— Quel silence !
— Du silence ? Ah ouais ? Où ça ?
— Bah… on est à la campagne ! Pas de circulation, pas de métro ou de bus qui passe toutes les deux minutes, pas de sirènes de police, du SAMU ou des pompiers…
— Il n’y a pas de silence, ma chérie. Même ici, à la campagne.
— Oui, bon, comme tu veux. Disons qu’il n’y a pas de vacarme, quoi.
— Oui, je te l’accorde. Rien à voir avec Rennes ou Brest – et ne parlons même pas de Paris, je n’y mettrai plus jamais les pieds. D’ailleurs, vu mon âge, ce devrait plutôt être à vous de descendre en Bretagne pour me voir !
— C’était exceptionnel, mémé. Raph avait un emploi du temps chargé, on s’est tous déplacés – et il venait d’avoir son appart’, ça t’a permis de voir où il vit.
— N’empêche que j’y retourne pas.
— Ça, on en entendra parler même après ta mort… Tu parlais du silence ?
— Oui : ça n’existe pas ici. Je ne sais pas ce qui vous fait dire ça, tous.
— Moi je ne comprends pas ce que TOI, tu veux dire. Lorsque je viens ici, ça me détend, chaque fois, parce que je peux bronzer ou dormir dans un calme complet. Sans bruit… Sans personne autour.
— Et tu n’entends rien ?
— Non, j’adore ! … Mais toi tu entends quelque chose. Alors vas-y, dis-moi ce qui pollue ton environnement sonore, je suis curieuse.
— Oh non, je ne dirais pas que ça « pollue »… Mais il y a toujours quelque chose à entendre, si tu tends l’oreille. Parfois c’est agréable, parfois ça ne l’est pas. Par exemple, j’aimais bien me réveiller tous les matins avec le chant du coq, du temps ou le voisin avait encore sa basse-cour.
— Ah bon ? Moi ça me tapait sur le système. J’ai jamais pu faire de vraie grasse mat’ chez toi et pépé avant mes quatorze ans, à cause de cette saloperie de volaille.
— J’ai appris à l’apprécier, pour ma part.
— Mais pour en revenir au sujet qui nous intéresse : imagine qu’on est en plein milieu de l’après-midi, dehors, sur la terrasse ou dans le jardin – c’était le cas y’a même pas deux heures, donc ça devrait pas être dur –, tu entends quelque chose, toi ?
— Il y a toujours un tracteur ou une voiture qui passe au loin.
— Même le dimanche ?
— Tu sais, je ne suis pas en train de me plaindre ! J’essaie juste de te dire qu’il y a toujours quelque chose à entendre, et je trouve que c’est très bien ainsi. … Et même lorsqu’il n’y a pas de tracteur ou de voiture, on peut entendre la vieille radio du voisin, qui parle avec nostalgie d’un temps de guerre tous les midis jusque quinze heures. Oh, et il y a évidemment les gazouillis des oiseaux. Et parfois, le murmure d’un ruisseau.
— C’est vrai. Quoiqu’il y a un peu plus d’oiseaux que de ruisseaux à voler dans le coin.
— Certes… Et quand il n’y a pas d’oiseau, il y a parfois le chant imperceptible des criquets, ceux que tu attrapais et que ton frère écrasait pour les manger, quand vous étiez petits… Et selon la saison on entend parfois un bourdon, sinon des abeilles, des moustiques… ou ces satanés frelons.
— Mmmh… Oui, mais on n’en voit pas tout le temps ! Mettons qu’il n’y a pas toutes ces petites bêtes à six pattes. Qu’est-ce que tu entends, encore ?
— Eh bien, le chien des Riou – la famille qui habite la maison aux volets bleus, juste après le pont.
— Ah c’est vrai, je l’avais oublié lui. Il se fait moins entendre ces temps-ci, tiens ! Avant il aboyait contre son écho dans la vallée… Mais lui il ne compte pas : moi je ne l’ai pas entendu une seule fois depuis hier. Alors s’il n’y a ni chien, ni bourdon, ni oiseau… Qu’est-ce qu’il te reste pour gâcher le silence ?
— Lorsqu’il n’y a rien… Il y a le vent. Ce vent qui peut être doux comme violent. Le vent du temps. Et du gros temps.
— Tu deviens poétesse en fin de journée. Et lorsqu’il n’y a pas de vent ?
— Il y a tout ce qui traîne dans ta tête. La dernière chanson que tu as écoutée – ou entendue malgré toi. Il y a ce que tu veux dire, mais que tu ne dis pas.
— Mettons qu’il n’y a rien de tout ça. Qu’on fait le vide. Qu’on ne pense à rien.
— Mmmh… Eh bien, il reste toi. Ton cœur qui bat. Ton vent à toi, celui qui souffle dans tes narines ! Le son de tes yeux qui clignent.
— Je vois.
— Et lorsque ton cœur ne bat plus, lorsqu’il n’y a plus de vent – ni derrière…
— … ?
— … Tu sais alors ce que c’est, que le silence.
_______
J'adore ce texte, en tant que musicien, le silence c'est quelque chose de primordial : la musique nait du silence. 4:33 de John Cage a forcé le public comme les musiciens à réaliser que le silence n'existe pas, même dans une salle de spectacle : on entend les gens respirer, tousser, les muscles des musiciens tendus sur scene...
J'aime particulièrement cette absence de description. Le dialogue pur, sans artifice, qui fait qu'on entend ce qu'on lit. Ca va très bien avec le propos, et le fait de ne pas avoir plus d'explication que ça, c'est comme si on les surprenait, d'une certaine manière... On assiste a quelque chose qu'on aurait jamais du entendre.
ça m'a beaucoup touché ! Merci beaucoup :)
Et comment n'ai-je pas pu répondre à celui-ci ? A tous les coups j'ai entamé une réponse et quelqu'un de forcément mal intentionné m'en a détourné pour que j'éteigne mon ordi en oubliant ce que je faisais x)
Et j'ai cru que tu parlais de John Cale (Velvet Underground) à la première lecture !! Pas tout à fait le même personnage, mais même amour pour la musique, si faut trouver un autre point commun que leur patronyme xD
Question silences musicaux, j'ai toujours en tête la citation de Miles Davis, selon qui la musique EST le silence, alors que les notes ne font que l'encadrer…
Et j'aime comment tes commentaires font paraître mes textes comme super réfléchis, alors que pour le coup le dialogue sans description j'avais même pas réfléchi tant que ça au rapport avec le propos ou quoi ou qu'est-ce :') Merci à nouveau, c'est chaque fois un plaisir de te lire dans tes chapitres ou tes coms ;)