Je n’aimais pas cet endroit. Il y faisait sombre. Le plafond bas et des poutres couvertes d’un vernis foncé donnaient l’impression étouffante d’être encaqué dans un chalet en pleine montagne. Au moins, nous n’avions plus à nous tenir en ligne comme exposés dans une vitrine. Et nous pouvions parler entre nous.
Une coupelle avait été déposée à notre attention sur une étroite table haute ; nous pouvions y déposer les rubans dont nous déclinions l’invitation. Les Clans déboutés pouvaient ainsi miser sur un autre cheval.
Je n’avais qu’un ruban et pensais toujours que c’était une aubaine.
Comparé à la crainte d’un bordel...
Mais je restais tendue, sur mes garde. J’avais connu mon lot de moments pas de chance.
Dans cette pièce, je continuais d’être jauchée. Toujours de loin. Des chuchotements piquaient ma nuque, des œillades crispaient mes doigts - que je me retenais de porter à mes lèvres ou que j’obligeais à revenir contre mes flancs lorsqu’ils se glissaient à mon insu entre mes incisives. Je n’en pouvais plus d’être débout, je n’en pouvais plus d’attendre.
Quelques camarades étaient déjà partis ; quand un seul ruban ornait notre poignet, le représentant du Clan pouvait nous ramener chez lui. Le premier avait été Adam. J’avais croisé une dernière fois ses yeux noirs. Il avait observé mon ruban bleu nuit puis avait haussé les épaules en murmurant un Pourquoi pas ? du bout des lèvres. Je lui avais souri. Sourire qu’il m’avait rendu en s’en allant dans le sillage d’une femme à la présence charismatique dont les longs cheveux cuivrés tranchaient sur sa robe émeraude piquetée de flèches dorées.
Warner avait été invité de se retirer peu après. Avaient suivi l’imposant Armand, Pas Martial - dont j’ignorais encore le nom - et Deirdre. Celle-ci s’était décidée pour le Clan de l’Abeille et le jeune homme au pourpoint bleu ciel était venu la chercher sans un regard pour Satya.
Dreadlocks n’était jamais réapparu dans la salle de réception, mais nous l’avions retrouvé dans cette pièce. Il demeurait par choix à l’écart de notre groupe et n’adressait la parole à personne. Une écharpe en soie noire maintenait son bras raccourci à jamais contre sa poitrine. Il portait une autre tenue mais ne s’était pas défait de son air bravache. Toutefois, il ne le dirigeait plus que vers le sol et ne semblait pas disposé à regarder où que ce soit d’autre.
Je n’ai aucune pitié pour toi, le condamnai-je en me tournant pour l’exclure de mon champ de vision.
L’expression de Cheveux Rouge au moment où il l’avait poussée en avant m’était encore fraiche. Et peut-être ne sécherait-elle jamais.
Je me demande où se trouve Awa…
Perdue entre trois rubans, Bérénice de Soie s’était proposée d’en parler avec elle à l’écart, pour l’aider à y voir plus clair. J’avais trouvé cela… gentil. Juste avant, l’adolescente m’avait discrètement confié qu’elle n’en revenait pas de sa chance. Elle avait survécu, comme nous tous, aux monstrueuses Bêtes, oui. Mais elle avait également échappé à une vie de servitude et à un mariage forcé avec un homme plus âgé qui la terrorisait tant qu’elle en avait envisagé le suicide. C’était juste avant qu’elle ne soit ramassée par le Bus. Elle ne se rappelait ni le visage ni le nom de ce presque futur époux, mais la violence de cette peur et de cette résolution avortée s’était gravée en elle.
— Je ne peux pas faire un mauvais choix, m’avait-elle chuchoté d’une voix anxieuse. Je veux un endroit pour vivre au calme. Pas une prison. Pas de mariage forcé. Je veux rester libre.
J’avais gardé pour moi la révélation du Brumeur sur l’espoir d’enfantement qui mêlerait notre mystérieuse force vitale à ce Peuple d’Hommes... Et je ne la jugeais pas pour son indécision, comprenant ses craintes et les estimant fondées. Je lui souhaitais de faire le bon choix.
— Damoiselle, je suis très honoré.
Je sursautai. Un petit homme - il ne devait avoir qu’une tête de plus que moi - me faisait face. D’instinct, je voulus reculer.
Méfiance.
Je n’aimai pas ce qu’il dégageait. Était-ce dû à son apparence ? Une grosse chevalière ornait son petit doigt relevé, les autres frisant un bouc filiforme qui accentuait l’aspect triangulaire de sa tête. Il avait aussi de longues incisives, légèrement enchevêtrées et prononcées - elles lui revenaient sur la lèvre inférieure. Il me détaillait d’un œil intéressé, mais pas lubrique. On dirait un chercheur de têtes qui vient de dégoter un profil correspondant à un poste resté longtemps vacant…
— Le bruit court que vous avez été honorée par le Roi.
Je fronçai les sourcils, silencieuse, en attente de la suite. Le petit homme se pencha légèrement, masquant sa bouche d’une main en coupe pour me signifier qu’il s’apprêtait à partager un secret.
— La tueuse d’Alpha… C’est ce qu’il se murmure.
J’en fus coite. Et un brin inquiète.
— Et vous avez résisté au Brumeur, ajouta-t-il, appréciateur.
Mal à l’aise, je lui chuchotai mon étonnement.
— J’ai cru comprendre que tout cela devait être étouffé et vite oublié. Il ne vaut peut-être mieux pas en parler.
Il ferma ses yeux à demi.
Et maintenant, on dirait une souris réfléchissant au meilleur moyen de gagner son fromage sans déclencher la fermeture du piège.
— Vous êtes perspicace, se délecta-t-il en étirant ses lèvres fines.
— Pas particulièrement.
Il me rebutait. Je souhaitai qu’il s’éloigne.
Et fissa.
— Ô si. Vous l’êtes. Allons droit au but, voulez-vous ?
Il m’adressa un clin d’œil de fausse connivence.
— Vous avez cerné votre délicate situation vis-à-vis de notre Roi. Malgré cela, vous avez su tirer une épingle du jeu.
Son petit doigt désigna mon poignet habillé de bleu nuit.
— Toutefois, je me dois de vous mettre en garde. La raison pour laquelle ce Clan cherche à vous débaucher est évidente. Qui, à part eux, approcherait la jeune fille dédaignée par le Roi ? Ce Clan n’a rien à perdre, mais peut-être tout à gagner. Aussi, je prends sur moi de vous révéler qu’il n’a plus aucun prestige. Il est honni. Pire, il est même maudit, frappé d’une terrible malédiction.
Regardant à gauche puis à droite, il s’approcha un peu plus avec un air conspirateur.
— Vous avez vu son visage. Effroyable. Et, j’en suis certain, vous l’avez sentie, cette chose tapie en lui.
Je sursautai. Et m’en voulus aussitôt d’avoir perdu, même un instant, mon apparence détachée.
Ainsi, je n’ai pas rêvé.
— Oui, vous l’avez sentie…, se satisfit le petit homme. Un démon habite ce guerrier. Il est responsable de tant de morts…
Wolf ? Je l’ai vu s’attaquer aux Bêtes… Il aurait aussi du sang d’Hommes sur les mains ?
Un poids dérangeant se logea au creux de mon estomac. Mon interlocuteur faisait mine de se désoler de cette sinistre révélation. Il adopta soudain un air résolu et son sourire devint mielleux.
— Soyez rassurée. Je peux vous promettre tout ce qu’il s’est engagé à vous offrir. Et à cela, je vous donnerai plus, bien plus, dès que vous serez installée chez moi pour au moins deux ou trois quatrains.
Je frissonnai. Puis réalisai qu’il attendait une réponse.
— Et vous êtes ? eus-je la présence d’esprit de demander pour éviter un incommodant silence.
Il attrapa le rebord de son chapeau haut de forme - sûrement choisi pour l’illusion de grandeur - et le fit adroitement danser dans un spectaculaire enchainement d’arabesques avant de le caler d’une main contre son dos. Alors, il s’inclina.
— Mes excuses pour cet oubli grossier. Mon nom est Xërès.
Je pinçai mes lèvres pour retenir une moue moqueuse et gardai pour moi le trait d’humour que son nom m’inspirait.
Sec et acidulé, le tout enrobé de sucre. Attention à l’abus.
— Xërès de la Maison des Lièvres, précisa-t-il.
Alors là… C’est le pompon.
Il dut prendre l’éclat d’amusement dans mes yeux pour une invitation car il se permit d’attraper mon poignet nu entre ses mains. Mon corps entier se crispa sous ce contact. Il avait une peau froide, presque glacée. Ses doigts s’étiraient comme des bouts d’os et certains ongles, longs, étaient même limés en pointe. Ils étaient immaculés, mais j’avais toujours trouvé cela sale, plus encore chez un homme. Je crus qu’il cherchait à m’imposer un baise-main mais il sortit un ruban doré de je-ne-sais-où qu’il s’empressa de me nouer.
— Je n’ai rien accordé, sifflai-je en me dégageant. Et vous me touchez sans mon accord.
— Chère Damoiselle, dit-il dégoulinant de suffisance, il va sans dire qu’il vous faudra éviter d’être si désagréable chez nous pour un contact aussi bref et innocent.
— Pourquoi diable irais-je chez vous ? grondai-je.
Xërès ne se démonta pas. Me signifiant qu’un de mes mots lui était incompréhensible, il entreprit de monologuer avec emphase pour me démontrer le ridicule de ma réaction.
— Nous sommes le meilleur de tous les établissements, il va sans dire. En plein cœur de la ville royale. Chez nous, vous apprendriez tout, seriez protégée et parée comme une reine. Tout ce que ce monde a à offrir de matériel, ou presque, nous saurions vous l’obtenir. Nous nous mettons en quatre pour celles et ceux qui acceptent d’en faire autant pour nos convives. Et, notre singularité étant le renouveau, je ne serais pas gagnant à vous garder au-delà du raisonable. Tout cela, et d’autres choses, serait mis par écrit, sur contrat, la plus sûre des garanties. Du reste, j’ai un bon flair pour les affaires du corps, et je ne vois pas ce que vous auriez à y perdre, car d’évidence vous n’êtes plus vierge.
Je piquai un fard. De gêne, de dégoût. De colère aussi, encore.
— Je… Vous ! …
Et voilà, je bafouillais, bredouillais, butais sur mes mots.
Aah !
— Nous avons nos propres Sentinelles, poursuivit-t-il sans prendre en compte ma réaction, la sécurité est l’un de nos nombreux gages. Le travail ne serait pas quotidien ; nous n’ouvrons pas chaque soir et nous avons des horaires que nous mettons un point d’honneur à faire respecter. Nous ne sommes pas un établissement à la carte, aux autres de se plier à nous. Enfin, croyez-le ou non, beaucoup de clients ne viennent que pour parler, toucher, et cela leur suffit. Si cela leur convient, ainsi qu’à vous, cela me conviendra aussi. Les moments intimes peuvent donc être rares et espacés. Et vous placeriez vous-même vos limites.
Je ne savais que dire pour l’arrêter. Il poursuivait son battage en entortillant son bouc autour de ses doigts pointus.
— La position que je vous offre me semble infiniment plus raisonnable que de s’offrir à un être réputé austère et froid, habité d’un démon, au sein d’un Clan maudit et lugubre où nombreux sont ceux, au royaume, qui évitent d’y mettre les pieds. Si vous saviez ce qu’il se murmure au sujet de ce mutilé… N’importe quelle personne saine d’esprit fuirait une telle proposition. Je vous offre la promesse du soleil et du luxe. Une gloire et une réputation que je pourrais vous aider à construire.
Il sembla hésiter avant d’ajouter une dernière tirade :
— Bien guidée, vous pourriez faire pâlir de jalousie notre nouvelle Reine. Je suis doué pour pressentir un potentiel ; c’est ce don qui a nourri la prospérité et la renommée de ma Maison. Voyez, je me suis déplacé en personne jusqu’à vous. Vous êtes mon premier choix. Et des choix, au sommet de la Haute Dune Herbacée, je n’en avais opéré que quatre sur vos onze vies d’Étrangers.
Il se pencha pour me murmurer ses derniers mots.
— Notre nouvelle Reine n’en faisait pas partie.
Cet aveu me flatta. Je m’en voulus à la seconde. C’était du pipeau.
Marchand de tapis, se récriait mon instinct.
Pour l’amener à me laisser, je lui assurai que j’allais y réfléchir. Je ne prenais mes décisions qu’au calme, seule et sans pression. Il n’avait plus grand chose à me dire, confia qu’il n’aimait pas se répéter et, en quelques courbettes que je jugeai obséquieuses, il me laissa. Enfin.
****
Je comptais en silence pour faire passer le temps tout en triturant ce fichu ruban doré. Le propriétaire de cette Maison, Xërès, n’était pas assez loin ; je n’osais pas l’arracher pour l’abandonner dans la coupelle.
Idiote.
Malgré moi, je pensais à certains aspects de sa proposition. Et aux inquiétantes implications de ses révélations sur le Clan du Loup. Ce bonimenteur m’avait embrouillé la tête.
Satya s’était rapprochée de moi.
— Tu hésites avec ce ruban ? me questionna-t-elle, curieuse.
— Non, j’attends juste qu’il s’éloigne un peu pour le retirer, bougonnai-je en désignant Xërès du menton. Enfin, je crois que c’est la meilleure chose à faire.
Le petit homme reproduisait son show auprès de Myosotis.
J’avais oublié. Elle aussi, j’ignore son vrai nom.
— Jette-le si tu n’en veux pas. En plus, regarde, il prépare déjà le terrain auprès de cette pauvre fille défigurée. Et de ce que je vois, elle n’a encore aucun ruban, elle. Tu lui ferais même un cadeau !
Très pragmatique, Satya.
— Ce n’est pas le membre d’un Clan, mais d’une maison close, l’informai-je. Je ne vois pas en quoi ce serait un cadeau.
Satya haussa ses épaules nues.
— Sans ruban, c’est de toute façon là qu’elle atterrira.
Elle m’expliqua qu’un des invités lui avait confié que les Maisons conviées dans cette seconde partie de la soirée étaient réputées pour leur sophistication et leur sérieux. À l’inverse de celles dont les représentants attendaient dans la cour du château. Elle se pencha à mon oreille pour me chuchoter la suite, sa peau caramel frôlant la mienne, si tristement décolorée.
— Ce jeune sot à la coiffure de poulpe sera sûrement tout ce qu’il leur restera. Deux invités m’ont avoué que sa rebuffade et la punition royale avait été le moment fort de la soirée. Ce n’était tout de même pas très malin ce qu’il s’est permis de faire. Je me demande ce qui lui est passé par la tête. Si c’était un coup mal placé durant la chasse qui lui a embrouillé l’esprit, il aurait craqué bien avant ; en tout cas c’est apparemment ce qui se dit sur lui chez les gens d’ici.
Son babillage me dérangeait. Je l’interrogeai sur les deux bracelets qu’elle portait encore pour y couper court.
— Au fait, je vois que toi aussi tu hésites ?
— Oui, rougit-elle. Enfin, je dois avouer que, de ces deux-là, je sais déjà celui qui m’attire le plus. Mais un autre jeune homme charmant m’a bien plu. Ses parents l’ont convaincu de proposer son ruban à Awa, mais comme elle-même hésite… J’attends de voir quel sera son choix final. Qui sait, il reviendra peut-être vers moi avec son ruban vert de Caméléon, s’il n’est pas gardé par notre tatillonne amie.
Elle semblait s’amuser follement. Jouant avec les brins de sa longue tresse noire, elle continua, rêveuse :
— Dommage que ça ne se soit pas passé comme ça pour cet autre jeune homme au ruban bleu ciel. J’ai bien ri avec celui-là aussi. Mais Deirdre a choisi de le garder pour elle.
Elle n’est pas croyable… Elle comprend vraiment ce qui se passe ou elle est complètement déconnectée ? Ou c’est moi qui le serait ? Mais non… C’est pas quelqu’un de bon à côtoyer, pas pour moi.
Elle m’agrippa soudain le bras, les yeux pétillants de je-ne-sais-quoi.
— Oh la la, mais alors là, je dois avouer que celui-ci les éclipse tous, dit-elle d’une voix gourmande en regardant derrière moi.
Curieuse, je me retournai et ne pus m’empêcher de goûter à mon tour au physique de l’homme qui traversait la salle comme si elle lui appartenait. Il était scandaleusement beau mais, contrairement au Brumeur, n’inspirait aucune crainte. Il était grand, mais pas de trop, avec de larges épaules et un torse mis en valeur par des vêtements étroits qui s’accordaient avec ses yeux et ses cheveux. Ces derniers poussaient l’exploit de paraitre à la fois sauvages et ordonnés. Il se tenait droit, mais sa posture était nonchalante.
Le parfait bourreau des cœurs.
C’était l’archétype de l’homme qui laissait penser qu’il ne faisait pas exprès d’être beau mais qui, secrètement, devait prendre grand soin de son apparence. Et il me regardait.
Encore des emmerdes.
Ce ne pouvait être qu’un concurrent de Xërès. Il s’arrêta un peu trop près et nous gratifia d’un chaleureux Damoiselles qui fit glousser Satya. Au même instant, un autre jeune homme s’approcha, l’air inquiet. Un ruban vert reposait au creux de sa paume ouverte.
— Dame Satya, dit-il, puis-je vous enlever un instant ?
Celle-ci se retint de tressauter de satisfaction.
Bourreau des cœurs les regarda s’éloigner d’un air amusé et étrangement satisfait. Puis il se tourna sur moi et me détailla de la tête au pied. Sur ses lèvres, le sourire demeurait, mais ses yeux calculaient. Il conclut son inspection par mes poignets et eut une moue boudeuse.
Non, moqueuse.
— Je prends note de votre hésitation.
Mes joues se mirent à cuire.
— Non, je… J’allais le retirer.
— Tiens donc ! Mais par l’Univers, lequel ?
Il s’amusait de mon malaise. Je me défis du ruban doré et l’enfermai dans mon poing.
— Ne précipitez pas votre choix, Damoiselle. Après tout, il est vrai que certaines Maisons surpassent les moyens de Clans à la réputation bien assise. Et c’est le cas de celle-ci, précisa-t-il en faisant mine de vouloir caresser mon poing refermé, sans toutefois le toucher. Moi aussi, j’hésiterais.
N’ayant pas envie de réentendre une ode envers une autre Maison de plaisirs, je choisis d’être sans équivoque.
— Je serais incapable d’ouvrir mes jambes, même de façon sporadique, pour la satisfaction de parfaits inconnus. Pour cette Maison ou tout autre, ma réponse est et sera non.
Ma tirade n’ébranla pas son air mutin. Était-ce une lueur de défi dans son regard ?
Pitié, il va chercher à me convaincre que j’ai tort…
— Soit. Si vous choisissez de décliner cette alléchante invitation de la Maison des Lièvres, comptez-vous en ce cas accepter celle de mon frère ?
Un grand vide balaya mon cerveau. Je devais le regarder d’un air bien sot.
— Votre… frère ? m’empourprai-je en soulevant le poignet au ruban bleu nuit.
Il semblait ravi de son petit effet.
— Mon grand frère, précisa-t-il, Wolf Storm, Protecteur du Clan du Loup.
Il se fiche de moi. Ils ne se ressemblent pas.
— Vous ne me croyez pas ?
Quoique, si on y regardait de plus près… Le nez, la masse de cheveux foncés…
— Votre… frère, l’honnêteté semble essentielle pour lui…
— Ô oui, elle passe même avant le plaisir, marmonna-t-il.
— Vous l’êtes aussi, honnête ?
Il explosa d’un rire bref avant de se rapprocher d’une enjôleuse manière qui m’évoqua le Brumeur, toujours en se gardant de me toucher.
— Ne vous fiez jamais totalement à moi, Damoiselle. Je ne mens pas, mais je porte l’omission au rang d’art.
— Tant que vous ne mentez pas.
Il rit encore.
— Mais penserez-vous toujours à poser les bonnes questions ?
Toi, tu dois souvent prendre les gens de haut, notai-je.
Confortée par ce défaut, je trouvai le cran de répondre à cette invitation malgré sa démesurée confiance en lui qui bousculait la mienne.
— J’aurais déjà celle-ci : c’est vrai, cette affaire de malédiction ?
Il haussa les épaules avec nonchalance.
— Ce serait idiot de le nier, c’est un fait établi. Le visage de mon frère et la météo déplorable qui s’acharne sur nos campagnes en sont des manifestations directes. Sans parler de cette satanée Bête qui vous attaque en pensée dès que vous vous égarez à regarder son mauvais œil ou que vous le côtoyez un peu trop longtemps, dit-il d’un air blasé.
— Ça ne vous touche pas plus que cela ?
Ça parait quand même horrible !
Il passa une main dans ses épais cheveux désordonnés, à l’opposé de sa tenue sans le moindre faux pli.
Preuve que sa nonchalance est feinte.
— La situation est ce qu’elle est et je n’y peux rien. Personne, à vrai dire, n’y peut rien. C’est une triste mais ancienne malédiction, héréditaire. J’ai appris à vivre avec.
— Votre frère est né maudit ?
Si ma curiosité l’étonnait, il continua de me répondre.
— Non, ça lui est tombé dessus plus tard. Enfant, il était absolument adorable à regarder.
Ce trait d’esprit le fit sourire. Un adorable sourire.
— Et… Est-ce… un tueur ?
Là, je m’en voulus. Car son visage s’assombrit. Sa voix se dépouilla de ses notes guillerettes, ajoutant du sérieux à sa réponse.
— C’est un guerrier. Il défend nos Frontières. Il s’absente souvent pour cela.
Au moment où je lui trouvai un peu plus de ressemblance avec son ainé, il revint à une expression plus légère, et l’amusement reprit ses droits dans ses yeux bleus - un joli bleu, quoique plus commun.
— Je connais Sieur Xërès, bien des choses sont brodées avec fantaisie par sa bouche. J’ai mon idée sur ce qu’il a pu sous-entendre au sujet de Wolf… Je vous assure que mon frère n’est pas un barbare sanguinaire, qu’il n’a jamais assassiné personne et même qu’il préfère une bonne poêlée de légumes à une entrecôte saignante et juteuse. Certes, il n’est pas sociable. Pas du tout même… D’ailleurs, vous a-t-il fait danser ?
Je secouai lentement la tête. Ma nuque et mes épaules se relâchèrent.
Je suis rassurée. Et vachement.
— J’en suis navré.
— Pas moi, rétorquai-je.
— Il est vrai que danser en pareille compagnie…
Je tiquai.
— Ce n’est pas ça ! Je danse mal. Je nous aurais tournés en ridicule, il nous a épargné cela.
Ma réponse parut le désarçonner.
— Dites-moi, que vous a-t-il promis ?
— Des choses que j’aimerais vous entendre confirmer vous aussi : une sécurité quotidienne, un confort correct et non simplement spartiate, une chambre à moi et un accès à une bibliothèque fournie.
Je venais de me permettre de légers ajouts… Je serrai les dents, espérant que ça passe.
— Et bien… Vous êtes soit saine et sensée, soit idiote et naïve.
Plus probablement un peu de tout à la fois.
— Oui, vous aurez bien tout cela, mais vous n’avez pas idée de ce que certains Clans ont proposé ce soir à vos comparses Étrangers.
Il me tendit alors sa main. Comme l’avait fait son frère un peu plus tôt dans la soirée.
— Quel est votre nom ? Le mien est Cazelain.
Me sentant rougir devant cette main à l’aspect soyeux, je le lui bredouillai en me trouvant bien bête.
— Vous êtes ma première Luce.
Il l’avait murmuré, et lentement. Mes joues me picotèrent sournoisement.
— Chère Luce, au nom du Protecteur de mon Clan, je vous offre galamment le loisir de me remettre ce ruban afin d’être libérée de tout engagement envers nous.
Puis il ajouta, se penchant si près que je perçus son odeur musquée :
— Ou bien, gardez-le, offrez-moi votre main, et je vous enlèverai dans l’instant à cette sordide pièce pour vous emmener chez nous.
Il se redressa.
— Au moins pour la demi-année à venir.
Lui, je devrai m’en méfier à tout prix. Mais c’est ce Clan ou une Maison. Alors, de deux maux…
J’attrapai sa paume ouverte avec résolution.
… je choisis le moindre.
****
Par contre, l'autre face de rat (j'arrive pas a me l'imaginer comme un lapin), j'avais envie de le baffer xD
Cazelain <3 J'aime beaucoup le faire intervenir ^^
Ah, ce bon vieux Xërès ^^ C'était un peu l'idée que je voulais faire passer. Cool ^^ Mais méfiance ;)
Encore un super chapitre ! On en apprend plus sur le fonctionnement des maisons ainsi que sur le Clan du Loup.
Hâte d'en apprendre plus sur cette malédiction <3
Et bien, nous voilà partis pour une virée dans le clan du loup alors ! : )
J'ai hâte de découvrir leur domaine et leur quotidien, et d'en savoir aussi un peu plus sur cette histoire de force vitale.
J'ai toujours eu un faible pour les personnages non charismatiques, j'ai donc été tout de suite prise de sympathie pour Wolf, et inversement, je me méfie beaucoup de son frère xD
Je trouve que Wolf a un côté un peu "bête" dans "la Belle et la Bête" : )
On en apprend un peu plus sur le fonctionnement des maisons, mais aussi, et surtout, sur le physique de Wolf et cette présence qui vit dans son regard. Et pourtant l'on reste avec toujours plus de questions que de réponses ! Tu sais distribuer les indices dans trop en dire pour nous tenir en haleine ^^
Les pensées en italiques de Luce sont toujours aussi succulentes, j'ai beaucoup rit à l'arrivée du frère "Encore des emmerdes." x'DD
Bref ce chapitre m'a beaucoup amusée, après le chapitre plus 'intime' et touchant qui précédait. C'est vraiment bien ces changements de rythme.
Je suis toujours bien prise dans l'histoire et j'ai hâte d'en savoir toujours plus sur ton univers : )
Je trouve que Wolf a un côté un peu "bête" dans "la Belle et la Bête" : ) --> Et bien... moi aussi. D'ailleurs Luce fait un clin d'œil à ce sujet quelque part dans la partie 3. ^^' Et j'ai l'image du fantôme de l'Opéra en tête parfois quand j'écris. ^^'
Je m'éclate quand j'écris sur Cazelain. Sur Wolf aussi en fait.
Les pensées en italiques de Luce sont toujours aussi succulentes, ---> Trop bien :D (je ris parfois toute seule devant mon pc ^^')
J'espère que l'alternance des rythmes passera toujours bien.
Merci pour ta lecture et tes retours :)