Je me réveillais. Doucement, le sommeil me désertait. Hors de question d’abandonner mon lit, j’étais bien. Tout pouvait attendre - je raffolais de ces instants où mon matelas m’était si confortable. Avec délice, je frottais mes pieds de gauche et de droite, étirais mes jambes, orteils en l’air. J’explorais timidement les poches de fraicheur avant de m’en retourner vers les recoins encore chauds de la nuit. Une odeur de brise matinale embaumait la pièce.
Étrange.
Je ne me rappelais pas avoir ouvert la fenêtre. Mais c’était agréable, je prenais. D’autant que mon réveil n’allait pas tarder à sonner et cette magie serait brisée.
Une minute. Le réveil. Je l’enclenche pour partir à l’heure. Mais pourquoi ? Travailler. Mais où ? Je ne m’en rappelle pas… Pourquoi ?
Tout me revint alors, froide claque matinale.
Respire. Tout va bien. Des rêves étranges, on en a déjà eu.
Je serrai plus fort les paupières, à m’en ratatiner le visage. J’ouvrirais les yeux dans un instant et je me retrouverais sous ma mansarde, seule. Mais en possession d’une sacrée histoire à partager avec ma voisine du dessous.
Sauf que je ne reviens pas sur son visage… ni même sur son nom.
Un cri de ressorts trahit une présence proche ; je n’étais pas seule.
— Vous êtes réveillée.
La voix était fraiche et une rondeur maternelle laissait deviner un vif soulagement. Un sursaut d’espoir me représenta sur un lit d’hôpital, souffrant d’amnésie et m’éveillant d’une nuit troublée d’intrusifs cocktails médicamenteux.
— Je me suis permise d’aérer un peu, j’espère que vous n’avez pas froid ?
Je secouai la tête sans desserrer les paupières.
— Se disant, je ne cherche pas à vous donner une quelconque pression, mais sachez que vous dormez depuis presque un jour et demi. Ils ont été patients à votre égard, mais vous renverriez une meilleure image de vous en quittant le lit, maintenant.
La tentation de ramener les draps par-dessus ma tête était forte, la raison l’emporta. J’ouvris les yeux sur une superposition de tissus vaporeux, gris lune, maintenus en l’air par quatre poteaux d’un bois clair.
Un lit à baldaquins.
J’observai en silence ce ciel de lit trop élégant pour une chambre d’hôpital, trop volumineux pour mon appartement, trop luxueux pour mon mode de vie. La voix combla mon manque de réaction :
— Cette teinte vous plait ? Je me suis renseignée auprès de Sieur Cazelain sur la teinte de vos iris. L’on dit que contempler des tons similaires peut apaiser nos angoisses. Cela m’a semblé de bonnes dispositions pour votre premier éveil en ce monde. Toutefois, je pourrais aisément les changer, les malles du Château regorgent de tissus de qualité étonnamment conservés.
C’est quoi ce charabia ?
Je me redressai sur un coude pour associer un visage à cette voix. Un douloureux pincement m’arrêta à mi-chemin. Je rebroussai chemin vers le matelas, mais c’était supportable, j’avais surtout été surprise.
— Comptez encore deux jours et votre corps sera comme neuf. Attendez, je vais vous aider.
Les ressorts grincèrent encore et une main fraiche vint se caler au bas de mon dos tandis qu’une autre me tirait par l’avant-bras d’une poigne assurée. Assise sur un vaste lit couvert de coussins et d’édredons, je découvris une jeune femme aux cheveux blonds coupés dans un rectangle très net qui étudiait ma stabilité de deux grands yeux aux iris d’un bleu uniforme. Elle portait une robe, bleue elle aussi, et un ruban du même ton ornait son poignet d’un nœud aux boucles symétriques.
— Enchantée, Luce, bienvenue au Château Lune. Je me prénomme Dana.
****
Installée sur une petite table ronde en bois d’orme, je déjeunais, étonnée de ce calme et de cet apaisement que j’arrivais à ressentir dans cet environnement pourtant sans repère. C’était peut-être l’odeur du bois huilé, elle m’évoquait avec nostalgie la famille et la sécurité. Je terminais - assez voracement - mon deuxième œuf à la coque accompagné de mon troisième toast beurré. Le thé était délicieux, noir, aux notes boisées. L’arôme du café, chaleureux - quoique je n’y aie pas touché, ne lui aimant que son odeur.
Celle qui s’était présentée sous le nom de Dana enchainait les allers et les retours depuis ma sortie du lit. À chaque fois qu’elle s’absentait de ce qu’elle appelait mes quartiers, je savourais ma solitude, ignorant de quoi l’après serait fait. J’avais un vague souvenir de ma sortie du Château. À l’instant où j’avais accepté sa main, Cazelain du Clan du Loup m’avait entrainée dans un dédale de couloirs sans jamais relâcher sa prise sur mes doigts. Nous avions marché jusqu’à une écurie, en croisant peu de monde. Il m’avait invitée à grimper dans une calèche et j’avais été rassurée de voir qu’un couple de chevaux normaux y était harnaché. L’élégant jeune homme s’était excusé de ne pouvoir m’accompagner, une affaire urgente devait le retenir une nuit supplémentaire au Château Royal.
— Mais je ne nourris aucune inquiétude pour votre retour car je vous laisse entre les mains d’une adorable jeune femme que j’ai moi-même débauchée. J’ai toute confiance en elle. Notre coche ainsi qu’un Sentinelle à la réputation solide feront route avec vous. Je vous dis à bien vite, Damoiselle Luce.
Une charmeuse œillade et il s’en était allé. J’avais dû m’assoupir en attendant l’arrivée de celle qui devait être Dana. Je ne me souvenais pas m’être éveillée durant le trajet. Encore moins à notre arrivée.
Et me voici dans mes quartiers…
Je m’estimais chanceuse, les trouvant confortables. Ils consistaient en trois pièces : la chambre, ce salon et une petite salle d’eau dont le fonctionnement me laissait perplexe - j’avais néanmoins compris qu’il me faudrait composer avec des toilettes sèches.
Une question d’habitude.
Dans cette pièce, j’avais été confrontée à mon reflet dans un gigantesque miroir à Pattes de Loup. Je m’étais vue affublée d’une robe droite, en lin, froissée, dans laquelle j’aurais pu entrer deux fois : je ressemblais à une enfant égarée. En aplatissant des mèches rebelles dressées au garde-à-vous sur la moitié de mon crâne, j’avais noté le gras de mes cheveux. Eux mis à part, mon corps était propre et frais ; quelqu’un avait dû me laver durant mon inconscience prolongée. Je n’aimais toujours pas cette idée. Le salon que j’observais depuis un moment déjà était meublé de la table en orme, de ses deux chaises, d’un secrétaire, d’une volumineuse commode et d’une causeuse aux couleurs fanées mais à l’allure confortable. Celle-ci faisait face à une modeste cheminée dans laquelle s’entassaient ces énigmatiques galets. De grandes fenêtres, trois abat-jours déposés sur des guéridons et quelques tapis concluaient le tableau.
Dana s’annonça de deux coups secs portés sur la lourde porte et entra chargée d’un gros volume relié de cuir. Elle vint s’installer devant moi, sur l’autre chaise au rembourrage généreux, recouvert lui aussi d’un tissu passé. J’agrippai ma tasse encore tiède, pressentant l’amorce d’un échange à venir. Qui était cette femme qui, pour le moment, se montrait si prévenante ?
— De la part de Sieur Wolf Storm, dit-elle en déposant l’énorme ouvrage sur la table, entre la théière et le coquetier. Il s’est dit que cela pourrait être une intéressante entrée en matière pour vous. Je ne sais s’il a tort ou raison, je ne l’ai pas moi-même lu.
J’abandonnai ma tasse pour le prendre à deux mains - il pesait son poids. La couverture était brune. Un unique mot avait été gravé en lettres dorées sur le dos : Mémoires. Je soulevai la couverture rigide, j’y lus un titre plus révélateur, décoré d’une élégante enluminure : Souvenirs et atermoiements de Lionel Jos, Sieur du Château Lune. Je tournai quelques pages au hasard : tout était manuscrit, parfois agrémenté de petits croquis - je tombai même sur une aquarelle. Je vis des ratures, l’écriture paraissait quelquefois fatiguée, des pages étaient tachées et l’on voyait que certaines avaient été pliées - probablement avant l’étape finale de la reliure.
— On dirait un journal intime.
— C’est le cas, certifia Dana. Lionel Jos a vécu dans ce château il y a plus de trois-cents ans. C’est le dernier Étranger à avoir accepté une invitation au Château Lune. Depuis vous. Il s’y est tant plu qu’il a accepté de rejoindre le Clan, il a alors reçu le titre de Sieur du Château. Il y a un portrait de lui dans le salon rouge.
Je me rendis à la dernière page, m’attendant à y découvrir de funestes mots. J’y lus ceci : Demain, j’irai moi-même cueillir ces stupides fleurs.
— Que lui est-il arrivé ?
— Rien de particulier. Il est décédé à un âge avancé, de mort naturelle m’a-t-on dit.
Je refermai l’épais volume.
Ce mort peut bien attendre.
J’observai Dana. Elle-même me regardait.
Aigue-marine. Ses iris ne sont remplis que de cette unique teinte claire et perçante. Il n’y a aucune autre nuance, aucune tache, aucun dégradé…
— Qui êtes-vous ? Pour moi ?
L’air sérieux, elle posa ses mains jointes sur la table.
— Votre Compagne.
Mes paupières cessèrent de cligner le temps d’une respiration, puis de deux.
— Votre Compagne de Château. J’incarne une fonction, non point une marque d’intimité.
Forcément. Je rougis. Elle-même était impassible.
— Et… qu’attend-on d’une Compagne de Château ?
Elle se redressa - son dos me semblait pourtant déjà bien droit - et énuméra une longue suite de tâches telles que la gestion de ma garde-robe, la décoration et le bon ordre de mes quartiers, l’agencement de mon emploi du temps, un chaperonnage en bonne et due forme…
— Vous êtes une sorte d’assistante contemporaine, tentai-je de résumer.
Elle plissa le nez.
— Évitez cela.
Je me contractai sous la réprimande.
— Vous n’avez pas remarqué ? insista-t-elle.
— … non, expirai-je. Vous allez me l’expliquer ?
Enfin, j’eus droit à un sourire. Et, soulagement, je le trouvai chaleureux.
— Vous venez de vous exprimer dans votre langue étrangère. C’est assez mal perçu. Je vous aiderai à le conscientiser afin de mieux le contrôler.
— … Vous vous mettez donc à mon service ?
— En tant que Compagne.
— Nous nous verrons donc chaque jour ? Non, vous devez avoir un jour de congé j’imagine dans la…
— Vous recommencez, coupa-t-elle en plissant à nouveau le nez. Quant à votre question, oui, nous nous verrons chaque jour. Certains sont plus laxistes mais, pour ma part, il me faudrait vivre de dramatiques circonstances pour faire la demande d’un repos : une maladie, le décès d’un proche… Bien sûr, je me garderai quelques moments pour parfaire mes connaissances utiles à votre service, mon sommeil, ma toilette et mes repas… J’y pense, si vous le souhaitez, nous pourrons en partager un par jour. Toutefois, pas plus, je suis en cela les recommandations de ma formation. Et il y a aussi à prendre en compte ces moments où la gestion de vos affaires nécessitera que je sois ailleurs qu’en vos côtés. Cela à part, une Compagne est au service exclusif, nuit et jour, de son Sieur ou de sa Dame. Ou, dans votre cas, de l’Invitée du Château Lune.
Je lui demande de répéter lentement ?
Tout de même, cela me semblait beaucoup…
— Vous faites cela par choix ?
Elle parut s’agacer.
— Oui, et sachez que j’ai mené avec assiduité la formation permettant l’accès à ce poste.
— Vous avez choisi de votre plein gré un métier où vous vous consacrez chaque jour à la vie d’une autre, dis-je sans parvenir à masquer ma perplexité.
— Faux.
Ses yeux aigue-marine me toisèrent avec froideur et elle croisa les bras, marquant l’amorce d’un fossé entre nous. Je sentis mes doigts se crisper autour du journal de Lionel Jos.
— J’ai choisi un métier où je me consacre à démontrer que je suis fine, maligne, productive, ingénieuse, polyvalente et efficace.
— J’entends, soufflai-je. Mais… Devrez-vous obéir à mes ordres ?
Je vis très distinctement le bas de sa paupière droite tressauter, une fois.
— Il serait stérile pour l’une et l’autre que notre relation s’en tienne à cela, mais vous en avez effectivement la prérogative. Ainsi que les membres du noyau familial du Clan. À ce sujet, sachez qu’en cas de contrordre ou de directives particulières, ces trois personnes se situent actuellement au-dessus de vous. Et je suis tenue de respecter la hiérarchie.
— Seulement trois personnes ?
L’exclamation m’avait échappée.
— Sieur Wolf Storm, Sieur Cazelain et Dame Isaure, leur mère, énuméra-t-elle.
Tous les Clans sont aussi restreints ?
Mais c’est une autre question que je posai.
— Y a-t-il déjà des directives me concernant ?
Elle m’indiqua que oui.
— Juste une, pour le moment : ne pas quitter l’enceinte du château. En soi, c’est une judicieuse restriction : la proche forêt peut s’avérer mortelle pour qui n’en connait pas un minimum les secrets.
— Et si je faisais de votre vie un enfer ?
Mais pourquoi tu pousses si loin ? Pourquoi ?
J’enfonçai mes ongles dans la pauvre reliure de Lionel Jos.
— Je vous répondrais qu’il me serait facile d’en faire autant, sinon plus, rétorqua la jeune Compagne en croisant les bras sous sa poitrine.
Aïe. Rattrape vite ça.
— Pour ma part, je manque de finesse, agitai-je en quête d’apaisement. En vérité, je pense comme vous, je ne vois pas l’intérêt de mener d’inutiles batailles entre nous. Je cherche juste à m’assurer que vous êtes bien là de votre plein gré et à comprendre ce que je pourrai ou non attendre de vous.
J’eus la sensation de subir un scan rétinien.
C’était pourtant bien rattrapé, non ?
— Je n’ai aucun désir de faire des vagues, ajoutai-je en articulant lentement, je veux que tout se passe au mieux.
Les poignets de Dana retrouvèrent leur place sur la table en orme. La jeune femme se pencha légèrement vers moi.
— Je vais vous faire un aveu. Je suis moi aussi nouvelle en ce lieu. J’ai tout à prouver. Et nous sommes liées. Ô, ne vous trompez pas, il me serait facile de rompre mon service et, quels que soient les bruits qui accompagneraient mon départ, je retrouverais une place sans difficulté. Mais avec une relation honnête et de l’entraide… nous pourrions combler chacune nos désirs propres.
Cette honnêteté requise, encore.
— Et en quoi consistent vos désirs ? l’interrogeai-je à mi-voix.
Une étincelle irisa les eaux froides de son regard.
— J’ai déjà presque tout gagné : je suis Compagne d’un Château de Clan. Il était inespérable qu’un tel poste me revienne. Je suis une sans-Clan, vous comprendrez bientôt ce que cela implique. Je dois cette chance à Sieur Cazelain qui a eu l’intelligence et la courtoisie de chercher quelqu’un pour ses qualités et non pour ses références généalogiques. Je compte bien démontrer que n’importe qui peut prévaloir la place de son choix s’il s’en donne les moyens et un suffisant don de soi. Un jour prochain, je postulerai mes services au Château Royal - on ne peut rêver place plus élevée dans ma profession. Je réussirai à me hisser jusqu’à ce sommet. Non pas pour la gloire, mais pour la reconnaissance de la persévérance et d’un travail correctement accompli.
Son discours était si véhément que je ne doutai pas de sa véracité. Elle se pencha encore, jusqu’à frôler la table de sa menue poitrine.
— Ne m’empêchez pas d’atteindre mon rêve, Luce… menaça-t-elle.
Je secouai la tête, mue par l’instinct de survie que cette rage d’être venait d’éveiller en moi. Alors, elle s’adoucit, retrouvant un air neutre et paisible.
— En échange, je vous serai la plus dévouée qui soit.
Je lui renvoyai un sourire crispé.
— Et vous, Luce, quels sont vos désirs ?
Là ? De suite ? Et j’espère pour toujours ?
— Vivre en sécurité, au calme et en paix.
Sa langue claqua derrière ses lèvres closes.
— Vous avez enduré des épreuves conséquentes. Je peux concevoir que vous ne souhaitiez que cela… pour l’instant. Libre à vous de revenir sur ce souhait si d’aventure vous vous décidiez à viser plus.
Je reçus un deuxième sourire chaleureux.
— Je suis heureuse que nous commencions cette relation sur des bases ouvertes et franches.
Je lui bredouillai qu’il en était de même pour moi. Relâchant la pression sur la reliure des mémoires de Sieur Lionel Jos, je m’obligeai à partager une réflexion craintive :
— Je… J’ai cru comprendre que ce Clan n’avait pas une… agréable réputation. Cela ne risque-t-il pas de contrarier votre projet ? Quoi que moi-même je puisse ou ne puisse faire ?
Le regard alerte, elle leva une paume en signe d’avertissement.
— Attention à ce que vous dites, Luce, ce sera mon premier conseil à appliquer : certaines personnes sont vaniteuses, ici comme ailleurs, à la différence qu’ici les mémoires sont vivaces et les rancœurs tenaces. Partez du principe qu’à part en de rares exceptions - dont heureusement vos quartiers font partie - les murs ont des oreilles.
— Je ferai attention, marmonnai-je en songeant qu’au cours des vingt-cinq dernières années je n’avais pas toujours su placer les bons filtres devant les bonnes personnes, m’attirant parfois bêtement des ennuis.
Dana lissa le tissu bleu de sa robe ; elle paraissait satisfaite.
— Je ne me morfonds aucunement pour la réputation du Clan. La réussite n’en sera que plus éloquente.
— La réussite ?
— Votre intégration parmi nous. Rien de moins, rien de plus.
Un gong retentit, quelque part dans le château.
— Que le temps file ! Luce, je vous propose de passer à la salle d’eau. Nous avons bien des choses à mener avant le repas de présentation de ce soir.
****
J’étais propre. Derrière moi, l’énorme cuve en pierre fumait encore. J’avais pourtant abusé, j’en étais sûre, et avais mariné un long moment dans l’eau chaude. Dana m’avait expliqué que cette Terre regorgeait de mines spéciales possédant chacune des vertus particulières. Quelques galets reposaient au fond de la cuve, repoussés à l’emplacement des pieds. Certains avaient permis de la remplir, d’autres de chauffer et de maintenir l’eau à une température voulue. C’était des galets, également, qui maintenaient l’air chaud dans les pièces du Château. Et des galets, encore, qui diffusaient de la lumière dès que les ombres pointaient. Dana s’était engagée à m’en apprendre plus. Je pressentais que ma curiosité serait salvatrice ; plus elle prendrait de place dans mon esprit, moins il y en aurait pour les autres pensées, plus sombres.
Enroulée dans une large serviette un peu rêche, je rejoignis ma Compagne du Château dans le salon, prête à écoper d’une remarque. Il n’en fut rien.
— Comment était votre bain ? Quantité d’eau ? Température ? Dureté de la cuve ? Me faut-il ajuster quelque chose ? fus-je mitraillée avec méthode.
— Non, je… C’était parfait.
Dana était agenouillée devant l’âtre dans lequel brûlait une flambée honorable.
— Il y avait déjà des galets, pourquoi y faire un feu ? m’étonnai-je.
La jeune femme se releva en s’époussetant, appuyée sur le tisonner qu’elle tenait d’une main.
— Les galets maintiennent une température ambiante décente et constante. Le feu, c’est pour gagner quelques degrés et éradiquer l’humidité. Cela sera plus confortable pour les essayages ; nous devons vous élaborer un début de garde-robe.
Galère.
Elle abandonna le crochet dans une urne patinée.
— Bien ! L’eau aiguise les pensées. Après ce bain, Luce, dites-moi, comment voulez-vous apparaitre aux yeux des autres ? Vous m’avez demandé de vous aider à vivre au calme et en paix. Mais quelle impression voulez-vous déclencher lorsqu’on posera le regard sur vous ? Désirez-vous accentuer votre jeunesse ou paraitre plus âgée ? Partirons-nous vers des toilettes simples ou sophistiquées ? Jouerons-nous l’innocence ou chercherons-nous à mettre votre féminité en avant ?
Ce moment, j’aurais juré qu’elle en avait rêvé. Mais il m’était impossible de me sentir concernée. J’allais probablement le lui gâcher. Pour commencer, je ne répondais pas assez vite au goût de son enthousiasme.
— Vous avez l’opportunité d’un nouveau départ, Luce ! Quelle image avait-on de vous dans votre précédente vie ? L’aimiez-vous ? Était-elle inconfortable ? Désirez-vous la conserver ? Ou bien la remodeler ? Dites-moi, mais dites-moi donc !
La tête me tourna. J’agrippai le tissu fané de la causeuse. Quelques gouttes s’écrasèrent dans un bruit sourd sur le haut du dossier, j’avais mal séché mes cheveux. Dana s’approcha et déposa une main fraiche qui me parut amicale sur la mienne.
— Que vous le vouliez ou non, croyez que vous allez marquer ce château et ce monde de votre présence. Vous allez y évoluer, y prendre une place. Profitez d’avoir ce pouvoir d’y mettre la forme que vous voulez.
Prendre ma place…
J’inspirai et expirai quelques lampées d’air par le nez.
Remplis ta place.
C’était l’écho d’une voix désormais oubliée. Mais le conseil, si souvent répété, demeurait vivace.
— Ni plus jeune ni plus âgée… Je veux paraitre mon âge. Quant au reste… Un juste milieu entre chaque extrême sera parfait. Je crois.
— Sage début.
Sa paume fraiche se déplaça sur mon épaule. J’en fus dérangée mais accueillis la gentillesse du geste.
— Détendez-vous, Luce, personne ne vous fera le moindre mal ici. Vous êtes en sécurité.
Elle aurait pu s’en tenir à ces quelques mots mais, pour une obscure raison, elle rajouta ceux-ci :
— D’ici à la prochaine Épreuve, vous ne risquez absolument rien.
Je sus d’instinct que les nœuds qui se formèrent dans mon ventre ne se dénoueraient pas de sitôt.
****
J'ai pris un peu de temps pour lire ce chapitre, mais ça ne change rien au faite que je suis toujours aussi fan de ton écriture.
On comprend que notre Luce adorée est au tournant d'un nouveau départ !
Hâte de voir comment il sera <3
En ce moment, je peine à boucler les chapitres, savoir que ceux postés ici plaisent m'aide à attraper les cornes de ceux du moment. :p
J'espère que tu retrouveras ton plein d'inspiration <3
Dana me plait bien aussi ! J'ai vraiment hâte de lire la suite **
J'aime beaucoup ce côté plus chill rapport aux autres chapitres, mais il ne manque pas pour autant de rythme !
Nan vraiment, je suis accro xD
J'espère que la suite te plaira aussi ^^
Hahaha, "d'ici à la prochaine épreuve" x'DDD
Pauvre Luce.
Ce chapitre est plus calme que les précédents, on découvre par un premier petit bout ce que sera la vie de Luce dans ce château.
Cette Dana me semble être un personnage positif, bien qu'elle ait son propre agenda et ses propres objectifs apparemment. Je la vois pour l'instant comme un socle solide sur lequel Luce pourra s'appuyer. Je lui souhaite en tout cas !
Cette petite pause dans la frénétique aventure est bienvenue, même si j'ai toutefois hâte de retrouver les autres habitants du château.
Je n'ai pas les mêmes goûts que Luce, j'aurai plongé tête la première dans la lecture de ces mémoires, qui ont l'air passionnantes ! Je me demande si on y retournera plus tard ou non.
En tout cas j'ai beaucoup aimé ce chapitre qui, là encore, rythme bien la lecture.
À bientôt pour la suite ! ^^
Oui... J'ai ri (tout en étant pleine de tristesse pour Luce) en choisissant cette chute.
Je suis contente que tu voies Dana sous cet angle. :)
Patience pour le livre :D (j'espère l'avoir justement exploité, c'est un de mes doutes. Pas trop, pas trop peu. Mais je ne l'aurais pas déposé ainsi sans rien en faire :p).
Je suis bien contente qu'à ce stade, tu aies toujours envie d'avancer ^^
À bientôt :)