Testament de l'inconnu
Je le retranscris fidèlement à partir du dictaphone qu’il a posé gracieusement sur une table, devant la baie de San Francisco.
L’homme semble assez âgé, mais sa voix est restée grave, spirituelle, envoûtante. On dirait un peu la voix du colonel Kurtz, joué par Marlon Brando, dans « Apocalypse now ». Comme lui, tout ce qu’il raconte est mûri, vient de très loin. Comme lui, il vit l’horreur en direct, mais contrairement à Kurtz il ne s’y complaît pas. Il la transcende. C’est un homme qui s’est tu durant longtemps et qui, devant sa mort inéluctable, semble accoucher d’une étoile qui danse.
Malgré son abattement, il montre toujours beaucoup de force. Au lieu de baisser les bras, il les tend vers son auditeur. Il lui parle droit au cœur, n’oublie pas le dernier nerf qui le maintient encore debout.
C’est assurément un homme de bien. Pour ne pas dire un sage. J’aurais bien aimé le connaître.
Je vais sans doute l’inclure dans mon livre dès ce soir. Et je parlerai de lui au présent. Rien qu’au présent.
In memoriam.
Inutile de vous dire mon nom. Je ne mérite pas qu'on se souvienne de moi. Si j’avais été un terrien émérite, moins décérébré, j’aurais sans doute agi avec une main de fer pour empêcher ce génocide...
Si vous tenez à m’appeler par quelque chose, appelez-moi… « vieil homme ». Vieil homme, ça me va.
Que dire de vieil homme ? Vieil homme est dans un sale état. Vraiment pas beau à voir. Une centenaire ne voudrait pas de lui, c’est certain...
Je vais sans doute passer dans peu de temps... Je n’essaie pas de vous tirer une larme… Je vais prendre ce train sereinement. Ma valise est prête depuis longtemps...
Tant qu’il me reste un peu de force, je voudrais… je...
Oh mon Dieu, c’est terrible…
Vous entendez ça ?… Ces fracas, ces tonnerres ?...
D’où je me trouve, je vois les incendies qui repartent… Des retours de flammes gigantesques... Je ne sais pas ce qu’ils ont mis dans cette putain de bombe... on dirait qu’il y a des sous-couches, des échos, pareils à des répliques sismiques...
C’est fou… Complètement fou...
Là-bas, c’est Auschwitz. Vous ne pouvez pas vous imaginer. Et ce sont… ce sont mes proches, mes amis qui s’envolent à travers ces brasiers… Je vois tout ça… J’ai si honte d’être de ce côté de la baie...
Et cette odeur qui nous vient jusqu’ici, c’est… je sais pas… C’est de la pestilence… On dirait l’odeur du diable… Excusez-moi !...
Ici, « vieil homme » a beaucoup toussé. Sa respiration est devenue soudain compliquée. J’ai bien cru que c’était la fin. Mais non. Il a fait une longue pause. Et puis, il a coupé.
Quand il a repris son monologue, il semblait avoir recouvré un soupçon de vigueur. Je le devine assez grand, large d’épaules, avec un regard clair.
Plus je l’écoute, plus je suis chaviré de savoir que ce sont les derniers mots d’un colosse.
Je ne suis pas très gai, pardonnez-moi. Moi qui rêvais de mourir avec un sourire aux lèvres, c’est raté...
Beaucoup de choses se bousculent dans ma tête. Et la question qui me revient en boucle est « Pourquoi ? »
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Là-dessus, j’ai ma petite idée… Juste une petite idée...
J’aurais mille choses à dire que je n’ai jamais osé dire avant, par manque de courage… Mille choses à dire, et c’est absurde, j’ai ce livre dans ma tête, qui prend toute la place...
OK, vieil homme, pas de panique, tu as encore du temps...
Parlons de ce livre...
Enfant, vous savez, j'étais féru de lecture. Mes parents étaient pauvres. Nous habitions une cabane délabrée sans eau, sans électricité, au nord du Dakota. Ma seule façon de m’évader de cette misère était la littérature. Bonne ou mauvaise, je dévorais tout ce que je trouvais à la bibliothèque. Un jour, j’ai mué, j’ai eu des poils sur les cuisses, et je me suis spécialisé dans les ouvrages westerns et amérindiens. Un livre me guidant vers un autre livre, j’ai voulu tout connaître de mes ancêtres... et surtout de ceux qu'ils avaient décimés pour leur voler leurs terres...
Ce livre magnifique qui est dans ma tête, et dont je me souviens encore après tant d’années, c’est « Les sentiers de la beauté »...
Si ma mémoire est bonne, il était paru en 1954. Son auteur s’appelait « Aigle bleu ». Quel nom inoubliable, vous ne trouvez pas : Aigle bleu ?...
Je me rappelle cette phrase qui m'avait marqué profondément à l'époque : « La plus petite feuille qui tombe de l'arbre se dépose exactement là où elle doit être. Tout est parfait, tout est à sa place, tout est beau »...
Pour me réconforter, j’essaie de me dire que la bombe qui est tombée sur nos têtes s’est déposée exactement là où elle devait éclater. Et bien sûr, je ne parviens pas à me consoler avec ça...
Où est ce papier, bon Dieu ?…
Je l’avais dans la poche…
Ah, le voilà !...
Ce matin, j'ai retrouvé dans mon portefeuille ce petit texte prémonitoire. Je l’avais recopié au dos d’une liste de courses de ma mère, et il ne m’a pas quitté depuis ma jeunesse. J'aimerais vous le lire...
Je ne connais pas le nom de son auteur. Était-il Comanche, Iroquois, Anazazi ? Peu importe en fait. Ce qui m’attriste par contre, c’est qu’un homme blanc un peu clairvoyant, un peu sensible, aurait pu tout aussi bien l’écrire. Oui, mais voilà, il ne l’a pas fait. C'est d'un vieux cœur blessé de Peau-Rouge que ces mots sont venus jusqu'à nous :
« La Mère Nature est toute-puissante, ayant pour elle l'éternité. Que sont les inventions des hommes, les cités hautaines qu'ils élèvent aux confins du désert, les armes terribles qu'ils emploient pour assurer et défendre leurs conquêtes ? Rien qu'un peu de poussière constituée que les grandes forces naturelles tendent à restituer dans sa forme primitive. Désertez pendant quelques années la citadelle, abandonnez quelques mois le canon ou la mitrailleuse dans la Prairie, et bientôt l'herbe et la ronce auront envahi la pierre, la rouille rongé l'acier dur. Bien des fois, jadis, de vastes solitudes sont allées peupler des villes puissantes. Il n'en reste plus aujourd'hui que des ruines et les ruines elles-mêmes finissent par se confondre avec la terre éternellement vierge. Qu'importent les hommes qui passent ? L'Esprit n'a qu'à souffler sur eux et ils ne le seront plus ! Alors les fils de la Terre reprendront possession de la Terre. Et les temps passés redeviendront nouveaux ! »
Si personne n'a eu l'idée stupide de mettre ce dictaphone dans sa poche, vous aurez entendu ce chant prophétique, poignant et plein d’espérance...
Vous serez sans doute assis ou debout devant ce spectacle affligeant de San Francisco annihilée, comme le sont d'ailleurs à l’heure actuelle la plupart des villes narcissiques de ce vieux monde. Dans ces villes, où étaient les sommités, les devins, les conscients, pour prédire ne serait-ce que le prévisible ?... Qu’avons-nous fait de ces Indiens qui savaient l’avenir, qui voyaient loin, bien plus loin que leur tipi ?...
Vous serez probablement prostré comme moi, sur cette herbe brûlée, et vous vous direz peut-être : et maintenant ?
Et maintenant, rien ! Plus que des larmes, mes pauvres gens ! Game over ! Notre chance est partie en fumée. Comme l’a si bien dit le Général Pétraeus, la race humaine ne méritait pas de vivre sur cette Terre. Pourtant, elle avait tout en main pour y parvenir, la beauté des paysages, le soleil qui réchauffe, la sensibilité, l’intelligence, les sonates de Chopin, le trésor de l’amour, et elle a lamentablement échoué.
Maintenant, comment puis-je aider ceux qui vivront quelques jours de plus au milieu de ce chaos ?...
Tout d’abord, j’ai envie de vous dire de rester lucide. Du moins, d’essayer. Sombrer dans la haine des Russes, des Chinois, des Pakistanais, des Iraniens ou des Nord-Coréens, ne ramènera pas vos morts... Vous torturer l’esprit en vous convainquant qu’ils ont tiré les premiers, ne vous délivrera pas de votre chagrin...
Je pense que la vérité est ailleurs. Si nous cherchons les vrais coupables, osons nous regarder un instant dans un miroir…
Je vais vous dire ce que je pense. Aussi incroyable que cela puisse paraître, personne ne nous a attaqué. Personne. C’est notre propre boomerang de violence qui est revenu vers son lanceur, grâce à sa portance historique et à sa traînée mnésique...
Ce pays magnifique, du premier planteur au dernier cueilleur, c'est nous tous qui l'avons anéanti...
Comment est-ce possible, me demanderez-vous ?
C’est possible, juste en regardant la vérité historique en face...
Comme chacun sait, l’homme est fils de ses racines et de ses habitudes. Son comportement, son caractère, sont façonnés par une incessante interaction des gènes et du milieu. Par persistance d’un état antérieur, l’atavisme est une loi si fatale qu’on retombe tôt ou tard sous sa sanction…
Excusez-moi, je bois un peu...
Si l’on admet donc que nos ancêtres n’étaient pas de gentils colons, mais des fous assoiffés de liberté, d’expansionnisme et d’ambition, alors force nous est d’admettre que nous sommes les descendants de ces fous. De façon plus ou moins atténuée, nous avons reçu leur folie en héritage. Malheureusement, nous n’avons jamais trouvé le temps de la guérir...
Les siècles ont gentiment passés, et nous avons gentiment oublié que nous étions les enfants d’individus dénaturés qui avaient jadis pillé, outragé, dépecé à leur guise des âmes vivantes…
Sans le moindre repentir, nos ancêtres ont exterminé des millions d'hommes, de femmes et d'enfants, à coups de mitrailleuse Gatling, dans le simple but d'avoir une vie meilleure...
Ils ont dépossédé des tribus entières de leur terres sacrées. Ils ont massacré les troupeaux de bisons des plus pacifistes, ils les ont affamés, repoussé au loin, toujours plus loin, aux confins des plaines glacées…
Avec ceux qui étaient prêts à pactiser, ils ont signé des traités qu’ils ont perfidement rompus. Enfin, prenant leurs aises, ils ont été jusqu’à sculpter les visages de leurs présidents sur leurs montagnes sacrées.
Sans le moindre repentir, ils ont décimé des millions de vies meilleures que la leur, pour créer le soi-disant Nouveau Monde...
Ils auraient pu s’arrêter là, en goûtant leur triomphe absolu. Mais ils allèrent plus loin encore... Comme le surnaturel les apeurait, ils brisèrent la croyance de tous ces hommes en substituant la croix à leurs totems...
Ils se moquèrent de Wanka Tanka, le Grand Mystère que les Indiens vénéraient comme étant à lui seul le soleil, le ciel, le tronc, un ruisseau, une fleur. Ils enfoncèrent des crucifix dans les bouches des plus obtus. Et aux danseurs des Esprits, ils apprirent les dogmes de l’existence de la Trinité, de la Création et de l’Enfer…
Ils étaient assez cyniques pour pouvoir les égorger et vouloir sauver leurs âmes en même temps...
Non, nos ancêtres étaient loin d'être des poètes. La plupart étaient vils, frustes, méprisants. Ils riaient de Wanka Tanka en imitant des cris d’apache. Ils lui montraient leur sexe et lui tiraient la langue. Pourtant tous ces crédules ne doutaient pas une seconde que Jésus, le magicien de Nazareth, avait marché sur les flots et changé l'eau en vin...
Avec le temps, ce génocide, ces montagnes d'ossements pourrissant sous les plumes, sont passés dans nos mémoires comme de l’eau dans un filet.
Pendant plusieurs siècles, les acteurs, les témoins, puis les historiens du dépeuplement amérindien, incapables de l’expliquer correctement, invoquèrent deux thèses qui entachent les indigènes et exonèrent les colons…
La première était la thèse providentielle, une doctrine fondée de toutes pièces par les puritains, lesquels alléguèrent que cette extinction était de volonté divine…
La seconde thèse, bien plus perfide, apporta un caractère laïc, non religieux, à la première en s’appuyant sur les progrès de l’humanité et le néo-darwinisme...
La culpabilité ayant été trop lourde à supporter pour les futures générations, ces allégations fantaisistes s’imprimèrent progressivement dans le pollen des pensées de leurs descendants. Nous acceptâmes cette absolution humaine de bonne grâce, et nous nous convainquîmes sans complexe que les États-Unis était une nation divine édifiée sur des charniers grâce à l’évolution de l’espèce...
Réprouvant aimablement nos aïeuls, la mélodie de la résilience chantonna à nos oreilles que nous n’étions en rien responsables des brusqueries de leur passé. Nous étions seulement les héritiers de pionniers un peu rustiques qui avaient cherché loin de chez eux une vie meilleure et n'avaient fait que se défendre contre une race, avouons-le, assez sauvage et malfaisante...
Mais cela est de l’histoire ancienne… Laissons les toiles d’araignée aux araignées...
Maintenant, souvenez-vous. Qui a tiré en premier sur Hiroshima et Nagasaki ? Était-ce Staline ? Hitler ? Un tyran sanguinaire pire que Pol Pot ? Tentez de vous souvenir ?... Était-ce il y a si longtemps ?… Cela vous revient ?...
Maintes fois pourtant, l’Histoire nous l’avait répété : comme tu feras à autrui, on te fera dans l'avenir. Malheureusement, nous n’en avons tiré aucune leçon...
Les promesses faites à nos victimes et les lois mémorielles ont été bafouées. La poussière de l’oubli a enseveli nos actes de foi. Les tombes vénérables n'ont pas été entretenues. Sous nos prairies verdoyantes, sous nos champs de maïs, des millions d’âmes suppliciées attendent toujours vainement nos excuses...
Certains ont bien sûr porté le deuil de ce qui n’était plus. D’autres ont clamé l’emphatique « plus jamais ça ». Mais, au bout du compte, personne n’a jamais vraiment réglé les dettes de ce qui fut… Ainsi, l’Histoire a pu de nouveau entonner son plus sombre refrain...
La Justice immanente a cette élégance de prendre son temps. Elle laisse pavoiser les conquérants pour mieux dévorer leurs petits-enfants...
Personne ne nous a attaqué. Personne. Je pense que c’est ainsi que les choses se sont passées : dans la zone instinctive primaire de l’intelligence, les martyrs d’hier se sont réveillés un beau matin… Et la Nature que nous avions saccagée et avilie, se revitalisa elle aussi et demanda talion. Dans son grand registre d’équité, l’éther avait tout enregistré : les injures à la Terre et aux bêtes, l’abjection et l’ignominie assénées depuis des siècles à tous nos semblables...
À part de fugaces et modestes cérémonies du souvenir, jamais nous n’avons apuré les comptes du repentir sincère…
Alors, depuis notre lointain passé, de lourds nuages nous ont poursuivi. Ils se sont accumulés en masse au-dessus de nos têtes. Sans que nous le sachions, les germes de la sentence proche circulaient déjà dans notre sang et dans nos os. Nous nous targuions d’être humains, mais nous n’étions que de vulgaires jouisseurs qui se disaient : encore un dollar de plus, une côte de bœuf de plus, un home run de plus...
Depuis, en tant que descendants de fous, nous étions certains d’être toujours les enfants préférés de Dieu. Pour le remercier de ses faveurs, nous le prenions sans cesse à parti. Nous nous exclamions « Oh, My God » à la moindre émotion : quand nous étions surpris, quand nous étions réjouis ou même horrifiés. Pour honorer Jésus, son Fils magicien, nous nous tenions par la main avant de déguster la dinde de Noël, et nous chantions en chœur : « Oh nuit divine où le Christ est né. Oh nuit divine, il nous a montré à nous aimer sincèrement les uns les autres ». Et nous nous embrassions encore sous le gui, nous jurant de rester fidèles à cette loi qui est l’amour et à son mot d’ordre qui est la paix.
Fort de ces chants émouvants, et tenant nos promesses, nous nous mimes à cultiver l'amour entre nous, mais en nous souciant fort peu des autres peuples...
En mémoire de nos ancêtres réprouvés, nous mîmes au pouvoir des hommes fous ou à moitié fous. C’était des fous déguisés en saltimbanques convaincus de leurs vertus, qui se targuaient loufoquement d’être les phares du monde, les parangons du progrès et de la justice. Ces fantoches bouffis de morgue n'aimaient pas trop les étrangers et ils leur firent savoir au cœur même de leurs propres pays. Entourés de conseillers soi-disant visionnaires, ils napalmèrent encore plusieurs millions d'autochtones autour des rizières ou entre les dunes, au nom de leur foi et pour préserver notre seule paix. Comme nous savions que Dieu adorait l'argent, nous fîmes encore imprimer « In God we trust » sur nos billets de banque. Cela nous permit de mettre bon nombre d'indigènes attardés sur les rails du consumérisme et de l’économie de marché. Cela nous permit surtout d'obtenir du pétrole et de l'uranium pour des bouchées de pain...
Le dimanche, nous nous attablions entre amis et voisins à portée de barbecue. Nous professions à nos enfants qu’il n’était pas bien d’être raciste, de tirer sur des noirs, d’être trop gros ou trop maigre. Qu'il n'était pas bien de fumer de la marijuana, de rouler trop vite, de voler son prochain, d'avorter, d'être sans couverture sociale au pays des libertés...
Rassasiés de saucisses, à la fin du repas , nous étions généralement repus de cet orgueil de la terre et de la vie. Nous étions gavés de cette grandeur qu’une existence paisible engendre chez un homme : la satisfaction de loisirs bien ménagés, la sûreté du but, l’indépendance que donne la sécurité matérielle, le confort de vivre dans un cadre familier, le sentiment de bien-être que procure une belle maison à la pelouse impeccablement tondue...
Plus que toutes les autres nations, nous adorions prospérer, spéculer, nous goinfrer de luxe. Malgré notre ingérence et notre expansionnisme économique outrancier, nous étions parvenus à nous persuader que nous étions bons et indispensables à l'humanité. Nous avions juste oublié une seule chose en définitive, c’était la philosophie primitive de nos ancêtres Indiens, leur vision du sacré tellement plus élevée que la nôtre...
Vieil homme ne croit plus en Dieu depuis longtemps. Il croit en Wanka Tanka, le Grand Mystère, depuis qu'il a lu "Les sentiers de la beauté". Aussi que ce maudit Dieu des Blancs me pardonne, je ne mourrai pas blanc, voleur et assassin. Je veux m’éteindre en Peau-Rouge, pacifiquement, le tabac aux lèvres. En espérant qu'un aigle bleu vienne picorer mes restes dans peu de temps...
Touché en plein cœur, j'ai remis le dictaphone à sa place, comme un objet précieux.
Vieil homme avait raison, les seaux de merde propulsés en direction de l’innocence avaient fini par revenir vers leurs latrines.
En l’absence de grands hommes pour couper le cordon de nos pus ataviques, en l’absence de parangons accomplis, doués de vertus exceptionnelles et d’une morale hors du commun, capables de révéler aux plus petits l’écart entre l’être réel et l’être en puissance, entre ce qu’il est et ce qu’il pourrait être, la multitude naviguant sans boussole, de plus en plus ignare et miséreuse, s’était reproduite comme des lapins insensés, non pour perpétuer la grandeur de l’Humanité, mais pour trouver dans la tétée son seul plaisir sur terre.
Ajoutons à cela la décrépitude du bon sens, le puits sans fond de la convoitise, la pénurie de spiritualité, le retour aux Ténèbres comme frein à la valse folle du consumérisme, et nous nous étions retrouvés roulant à tombeau ouvert vers le crépuscule des Grecs, qui évoluèrent aussi vite qu’ils déclinèrent.
L'humour sans doute aurait pu nous offrir un sursis, mais les termites subversives s'étaient rongées elles-mêmes pour rentrer dans le moule du « Malgré la syphilis, aimons-nous les uns les autres ». Sombrant dans l’admis, le lénifiant, nous n’étions même plus les rois de la blague pour égayer notre décadence. Nous étions devenus si abrutis que jamais l’idée ne nous aurait traversée de nous auto-détruire en riant.
Au moins les Grecs avaient eu pour exutoire les tragédies d'Aristophane qui leur permettaient de se divertir de leur chute dans le néant, d’alléger leurs souffrances, et de ne pas faire de leurs douleurs des obsessions suicidaires.
L'écriture est toujours au rendez-vous et la curiosité aussi.
La première partie est particulièrement réussie, on a l'impression d'assister en direct à cette confession . On visualise l'homme, on entend ses hésitations, son malaise physique. On est à son chevet, on comprend, on compatit, on partage, son amertume. C'est vivant.
Je trouve que la deuxième partie prend plus la forme d'un exposé réquisitoire, j'ai moins ressenti la présence physique de l'homme, il m'a manquée.
Le personnage principal n'est pas suffisamment en recul par rapport à ce témoignage, il pourrait y apporter son éclairage, son ironie, élargir la réflexion et l'analyse.
Quelques remarques en vrac :
- "l’odeur du diable" l'odeur de l'enfer, qu'en penses-tu ?
- "Dans ces villes, où étaient les sommités... " un "où était donc" renforcerait la question et le sentiment d'exaspération impuissante du vieil homme ?
- "Les tombes vénérables n'ont pas été entretenues." elles ont même été profanées !
Il me semble que c'est à partir de ce moment que l'on rentre plus dans la partie "exposé".
On sent l'envie du vieil d'en dire un maximum, probablement car sa mort approche.
Mais les massacres d'indiens n'ont pas été les seuls dans l'histoire de l'humanité, le 20ème siècle a son palmarès : deux guerres, génocides du Rwanda en passant par l'Arménie, aujourd'hui les Ouïghours, la pétaudière du Moyen-Orient, La liste est tristement inépuisable.
Élargir l'analyse permettrait de sortir d'un discours qui sonne un peu "anti-américain". Je crois que ton misanthrope pourrait retrouver là sa verve acide et désabusée.
Je n'ai pas encore l'habitude des abréviations : qu'est-ce qu'un MP ?
Tu vas sur le forum et tu devrais avoir en haut à droite une notification ! Bref, je te proposais qu'on s'appelle ou de correspondre par messager vidéo ou audio afin de nous entraider et de nous faire avancer mutuellement ! Ca ira un peu plus vite, non !
La situation extrême justifie la violence des propos qui sont tenus, et qui par ailleurs sont loin d'être fantaisistes. Beaucoup de choses dites sont assez spécifiques des États-Unis cela dit (même si elles sont aussi extrapolantes pour nous) et je trouve ça dommage du coup vu ce récit est en français. En terme d'opinions, j'émets une réserve personnelle sur les gentils mignons Amérindiens pacifiques, mais c'est une opinion comme une autre. En tout cas j'ai toujours hâte de voir où cette historie va nous amener.
À bientôt ~
« Ces Indiens de Caribana ont mille fois mérité la mort, car c'est une race détestable. Dans d'autres occasions ils ont tué nombre de chrétiens, et même quelques-uns des nôtres, qui, en descendant le fleuve, perdirent un vaisseau. Aussi ce que je propose n'est pas de les faire esclaves, ils sont trop mauvais pour cela, mais de les brûler tous, grands ou petits, pour qu'il ne reste pas trace de si vilaines gens. »
Bien à toi !
Peut-être le raccourcir, oui. Je ne l’ai pas trouvé spécialement long mais je pense que tu peux quand même élaguer un peu
Allez, reprenons notre route. Ce qui serait singulier maintenant, ce serait de croiser une communauté épargnée... dans une réserve indienne… :))
Bien à toi !