette
  • Je comprends, mais c’est tout ce que je peux te proposer, je n’ai pas de moyens non plus et je vais bien avoir du mal à payer mon loyer moi aussi en attendant qu’on gagne de l’argent.
  • Je te le dis, je veux bien t’aider, mais là je n’y crois plus. Alors je vais continuer à bosser dans mon restaurant en cherchant un job conforme à ma certification. Et je finirai bien par trouver. En attendant, je reste dans mon studio avec mon fils. Et voilà tout.

 

Violette est en colère. Sa frustration, conséquence de ses échecs répétés, la rend agressive et révèle son aigreur.

 

  • Moi qui rêvait de changer d’appartement, d’avoir deux chambres, eh bien ce n’est pas pour demain. Peut-être jamais à ce rythme ! conclut-elle sans joie.
  • Ne te considère pas comme vaincue ! Regarde, moi j’ai presque trouvé, lui rétorque Cezary, tu vois c’est possible.
  • En attendant toutes mes attentes s’envolent, il me reste la même chose que l’année dernière, c’est à dire zéro. Cà n’a servi à rien de suivre ce cours, j’en suis au même point, pas de changement de situation.

 

Zoé se tait, elle laisse leur colère monter et éclater. Elle aussi se sent en difficulté, cela va être dur sans argent pour démarrer son affaire. Elle sait qu’elle peut compter sur sa grand mère pour l’aider, peut être sur Alphonse pour lui prêter une avance, mais elle ne pourra apporter aucune garantie. Ce ne seront dans les deux cas que des petites sommes, pas de quoi aller très loin. Tous ses autres amis n’ont pas d’économies ou d’argent à investir.

 

  • Voilà ce que c’est d’avoir des amis pauvres, songe-t-elle, on ne peut pas tout partager avec eux. Il y a un moment où les réflexes vitaux reprennent leurs droits. Tant pis, je ferai sans eux, mais je m’accrocherai pour réussir, je me le promets. J’y arriverai !

 

Pendant ce temps, Alphonse ne dit rien et réfléchit, puis il prend la parole.

 

  • Je veux bien t’aider, mais je comprends que ce ne sera pas un vrai job, alors je te propose de te donner un coup de main, mais je ne serai pas dans l’aventure je pense.
  • C’est comme moi, renchérit Cezary, dès que j’ai trouvé ma mission, je vous quitte. Vous pourrez toujours me demander mon aide, vous êtes mes meilleurs amis et je vous dois tout !
  • Tu exagères Cezary, mais merci pour vos propositions, termine Zoé que ces réactions négatives au fond ne surprennent pas.
  • Tu peux prendre le site tel quel, on te le donne, poursuit Cezary sans demander aux autres ce qu’ils en pensent, mais ils opinent de la tête. C’est donc une affaire réglée sans discussion.
  • Je ne garderai que l’ossature, tout le contenu va changer. Mais merci à vous tous, approuve Zoé.
  • Tant que je ne suis pas embauché, je t’aide à monter ton nouveau site, dit encore Cezary. Je vais venir chez toi demain ou après demain, et tu me diras ce que tu veux. Comme je te l’ai dit, je serai toujours disponible pour un coup de main.
  • Tu es très sympa, merci Cezary. C’est bon d’avoir des amis.
  • Ca va être difficile pour moi, dit Violette, car désormais je n’ai plus beaucoup de temps libre entre John, le travail au restaurant et ma recherche d’emploi. Je peux peut-être faire de l’administratif à distance ? Qu’en pensez-vous ?
  • Excellente idée, je verrai avec Louis ce qui est possible, répond Zoé qui comprend qu’elle ne peut pas compter du tout sur Violette.
  • Et moi, intervient Alphonse, je peux t’aider maintenant, voire essayer de glaner quelques sous et peut-être te trouver des clients.
  • Vous voyez, en cherchant bien, on trouve toujours des idées.
  • Oui, enfin tout ça n’est pas ce que nous attendions …. Et puis ce ne sont que des phrases en l’air … On ne sait même pas ce qu’on va faire.
  • Pour savoir ce qu’on va faire, il faut travailler maintenant, dit Zoé, mettre nos idées à plat, les organiser, et ça c’est mon job, je vais commencer à le faire, avec l’aide de Louis. Ceux qui veulent me suivre sont les bienvenus.

 

Ils se séparent finalement, tout aussi déconfits qu’à l’arrivée de Zoé, et chacun reprend sa route. Zoé constate a posteriori qu’aucun d’entre eux n’avait fait de recherches pour l’aider. Elle marche les yeux baissés, vers la station de métro et s’engouffre dans l’escalier souterrain, machinalement, sans même penser à ce qu’elle fait, elle tourne à vide.

 

  • Finalement, j’étais seule dans cette aventure, conclut-elle. Ils vont m’aider mais je ne peux absolument pas compter sur eux, c’est moi qui vais devoir tout leur dire. C’est drôle, je suis un peu déçue. Ils sont venus et ils attendaient que je leur propose quelque chose de tout prêt, qu’ils n’aient qu’à prendre ou à critiquer. Comme si j’étais capable de faire de la magie ! une bonne fée qui d’un coup de baguette réalise les rêves sans effort … J’ai reçu plus de soutien de mes amis de la rue N. que de mes collègues de stage. En même temps je comprends qu’ils se battent pour leur survie, mais je les trouve passifs. En plus, pour couronner le tout, mauvaise nouvelle, ce soir je dois rencontrer Olympe. Quel ennui, ça me barbe, je n’ai pas du tout envie de la voir.

 

Sans conviction, Zoé descend sur le quai et saute dans la rame qui arrive en même temps qu’elle. Abandonnant les réflexions sur ses collaborateurs de stage, elle se concentre sur le site qu’elle va devoir aménager.

 

  • Il me faut trouver un nom, un logo, une phrase accroche. Je rédigerai une sorte de petit cahier des charges où je mettrai toutes mes idées. Je vais d’abord faire sur le papier, et après j’intégrerai les éléments sur le site.

 

Le temps passe vite lorsqu’on a l’esprit bien occupé, et le métro avance sans qu’elle s’en aperçoive. Zoé se retrouve en ce qui lui paraît quelques instants à la station d’arrivée. D’un pas rapide elle sort et regagne l’immeuble de la rue N. Dans la cour, Louis est en grande conversation avec une dame de l’immeuble. Il fait un clin d’œil à Zoé qui sourit et agite la main en signe de bonjour en passant.

 

  • Bonjour Zoé. Je monte te voir d’ici une dizaine de minutes. Tu me donneras les dernières nouvelles et moi aussi en retour je te donnerai mes trouvailles les plus récentes, dit Louis.
  • Pas de souci, je vous attends là haut. Je vous préparerai un café.
  • C’est d’accord, à tout de suite.

 

Zoé grimpe les cinq étages au pas de course, elle a besoin de courir et dépenser de l’énergie pour éliminer sa déception de l’entrevue avec les Delta. Quand elle arrive sur son palier toute essoufflée, elle comprend qu’elle a évacué sa mauvaise humeur. Tant pis pour les esprits chagrins, elle va poursuivre son chemin et mettre en œuvre son idée, et rira bien qui rira le dernier. Avec l’aide de Louis, elle se sent plus forte, et surtout elle n’est pas seule pour surmonter les épreuves. Elle ouvre la porte et pénètre chez elle, où Manon l’attend pour quelques caresses et une bonne ration de croquettes.

 

*

 

Zoé et Louis déjeunent ensemble d’un café et d’une salade niçoise et passent l’après midi à travailler sur leur projet, notamment sur la conception et l’agencement du futur site. Vers dix huit heures, Louis qui a perdu l’habitude de rester concentré et de travailler si longtemps émet le besoin de faire une pause.

 

  • Eh bien arrêtons-nous là pour aujourd’hui Louis, vous êtes fatigué et moi aussi, et je dois me préparer pour aller voir Olympe.
  • Je vois que tu es ravie !
  • Vous pouvez le dire ! ne vous moquez pas de moi, je me serais bien passée de revoir cette fille. Enfin je suis contente de notre journée de travail, j’ai de la matière pour travailler demain avec Cezary sur le montage du site.

 

Louis traverse l’appartement en deux enjambées, ouvre la porte et commence à descendre lourdement les escaliers.

 

  • Il va falloir que je me remette au sport, dit-il en se retournant vers Zoé qui lui dit au revoir depuis le seuil. Le vélo ou la marche, ce serait bien.
  • Un vélo pour les livraisons ? c’est une bonne idée, non ? reprend Zoé, ça doit pouvoir se trouver facilement !
  • Oui, un vélo ! c’est parfait pour les déplacements de proximité !
  • Ah ! nous sommes d’accord une nouvelle fois !
  • Oui ! tu remarqueras Zoé que nous sommes toujours fondamentalement d’accord.
  • Mais, oui, nous avons les mêmes valeurs, c’est certain !
  • Au fait, tu te souviens de la dame avec qui je parlais dans la cour tout à l’heure avant de monter ?
  • Oui bien sûr, elle habite dans votre bâtiment, je la vois souvent partir faire ses courses.
  • Eh bien tu vois je commence à constituer notre réseau, le bouche à oreille, il n’y a que ça de vrai ! et ça marche très bien. Je lui ai dit que nous allions monter un site pour des cours de cuisine à domicile et des livraisons de plats cuisinés prêts. Elle est ravie de l’idée, et je crois qu’elle a peut être bien envie de faire partie de l’aventure !
  • Louis, vous être génial !
  • Pas tant que ça Zoé, mais je m’améliore. Comme elle est très bavarde, je suppose que l’idée a déjà fait le tour de l’immeuble.
  • Il nous faut passer à la réalisation maintenant ! vous nous mettez la pression !
  • Absolument ! Allez, j’y vais, bonne soirée tout de même Zoé !
  • Bonne soirée Louis.

 

Zoé referme doucement la porte et s’apprête à contre cœur à s’habiller pour sortir avec Olympe. Si elle osait, elle demanderait bien à Zebediah de l’accompagner, mais supporter Olympe est une épreuve impossible à imposer à quiconque.

 

Zoé choisit un pantalon noir étroit, un chemisier noir à tout petits pois blancs et des ballerines noires. Sa tenue est toute simple mais chic. C’est ce qu’il faut pour affronter le regard critique d’Olympe. Elle sait qu’Olympe va la dévisager de pied en cap avant même de lui dire bonjour et entamer la conversation. Si quelque chose lui déplait, Olympe lui fera remarquer aussitôt et y reviendra fréquemment par des allusions bien ciblées et déstabilisantes tout au long de la soirée.

 

  • C’est étrange, car elle n’est pas parisienne et pourtant elle se comporte comme telle. Et ça depuis toujours. Elle doit avoir des gènes d’ici, c’est certain. Encore si c’était sympa et instructif, je pourrais peut être progresser dans ma compréhension de la mode et le décryptage de ses codes. Mais là, je suis sûre que ça va bloquer en moi toute intention de m’améliorer.

 

Zoé prend son sac et ses clés, vérifie que la gamelle de Manon contient des croquettes, le bol de l’eau et pas de chouchou, et que la litière est propre, et quitte l’appartement la mort dans l’âme. Elle descend l’escalier lentement, et lorsqu’elle arrive au rez-de-chaussée, elle souhaiterait que les marches continuent de descendre et ne s’arrêtent jamais, pour qu’elle ne soit pas obligée de traverser la cour et d’aller prendre le métro.

 

  • Tiens, si je choisissais le bus, c’est beaucoup plus long et pour peu qu’il y ait de la circulation, je pourrais même arriver une heure trop tard. Et involontairement ! Bon ..., je ne suis pas lâche, j’y vais tout de même, mais ça m’arrache le cœur.

 

Elle laisse passer une rame avant de monter dans le métro, pour ralentir sa progression vers le rendez-vous. Elle arrive enfin devant le café Jaune, rue de la D. Il est pile vingt heures, elle n’a même pas réussi à être en retard.

 

  • Moi aussi je suis une looseuse, se dit-elle avec amertume. Je commence déjà à me faire marcher sur les pieds par cette fille que je déteste, avant même de l’avoir rencontrée. Je ne suis même pas capable d’arriver trop tard. Il faut que je mette fin tout de suite à son envahissement. C’est bon pour ce soir, et après, pfuit, bonsoir pour toujours.
  • Zoé, par ici, hèle une voix depuis la petite terrasse. Je suis là !

 

Olympe est déjà assise à une table ronde, une tasse de café devant elle, les jambes croisées artistiquement. Elle porte un extravagant ensemble noir fluide, ses bras sont couverts de bracelets en argent ciselés, assortis à ses escarpins. Immédiatement, Zoé se sent minable avec ses pauvres habits de brocante et ses simples ballerines. 

 

  • Salut Zoé, on s’embrasse, en souvenir du temps du lycée ! dit Olympe en se soulevant à demi. Trop contente de te voir ! ça fait plaisir de retrouver des gens de chez soi, avec qui on a partagé plein de choses !

 

Zoé est un peu surprise par cet enthousiasme qu’elle juge factice. Elle reste très méfiante vis à vis de la créature qui la regarde et effectivement la toise de haut en bas.

 

  • Tu prends quoi Zoé ? ton éternel thé ou une boisson plus corsée ? insiste Olympe en recroisant ses jambes et en laissant négligemment l’un de ses escarpins pendre et se balancer au bout de son pied.
  • A cette heure-ci, je pense qu’on peut prendre un verre de vin, non ? répond Zoé, peu impressionnée par cette manœuvre.
  • Excellente idée, dis moi tu progresses, tu deviens une véritable autochtone !
  • Mais qu’est-ce que tu crois Olympe ? je suis moi aussi sortie de ma province !
  • Allons, ne te fâche pas Zoé, je te taquine !  Rouge ou blanc ?
  • Peu importe, rouge de préférence. Et du Bordeaux.
  • Garçon ! deux verres de bordeaux rouge s’il vous plaît, demande Olympe. Dis-moi, comment va ta nombreuse famille ?

 

Zoé n’a pas très envie de raconter la vie des siens à cette fille, qui guette la moindre faille dans la conversation et le moindre dérapage de Zoé pour se moquer des Muid. Adolescente, Olympe avait été amoureuse tour à tour de chacun des frères de Zoé, mais n’avait réussi à en séduire aucun. Aussi, garde-t-elle pour eux une rancune sans limite. 

 

  • Ils vont bien, la vie là bas a peu changé, c’est toujours difficile pour joindre les deux bouts. Papa est très fatigué de tant travailler dans le magasin, et Maman aussi. Je ne veux pas les accabler avec mes petits soucis ici, je me débrouille.
  • Tu as des problèmes ?
  • Comme chacun de nous, la vie n’est pas rose tous les jours.

 

Zoé essaie de jouer l’indifférence, mais elle s’est déjà aventurée trop loin pour tromper la fine mouche qui l’interroge. Et puis elle se dit que plutôt que de se laisser agresser et coincer sans se défendre, c’est elle qui va aller au combat.

 

  • Et pour toi Olympe, comment ça se passe à Paris ? attaque-telle, comment as-tu fait pour financer ton école de stylisme ? ta famille n’était pas fortunée non plus ?
  • J’ai eu une bourse au départ, et puis j’ai fait plein de petits boulots pour me payer cette école. De la couture pour des gens, à droite à gauche, tu sais tout le monde a toujours besoin d’un ourlet, ou de rallonger ou raccourcir une robe, ou je ne sais quoi. C’est ma grand-mère qui m’a tout appris en couture. 
  • Cà c’est drôle ! c’est pareil pour moi, c’est aussi ma grand mère qui est mon mentor pour la cuisine.
  • Pourquoi tu me parles de cuisine ? tu es dans le web, non ?
  • Oui je me sers du web pour faire de la cuisine.
  • Ah ! çà c’est cool. Et tu fais quoi exactement ?
  • On est en train de monter un site pour vendre de la prestation à domicile, cours de cuisine, préparation de plats, de repas, livraisons, etc …
  • Waouh ! tu vois les choses en grand ! Où est-elle la petite Zoé timide qui disparaissait dès qu’on lui parlait ?
  • Elle est là.
  • Raconte-moi un peu ton initiative, c’est une start-up ? demande Olympe avec une curiosité proche de la gourmandise.

 

Zoé se lance dans une brève explication, sans trop donner de détails. Rapidement elle relance la conversation sur les activités d’Olympe pour ne pas trop en dire sur les siennes.

 

  • Et donc tu travailles chez un créateur ? demande-t-elle, apparemment presque intéressée de savoir ce qu’Olympe fait, comment tu l’as rencontré ?
  • Comme je faisais mes travaux de couture, l’une de mes clientes qui connaissait Paolo lui a parlé de moi. Et de fil en aiguille, si je puis dire …. on s’est vus et il se trouve qu’on est complémentaires.
  • Le hasard fait toujours bien les choses. Mais rappelle-moi, c’est bien lui le créateur ?
  • Mais oui ! répond vivement Olympe qui n’a pas capté la subtilité. Alors dis-moi tes frères, comment vont-ils ?
  • Ca va, rien de spécial. Et donc après ton école, tu as pu tout de suite commencer à travailler ? Zoé dévie vite la conversation du sujet ‘famille Muid’ qu’elle ne veut pas aborder.
  • Oui, c’est à peu près ça, sauf que je n’ai pas fini mon école, j’étais vraiment ruinée ! plus un sou. Alors j’ai dit oui à Paolo pour un temps complet, et me voici styliste à tout faire. Dans ce milieu c’est la notoriété qui compte. Avec Paolo, j’apprends énormément. Mais je garde toujours mes bases enseignées par ma grand-mère. Parfois ça énerve Paolo car je me permets de critiquer sa technique, mais en même temps il aime bien que je ne sois pas toujours d’accord avec lui, il apprécie mon avis. Enfin je dois doser mes interventions car il est susceptible, je ne dois pas le brusquer.
  • Ah, je vois, répond Zoé. Elle vit toujours ta grand-mère ?
  • Non, la pauvre, elle a tant souffert. Tu sais, ce n’était pas toujours facile dans ma famille. Elle en a conçu beaucoup de tristesse et elle a fini par se laisser mourir de chagrin.
  • Comme c’est malheureux.
  • Oui, j’ai toujours beaucoup de peine quand je pense à elle. Sa vie a été trop courte et elle méritait mieux. Et toi, je me souviens de ta grand-mère, Mamina. C’est un peu ridicule comme petit nom, non ?
  • Ne critique pas, je l’ai toujours appelée comme ça et je l’adore. Je l’appelle très souvent au téléphone. Elle est mon ancrage chez nous, la seule qui ait vraiment du temps à me consacrer n’importe quand. Mes parents sont bien trop occupés pour s’intéresser à ce que je fais, ou ne fais pas d’ailleurs.
  • Ce n’est pas cool, mais c’est pareil pour moi. On est des déracinées toutes les deux, et moi je n’ai plus ma grand-mère. On est ici à Paris, et notre cœur est ailleurs. Est-ce que tu as un mec ?
  • Non. J’ai trop de choses à penser et à régler pour me préoccuper de ça maintenant.
  • C’est totalement nul ce que tu dis, si tu rencontres quelqu’un, peu importe ce que tu fais, l’amour prend toute la place.
  • Vu ce que tu dis, j’en conclus que tu es amoureuse. Et je ne suis pas d’accord avec toi, je ne me sens pas déracinée à Paris.
  • Je viens de me séparer de mon copain, Auguste. Il n’a pas été correct avec moi, enfin je préfère ne pas en parler, c’est une affaire terminée maintenant. C’est pour ça que je suis un peu déphasée en ce moment.
  • Je comprends, c’est dur. Tu as peut être des amis pour te soutenir et t’accompagner.
  • Non, je n’ai pas beaucoup de vrais amis, des connaissances seulement. Et toi ? tu semblais faire partie d’un joyeux groupe au restaurant.
  • Oui, je suis bien entourée de gens sympas. Ils m’aident tous pour monter mon site internet. On va créer une association ensemble.
  • Je suis impressionnée.
  • Mais non, surtout pas ! voilà Olympe, c’était cool de se revoir, mais là je dois partir, ma colocataire m’attend pour aller à une soirée, dit Zoé en regardant soudain sa montre avec insistance. 

 

Zoé invente n’importe quoi pour s’enfuir, cependant elle est touchée par la franchise d’Olympe et ne sait plus trop quelle attitude adopter. Ce n’est pourtant pas une raison pour s’éterniser sur cette terrasse avec Olympe, et Zoé se lève de son siège pour couper court à la conversation.

 

  • D’accord, on se revoit bientôt ?
  • On s’appelle ?
  • C’est noté, salut Zoé, à la prochaine !
  • Salut Olympe.

 

Zoé ouvre son sac et sort un billet de son porte-monnaie pour payer son verre de vin, mais Olympe lui fait signe que c’est elle qui va régler la note.

 

  • La prochaine fois je t’apporterai une petite bourse en peau, c’est moi qui les fais, tu verras elles sont top !
  • Merci pour le verre, bonne soirée à toi ! salut.
  • Bon retour Zoé, à la prochaine !

 

Dans la rue, Zoé se met presque à courir pour fuir la présence d’Olympe. Elle ne veut pas remplacer son porte-monnaie, c’est un cadeau de Mamina. Mais l’intention est tout de même bonne.

 

  •  A la maison maintenant !

 

Une demi-heure plus tard, Zoé pousse la porte de son appartement et retrouve la chaude atmosphère familiale. Manon est sur le sofa et fait sa toilette consciencieusement (elle a probablement exercé ses griffes quelque part juste avant). Lucia a enfilé son tablier à fleurs et manipule les ustensiles de cuisine avec dextérité.

 

  • Ciao Zoé, comment ça s’est passé avec Olympe ? va tutto bene ? Guarda ![1] je te prépare des spaghettis alla bolognese pour te remonter le moral ! non è meraviglioso ? [2]
  • Si, je savais que je pouvais compter sur toi pour me sortir de la morosité !
  • E dopo, une petite séance de cinéma, ti piace ? [3]
  • Cà me plait !
  • Allora, andiamo, a tavolo amici, buon appetito ! [4]

 

Elles s’installent autour de leur petite table et dégustent les pâtes si délicieuses en devisant gaiement. Après dîner, elles sont si fatiguées qu’elles n’ont finalement pas le courage de sortir. Elles restent à discuter sur leur sofa avec une bonne tisane chaude, et une petite musique les accompagne. C’est une soirée agréable, reposante et ça leur fait du bien de se retrouver toutes les deux, entre amies.

 

Au bout d’un moment, Manon vient d’étendre entre elles, réclamant câlins et caresses. Les filles s’amusent de la voir ronronner et se détendre. Bientôt Manon est sur le dos, et montre son ventre laineux, elle est en toute confiance. Puis voyant qu’on s’intéresse à elle, se retourne et se met à griffer pour jouer, d’abord les mains qui la caressent, puis le sofa sauvagement, par contradiction. Zoé la chasse illico.

 

Après la vaisselle, les filles vont se coucher, et Manon, calmée, rejoint vite Zoé sur son lit. Toutes les trois s’endorment rapidement dans leur petit appartement chaleureux.

 

*

Le lendemain matin, Zoé se lève tard et prépare son petit déjeuner. Aujourd’hui elle va s’occuper du logo et commencer à rassembler du  contenu pour le nouveau site.

 

Soudain, quelqu’un frappe à la porte. Zoé ouvre, c’est une vieille dame. Zoé l’a déjà vue dans le quartier, elle n’est pas certaine qu’elle habite l’immeuble. La vieille dame est un peu essoufflée d’avoir monté les cinq étages à pied.

 

  • Bonjour Mademoiselle, je suis Mme Robinat, Eugénie Robinat. Vous pouvez m’appeler Eugénie. C’est Louis qui m’a donné votre nom et votre étage. Voilà, je connais Louis depuis longtemps, je lui apporte quelquefois des petites choses à manger, je discute avec lui, je le plains tant, le pauvre homme. Enfin bref, nous causons. Et je lui ai souvent dit que je m’ennuyais, que les journées me semblaient longues et les soirées encore plus. Bien sûr j’ai des enfants, mais ils habitent loin et ils ne viennent pas beaucoup me voir. Mon mari est mort depuis longtemps, la plupart de mes amies aussi, ou alors elles sont malades ou parties dans des maisons médicalisées. Louis m’a parlé de votre projet, et moi ça me plairait bien de participer. J’aime faire la cuisine, Qu’est-ce que vous en pensez ?
  • Mais c’est formidable Eugénie, bien sûr que vous pouvez rejoindre notre aventure. Pour l’instant c’est en construction, mais dès qu’on pourra, on fera appel à vous !
  • Ah mais je voudrais participer tout de suite, vous comprenez, je n’ai plus de temps à perdre !
  • D’accord Eugénie, on va vous trouver une activité. Je vous en prie, entrez donc ! Déjà vous allez me dire tout ce que vous savez faire, et on va préparer un planning pour vous. Comme ça on pourra proposer vos services sur notre site. Vous serez notre première bénévole ! Vous savez que pour l’instant nous n’avons pas d’argent, alors si vous nous aidez, il faut accepter que ce soit pour rien, au moins au début.
  • Avec toute la joie que je pourrai en retirer, croyez-moi, je serai largement rétribuée ! Faire partie d’une communauté, me sentir utile, cela ne m’est pas arrivé depuis longtemps. Alors vous pensez si je me moque de la rémunération ! par contre je ne suis pas contre la fourniture des matières premières, car je ne suis pas riche … je suis veuve et je n’ai pas travaillé, c’est mon mari qui ramenait l’argent du foyer.
  • Je comprends Eugénie. C’est un de nos axes d’étude, nous devons trouver le moyen d’avoir des aliments frais et de bonne qualité, mais à prix raisonnable. Sinon nos prestations seront trop chères et nos clients iront voir ailleurs.
  • Ah pour ça, j’aurais peut être bien une idée. Je connais des gens qui ont un petit jardin ouvrier et qui vous donneraient bien volontiers leur surproduction.
  • Quelle générosité Eugénie ! c’est une super idée !
  • D’autant qu’ils ne sont pas les seuls, d’autres personnes autour d’eux seraient contentes aussi.
  • Mais on pourrait peut être la leur acheter ? Ca leur ferait un peu d’argent ?
  • Non, ils n’ont pas le droit de vendre ce qu’ils produisent, mais ils peuvent le donner pour ne pas gâcher. Pour les aider, on pourrait leur acheter des graines. Ca permettrait de refaire le cycle.
  • Il faut absolument que nous creusions cette idée ! je vais transmettre l’information à Louis qui va faire les recherches. Vous pourrez nous donner les coordonnées de vos amis ?
  • Oui, bien sûr. Vous savez, ils ont aussi des poules, donc des œufs. Ca pourrait aussi être utile.
  • Je suis impressionnée, Eugénie, vous avez plein d’idées !
  • C’est qu’à force de m’ennuyer, ça m’a fait travailler l’imagination. Vous verrez, j’ai plein de recettes incroyables.
  • Eugénie, je vous offre une tasse de thé et on commence à compiler tout ça ?
  • On y va, Mademoiselle.
  • Moi c’est Zoé.
  • On y va, Zoé. Et vous avez un charmant petit chat.

 

Manon arrive, surgie de nulle part, queue toute droite, elle se rapproche d’Eugénie et vient se frotter contre ses mollets.

 

  • J’ai un chat moi aussi, alors votre chat doit le sentir.
  • C’est une petite chatte, et elle s’appelle Manon. Quelle hypocrite cette Manon, pense Zoé en voyant le chat se pavaner devant la vieille dame.

 

Eugénie se penche et caresse Manon qui ronronne comme une forge.

 

  • On voit que vous aimez les chats !
  • Oh oui, Mousse est mon compagnon depuis de nombreuses années. On se comprend tous les deux.
  • C’est joli Mousse comme petit nom, on imagine qu’il a le poil très doux !
  • Oui, je lui donne des sardines et du thon, c’est moi qui lui prépare sa pâtée, et ça lui fait un poil superbe.
  • Vous lui faites de bons petits plats à ce que je vois ! Allez, venez Eugénie, je vous la fais cette tasse de thé ?
  • Volontiers !

 

Eugénie suit Zoé dans la pièce principale et s’installe sur le sofa. Manon saute à côté d’Eugénie et se roule en boule.

 

  • Voilà ma petite amie Manon qui vient chercher de la compagnie !
  • Votre tasse de thé, Eugénie, vous voulez aussi du sucre, du citron, du lait ?
  • Un peu de citron et de sucre s’il vous plaît Zoé.

    

Décidément, le sofa rouge est un vrai lieu de rencontre. Zoé et Lucia ne l’auraient jamais cru en achetant un vieux canapé tout défoncé. Les mains de fée de Lucia ont fait merveille, avec du velours rouge et beaucoup d’habileté. C’est maintenant un sofa original, confortable et accueillant, malgré les nombreuses tentatives de déchirures de Manon.

 

  • Quelle jolie pièce vous avez, à cet étage c’est un peu difficile à atteindre, mais on a une belle vue dégagée.
  • Où habitez-vous Eugénie ?
  • Dans le même immeuble que Louis, c’est à dire en face de chez vous.
  • Je savais que je vous avais déjà vue, mais je ne me souvenais plus où.
  • Moi aussi je vous connais, je vous vois souvent courir, grimper et descendre ces escaliers avec l’énergie de la jeunesse. Et le petit jeune homme qui habite avec vous est bien sympathique aussi.
  • Vous voulez parler de Zebediah ? il habite l’étage au dessus, ici nous sommes deux filles, Lucia, une italienne et moi.
  • Ah bon, pourtant je vous vois quelquefois avec le jeune homme, et ma foi il me semblait que vous étiez amis …
  • Nous nous connaissons bien en effet, Zebediah me rend plein de services.
  • Zebediah, quel drôle de prénom, je me demande où ses parents sont allés le chercher.
  • Voyons Eugénie ! ça ne nous regarde pas, au moins c’est original.
  • Zoé aussi ! Deux prénoms qui commencent par Z, c’est un signe. Mon mari et moi nous avions deux prénoms qui commencent par un E, et bien je vous le donne en mille, il s’appelait Eugène. C’est curieux n’est ce pas ? Eugène et Eugénie. Je suis convaincue que c’est ça qui nous a rapprochés au début. Après non, on se fréquentait, mais tout de même !
  • Vous êtes incroyable Eugénie, et dire que je ne vous connaissais pas !

 

Zoé est ravie de parler avec cette vieille dame si décalée. Tout ce qu’elle dit est drôle, plein d’esprit et d’intelligence, elle pétille. Zoé comprend qu’Eugénie a peu l’habitude de converser avec d’autres personnes, qu’elle est solitaire. Alors tous les prétextes sont bons pour parler et être spirituelle.

 

Lorsqu’elles ont fini de boire leur thé, Zoé propose de raccompagner Eugénie et d’aller voir Louis pour lui parler des jardins ouvriers.

 

  • C’est bientôt midi, il va être l’heure de préparer le repas, intervient Eugénie.
  • Eugénie, il n’est même pas onze heures ! vous avez déjà faim ?
  • Non mais vous savez, préparer le repas c’est long et j’aime bien me faire des petits plats. Je fais des petites quantités, mais je cuisine. C’est un de mes plaisirs dans la vie.
  • Alors je crois que vous êtes faite pour participer à notre aventure. Le nom de notre association, c’est un hommage à ma grand-mère. Je l’appelle Mamina, elle m’est très chère.
  • Comme j’aimerais la rencontrer !
  • Elle ne se déplace plus beaucoup, elle est très âgée.
  • Je pourrais peut-être aller la voir moi ?
  • Pourquoi pas ? c’est en province vous savez, il faut prendre le train.

 

Eugénie et Zoé descendent les cinq étages assez lentement, au rythme d’Eugénie, tout en continuant à échanger.

 

  • Tiens, Louis est dans la cour. Il commence à faire frais, mais il aime prendre le soleil et c’est la bonne heure, le temps est doux aujourd’hui.
  • Bonjour Louis !
  • Bonjour, Eugénie et Zoé, vous voilà toutes les deux enfin réunies ! alors vous avez fait connaissance ?
  • Oui et nous avions plein de choses à nous dire, et nous avons plein de choses à vous dire.
  • Venez vous installer à côté de moi, je partage mon banc, et excusez moi, je laisse la place du milieu à ma grand mère préférée !
  • Merci Louis.

 

Zoé et Eugénie prennent place sur le banc et exposent à Louis le fruit de leur échange. Louis est tout de suite émoustillé par l’idée des jardins ouvriers.

 

  • Des légumes, des fruits, des œufs, et même sûrement des fleurs ! C’est très intéressant !
  • Et Eugénie a plein d’idées de recettes, et une envie incroyable de participer à notre aventure.
  • Mais oui je le sais !
  • Je crois qu’ils fabriquent aussi du miel, intervient Eugénie, car j’en acheté l’année dernière. C’est merveilleux, du miel à Paris, non ? Et il est délicieux.
  • Eugénie, dit Zoé, je ne veux pas que vous vous fatiguiez à monter les cinq étages pour venir me voir, je vois que vous êtes essoufflée.
  • Oui, c’est vrai, je l’ai fait parce que c’est la première fois qu’on se voit et qu’on se parle, et comme ça je connais votre appartement qui est si charmant, et votre petite chatte. C’est important de savoir où les amis habitent !
  • Maintenant il ne faut plus recommencer, il faut garder vos forces pour aller cuisiner chez nos futurs adhérents ! Il faudra qu’on s’assure qu’ils ont un ascenseur pour ménager votre cœur.

 

A cet instant, le téléphone de Zoé vibre, c’est Cezary.

 

  • Salut Zoé !
  • Salut Cezary, tu vas bien ?
  • Oui, tu te rappelles, je dois venir te voir pour construire le site internet avec toi, quand est-ce que tu es dispo ? car les choses s’accélèrent pour moi côté embauche et bientôt je risque d’avoir moins de temps !
  • C’est très sympa Cezary, tu peux venir maintenant si tu veux. Ou je peux te rejoindre quelque part, comme tu préfères. Si tu viens, on déjeunera ensemble, je préparerai quelque chose.
  • Alors bien sûr je viens, répond Cezary en éclatant de rire, j’aime trop ta cuisine Zoé !
  • C’est d’accord, je t’attends, je suis dans la cour en bas, on remontera ensemble.
  • J’arrive, je pars tout de suite.

 

Zoé indique à Louis que Cezary et elle vont commencer à monter le site internet avec les éléments qu’ils ont identifiés.

 

  • Je monte préparer mon déjeuner, dit Eugénie, venez si vous voulez Louis, j’en ai assez pour deux personnes et je vous donnerai les coordonnées de mes amis qui ont les jardins ouvriers.
  • Très bonne idée, Eugénie !

 

Louis et Eugénie s’éloignent vers leur immeuble, Zoé reste assise au soleil en attendant Cezary. Elle savoure cet instant paisible et la promesse de jours meilleurs. Elle commence à voir s’épanouir autour d’elle plein de gens formidables, elle a un peu peur de les décevoir, mais en même temps elle se dit que toute cette énergie rassemblée va forcément produire quelque chose de positif. Comme elle lève la tête, elle aperçoit Eugénie à sa fenêtre, au premier étage qui lui fait un grand signe d’amitié, Zoé lui répond aussitôt par un geste analogue.

 

  • C’est incroyable de penser qu’il y a quelques heures je ne connaissais pas Eugénie, quelle personne étonnante ! Derrière Eugénie apparaît la silhouette de Louis en contre jour, et Zoé a un élan au cœur quand elle le voit si transformé. Au fond, il avait besoin de peu de chose pour sortir de sa solitude, un peu qu’on s’intéresse à lui et le voilà un autre homme. Si je ne réussissais que çà, je pourrai tout de même être fière de moi, pense-t-elle.

 

Quelques minutes plus tard, Cezary arrive, tout ébouriffé, portant à bout de bras son éternel sac contenant son pc. Il a un sourire craquant, jusqu’aux oreilles.

 

  • Salut Zoé, je suis pressé de me mettre au travail pour donner naissance à notre site pour de vrai !
  • Alors on y va !

 

Tous les deux bondissent vers les escaliers qu’ils grimpent quatre à quatre jusque chez Zoé.

 

  • Cezary, installe-toi, dit Zoé une fois qu’ils sont entrés dans l’appartement, je prépare le déjeuner.

 

Vite, elle ouvre les placards et le réfrigérateur à la recherche d’une idée pour le repas. Il reste un peu de gratin de courgettes aux épices et des petits fromages de chèvre frais. Zoé coupe des tranches de pain aux céréales maison, prépare une salade et réchauffe le gratin dans le four. Le tout est rapidement prêt et déposé sur un plateau avec assiettes, couverts et verres, accompagnés d’un jus de carottes et framboises.

 

Zoé et Cezary, tout en grignotant leur déjeuner commencent à travailler sur le site internet lesdouceursdemamina.com. Zoé montre à Cezary le cahier des charges qu’elle a réalisé avec Louis, Cezary approuve les options choisies et Zoé est fière de penser à l’expertise que Louis a apporté : toutes ses suggestions sont les bienvenues.

 

  • Oui, dit Cezary d’un ton approbateur, on voit que ce n’est pas la première fois que ton ami fait ce genre d’activités, c’est clair et précis, il sait ce qu’il veut. La phrase accroche, ‘la cuisine de Mamina chez vous’, on comprend tout de suite ce que ça veut dire. J’aime bien, c’est pas mal mais c’est froid. Le nom du site, j’aime moins, le côté Mamina oui, mais sinon c’est plutôt banal, non ?
  • C’est difficile le choix de ce nom, au fond je suis un peu d’accord avec toi. Je ne sais pas quoi mettre.
  • Peut-être qu’on aura une meilleure idée ...

           

Cezary et Zoé sont passionnés par leur travail, cette fois le site est destiné à exister, ce n’est plus du virtuel. De ce fait, leur motivation est plus grande que pendant le stage, et leur expérience précédente leur permet d’être critiques et efficaces.

 

  • Cà me console de penser que le stage aura au moins servi à quelque chose, dit Zoé.
  • Bien sûr qu’il a servi, regarde, je vais bientôt avoir du boulot ! Et puis sinon je ne pourrais pas t’aider comme ça, je ne saurais pas faire !

 

Le téléphone de Zoé se met à vibrer. Zoé grimace, c’est Olympe, elle prend l’appel.

 

  • Salut Zoé
  • Salut Olympe
  • Par hasard, je passais dans le quartier, tu es là pour que je vienne te dire bonjour ? rappelle-moi ton adresse !
  • Je ne lui ai jamais donné mon adresse, juste le nom de la rue, pense avec rage Zoé, ça y est la voilà qui vient m’envahir chez moi, je le savais. Et en plus pendant que je travaille avec Cezary. Désolée Olympe, répond-elle, nous sommes en train de travailler avec Cezary, est-ce que tu pourrais repasser plus tard ?
  • Juste quelques minutes, je t’ai apporté quelque chose !
  • Je t’assure, c’est très sérieux Olympe, je profite des derniers moments libres de Cezary pour monter notre site, chaque minute compte.
  • Bon tant pis, je ne te dérange pas, je reviendrai mais pas aujourd’hui, salut Zoé, à bientôt.
  • Salut Olympe, à la prochaine.

 

Un grand sourire éclaire le visage de Zoé lorsqu’elle raccroche, et cela fait rire Cezary malgré sa concentration.

 

  • Eh bien, tu ne te laisses pas déranger quand tu bosses ! même par une bonne copine, bravo Zoé !!

 

Intérieurement Zoé se réjouit, elle vient de remporter une petite victoire contre Olympe, mais elle sait que ce n’est que partie remise, Olympe n’est sûrement pas prête à renoncer à la voir. L’essentiel est de continuer à travailler, elle s’est fixé un objectif et doit tout mettre en œuvre pour l’atteindre ! Elle se replonge dans leur activité avec fébrilité, Cezary lui est déjà totalement dans le sujet.

 

Quelques heures plus tard, Lucia arrive du théâtre, puis Zebediah frappe à la porte pour venir dire bonsoir. Lucia invite tout le monde pour le dîner, et fêter le début de l’histoire de lesdouceursdemamina.com. Cezary et Zoé font une petite démonstration de leur travail de la journée, laissant Zebediah et Lucia médusés par l’avancement du site, la richesse et les progrès de l’aventure.

 

Lorsqu’enfin tous sont rentrés chez eux, Zoé et Lucia partagent une dernière boisson chaude avant d’aller se coucher. Dès que Zoé s’est blottie sous la couette, Manon sort de dessous le lit où elle s’était cachée pendant une bonne partie de l’après-midi et de la soirée, et se faufile tout contre Zoé, qu’elle se met à piétiner délicatement. Tous s’endorment rapidement, la journée a été productive. L’accomplissement des tâches prévues procure une sensation euphorisante de plénitude et d’aboutissement, propice à un sommeil plein de rêves et de promesses. 

 

La cour en bas est silencieuse. Dans l’autre immeuble, au premier étage Eugénie dort paisiblement avec son chat Mousse à ses pieds, sous la photo d’un Eugène bienveillant. Et quelques étages au dessus, Louis est étendu sur son lit, les mains croisées derrière la tête, il ne dort pas. Détendu et repus, il laisse un sourire diffus de bien être s’épanouir sur son visage enfin apaisé.    

 

Revenu dans sa chambre de foyer qu’il trouve sinistre, Cezary s’est allongé sous ses draps froissés, il a les yeux grands ouverts dans le noir. Les idées tournent dans sa tête. Il est content de sa journée et du travail réalisé avec Zoé, mais quelque chose continue à le chiffonner, il n’arrive pas être satisfait.

 

  • Décidément, je n’aime pas ce nom de site, lesdouceursdemamina.com, c’est mou, ça ne pulse pas, ça n’accroche pas. Il faut chercher quelque chose de mieux.

 

Petit à petit ses yeux se ferment malgré eux, aucune idée géniale n’est venue l’inspirer. Quelques instants plus tard, il s’est endormi.

 

[1] Tout va bien ? Regarde !

[2]  N’est-ce pas merveilleux ?

[3] Et après, une petite séance de cinéma, ça te plait ?

[4] Alors, allons-y, à table les amis, bon appétit !

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