Chasse

Par Rachael

1654 AÉ, 122 ième

Ma cabine sur le Maxilien Roska.

 

 

La chasse... Elle ne dure jamais longtemps, puisqu'elle est basée sur l'effet de surprise. Tout l'art consiste dans la préparation minutieuse de la confrontation : cet instant de télescopage entre deux volontés de vivre ou plutôt de ne pas mourir.

Jusqu'ici, la mienne a dominé, car j'ai su me donner ce léger avantage de l'anticipation ; ces courtes secondes durant lequel je suis maître du jeu m'ont toujours suffi, quelquefois de très peu.

Ou alors, j'ai eu beaucoup de chance, tout simplement.

 

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La chasse reste mon domaine réservé. Personne d'autre ne pourrait approcher un de ces monstres. Ma protection enchâsse mes pensées dans une double sphère de silence : rien ne filtre vers l'extérieur, hormis un babillage factice, rien ne pénètre à l'intérieur. Le mutisme de mon esprit emmuré m'offre l'effet de surprise indispensable au succès. Autrement dit, je suis invisible à tous, excepté celui qui a construit cette enceinte. Aucun spion ne peut lire mes pensées, ce qui n'est pas pour me déplaire. Aucun, sauf l'Autre.

Les membres de mon unité n'en connaissent pas autant : pour eux, je suis simplement plus difficile à « lire » que la moyenne, un fait on ne peut plus exact, qui figure dans mon dossier militaire. Cet avantage crucial me désigne pour la chasse.

Celle-ci constitue l'aboutissement de mois de recherche, de maintes discussions au sein de l'équipe, suivies d'une prise de décision invariablement délicate. La suspension, ce n'est pas la mort, mais cela y ressemble quand même furieusement.

Et les risques que je cours nous font à chaque fois hésiter.

Depuis huit ans que la cellule existe, nous avons « classé » dix-huit personnes. J'ai été blessé à deux reprises. J'ai frôlé l'anéantissement bien plus souvent... à peu près dix-huit fois, en fait.

Mais notre travail ne s'arrête pas là. Nous possédons des dossiers sur tous les télépathes exceptionnels que nous avons répertoriés. Une centaine aujourd'hui, ce qui peut paraître dérisoire, mais il faut imaginer que chaque individu représente des semaines de labeur pour tous. À chaque nouveau suspect, toute l'équipe s'anime, se mobilise, enquête, cherche des indices, des preuves, des confirmations.

Les noms nous viennent de diverses sources : quelquefois, nous recevons des demandes de vérification émanant du commandement de l'armée ou des hautes sphères du gouvernement fédéral, néanmoins le plus souvent nous fouillons dans l'entourage des télépathes puissants que nous connaissons déjà. Considérant leur nombre infime, ils commencent souvent leur vie en solitaire, mais aspirent à la compagnie de leurs semblables.

Et notre dernière source, pas des moindres : quand l'Autre me balance un nom, les vingt membres de l'équipe se lancent avec frénésie dans l'enquête, car ils savent qu'elle ne sera pas vaine. Lorsque « ma source » me jette en pâture une identité, il n'y a jamais d'erreur, et la personne concernée finit le plus souvent en haut de notre liste d'individus à surveiller.

Je n'aime pas quand cela se produit. Cela ranime mes cauchemars, ravive mes angoisses, me fait perdre le goût des jours qui passent simplement. Je me lance sur la piste, tel un chien obstiné, en espérant à chaque fois qu'il s'est trompé.

Il n'aime pas cela, lui non plus, car il se sent responsable des risques que je prends.

Un jour, il me manquera ces quelques précieuses secondes, et je mourrai. J'y suis prêt. Quand cela arrivera, je n'aurai pas de regrets sur la façon dont j'ai employé ma vie.

 

 

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EryBlack
Posté le 22/04/2015
Allez, après 15 chapitres, je vais quand même laissé un petit commentaire. Je t'ai déjà dit l'essentiel sur ton jdb, mais c'est vrai que cette histoire est dans une telle continuité - les chapitres ne se distinguent quasiment pas les uns des autres, tout coule - que j'ai du mal à m'arrêter pour commenter. 
Tu m'as demandé de prêter attention aux lignes temporelles. En fait, je crois que tout dépend de la manière dont on lit l'histoire. Moi, j'ai décidé de ne pas trop réfléchir et de me laisser porter (ou plus précisément, j'ai pas vraiment décidé, c'est l'histoire qui m'a embarquée), et du coup, je ne cherche pas vraiment à comprendre. Je prends ce que le journal me donne et ce que j'en vois, pour le moment, c'est une histoire superbe. Mais je serais bien en peine de parler des détails ! Je ne crois même pas avoir retenu le prénom du héros (shame on me). Et je t'assure que ça ne fait absolument rien, j'apprécie énormément ma lecture comme ça. Après, voilà, s'il fallait que j'en fasse un résumé, je serais obligée de me plonger dedans plus sérieusement et d'essayer de bien démêler les deux lignes temporelles, les dates, les actions les unes des autres. Mais j'aime tellement ce tourbillon où tu m'entraînes que je n'ai pas envie de lire aussi précisément maintenant. J'espère que tu comprends et que ça ne te froisse pas - c'est un coup de coeur, alors pour le moment j'ai envie de rester aveugle à ce qui pourrait éventuellement être améliorable... Mais si un jour tu as besoin d'aide sur cette histoire, en relecture ou quoi que ce soit, je serais ravie de te l'apporter, vraiment. 
C'est vraiment comme si on avait ouvert un journal et qu'on tombait sur des feuillets épars - on essaye de ranger tant bien que mal, mais il reste une impression de flou sur l'ensemble - et j'adore ce flou ! Bien sûr qu'il y a tout de mêmes certaines choses qui piquent ma curiosité (quel est ce secret qu'il ne peut pas dire, par exemple), mais dans l'ensemble, je ne me pose pas de questions, je reçois juste ce que le narrateur me donne.
Bref, un très grand bravo pour cette histoire ! Je vais très vite arriver au bout je crois...
Rachael
Posté le 22/04/2015
Coucou Ery,
Ah non, je ne vais pas me froisser que tu dévores mon histoire et que tu te sois laissé embarquer ! Je me suis pas mal laissé embarquer aussi en l'écrivant, et je suis ravie qu'elle puisse faire cet effet.   
Je retiens quand même ta proposition d'aide (ce ne sera clairement pas avant un bon moment...), si un jour j'ai envie de reprendre sérieusement cette histoire. Pour le moment, mon ambition est de faire une bonne seconde version, après celle un peu brouillon du pano de cet été. 
C'est vraiment rigolo ce que tu me dis sur le héros (tu n'as pas retenu son prénom). Serait-ce parce que tu es tombée sous le charme de l'Autre ? (il est redoutable, hein?). Partagerais-tu la fascination de Sengo (oui, c'est ça son nom) pour l'Autre ? A se demander qui est le véritable héros de l'histoire ?
La suite ne va pas trop traîner, mais il va falloir que je fasse encore quelques choix temporels sur la fin, alors tout dépend si ça vient bien ou pas... 
Bizzzz ! 
Elka
Posté le 21/04/2015
Je fais une petite entorse à notre accord de 1 com' sur 2 pour une micro remarque sur ce chapitre : le "Ah, j'oubliais" qui, en plus de faire écho avec le chapitre d'avant, n'est pas nécessaire et minimise ce qui suit (et qui est pourtant très important à mon sens !)
Je tiens aussi à dire à quel point ces dernières phrases ont fait battre mon petit coeur. On a toujours vu l'Autre plutôt détaché et confiant, même quand il avait été empoisonné. Apprendre son sentiment de culpabilité envers Sengo... grouh <3 
Je refuse que Sengo meurt au fait, hein, je le précise, comme ça, si jamais tu dois changer la fin, voilà voilà *sifflote*
Ces détails sur la chasse me plaisent en tout cas ! Préserver le secret de son esprit blindé me semble effectivement nécessaire (ce serait une sacré bonne excuse pour éliminer l'Autre d'apprendre qu'il a une telle capacité !).
Allez j'embraye ! <3
Rachael
Posté le 21/04/2015
Hello,
Tu as entièrement raison sur le "ah j'oubliais". Il était plutôt humoristique, mais ne fonctionne pas et fait en plus double emploi avec celui du chapitre précédent. Je vais trouver mieux...
 " Je refuse que Sengo meurt au fait" : tu verras bien...  :P
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