Avril s’écoule doucement. Les stagiaires, après une semaine passée à WorkInsert doivent reprendre le rythme de travail en entreprise. Ils communiquent fréquemment sur Internet pour échanger des idées ou des nouveautés. Le mois de mai arrive, et c’est la dernière ligne droite avant la fin du stage et la soutenance du projet.
Assez rapidement leur semble-t-il, il est temps de se retrouver pour deux semaines de formation. Les Alpha et les Gamma sont au complet, mais seuls trois membres de l’équipe Delta sont à nouveau réunis dans la salle Hydrogène. Dehors il fait merveilleusement beau mais ils ne le voient pas. Ils n’ont plus qu’une idée en tête, finaliser leur projet et passer à autre chose.
Violette se présente en retard, elle est venue avec John. Elle explique que l’école a fait une grève impromptue, suite à l’agression d’un professeur. Elle n’a pu trouver personne au pied levé pour garder son fils, et n’a pas eu d’autre alternative que de l’amener pour la journée.
Mme LaBelle est furieuse de cette initiative. Elle essaie de donner le change et feint de montrer de l’empathie, mais il n’y a aucune sincérité dans ses propos ni dans sa posture. La présence d’un enfant dans les locaux de sa société fait désordre, et dérange sa vision de ce qu’elle estime être politiquement correct pour WorkInsert.
Cependant, le petit John est adorable et il a tout de suite conquis le cœur de toutes les équipes. Violette est ravie d’avoir son fils avec elle : elle lui fait faire le tour de la salle Hydrogène, lui présente tous les étudiants, lui montre la machine à café et, lui fait choisir une boisson. Ensuite elle l’installe sur une table avec des crayons de couleur et du papier qu’elle a apportés de chez elle.
Violette ne pourra pas se concentrer totalement aujourd’hui sur le projet, elle est trop occupée à surveiller John. Elle est si heureuse de le voir près d’elle qu’un sourire de bonheur irradie constamment son visage. Elle fourmille d’idées et de joie de vivre. Finalement tout le groupe est gagné par son enthousiasme communicatif, c’est la première fois que les Delta la voient si gaie et rayonnante, sa morosité habituelle envolée.
Cezary a bien avancé le développement pour l’équipe Delta. Ils disposent désormais d’une fonctionnalité dans le site qui leur permet d’intégrer des photos, textes, rubriques, recettes patiemment chinés sur le net et rassemblés lors des séances précédentes.
En même temps il faut tester la programmation, vérifier que tout fonctionne comme défini dans leur cahier des charges.
Fiévreusement, ils se mettent au travail, car ils réalisent enfin l’étendue de la tâche qu’il leur reste à mener. Au cours de la matinée, Mme LaBelle passe fréquemment les voir et tourne autour des trois groupes sans discrétion. D’une part elle ressent leur stress de ne pas être prêts à temps, d’autre part elle est mécontente de voir John et affiche sa mauvaise humeur. Atsuko émerge de son indifférence quelques instants à chacune de ses visites. Pour faire bonne figure devant Mme LaBelle, probablement. A moins que le rôle passif que joue Atsuko soit un accord entre elles, une facette de la méthode de coaching mise en œuvre chez WorkInsert, mais dans les faits, un accompagnement bien incompréhensible pour les étudiants.
Mme LaBelle porte un tailleur gris chic, très près du corps sur une chemise en soie rose pâle. Ses cheveux bruns sont serrés dans un chignon bas, elle a chaussé des escarpins vernis noirs avec de hauts talons fins. Son maquillage est appuyé par un rouge à lèvres écarlate qui accentue sa moue de désapprobation permanente. Lorsqu’elle marche sur la moquette épaisse, elle semble tanguer sur ses stilettos. Elle est en déséquilibre dans cette tenue si rigide, et tous ont peur qu’elle ne chute et se retrouve par terre, ridiculisée, talons brisés, jupe fendue, chignon défait. Mais Patricia LaBelle sait parfaitement se déplacer sur ses hauts talons, à chaque passage elle traverse et quitte la salle Hydrogène en toute dignité, à défaut de stabilité. Les étudiants marmonnent entre eux car personne n’apprécie cette surveillance faussement bienveillante.
- La voilà partie, ouf ! impossible de travailler quand elle est là.
- Si j’osais, je lui suggérerais d’installer son bureau sur une estrade pour mieux nous observer en hauteur, comme depuis un mirador.
- Oh ! tu exagères tout de même !
- Mais pas du tout, c’est le sentiment qu’elle donne quand elle rôde autour de nous, nous assis, elle debout et nous toisant de son air pincé.
- Ouep ! elle doit éprouver un sentiment de domination, de pouvoir sur nous.
- C’est vrai qu’elle nous regarde de haut, quelle prétentieuse !
- Tu ne l’aimes pas beaucoup.
- J’avoue qu’elle m’agace avec ses mines hypocrites, Ma-da-me la Di-rec-trice ! J’ai presque l’impression de me retrouver à l’école !
- Je ne sais pas pourquoi elle éprouve toujours le besoin de venir faire son tour. Elle ne comprend rien à ce que nous faisons.
- Elle surveille que nous soyons bien là, elle n’a pas envie que nous discréditions sa société par de l’absentéisme ou en faisant n’importe quoi.
- Elle nous espionne ! ne lui cherche pas d’excuses !
- Elle est surtout fâchée que John soit là, il perturbe son organisation si parfaite. Pourtant il est sage, on ne l’entend pas.
- Elle aimerait tout contrôler, mais elle ne contrôle rien en fait. On pourrait faire tout autre chose que le projet, elle n’y verrait que du feu.
- Détrompe-toi, elle a eu une vie de consultante avant WorkInsert, elle comprend parfaitement ce qui se passe ici et ce que nous faisons.
- Elle nous permet de faire cette formation et d’avoir cette expérience, c’est tout ce qu’on lui demande, on n’a pas besoin de ses visites qui ne nous apportent rien.
- Finie la pause ras le bol ? on s’y remet sérieusement ?
- C’est reparti !
Dès le début de la matinée, les Delta se sont distribué le travail. Cezary continue ses développements. Il doit finaliser la gestion des droits d’accès au site. Zoé commence par réaliser la page Facebook, puis se concentre sur la saisie des recettes, Alphonse choisit la page d’accueil, et Violette démarre les tests.
Bien sûr il y a des anomalies. Au bout d’une heure, ils font une pause et se regardent atterrés. Seront-ils capables de corriger toutes les fautes et de refaire les contrôles dans le temps imparti ? La charge de travail restante qu’ils commencent à appréhender semble impossible à absorber d’ici la fin de la formation. Seront-ils en mesure de présenter un site opérationnel à leur soutenance fin Juin ?
Cezary ne se décourage pas. Il recueille toutes les anomalies identifiées et commence à les analyser et les corriger une à une. Pendant ce temps, Violette et Alphonse initient la rédaction du support de soutenance. Zoé, quant à elle, écrit les textes qui vont être intégrés dans les différentes rubriques. Elle a déjà fait pas mal de recherches sur internet, notamment sur divers blogs, et dans ses propres livres de recettes où elle a trouvé de bonnes idées.
Pendant ce temps, John fait le tour des groupes et interroge les étudiants. Il veut tout savoir:
- Et pourquoi tu as pris cette photo ? elle est pas belle !
- Et à quoi ça sert ce carré rouge ? pourquoi il est pas de la même couleur que celui en dessous ?
- Tu écris quoi là ?
- C’est joli ce dessin, c’est toi qui l’as fait ?
- C’est quoi un logo ?
- C’est bizarre le truc, là ! c’est quoi ? Laisse-moi voir !
Chacun lui répond patiemment, c’est agréable que quelqu’un s’intéresse à leur travail. Même si c’est un enfant, ses suggestions sont parfois judicieuses, ses remarques soulèvent d’autres questions, ou du moins obligent à remettre en cause certains choix qui n’avaient pas été argumentés suffisamment. En bref, John joue un vrai rôle de critique. Comme il ressent instinctivement l’intérêt qu’il suscite au sein des trois équipes, son jugement s’aiguise tout naturellement, et il tombe de plus en plus juste sur les points à retravailler.
En réalité, sa présence les fait progresser pendant toute la matinée. Lui, petit bonhomme extérieur aux projets, mais complètement pris au jeu qu’il a lui même créé, donne intuitivement toute l’énergie et la créativité dont il est capable. Vers midi, il est épuisé, aussi les équipes décident d’aller déjeuner pour lui permettre de faire une pause.
Ils choisissent la brasserie Jeanne, toute proche des locaux de WorkInsert et mangent rapidement le plat du jour. Après le repas, ils font le tour du pâté de maisons pour prendre l’air et retournent aussitôt à la salle Hydrogène.
John s’étend sur plusieurs chaises rassemblées pour former une sorte de couche et s’endort. Violette le regarde, émerveillée de le voir si beau et si paisible, fière de ce qu’il leur a apporté pendant la matinée. C’est un petit garçon intelligent et positif. Ses jolies boucles blondes se répandent autour de son visage, ses paupières sont presque transparentes sous ses cils clairs, il a une expression naturelle et respire doucement et régulièrement. Violette aimerait savoir à quoi il pense dans son rêve, et imaginer ce qu’il imagine.
Dans le courant de l’après midi, alors que les trois groupes sont concentrés sur leurs activités, Mme LaBelle convoque Violette dans son bureau pour lui expliquer que c’est la première et dernière fois qu’elle tolère la présence de l’enfant. Violette ressort bouleversée de cet entretien agressif inattendu. Heureusement, John, toujours endormi, ne s’est aperçu de rien. A son retour, tous l’entourent et la réconfortent, ils s’arrêtent de travailler quelques minutes autour d’un thé, mais l’envie n’y est plus pour motiver les équipes et poursuivre jusqu’à dix huit heures.
Aussi chacun rentre chez soi le cœur un peu lourd. Pour les Delta, c’est un moment charnière dans le déroulement de leur formation, ils ne sont pas encore convaincus de leur réussite et pas non plus totalement défaitistes. La matinée a été fructueuse, mais l’intervention de Mme LaBelle a gâché leur progression. Ils peuvent comprendre qu’un lieu de travail n’est pas la place d’un enfant, les circonstances étaient cependant exceptionnelles et Mme LaBelle aurait pu manifester un peu d’indulgence.
Zoé revient chez elle, encore toute retournée des événements de la journée. Lorsqu’elle arrive dans la cour, elle n’aperçoit pas Louis. Elle ne rencontre pas non plus Zebediah et Lucia est partie en tournée avec la troupe de théâtre pour plusieurs jours. Elle se retrouve seule dans son petit appartement, devant son bol de riz et son reste de crumble aux tomates. Manon est étendue auprès d’elle, toujours présente et toujours disponible pour des caresses.
- Si j’appelle Mamina ce soir, elle va se rendre compte que je suis un peu triste et elle va s’inquiéter. Je vais juste finir de dîner et aller me coucher, ce n’était pas une bonne journée. Et pourtant elle avait bien commencé. Quelle garce cette Mme LaBelle, aucune compréhension, il n’y a que son business qui compte !
Manon joue avec un chouchou qui trainait par terre. Elle l’attrape dans sa gueule et donne des coups de patte, le chouchou vole et Manon le poursuit. Comme elle s’approche de son bol d’eau, le chouchou finit par tomber dans le récipient plein. Le chat avance une patte pour le récupérer, mais ne se décide pas à mettre le coussinet dans l’eau. Zoé rit sous cape de voir Manon déconfite qui n’arrive pas attraper son jouet. Vexée, la chatte s’éloigne dans le couloir.
Zoé lit quelques lignes d’un livre qui traîne sur sa table de nuit. Comme elle a la sensation de parcourir toujours la même ligne, elle comprend qu’il est temps de se glisser sous la couette et d’éteindre la lumière.
*
Violette ne vient pas le jour suivant. L’école est toujours en grève et elle n’a pas le cœur de revoir Mme LaBelle. Au téléphone, Zoé la convainc de ne pas quitter la formation, elle doit revenir le lendemain.
- Personne ne me dira des choses désagréables aujourd’hui, dit Violette à Zoé.
- Nous avons besoin de toi Violette, l’équipe ne peut pas fonctionner correctement si tu n’es pas là. Il faut que tu viennes demain absolument.
- Je verrai, je ne te promets rien.
Patricia LaBelle n’apprécie pas la réaction de Violette, mais elle ne le montre pas. Elle ne veut pas faire d’esclandre et s’abstient de faire un commentaire mais ce n’est pas l’envie qui lui en manque. Les relations sont relativement tendues avec les équipes, Mme LaBelle ne vient pas les voir de la journée. Tous s’en réjouissent et malgré l’absence de Violette, travaillent à un bon rythme. Le résultat est finalement productif : les Alpha et la Gamma semblent satisfaits de leur progression, et quittent la salle Hydrogène assez tôt dans le courant de l’après midi.
Il n’en va pas de même pour l’équipe Delta. A la fin de la journée, leur constat est sans appel : le nombre d’anomalies a encore augmenté. Plus la campagne de tests avance, plus le logiciel paraît buggé.
Alphonse, Zoé et Cezary n’osent même plus se regarder en face tant le sentiment d’échec les paralyse. Se donner tout ce mal pour un résultat aussi décevant … Comment en sont-ils arrivés là si près de la fin du projet ? Quels mauvais choix ont-ils fait pour que ça ne marche pas ? Comment ne se sont-ils aperçus de rien ? Dépités, démoralisés, ils se donnent la soirée pour réfléchir. Malgré tout, ils se consolent de l’absence de Violette : son état n’aurait pu qu’empirer dans de telles circonstances.
Ils sortent dans la rue, leurs sacs sont lourds et leurs cœurs bien davantage. Ils n’ont plus l’énergie pour avancer. Alphonse propose d’aller boire un verre dans un bar proche pour se remonter le moral. Cezary décline l’invitation, il préfère rentrer chez lui pour chercher une solution.
- On ne trouve rien quand on est seul et qu’on a le nez dans le guidon, dit Alphonse. Il vaut mieux faire une coupure et prendre du recul.
- Il n’y a plus que jusqu’à la fin de la semaine prochaine, et les deux dernières semaines de juin. C’est insuffisant pour tout ce qu’il reste à faire, ça parait impossible de finir le site à temps, répond Cezary, abattu.
- D’autant qu’on ne sait même pas par quel bout commencer, il y a trop d’erreurs, ajoute Zoé tout aussi découragée.
- Raison de plus pour se changer les idées, reprend Alphonse.
- Envie de rien ce soir, grommèle Cezary et il s’éloigne le long du trottoir, les épaules basses et le corps ramassé.
Zoé et Alphonse marchent lentement côte à côte, ils ne prennent pas tout de suite le métro et se rendent dans la rue voisine où se trouve la brasserie Jeanne. Alphonse commande une bière et Zoé un thé. Assis l’un à côté de l’autre sur la grande banquette en faux cuir râpé rouge, ils se désolent de la situation désespérée.
- Je ne sais vraiment pas ce qu’on va faire pour s’en sortir, dit Zoé dont le thé est déjà froid.
- Ce soir je n’ai plus envie de parler du projet, répond Alphonse, j’ai envie de penser à autre chose, ça me prend la tête toutes ces histoires d’anomalies, de messages d’erreur et de je ne sais pas quoi qui me pourrissent la vie. Je voudrais tout envoyer promener et partir en vacances, ne plus avoir à me demander comment je vais faire pour corriger les bugs et être prêt à temps.
- Tu vois que tu y penses tout de même ! Vu ce que tu viens de dire c’est évident. Je me dis que ça ira mieux demain. Il faudra que ça aille mieux demain, on ne va pas laisser tomber si près du but, il existe forcément une solution.
Ils expriment leur frustration, et ça leur fait du bien d’évacuer leur colère. La fatigue de la journée se fait sentir, accentuée par la baisse de moral, tout leur pèse.
- Et tu crois qu’Atsuko n’aurait pas pu nous aider ? si elle nous avait un peu plus suivis, elle aurait pu nous guider, on aurait fait moins d’erreurs, on n’en serait pas là, enrage Alphonse.
- Il ne faut pas toujours croire que c’est de la faute des autres. Nous aussi on aurait pu trouver quelque chose, avoir de meilleures idées, faire plus simple, je ne sais pas. Il faut qu’on réfléchisse, on va y arriver, on va se battre contre l’adversité ! répond Zoé qui essaie de rester combative.
- Personne ne nous fait confiance, Mme LaBelle nous espionne sans arrêt, elle a réussi à démobiliser Violette, il s’en faut d’un cheveu qu’elle nous décourage aussi, reprend Alphonse avec agressivité.
- Tu dis ça parce que tu es en colère.
Zoé essaie de calmer Alphonse, elle ne l’a jamais vu si énervé, lui qui habituellement est plutôt calme et peu stressé. Elle n’aurait pas imaginé qu’il puisse exprimer une telle passion. Ainsi, même après plusieurs mois, elle s’aperçoit qu’on ne connait jamais vraiment bien son voisin !
- Et dire que j’ai accepté cette formation mal payée en pensant que j’aurais une certification au bout d’un an, et que je pourrais trouver un bon job bien payé. Et là je me rends compte qu’on va peut être rater la soutenance, et que j’ai sacrifié mon temps pour rien, constate Alphonse avec amertume.
- Tu ne dois pas partir perdant, dans ce cas c’est impossible de gagner.
- Facile à dire.
- On est une équipe, c’est l’équipe qui va réussir.
Au bout d’un moment, ils se sentent soulagés de s’être parlé et d’avoir exprimé leur ressentiment, ou du moins ils essaient de s’en persuader.
- Je te raccompagne chez toi propose Alphonse, je n’ai pas envie de rentrer tout de suite et je n’ai pas non plus envie de sortir.
- Allons-y, répond Zoé. S’il y a quelque chose dans le réfrigérateur tu pourras rester pour dîner, mais je n’en suis pas certaine.
- Merci, bonne idée, on peut acheter quelque chose en route, si tu veux.
- On devrait tout de même avoir ce qu’il faut à la maison.
Ils reprennent le chemin du métro et au bout d’une demi-heure arrivent rue N. La cour est déserte et ils montent rapidement l’escalier jusqu’au cinquième.
Sur le palier du sixième étage, dissimulé par l’ombre de la rampe, Zebediah vient de sortir de chez lui. Il les entend parler en ouvrant la porte et entrer dans l’appartement. Son cœur se serre, ce n’est pas la première fois qu’il voit ce garçon aller chez Zoé.
Malgré toutes les attentions qu’il lui porte, Zoé ne le remarque pas. C’est comme s’il était un objet de décoration quand elle le rencontre dans l’escalier, juste utile pour réparer les lampes ou le chauffage, et parfois pour nourrir le chat. D’accord, il a conscience d’exagérer un peu. Cet inconnu serait-il son petit ami ? Il aurait alors tous les droits pour venir voir Zoé. Et comment lui, Zebediah, pourrait imaginer des choses alors qu’il n’est absolument rien pour elle ?
Désabusé, Zebediah fait demi-tour et rentre chez lui en refermant la porte sans bruit. Derrière lui, la minuterie s’éteint et la cage d’escalier devient sombre. Seules de petites raies lumineuses apparaissent au bas des portes des appartements habités. Et parfois, à l’un ou à l’autre des étages, on entend de la musique s’échapper d’une encoignure et disparaître le long des marches.
*
Comme toujours lorsqu’elle pénètre dans son appartement, Zoé est frappée par les couleurs et la chaleur de leur intérieur. Immédiatement sa bonne humeur semble lui revenir.
Elle ouvre la porte du réfrigérateur et cherche des yeux ce qu’elle pourrait préparer pour dîner. Des œufs … du comté, des herbes, une salade verte …
- Je te prépare une omelette au fromage et une laitue, ça te va ? demande-t-elle à Alphonse
- Parfait, je mets les couverts et les boissons. Lucia n’est pas là ce soir ?
- Non, elle est en tournée avec sa troupe de théâtre.
- Tu ne l’attends pas pour dîner ?
- Non elle est en province, c’est sûr, elle ne mangera pas ici ce soir.
Alphonse connait un peu la maison, il aime se faire inviter par les filles de temps en temps. Elles ont toujours des petites préparations gourmandes à offrir et c’est souvent une bonne soirée animée autour d’un repas … Et surtout; Zoé lui plait beaucoup; mais il n’a jamais réellement tenté de mieux la connaître. Il sent qu’elle n’éprouve aucun attachement pour lui et il n’a pas envie de recevoir un refus.
Ils dînent sur la petite table et se régalent avec l’omelette parfaitement savoureuse. Zoé a déniché des petits pots de crème au chocolat faits par Lucia pour le dessert.
Elle passe une soirée agréable compte tenu des circonstances. Alphonse réussit à lui changer les idées en racontant des histoires familiales ou des sorties périlleuses à mourir de rire. Lorsqu’il est en présence de Zoé, son imagination est toujours en activité et il se surprend à avoir plein de choses à dire, à être de bonne humeur et à faire de l’humour naturellement. Il pense que ce sont les ondes positives qui émanent de Zoé qui lui procurent ces sensations. Il aimerait aller plus loin avec elle, mais elle se contente de rire et de parler comme une amie, pas comme une petite amie. Sortir avec une collègue de formation n’est peut être pas non plus une bonne idée, tant qu’ils n’ont pas finalisé le projet et passé la soutenance.
Après un bon moment passé ensemble, vers vingt trois heures, Zoé raccompagne Alphonse à la porte. Alphonse descend rapidement les escaliers, Zoé sur ses talons. Elle va porter quelques victuailles à Louis, il reste une part d’omelette à réchauffer et des crèmes au chocolat.
Dans la cour, Alphonse s’arrête et se retourne, il embrasse doucement Zoé sur la joue, tous les deux sont troublés par ce baiser qui finalise une rude journée. Avec la déconvenue de leur projet, ils ont besoin de se sentir proches et solidaires, pour surmonter l’appréhension de ne pas obtenir leur certification à la fin du stage.
- Salut Alphonse, rentre bien, à demain.
- Bonne nuit Zoé.
Zoé monte rapidement voir Louis car il est déjà tard, et échange quelques mots avec lui avant de rentrer chez elle pour se mettre au lit. Manon dort déjà sur la couette et ne daigne pas bouger pour lui laisser de la place. Après un vif brossage de dents, Zoé déloge le chat, se glisse dans son lit et éteint la lumière. Aussitôt Manon saute sur l’oreiller et vient réclamer une caresse tout en piétinant Zoé, avant de se rouler en boule et de se rendormir.
*
Violette est de retour le lendemain, mais elle semble avoir perdu toute conviction. Le reste de l’équipe Delta a aussi le moral très bas. La journée commence par un point de situation, nécessaire après le constat d’échec de la veille au soir.
- J’ai compté une quarantaine d’erreurs, et nous n’avons pas parcouru tout le périmètre des tests, indique Zoé.
- Il y a une piste qu’on n’a pas encore explorée, intervient Cezary, mais il y aurait beaucoup de travail pour corriger, car il faut presque tout recommencer
- Vas-y, dis-nous, au point où on en est, rien ne doit nous arrêter, dit Alphonse.
- On pourrait utiliser un logiciel tout prêt pour concevoir des sites internet, un gestionnaire de contenu, au lieu de tout programmer. Il y aurait moins de développement, et donc moins d’erreurs, forcément, propose Cezary.
- Un gestionnaire de contenu ? on avait étudié cette solution en cours au début de la formation ! Les Alpha et les Gamma sont partis sur un outil de ce type pour développer leurs projets, répond Violette.
- Oui. Eh bien nous aussi nous pourrions nous aussi partir sur cette solution, il faudrait transférer une partie de ce qu’on a fait sur le logiciel. On peut trouver un gestionnaire de contenu sur internet, gratuit, poursuit Cezary.
- Ca permettrait d’avoir plein de fonctionnalités pour gérer notre site, sans avoir besoin de tout coder : un moteur de recherche, une FAQ, et de rajouter des blogs, des forums, du texte, des photos, et même des vidéos, complète Zoé qui commence à visualiser la solution décrite par Cezary.
- Alors, reprend Cezary après ces débats d’experts, qu’en dites-vous ? ça vous intéresse cette idée ?
- Bah oui c’est plutôt pas mal ! on dirait que ça pourrait être une porte de sortie pour nous extirper du bourbier où nous nous sommes enfoncés … Bien joué Cezary, tu es un vrai chef ! conclut Alphonse naïvement.
- Ha ha ha ! c’est juste un peu normal pour notre sujet ! dit Cezary qui fait le malin mais n’est pas très fier de lui.
Du fond de la pièce, jaillissant de l’ombre où elle s’est réfugiée, monte la voix méprisante d’Atsuko qui vient enfoncer le clou.
- Enfin ! Cà n’a rien de génial, l’utilisation d’un gestionnaire de contenu, c’est juste ce que vous auriez du faire depuis le début, comme les autres équipes, si vous aviez suivi les préconisations du cours. Vous êtes partis sur une solution trop complexe. Faire tout soi-même ! mais personne ne choisit plus cette option, c’est trop coûteux à développer et à maintenir.
- Merci du conseil, et en plus il n’arrive pas trop tard, rétorque Alphonse, ulcéré par cette intervention venue de nulle part.
Atsuko s’est déjà replongée sur son pc. Il est tout à fait étrange, même incroyable qu’elle ait pu les entendre et faire un commentaire sur leur réflexion. Serait-elle à leur écoute finalement ? En termes d’accompagnement, elle ne leur a jamais rien apporté. D’ailleurs en ce moment, elle pourrait les soutenir et les guider pour qu’ils organisent leur nouvelle orientation au lieu de les ignorer. Est-ce une stratégie de laisser les stagiaires se débrouiller entre eux, qu’ils y arrivent ou qu’ils n’y arrivent pas ?
Mais Cezary n’entend pas en rester là. Il s’en veut beaucoup car il sait qu’il a surestimé sa capacité à réaliser la solution jusqu’au bout par lui-même et qu’il a entraîné l’équipe vers l’échec. Mais il est aussi très énervé après Atsuko qui ne l’a jamais averti du danger de partir sur un développement complet. Elle vient de dire la remarque de trop, celle qu’il n’était pas prêt à entendre. Il supportait son silence car il pensait pouvoir se passer de son aide, mais il est dégouté par le mépris qu’elle ne cesse d’afficher, et il estime désormais qu’Atsuko lui a fait perdre assez de temps et d’énergie. Il se lève brusquement et marche vers la table derrière laquelle elle est assise.
- Atsuko ! lance-t-il à l’adresse de la coach qui redresse la tête.
Quand il est en colère, Cezary retrouve immédiatement son accent polonais et se met à vibrer quand il parle et à rouler les r. Tous les étudiants ont levé les yeux et regardent la scène avec stupéfaction et curiosité, les Alpha et les Gamma éprouvent même une certaine satisfaction d’avoir été plus clairvoyants que les Delta. Alphonse et Zoé se sont approchés derrière Cezary, prêts à le retenir s’il devenait violent.
- Oui ? répond Atsuko qui conserve son calme quoi qu’il puisse se passer.
- Êtes-vous vous bien certaine d’être qualifiée pour nous encadrer dans cette formation ? poursuit Cezary en montant le ton. Vous restez là des heures à nos côtés sans même venir voir ce que nous faisons, et quand nous partons dans une mauvaise direction, votre seule réaction c’est de vous moquer de nous. A distance, sans venir nous voir. Alors je vous pose la question : à quoi nous servez-vous ? Au lieu de nous laisser nous fourvoyer, vous n’auriez pas mieux fait de nous conseiller plus tôt ? Ce n’est pas votre rôle ? Et qu’est-ce que vous faites toute la journée au lieu de vous occuper de vos stagiaires ?
- Cezary, je comprends votre colère, répond Atsuko d’un ton glacial. Mais ce n’est pas à vous de m’expliquer mon travail. Cette formation n’est pas un jeu, vous êtes ici mis en situation réelle, et quand vous êtes en entreprise, il n’y a pas de coach pour vous aider. Alors si vous vous plantez, c’est ennuyeux pour votre employeur.
- Mais c’est exagéré ! rétorque Cezary, nous sommes en formation, nous avons droit à l’erreur, et vous êtes là pour nous guider.
- Peut-être est-ce comme cela que vous voyez les choses, mais ce n’est pas la politique de WorkInsert. Vous vous être trompés dans votre choix de solution, vous devez assumer et rattraper votre retard pour finir votre projet dans les temps. Justement, ne le perdez pas ce temps précieux, vous avez déjà trop bavardé. Elle baisse la tête et se replonge instantanément dans son activité comme si rien ne s’était passé.
- Même dans les entreprises, on a le droit à l’erreur, insiste Cezary qui veut avoir le dernier mot. Faire des erreurs, ça permet de progresser.
- Eh bien, mettez-vous à l’ouvrage et apprenez de vos erreurs. Et maintenant s’il vous plaît, laissez-moi poursuivre ce que j’étais en train de faire et ne m’interrompez plus, termine Atsuko d’un ton glacial.
Zoé et Alphonse attrapent un Cezary hors de lui, chacun le retenant par un bras et le tirent doucement vers l’arrière.
- Viens Cezary, laisse tomber, tu vois que ça ne change rien de te mettre en colère, elle est tout aussi indifférente.
- Je la déteste cette femme, elle se moque de nous, elle nous méprise, on ne sait même pas ce qu’elle vaut.
- En tout cas elle est là et nous on doit continuer notre projet, on te rappelle, on a du boulot ...
- Oui je sais, grommelle Cezary en pivotant et se désengageant des bras de Zoé et Alphonse. Il revient s’asseoir à la table des Delta.
Tous les stagiaires baissent aussitôt la tête et se remettent à travailler dans la salle, la scène est vite oubliée dans la grisaille ambiante. Sauf pour les Delta bien sûr, qui accusent le coup.
Encore secoué par la colère et gardant de la rancune pour Atsuko, Cezary leur propose un logiciel de gestion de contenu qu’il a trouvé sur internet et qui paraît convenir à leur besoin. Il a déjà commencé à expérimenter la solution avant de la proposer à ses amis. Il leur présente les différents petits prototypes qu’il a testés chez lui, il a repris des parties du site développées précédemment dans le nouveau cadre de travail.
Ils passent la matinée à se familiariser avec le nouvel outil, à en découvrir les fonctionnalités et à se concerter pour savoir comment ils vont adapter ce qu’ils ont déjà fait sur la première version.
L’heure du repas arrive trop vite, ils n’ont pas le temps de déjeuner. Violette propose d’aller chercher des sandwiches dans une boulangerie et de manger rapidement sur place. Elle a besoin de prendre l’air et de faire retomber la pression en marchant vite. Tous acquiescent et elle se dépêche de partir. Les Alpha et les Gamma sont sortis déjeuner dans le parc.
Cezary pilote les travaux. Vexé par la remarque d’Atsuko, qu’il a pris pour lui-même puisqu’il avait choisi la mauvaise solution, il accepte la culpabilité d’être à l’origine du retard de l’équipe, probablement à juste titre, mais aucun Delta ne lui fait de remarque. Pour se faire pardonner, il redouble d’efforts et d’idées, et propose une organisation agile pour optimiser le travail.
Tous peuvent travailler en même temps sur le gestionnaire de contenu, chacun sur une partie différente. Une fois qu’ils se sont partagé les tâches et ont compris ce qu’ils ont à faire sur l’outil, le travail avance relativement vite.
Bientôt la page d’accueil reprend forme dans son nouveau contexte : le menu de navigation est simple et s’affiche en haut de la page à gauche, juste au dessous du logo, et en pied de page. Les liens changent de couleur lorsqu’on passe dessus avec la souris. Les teintes sont douces et n’agressent pas les yeux, la police de caractères est sobre et facile à lire. Le lien sur le logo permet de revenir à la page d’accueil, où que l’on soit. Les Delta reprennent espoir.
- C’est fonctionnel et pratique, en un clin d’œil on repère ce qu’on cherche, le compte abonné est en haut à droite, les icônes sont explicites. On a même ajouté le lien vers la page Facebook qu’on avait développée. Les boutons sont attractifs et bien placés, analyse Violette, toujours pragmatique.
- Nous voilà avec une bonne base pour poursuivre avec les autres pages, dit Zoé
- La conception du site avait été faite, il faut maintenant transposer dans le gestionnaire de contenu, indique Cezary. Mais c’est un gros boulot.
- Que fait-on pour les autres pages ? demande Alphonse.
- Vu l’heure c’est la fin de la journée, on continuera demain, tranche Violette qui n’a plus qu’une idée en tête, rentrer chez elle le plus rapidement possible pour retrouver John.
- Cette fois ça vous dit un pot tous ensembles avant de rentrer chacun chez soi ? propose Alphonse.
- Oui mais rapide, répond Zoé.
- C’est moi, qui offre dit Cezary, je me suis énervé contre contre Atsuko aujourd’hui, j’aurai peut-être pu tout faire capoter, on s’en sort bien.
- Il fallait bien que ça éclate un jour, dit Alphonse, elle a trop abusé.
- Mais tout est de ma faute, dit Cezary, j’ai cru que je pourrais y arriver tout seul mais c'était trop gros pour moi.
- Allez, inutile de se faire du mal sur ce qui est passé, l’important c’est de bien finir, répond Zoé.
- On va travailler comme des fous et on va réussir, avance Alphonse qui se charge de remonter le moral de l’équipe.
- Merci les amis, vous ne m’en voulez pas ?
- On est une équipe, on assume ensemble, conclut Alphonse.
- On y va ? reprend Zoé qui a hâte de rentrer chez elle.
- Désolée, je dois partir, John m’attend, dit Violette.
Ils se séparent devant la porte vitrée de WorkInsert, Violette part d’un côté et les trois autres se dirigent vers la brasserie Jeanne au coin de la rue. L’humeur est plus joyeuse que la veille, néanmoins ils savent qu’il y a encore beaucoup de travail avant de finaliser la nouvelle version du site. Et ils n’ont pas encore commencé à tester …
*
Ils reviennent tous de bonne heure le lendemain et les jours suivants jusqu’à la fin de la quinzaine. Cette fois le rythme est rapide et efficace, ils sont complètement entrés dans le jeu et évoluent en totale symbiose. On dirait presque une mécanique bien huilée.
Conscient d’avoir fait perdre beaucoup de temps à l’équipe, Cezary met les bouchées doubles et travaille jours et nuits pour rattraper le retard. La reprise avance d’autant plus vite : les autres Delta ont la joie de voir chaque matin les progressions accomplies depuis la veille au soir.
Ils évoquent la possibilité d’insérer des vidéos de recettes dans le site. C’est tout de même assez complexe.
Cezary a bien envie de se lancer dans cette nouvelle aventure, mais les autres membres de l’équipe freinent son ardeur : il y a peut être plus urgent à faire. Il faudrait de plus enregistrer la vidéo. En aparté, Zoé promet à Cezary de se filmer en train de préparer une recette de cuisine à la maison, ainsi il pourra tester une vidéo pour voir l’effet rendu. Mais en dehors du travail de groupe !
Les différentes pages web reprennent vie dans le gestionnaire de contenu, quelques transformations sont nécessaires pour s’adapter aux contraintes de l’outil. Majoritairement, le résultat est satisfaisant.
Il y a la page pour la réservation des cours, avec le planning des différents ateliers. Les photos de présentation sont attractives et donnent envie de s’inscrire à toutes les séances. Eux-mêmes se sont mis en scène lorsque c’était nécessaire. Mamina a envoyé quelques photos de ses préparations culinaires, Zoé a photographié des plats réalisés par Lucia ou par elle-même. Ils n’ont pas cédé à la tentation de rechercher des images sur les banques de photos, pour donner une allure plus naturelle à leur site, un esprit ‘comme à la maison’ ! Cezary a même obtenu des photos de recettes polonaises envoyées par sa famille. Les plats y sont présentés dans de magnifiques porcelaines peintes à la main.
La page des cours en ligne contient une vingtaine de descriptions de recettes plus savoureuses les unes que les autres, avec des photos appétissantes. Pour certaines préparations, il y a même un tutoriel. Le niveau de difficulté des recettes et le coût sont signalés par des icônes que Violette a elle-même créés.
Un abonné peut créer son compte pour consulter le planning des réservations, et payer les cours avec une procédure sécurisée.
Il est possible d’accéder à la FAQ pour trouver les réponses aux questions les plus courantes (pour cette page, Zoé a du faire beaucoup de recherches auprès de toutes ses connaissances), aux différents réseaux sociaux. Ils ont renoncé à installer un webchat (trop antique), ou à un chatbot (trop luxueux) pour répondre en instantané à des questions d’internautes.
Il y également la page Contacts et la page ‘Notre Histoire’ qui décrit l’initiative imaginaire Troc et Toques.
- Le site est à peu près dans son état final, il nous reste à le tester de bout en bout…
- C’est ce que nous ferons lors de la prochaine session. Pour l’instant c’est le retour en entreprise.
Les trois équipes se donnent rendez-vous chez WorkInsert dans deux semaines, le temps de finir leurs stages professionnels. Grâce à leur investissement pendant la dernière session, les Delta ont résorbé leur retard et leur projet est quasiment au même niveau d’avancement que ceux des Alpha et des Gamma. Cezary promet de peaufiner le site, Zoé de faire la vidéo et le cas échéant de trouver d’autres recettes et photos qu’elle ajoutera au contenu. Violette et Alphonse sont moins motivés, après la période de déprime, la quantité de travail fournie pour combler le retard et l’euphorie qui a suivi, ils éprouvent le besoin de faire une césure avec le projet.
*
Quinze jours plus tard, les Delta se retrouvent rue de la B. dans le hall d’entrée de WorkInsert. Mme LaBelle les accueille et les informe qu’Atsuko ne sera pas là aujourd’hui. Elle est heureuse de les voir pour la dernière session, la plus importante souligne-t-elle avec un sourire faussement complice.
- Quel dommage qu’Atsuko ne puisse pas vous aider dans cette dernière ligne droite ! Elle est actuellement sur une mission à l’étranger et ne sera de retour que pour votre soutenance.
Tous ont envie de hurler, tellement ce dernier coup bas les exaspère. Non seulement Atsuko ne les a jamais coachés, mais encore elle se permet de les abandonner complètement au moment où ils auraient besoin de conseils de dernière minute. Et de plus, c’est elle qui se permettra de juger leur travail à la fin. Ils ne peuvent s’empêcher de penser que l’altercation avec Cezary a un lien avec l’absence du coach. Mais ils ont tout fait sans elle, ils continueront à se passer de son aide sans problème.
- Nous y allons Mme LaBelle, nous avons beaucoup de travail pour finaliser notre projet avant de le présenter aux professeurs.
- Allez-y, la salle Hydrogène vous attend. Bon courage à vous.
L’équipe Delta se dirige d’un pas décidé vers la salle de cours, où les Alpha et les Gamma les accueillent avec de grands bonjours joyeux, et démarre sa journée sur les chapeaux de roues. Cezary et Violette testent le site et corrigent les anomalies identifiées. Zoé et Alphonse ajoutent du contenu, retouchent des textes ou remplacent des photos qui ne leur semblent pas ou plus suffisamment pertinents. Ils alternent avec la rédaction du support de soutenance qui est également bien avancé.
Les deux dernières semaines passent comme un éclair, ils se retrouvent à la veille de leur examen. Les tests sont concluants. Ils ont déjà fait quelques répétitions de leur soutenance et peaufiné la démonstration de leur site pendant les derniers jours. Pour que les répétitions se passent dans les meilleures conditions, Mme LaBelle a proposé que chaque groupe dispose d’une salle différente pour ce dernier jour. Ainsi ils ne se gênent pas mutuellement. Les Delta ont un plan d’action très précis pour atteindre leurs objectifs, qu’ils mettent en œuvre en salle Oxygène.
- On va chronométrer notre présentation, pour être sûrs de tenir le délai imposé. On a soixante minutes et nous sommes quatre. On laisse dix minutes à la fin pour les questions.
Toutes les tentatives échouent, la durée de passage est supérieure à cinquante minutes.
- On doit s’améliorer, qu’est-ce qui ne va pas, on parle trop lentement, il y a trop de texte ? demande Zoé
- Non, il faut qu’on soit plus sûrs de nous, moins hésitants et qu’on maîtrise la vitesse de parole, répond Violette
- On va recommencer autant de fois qu’il le faut jusqu’à ce qu’on y arrive, confirme Cezary.
Leurs répétitions deviennent sophistiquées : leur dernier après-midi se passe montre en main, ils ont même récupéré un métronome pour structurer leur cadence d’élocution. Ils reprennent leur texte paragraphe par paragraphe jusqu’à ce que le bon rythme soit capté et reproduit systématiquement. Ils veillent aussi à ce que les relais entre chacun d’eux soient fluides et qu’il n’y ait pas de perte de temps. Vers dix neuf heures, le dernier essai semble concluant, le timing est acquis.
Tout semble finalement prêt pour le grand jour.
Comme c’est le dernier soir, les trois équipes décident d’aller dîner ensemble dans un petit restaurant pour fêter la fin de leurs projets. Ils ne veulent pas se séparer brutalement après tout ce temps passé ensemble.
Même Violette a demandé à une voisine de garder John pendant quelques heures pour pouvoir rester avec la classe au complet. La formation a constitué pour elle une bouffée d’air extérieur, elle a rencontré un groupe d’amis qu’elle a aimé revoir pendant les semaines de cours. Elle y a trouvé des personnes attentives, empathiques, prêtes à l’encourager et l’aider quand elle sombrait dans le découragement. Elle a envie de passer une dernière soirée avec eux, ce sera son souvenir de l’équipe.
Toutes les épreuves surmontées pendant les derniers mois les ont rapprochés, autour de ces projets si difficiles. Ils commandent des apéritifs et tout à coup la pression tombe et tous éclatent de rire en levant leur verre et en trinquant à leur réussite.
- Ne fêtons pas trop vite la victoire, il reste à passer les soutenances demain !
- Mais vous avez vu comme nos sites sont beaux ! Et tous semblent fonctionner normalement.
- Le notre est magnifique, disent les Delta, s’il était vrai, nous n’aurions qu’une envie, c’est de nous inscrire à tous les cours de cuisine, et faire toutes les recettes ! Leur enthousiasme fait rire les deux autres groupes, tous sont heureux de ce moment de partage.
- Nos présentations aussi sont bien préparées et maîtrisées ! Je n’aurai jamais cru ça possible, j’ai la sensation que nous sommes partis de très très loin …
- Oui, nous avons failli ne pas nous en sortir. Mais tout ça est derrière nous maintenant.
- C’est génial ! Nous sommes prêts pour la dernière épreuve !
La soirée se déroule dans la bonne humeur et la décompression. Plus tard ils se séparent détendus, chacun rentre chez soi, Zoé arrive rue N. au pied de son immeuble. Tout est sombre, la cour est silencieuse, quelques rares lumières brillent encore aux fenêtres, on entend de la musique s’élever quelque part.
Louis est sur son banc, seul et pensif. Il sourit à Zoé qui vient s’asseoir quelques instants avec lui. Elle a ramené des petits gâteaux secs dans un sac en papier, qu’elle lui donne.
- Ce soir nous avons dîné au restaurant, les trois équipes de la formation réunies, c’était très sympa. Notre projet est fini, nous le présentons demain et puis ce sera terminé. C’est étrange de penser qu’après nous ne nous reverrons que peu ou pas, chacun continuera de son côté, après une année passée ensemble.
- Ainsi va la vie Zoé, on se connait, on se côtoie puis on se quitte et on s’oublie.
- Vous êtes presque poète ce soir, Louis ! dit Zoé en souriant.
- Tu es prête pour demain ?
- Oui je crois, vous savez Louis, notre site internet est vraiment très beau, je suis fière de notre travail. Je viendrai vous faire une petite démonstration avec mon ordinateur demain ou après demain. Vous verrez, c’est vraiment chouette !
- Merci Zoé, ça me fera très plaisir.
- Bonsoir Louis, je monte, je suis épuisée, et je dois être dans une super forme pour demain.
- Bonne nuit Zoé, et merci pour les biscuits.
Zoé se lève et s’éloigne dans l’ombre de la cour. Elle allume la cage d’escalier et s’élance en courant pour monter les marches. Resté sur son banc, Louis la regarde avec tendresse, de tout son cœur il lui souhaite de réussir. Lorsque la lumière de la cage d’escalier s’éteint, il soupire, ramasse le sac de biscuits et à son tour se dirige vers la porte de son immeuble, où il disparaît dans la pénombre.
Bon j'essaie de me plonger dans ton texte, dis donc toi aussi tu as des longs chapitres !
On imagine très bien cette plongée dans le monde de l'entreprise. J'ai du mal à comprendre le choix des titres de chapitres par contre. Et je trouve ça assez déroutant ta manière de faire les dialogues, c'est bizarre que des fois on ne sache pas qui parle, après j'imagine que c'est fait exprès ?
Les noms des équipes, Delta, alpha, gamma, ça me fait penser à Aldous Huxley.
Je t'avoue que j'ai un peu de mal à me plonger dans ton texte par contre. non pas que ce soit mal écrit, mais c'est un style qui est un peu éloigné de ce que je lis habituellement. Je me demande aussi s'il ne faudrait pas qu'une action se développe plus visiblement dans ton chapitre. pour l'instant, on a surtout l'impression de tout voir à travers les yeux de la narratrice, qui semble un peu passive, même si on a accès à son opinion et ses pensées sur ce qui se passe.
Au début j'avais mis des titres de chansons comme titres de chapitres, mais je ne sais pas si on a le droit par rapport aux droits d'auteurs.
Comme le livre parle beaucoup de nourriture par la suite, j'ai switché sur un autre style de titres, en lien avec des desserts, mais oui sans lien réel avec le chapitre.
Tu as peut être raison sur la passivité de la narratrice ... j'espère que cela changera dans les chapitres suivants, sinon ça doit être un de mes gros défauts ...