Les pieds dans le ruisseau, un enfant rêvassait.
Les yeux dans les airs, marmonnant une mélodie, il paressait.
Son regard miroitait les rayons du couchant, cachés dans les feuillages roux ; et tout était calme.
Un coup de vent le décoiffa. Et, tandis qu’il ne regardait pas, un léger courant porta vers lui la feuille morte d’un jeune aulne.
Ce même courant voulu que la feuille se logea tout contre son mollet. L’étrange sensation stimula le garçon, qui, ayant presque atteint un certain état d’adiaphorie béate, s’en fâcha.
Il s’apprêtait à la décoller, lorsqu’il se ravisa.
L’enfant ne connaissait pas le nom des arbres, ni d’ailleurs de leurs fruits tant qu’ils n’étaient pas comestibles.
Lui qui ne souhaitait penser à rien, se surprit à questionner la couleur de cette feuille pourtant tombée. Verte ? Que pouvait-il s’être passé ?
Le vent souffla tout bas, entre les dents limées que portaient les bords de la feuille d’aulne. La caresse chatouilla l’esprit du garçon, dont les yeux se perdirent cette fois dans un vague à l’âme d’une couleur complémentaire.
Un choix s’offrait visiblement à lui ; mais lequel ?
S’il ne s’était assis au bord de l’eau cet après-midi-là, le vent aurait soufflé également. La feuille serait tombée, le courant l’aurait portée. Mais pas de jambe d’enfant pour la retarder. La feuille aurait étendu sa croisière en glissant doucement, jusqu’au-delà de l’imagination du môme – jusqu’au-delà de son royaume.
Désirait-elle poursuivre sa route ? Le jeune homme s’apprêta à lever le pas. Voulait-elle retourner sur sa mère branche, entre ses bras ? Malheureusement, elle ne peut pas. Peut-être préférait-elle rester là, à attendre au chaud qu’il fasse froid ?
Le garçon se rassit. Les rayons entre les branches s’étrécirent.
Le choix était là. Mais selon quels critères se décider ?
Y avait-il ici un signe ? Mais de Qui, et que comprendre ?
L’enfant n’osait pas même recueillir la feuille pour l’observer plus longuement.
Peut-être n’y avait-il rien à penser. La feuille était on ne peut plus commune ; le vent sifflait le même air à chaque octobre ; la rivière, elle, n’avait pas changé de cap, et toujours suivait son long cours. L’enfant se posait seul ses propres questions.
Mais malgré tout, en cette fin de journée rougeoyante, le sort l’avait placé, lui, en cet endroit précis. Et sans y aspirer, il était pour autant devenu digue pour cette feuille sans mât ni voile. Et si destin il y a, il aurait tout aussi bien pu guider la feuille vers autre part.
Un silence passa. Le vent s’interrompit.
Le garçon voulut bien faire… Mais plus par lassitude que par réflexion, il allongea lentement sa jambe pour la couvrir entièrement d’eau, et ainsi submerger la feuille d’aulne.
— Léonce ! Il fait presque nuit ! Rentre immédiatement !
Léonce se releva brusquement, manquant tomber. Il sortit comme il pût du ruisseau, pour enfiler prestement chaussettes et chaussures. Dans le même mouvement, il entama la remontée de la côte menant à la grande bâtisse qui chapeautait la colline – chez lui.
Puis il se retourna. Il inspecta un instant le ruisseau qui courrait toujours ; mais pas de feuille sur son cours.
À sa jambe, rien de plus que des gouttelettes qui séchaient. Rien de visible dans l’herbe piétinée, ni au loin, là où le cours de l’eau suivait le fil d’un autre temps.
Il épousseta sa veste, souffla un coup.
En reprenant le chemin de sa maison, le garçon cueillit une fleur, puis deux. Puis quelques feuilles colorées, et des glands, et des samares… pour enfin arriver à table, en dernier.
Les yeux perdus dans la soupe, Il choisît d’entamer un herbier.
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Il y a un coté philosophique aussi voir spirituel (et oui carrément!)
Je ne pensais pas m'accrocher autant à cette simple feuille et à me demander aussi ce qu'elle allait advenir. Et en plus j'ai appris un mot "adiaphorie" !
C'est con qu'ont ait si peu de synonymes de "merci" en français… Pour varier, je te remercierai donc par un autre mot choisi au pif :
Drap-housse.
C'est vraiment un des sujets sur lesquels j'aimerais le plus écrire, ça, les souvenirs d'enfance. Dans le même style que la nouvelle "Le corps" de Stephen King, qui a donné un de mes films préférés, "Stand By Me", j'adore cette nostalgie qui ressort des récits d'enfants, fictifs ou non !