La fontaine qui me faisait face était remplie de débris de végétaux morts. De longues tiges tordues et desséchées s’extirpaient de cet amas en partie décomposé, s’étirant dans leur mort vers le plafond en cœurs de voûte qu’on avait percé de disques en verre. L’endroit tout entier baignait dans la lumière. Elle se déversait de ces hauts hublots ainsi que par les immenses fenêtres qui s’étendaient du sol au plafond sur de larges pans de murs. Pour autant, l’endroit n’était pas dépouillé d’intimité ; il y avait un grand nombre d’arbres et d’arbustes, et même quelques taillis sauvages où des pépiements aigus dénonçaient la présence d’oiseaux ayant fait leur ce lieu pratiquement abandonné.
Quelque part, dans son passé, ce jardin a dû être spectaculaire…
Aujourd’hui, il semblait livré à lui-même.
Comme oublié. Mais pas totalement.
Après tout, c’était des mains volontaires qui avait arraché, brisé et regroupé ces branchages et salades amères dans cette vasque coupée de son eau.
De petites mains continuent de soigner cet endroit.
Ce qui n’empêchait pas cette fontaine de paraitre bien triste ainsi transformée en cimetière pour végétaux.
Je m’étais assise sur un banc pelé lui faisant face après cette sensation d’avoir marché un long, très long moment. Cet espace intérieur me sidérait. Et il était trompeur : les chemins s’y entrecroisaient astucieusement entre les larges allées principales, certains entièrement cloisonnés de verdure, offrant la sensation d’évoluer dans un labyrinthe et donnant à ce lieu à la fois sauvage et artificiel l’illusion d’une surface plus grande qu’elle ne devait l’être en réalité. Où que l’on marchât, on devinait aisément les recoins laissés en friche de ceux qu’on prenait encore soin de nettoyer. Certains pots étaient les gardiens de palmiers géants ou d’impressionnants cactus biscornus. Mais de nombreux autres, qu’on n’avait même pas pris la peine de déplacer, n’étaient plus remplis que de terre sèche ou de sable - quand ils n’étaient pas simplement vides. Je n’avais vu qu’un endroit où de petites plantes à fleurs avaient été récemment mises en terre. J’avais aussi déniché et longé un potager intérieur où j’avais cru reconnaitre les fanes de carottes, de radis et d’oignons, ainsi que quelques courgettes et artichauts. D’autres légumes y mûrissaient, mais ceux-là ne m’avaient rien évoqué - quelques-uns devaient être typiques de ce monde, car je n’avais jamais entendu parler d’une plante à l’allure de parapluie sur laquelle on pouvait récolter des haricots torsadés de couleur violette…
Je sortis Souvenirs et atermoiements de la sacoche remise par Dana lorsque celle-ci m’avait envoyée découvrir le jardin d’hiver pendant qu’elle-même s’occuperait de quelques correspondances avec sa famille, la guilde des Guérisseurs et d’autres destinataires dont je n’avais su retenir le nom. Le livre était un ajout de ma part, ma Compagne s’étant contentée d’y glisser des mouchoirs, de quoi boire et grignoter, ainsi qu’un châle épais aux couleurs du Clan ; un bleu nuit profond rehaussé de quelques brins brillants. Pour évoquer une nuit étoilée ?
Ou bien le reflet de crocs et de griffes de loups…
Je souris pour moi-même en déposant le lourd volume sur mes genoux. La veille, je n’y avais lu que des compte-rendus de parties de cache-cache avec des enfants, un rendez-vous galant raté et quelques morosités dues à une dispute avec un certain Sieur qui ne voyait pas d’un bon œil que Lionel Jos fasse son entrée dans son Clan.
Enfin, la chose se fera ce soir. Ce sera acté avec Dame Yvile. Erard ne lui a bien sûr rien imposé, elle a donné son accord de plein gré. Je ferai mon possible pour m’en montrer à la hauteur. Cette formalité remplie, il ne me restera plus qu’à attendre la prochaine Lune Pleine. J’ai compté. Elle aura lieu dans quatre jours à peine. Là, je saurai. Je saurai si je suis digne ou non d’appartenir à ce Clan millénaire.
Bien sûr, j’ai peur.
— Ôla, Mam’zelle Luce.
Je sursautai. Je n’avais entendu personne arriver. C’était l’homme aux allures maorie, du Personnel du Château. Une brouette posée au sol devant lui, il tenait son petit chapeau rond entre ses mains. Après un salut, il le replaça sur sa tête, l’enfonçant jusqu’aux oreilles en tirant sur les bords rigides en forme de rigole.
— Bonjour, dis-je en me relevant.
— Oh non, restez donc assise. Z’êtes aimable, Mam’zelle.
Je refermai mon livre qu’il sembla dévisager.
— Vous seriez pas mieux à la bibliothèque pour ça ?
— Pardon, c’est malvenu de lire ici ?
— Non, pas ! Je demande, au cas où vous n’sauriez où elle est.
— C’est gentil, je la situe à peu près, j’y suis entrée en coup de vent quand Dana m’a fait visiter les lieux. Simplement, de mémoire, il y fait sombre et… je ne suis pas sûre qu’il y fasse plus chaud qu’ici, terminai-je par un sourire gêné en haussant les épaules.
Son visage était strié de petites ridules qui s’harmonisaient avec ses tatouages bleutés ; il devait avoir un certain âge. Pourtant, ses cheveux étaient d’un noir de jais. Longs et fins, il les portait noués dans un catogan bleu nuit.
— C’est sûr qu’il fait toujours doux dans c’jardin. Ni trop ni peu, la bonne température pour tout c’qui pousse ! Ici, on n’a jamais touché aux chaud-galets.
Il se pencha les mains sur le cœur en prenant un air de confident amusé.
— Il parait qui en avait dans tout l’Château à l’époque. Il faisait bon dans chaque pièce et chaque couloir… Certain que ça laisse rêveur !
Et il s’esclaffa, dévoilant deux dents du bonheur.
— Vous subissez encore des famines qui nécessitent d’en vendre ? rebondis-je avec curiosité.
— Non, pas. C’est qu’on est bien moins nombreux. Beaucoup sont partis. Moins de bouches à nourrir... Mais autant de terres à labourer pour remplir chaque ventre ; on est des coriaces, nous qui sont demeurés sur ces terres anciennes !
Il signa rapidement de ce geste que je n’avais plus revu depuis ce terrible dernier trajet en bus - je notai de me renseigner auprès de Dana sur sa signification. Je ne trouvai rien d’autre à lui dire que ces mots :
— J’entends… Je loue votre ténacité.
— C’est bien dit, Mam’zelle Luce.
Il regarda alors autour de nous et écarta ses bras en croix :
— Si je peux vous d’mander, Mam’zelle, comment trouvez-vous le jardin ? J’essaie d’lui rendre justice. Mais j’œuvre seul. Soyez honnête, c’est précieux ça.
Encore cette honnêteté réclamée à grand cri…
— Et bien…, hésitai-je en triturant le recueil de Sieur Lionel, je pressens que l’endroit devait être une merveille jadis… mais qu’aujourd’hui…, il a bien vieilli. Il y a de beaux recoins ! Mais l’ensemble offre une impression de tristesse. Ou d’attente.
Il eut l’air triste à son tour.
— C’est bien dit aussi.
Je me sentis accablée.
— J’manque de temps. Pour vrai dire, à l’époque, le jardin d’hiver était aux soins des Dames et Sieurs de notre Château Lune. Mais maintenant, ils sont si peu, et souvent partis, et puis faut l’dire, ils n’ont pas d’goût pour ça. Encore que notre Sieur Wolf Storm aide bien aux champs ou dans l’potager, mais il a moins d’goût pour le jardin. Et puis on n’peut pas tout faire, et mon avis est qu’il fait d’jà bien assez ce qui faut.
Il se pencha pour arracher une tige de mauvaise herbe qu’il jeta nonchalamment dans la vasque de la fontaine.
— Vous savez, Mam’zelle Luce, le jardin est quelqu’fois ouvert aux gens du coin. Et moi, j’aime ce jardin et j’aime ces gens. J’veux qui soit beau, pour eux. Mais, vraiment, j’manque de temps. C’est râlant. Mais c’est comme ça. Et j’fais c’que je peux.
Et il conclut sa tirade par un chaleureux sourire découvrant ses dents écartées au pouvoir sympathisant.
— Vous manquez de temps pour jardiner ?
— C’est cela, Mam’zelle.
— Je peux vous demander votre nom ?
Il haussa ses larges épaules.
— C’est Clô.
Je lui offris à mon tour un mes plus beaux sourires, chaud et franc.
— Et vous dites qu’à l’origine, il était courant et bienvenu que les Dames s’occupent de ce lieu ?
— C’est cela…
Une lueur se fit jour dans ses yeux sombres. Il adopta une expression hésitante.
— Vous aimeriez ?
Si j’aimerais ?
La réponse sautillait déjà dans tous les recoins de ma tête.
— Oui, j’aimerais.
Alors, toutes les ridules de Clô se regroupèrent dans les plis immenses d’un sourire enfantin.
— Si je peux, temporisai-je, je ne suis pas une Dame, il ne faut pas l’oublier. Et si j’aime jardiner, je n’ai par contre que peu de connaissances sur le sujet.
Empoignant sa brouette remplie d’un bric-à-brac de pelles, râteaux, seaux et compagnie, il ne se départit pas de son sourire.
— Et bien, vous d’manderez à votre Compagne Dana. Les Compagnes savent ce genre de choses. Mais je n’men fais pas trop, en soi parce que Sieur Cazelain vous a présentée comme une Dame, c’est donc tout comme. Et pour le reste, j’vous partagerai mes savoirs avec un plaisir grand. Sûr qu’à deux, on rendra un peu plus sa beauté au jardin.
Il s’inclina respectueusement.
— J’vous laisse pour les écuries où l’travail m’appelle, j’étais juste passé récupérer les outils ci-là.
Il s’éloigna en sifflotant tandis que je portais un autre regard sur le jardin d’hiver du Château Lune.
Prendre soin de quelque chose à réparer. Rendre sa beauté à une chose en partie abandonnée.
Sur le banc, je fermai les yeux et poussai un long soupir apaisé.
****
— Damoiselle Luce ? … Luce ?
Je reconnaissais la voix de Dana. Les paumes à plat sur l’étagère située à plus de cinq mètres du sol, cachée par d’autres hauts rayonnages dans mon dos, je décidai rapidement de ne rien dire. Mais si elle revenait, ou insistait en entrant plus avant dans la pièce, alors je signalerais ma présence.
Je t’en prie, va-t’en, passe ton chemin, pitié, pars voir ailleurs, allez…
Les pas s’éloignèrent et la porte se referma sans elle sur un bruit sourd. Je mimai un silencieux cri victorieux et repris mon furetage.
J’étais presqu’au sommet d’une large échelle en bois renforcée par des plaques de métal noir, stable, solide - je l’avais énergiquement secouée pour m’en assurer avant d’oser y grimper. Je passais en revue les ouvrages de tailles et d’épaisseurs diverses au petit bonheur la chance. Cette bibliothèque était incroyable. Et il y avait de tout : traités politiques, recueils intimes, livres jeunesse, poèmes obscurs, compilations de cartes, essais divers, encyclopédies, archives du passé… Et tout était mélangé. Pas partout. Mais certains rayonnages plus que d’autres.
Suite à mon premier passage dans cette pièce dédiée aux écrits, j’avais demandé à Cazelain l’autorisation d’emprunter quelques volumes. Il avait ri avant d’accepter sans réserve, sinon celles de n’en abimer aucun et de veiller à les ramener approximativement là d’où je les aurais extirpés ; le Château Lune n’avait plus de bibliothécaire depuis plusieurs années déjà. Personne n’effectuerait cette tâche à ma place et la pièce se devait de rester un minimum ordonnée : bienséance et bonne réputation obligent, avait-il explicité.
C’était Dana qui m’avait poussée à concrétiser ce premier passage - au terme de cette soirée de révélations sur le passé du Clan. Je l’avais questionnée sur les Frontières qu’elle avait évoquées dans son récit et, à hauteur d’Homme, sur les murs de la bibliothèque, étaient accrochées d’immenses cartes sous verre, dessinées à la main, en couleurs, et d’une précision remarquable. Ce lendemain de révélations, j’étais restée un long moment devant une carte topographique du royaume, à étudier le relief et la découpe de ce Monde où le sort avait choisi de me catapulter. Et cette découpe était pour le moins singulière. Les Frontières scindaient l’ensemble du territoire en deux parties pas tout à fait égales. L’une était chargée de détails, tant en mots qu’en pictogrammes. A contrario, l’autre n’était qu’un énigmatique espace vierge n’offrant comme indication que son nom : Terres des Sans Pacte. Cazelain m’avait expliqué que cette partie du Monde était habitée de Peuples et de Créatures qui avaient refusé de se soumettre au Contrat. Pour maintenir et préserver l’équilibre, ils se devaient de rester de leur côté. Et les Peuples du Contrat restaient du leur. Mais il arrivait que certaines formes de vie, plus hostiles, téméraires et anarchiques, tentent une percée. Des volontaires et des engagés veillaient à protéger les Frontières qui s’étendaient aussi bien sur les terres que dans les eaux salées, mers et océans.
Aujourd’hui, j’étais bien plus à l’aise avec le cadet charmeur du Clan. À sa demande, nous partagions chaque jour le repas du midi et, par rebond, discutions quotidiennement ensemble. Il aimait confronter mon avis au sien sur des sujets divers. Parfois, il me laissait lui poser des questions. Nos échanges étaient légers, selon mes critères. Que pensais-je du mobilier de ma chambre ? Comment trouvais-je la nourriture locale ? L’écoulement du temps était-il vraiment différent dans mon monde d’origine ? Quelles étaient mes couleurs favorites et connaissais-je les secrets de la colorimétrie ? Aimais-je les plafonds en voûte ? En avais-je déjà vu auparavant ?
Quelquefois, ils étaient plus riches, voir personnels. Ou juste déroutants. Avais-je un régime alimentaire particulier ? Que pensais-je des gens qui choisissaient d’exclure certains aliments pour des principes de valeur ? Que pensais-je de l’adultère ? Était-il vrai que les religions dominaient mon monde ? Avais-je moi-même une religion ? Que pensais-je des religions que j’avais côtoyée ? Si je croisais le bus qui m’avait amenée en ces lieux, que choisirais-je de faire ? S’il demeurait immobile, que lui ferais-je ?
J’étais sans cesse invitée à faire preuve d’honnêteté. Je m’y tenais de toute manière par principe ; mentir ne m’avais jamais procuré aucun plaisir. Au contraire. Et si je prenais soin de maintenir une distance en continuant de le vouvoyer, le cumul de ces échanges avait fini par briser la glace. Mais je restais vigilante. Je me défiais de ses ficelles charmeuses dont il usait de temps à autre, me plongeant à chaque fois dans un embarras profond dont il devait, j’imagine, se délecter - sinon pourquoi revenir encore et encore à la charge ?
Nous avions refait quelques promenades à cheval. Si j’étais un brin plus à l’aise, il continuait de me dépeindre comme une piètre cavalière. La moitié du temps, Dana nous accompagnait lors de ces repas et sorties équestres. Lorsque nous étions en trio, l’atmosphère était autre. Cazelain se comportait différemment envers ma Compagne de Château, comme si elle eut été une vertueuse sœur ainée qu’il ne voulait décevoir ; sa présence semblait émousser ses tendances séductrices et ses tournures de phrases gagnaient même en richesse. Mais je devais avouer que moi-même je tombais dans la retenue de questions et de réflexions en la sage présence de Dana, pesant aussi mes mots avant de les partager. Elle avait cet effet sur les gens : les pousser vers une forme plus fine et plus soignée d’eux-mêmes.
Pas mal, celui-ci.
J’avais entre les mains un petit ouvrage qui s’intitulait Légumes d’aujourd’hui et d’autrefois. Les dessins étaient très réalistes et l’écriture des légendes d’une lisibilité parfaite.
Je t’embarque !
J’espérais y retrouver ma plante-parapluie et ses haricots violets.
J’étais complètement perdue dans la classification des ouvrages, particulièrement sur cette étagère, mais je prenais un plaisir fou à chipoter à tout librement. C’était mon troisième passage dans la bibliothèque et je ne voulais pas que Dana écourte ce plaisir : d’ici une semaine, je serais peut-être…
… morte.
Chaque nuit, je m’éveillais en sursaut. Une fois, parfois deux. Je me défaisais alors de mes habits détrempés pour enfiler la tenue de rechange que je préparais chaque soir à cet usage, puis je rampais vers l’autre moitié du lit double, sèche, et tentais de me rendormir, le cœur secoué et l’estomac déconfit. La seconde Épreuve approchait.
Je mérite une journée de tranquillité dans cette bibliothèque de conte de fée.
Je lui trouvais des airs de celle du conte de la Belle et la Bête.
L’image de Wolf Storm s’imposa à moi et je retins un rire nerveux.
Ce Château aussi abrite sa Bête.
Cazelain avait récemment reçu un courrier de son ainé. Le Protecteur du Clan du Loup y précisait qu’il ne rentrerait qu’au lendemain du Bal du Roi, soit dans deux jours.
Moi aussi, j’aurais aimé réchapper à ce Bal ridicule, ruminai-je en rangeant le petit livre dans mon panier en osier.
Je me consolais en pensant aux autres Étrangers qu’il serait plaisant de revoir.
Mais saurais-je seulement parler librement avec eux ? Auront-ils changé ? Je me demande dans quel état d’esprit je vais retrouver Warner… Et il y aura Eryn, aussi.
Je ne comprenais pas pourquoi celle-ci me restait en travers de la gorge. Enfin, si. Elle n’avait pas été très sympathique avec moi. Mais le poids de sa couronne l’aura peut-être changée.
Et dans son esprit de Reine probablement splitté, je n’aurai pas plus d’importance que le chat qui traverse le jardin.
Je me désolais de ne revoir Myosotis. Dana s’était renseignée pour moi et j’avais appris qu’elle avait accepté l’invitation d’entrer au service de la Maison des Lièvres. Hors, le Bal du Roi ne conviait que les Clans ayant acquis une ou un Invité.
Comment oublier que son sort aurait pu être le mien ?
Je remis à sa place un énorme volume brun au texte rébarbatif qui semblait ne délivrer que des sermons sur des sujets variés. Il aurait été parfait pour calmer Cazelain d’un petit coup net sur la tempe ; depuis quelques jours, il était pire qu’un Lion en cage dans l’attente du Bal. J’avais appris que celui-ci mettrait un terme à son retrait au sein des Terres du Château Lune. Il respectait en cela le souhait de Dame Isaure - que je n’avais plus revue depuis le soir de notre rencontre. Et c’était très bien ainsi.
Ooh. Et pourquoi pas celui-ci ?
Un livre à la reliure rose crème. La quatrième de couverture, de ces petits caractères tamponnés d’encre noire, vantait une histoire d’amour légère : Quand l’amour triomphe d’un début tragique. L’épaisseur était chiche, promesse d’une lecture rapide. Je le glissai dans mon panier.
Ce panier en osier, je l’avais reçu de Midine, la cuisinière en cheffe. Le contact était bien passé entre elle et moi. Un jour où je déambulais seule dans la Grande Salle, à la suite d’un repas échangé avec Cazelain, j’étais discrètement entrée dans les cuisines - je n’avais pas résisté au désir de voir à quoi elles ressemblaient. Et je m’étais retrouvée face à la rondelette et souriante Midine. La cuisinière s’était empressée de me demander si une petite douceur me ferait plaisir. Mal à l’aise, j’avais demandé une tasse de thé. Elle m’avait conduite devant un placard de l’immense garde-manger dans lequel étaient rangés divers pots en céramique. Pensant qu’elle était retournée à sa précédente tâche, je m’étais amusée à tous les ouvrir délicatement, un par un, comme une enfant, pour sentir leurs arômes les yeux fermés. Lorsque je m’étais retournée, mon choix entre les mains, elle avait ri et décrété qu’elle m’aimait bien. Depuis, elle venait vers moi à la fin de certains repas pour s’enquérir de ce que j’avais ou n’avais pas aimé et quelquefois elle prenait soin de choisir et accorder mes thés avec les plats concoctés. Ses cheveux étaient toujours crêpés en un énorme chignon lâche au sommet de son crâne, elle parlait d’une voix guillerette et haut perchée et portait la nourriture au rang d’art. Manger, c’est vivre ! Alors, bien manger, ça embellit la vie. Lorsqu’elle m’avait proposé de venir pâtisser avec elle en cuisine, j’avais accepté avec empressement ; son contact était si rafraichissant. Dana m’avait conseillé de ne pas en faire une habitude. J’avais passé un moment très agréable : Midine parlait nourriture et dépeignait les gens en racontant ce qu’ils aimaient le plus boire et manger. Elle prenait de temps en temps, sans prévenir, de drôles de voix qui me rappelaient les dessins et cartoons de mon enfance et chantonnait d’une voix fluette dès qu’elle enfournait un plat ou remuait une marmite. J’y étais retournée deux autres fois. Dana l’ignorait ou faisait fi de l’ignorer. Pour éviter les problèmes, je n’en parlais à personne.
C’est principalement ainsi que s’était rempli et écoulé ce quatrain de vie au sein du Château Lune. Il y avait aussi eu des moments d’apprentissages des us et coutumes auprès de Dana, des moments de repos et de longs bains, des promenades et de multiple séances de jardinage dans le jardin d’hiver. Avec du recul, je n’avais pas trop à me plaindre…
Changeons de rayonnage.
Je descendis précautionneusement de mon échelle, mon panier sur l’épaule, et m’enfonçai plus avant dans l’allée, éclairée d’un galet-lumière. En chemin, je ne pus résister à l’appel d’un petit secrétaire et m’amusai à en ouvrir chaque tiroir. J’y découvris des feuilles de papier vierge, des plumes taillées et deux stylos dorés, quelques pots dont l’encre noire semblait s’être durcie, une montre à gousset et un paquet de lettres ficelées. Je laissais tout en l’état, bien sûr. Je ne cherchais pas un trésor à emporter, mon plaisir était dans l’exploration ; j’avais l’impression d’évoluer dans un musée dans lequel il était permis de toucher à tout. Deux tiroirs étaient fermés à clé.
— Luce ? Luce !
Merde.
— Oui, Dana ? dis-je innocemment en revenant sur mes pas.
Faites qu’elle ne me demande pas si je l’avais entendue la première fois !
Je tenais à rester honnête, mais un peu d’omission, parfois…
****
J'ai bien aimé ce chapitre, beaucoup plus "soft" que les autres qui permet de faire un petit bilan du quatrain au Château Lune.
J'ai aussi l'impression de découvrir un côté un peu plus "insouciant" de Luce (les pots dans le placard de la cuisine, l'exploration du bureau de la bibliothèque...).
Hâte de lire la suite, car après ce repos je sens que les choses vont devenir un peu plus difficiles <3
Ca ne fait pas trop de chapitres plus soft les uns après les autres ? C'est peut-être difficile à dire dans une lecture morcelée... Mais oui, l'Épreuve numéro 2 est toute proche, donc l'action va revenir. Mais elle sera différente de ce qui est proposé dans la partie 1. ^^
J'ai eu envie de montrer un autre côté que la seule "survie". On est différent quand on est posé et qu'on prend le temps (et qu'on sait le prendre).
Hâte de partager la suite ^^ Je me suis donné comme défi de boucler au moins 1 nouveau chapitre avant. ;)
Merci pour ton suivi <3 et tes encouragements <3 <3 <3 !
Je ne trouve pas c'est trop soft car il se passe quand même des choses et il ne peut pas y avoir de l'action tout le temps.
J'ai hâte de découvrir la 2e Épreuve. ^^
Oui c'est vrai, en tout cas tu as réussi à le monter.
Je suis sûr que tu vas y arriver alors ^^ moi aussi j'ai très hâte <3
Vraiment ça me fait plaisir ^^ j'adore ton histoire et t'apporter mon soutien <3