1648 AÉ, 012 ième
Un hôpital, il y a six ans
J'ai vécu d'autres réveils difficiles, dans des lieux inconnus.
Comme cette fois où j'ouvre les yeux dans une chambre aux murs jaune pâle que je n'ai jamais vue, mais que je reconnais instantanément comme celle d'un hôpital.
Je ressens la même légèreté qu'en ce jour déjà lointain où je suis revenu à moi dans cet hôtel minable de Chuoo, une blessure à peine cicatrisée à la poitrine.
Légèreté ou plutôt absence de pesanteur, comme si j'étais prêt à m'envoler vers des cieux plus cléments que ceux-ci... À me détacher de ce monde.
Ce qui me retient ici cette fois-là, ce n'est pas la souffrance ou la colère. J'ouvre les yeux sur ceux de l'Autre. Que j'aime ses yeux, d'un bleu sombre d'autant plus mystérieux qu'il recèle des profondeurs insondables ! Je me nourris de l'inquiétude que j'y lis, sans paroles. Je me laisse couler entre ses cils frémissants, jusqu'au fond de ses iris.
Quiétude.
Le lien palpite entre nous. Il m'enveloppe de la certitude qu'il m'aurait regretté si tout s'était arrêté là.
Mais je suis encore vivant. Sa colère prend le pas ; elle envahit mon esprit engourdi :
- Bon sang, tu sais que tu ne vaux rien avec les femmes ? Tu hésites au moment de la décision.
Je ne me formalise pas de son intrusion. J'ai fini par m'habituer à ce mode de communication que nous utilisons pour discuter sans témoins. Un vieux reste d'indignation se manifeste encore lorsque nous sommes absolument tranquilles. Ça et l'envie d'entendre sa voix. Cependant, aujourd'hui, j'en apprécie la facilité. Cela me dispense de l'effort de parler.
- Passeras-tu ta vie à te libérer de ton éducation ? insiste-t-il.
Il a raison, je le sais, mais pourquoi se priver du plaisir d'argumenter ?
- Elle aussi, elle a hésité... sinon je ne serais plus là.
- Elle n'a pas hésité, tes petits gadgets t'ont sauvé, une fois de plus. Ils l'ont fait trébucher et t'ont permis de grappiller quelques précieuses secondes pour tirer avant qu'elle arrête ton cœur et fige ton sang dans tes veines.
Je me remémore la première fois, la première blessure ; bien sûr que j'y pense... Mon tableau de chasse ne comprend pas tant de femmes.
Kolemi avait failli me tuer, elle aussi ; cela aurait dû me terrifier, me dégoûter à jamais de m'attaquer à tellement plus fort et mieux armé que moi. Pourtant, l'instant où son emprise sur moi s'était relâchée, où l'évidence du triomphe m'avait envahi, cet instant-là, je m'étais senti vivant comme jamais.
Autrefois, j'avais commandé une flotte de centaines de croiseurs galactiques, des dizaines de milliers d'hommes, tout cela en période de guerre ; je croyais connaître la sensation de la puissance, magnifiée par la satisfaction du devoir accompli, cependant jamais je n'avais éprouvé une telle griserie ni cette certitude de me trouver à ma place.
Tout ce temps, j'avais laissé d'autres opérer en mon nom, sans jamais imaginer que la réalisation de soi passait par la présence dans l'action. Cette immédiateté de l'engagement, je l'avais vécue dans le Shuzo, mais comme un jeu, une danse entre deux individus enchaînant les attaques et les parades, sans risque et sans enjeu dans le monde réel.
Là, c'était autre chose. Ce jour-là j'avais découvert la chasse, l'excitation et la jouissance qu'elle provoque, bien que j'eusse failli tout perdre avant même de l'avoir compris.
Ça n'a rien d'une vocation de tout repos. Elle me fait avancer encore aujourd'hui. Trébucher aussi, tomber parfois ; néanmoins je me suis toujours relevé.
Jusqu'ici.
Coucou Rachael,
Voilà la réponse à une question que je me posais : c’était si les télépathes que Sengo poursuit peuvent tuer quelqu’un sans arme et sans le toucher.<br /> J’aime beaucoup le paragraphe où ils se retrouvent les yeux dans les yeux.
Donc si j’ai bien suivi, Sengo a perdu 24 heures pour se remettre de ses blessures et à peine sur pied, il doit s’attaquer au télépathe suivant… Je comprends maintenant pourquoi il s’imagine mourir lors d’une de ces missions. Ils ont beaucoup de chance que ces 24 heures de pause n’aient pas compromis la mission. Sengo semble surpris que l’Autre s’en fasse pour lui ; ça me paraît pourtant évident.<br /> En voyant que tu allais parler de Kolemi dans ce chapitre, j’ai craint que tu la rendes attachante et qu’on regrette qu’elle ait été attrapée. Elle est belle, fascinante et bien décrite, mais certainement pas sympathique. C’est curieux, avant d’arriver à la scène de la piscine, j’imaginais une femme de type asiatique. Sans doute l’influence de la télé…<br /> D’ailleurs, c’est étonnant qu’elle ne soit pas morte noyée, après avoir passé tout ce temps inconsciente, le visage dans l’eau.
Coquilles et remarques :
l'instant où son emprise sur moi s'était relâchée, où l'évidence du triomphe m'avait envahi, cet instant-là, [je dirais « à l’instant », « à cet instant-là »]
<br />
- Sengo, il faut la sortir de l'eau [il manque le point]
vacillant sur un sol mouvant comme si j'allais décoller [idem]
<br />
Concernant le chapitre Chuoo, je dois avouer qu’avec la fatigue, j’ai oublié ce qui m’a fait dire que je n’arrivais pas à raccrocher les wagons. <br /> - Il y a certainement cette mention : « continuer, six mois encore » : as-tu indiqué quelque part la durée du contrat, si je peux dire ainsi ?
- « Mais je ne crois pas être encore en état de m'occuper de tes petits ennuis. » De quels ennuis s’agit-il ? Si c’est indiqué dans un chapitre précédent, je ne sais pas où chercher…
- Je m’étais imaginé que le chapitre « Indignation » se passait pendant la disparition de l’Autre. J’ai comparé les dates… et ce n’est pas le cas.
En conclusion, il semble que lorsque je me fais une idée de ce qui se passe, je suis à côté de la plaque...
Ah, non, c'est vrai, Kolemi n'est pas sympathique. Je me demande pourquoi tu la voyais asiatique... Pour Kolemi, tu as raison, on peut penser que son complice ne l'a pas tiré de l'eau (alors que si). Je vais préciser ça !
six mois encore --> ils se voient tous les six mois pour renouveler la protection de Sengo.
Le chapitre "indignation" pourrait se passer un peu n'importe quand, puisque Sengo y jette des réflexions assez générales.
Merci !