Clichés romantiques

Cela faisait tellement longtemps qu’ils ne s’étaient pas vus. Ils ignoraient totalement comment les choses allaient tourner. Leur première rencontre avait été tellement belle. Elle remontait à quelques mois maintenant. Au départ, timides, ils s’étaient jaugés, ne sachant comment ce rendez-vous allait tourner.

Puis Eustache avait vite pris les devants, se montrant exubérant. Il ne craignait pas de tout faire crépiter autour de lui. Son objectif était de capturer tous les instants.

Gilbert, plus réservé, avait attendu dans son coin. Chaque fois, il craignait qu’on lui fasse une remarque sur sa couleur. Ses aspirations étaient plus floues, moins cadrées. Il lui fallait du temps avant de montrer le bout de son nez. À la moindre occasion, il repartait se cacher, de peur de déranger. De toute manière Eustache était plus à son aise que lui. C’était l’évidence même.

À force de se voir régulièrement pendant le séjour, ils s’étaient rapprochés. Ils avaient tant en commun, à commencer par cette passion d’immortaliser les souvenirs. Puis les événements s’étaient enchainés. Il avait fallu partir, se séparer. Tous les deux s’étaient promis de se revoir et surtout de rester en contact.

Le grand jour était là. Gilbert partait à Paris quelques jours pour passer à nouveau du temps avec Eustache. Il était chargé à bloc. Il ne voulait pas passer à côté de la moindre occasion. De son côté, Eustache angoissait. Il redoutait d’en avoir fait trop au point de faire fuir son ami. N’aurait-il pas dû être plus discret ? Mais Gilbert lui avait plu au premier regard : si unique que lui, l’espèce de Zébulon pictural, s’était sentie commun à côté.

Eustache faisait les cents pas sur le quai de la gare. Il ne tenait pas en place. Le calme matinal le stressait presque. Il aurait préféré pouvoir grommeler qu’on le bousculait dans tous les sens. Ça lui aurait fait une occupation.

Quand le train s’immobilisa en gare, Gilbert cru défaillir. Tout le mécanisme mis en place pour venir semblait se gripper. Il avait la sensation de perdre de la carte. Ses retrouvailles étaient-elles une bonne idée ? Était-ce normal se mettre dans tous ses états pour cela ? Il était trop tard pour reculer. Il sentait le mouvement le mener vers leurs retrouvailles. Chaque avancé le rapprochait d’Eustache.

De son côté, Eustache était totalement immobile, glacé. Tout cognait en lui. Un léger crépitement montait en lui. Il voulait le voir, absolument. Comment pouvait-il en être autrement ?

À la terrasse du café, elles discutaient joyeusement, sans avoir conscience des enjeux actuels. Elles n’étaient que deux amies qui papotaient autour d’une bonne boisson chaude. Qui aurait pu penser que, à proximité, Gilbert et Eustache attendaient avec angoisse la seconde où ils seraient enfin face à face. Ils étaient là, à se terrer dans l’ombre des sacs. Quand allaient-elles enfin réagir ?

Une raie de lumière caressa la carcasse de Gilbert. Il fut aveuglé, comme si un flash avait été déclenché pile au niveau de sa pupille. Il sentit son diaphragme se contracter à l’agression sensorielle. Une main l’effleura. Il eut l’impression de s’envoler.

De son côté, Eustache perçut un souffle d’air qui l’enveloppait. La chaleur confortable de ses protections s’évapora. Il n’avait plus d’endroit où s’emmitoufler.

Ils étaient en contact avec la surface froide du plateau. En face, l’un de l’autre, immobiles, aucun rapprochement ne semblait possible. Ils étaient incapables de se toucher. Il fallut que la table soit déséquilibrée pour qu’Eustache glisse vers Gilbert.

Ils s’observaient tout à leur bonheur. Que de belles photos, ils pourraient prendre ensemble. Ils étaient si proches. Ils avaient flashé l’un sur l’autre. Chaque clic de prise de vue, chaque mise au point était une déclaration d’amour. Ils nouèrent leurs lanières pour ne plus être séparés. Ainsi ils visitèrent Paris. Bien entendu, ils ne se lassèrent pas d’échanger leur clichés.

Ils se photographièrent l’un à l’autre et eurent beaucoup de photos.

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Ety
Posté le 13/05/2024
Ah, quelle merveilleuse métaphore!
Tu maîtrises bien le vocabulaire des thèmes choisis (mais je crois qu'on dit "un rai de lumière").
J'hésite pour mon expression préférée. La dernière est collector, mais je vais choisir "ils avaient flashé l'un sur l'autre" . Tu as l'air d'être du style à écrire ce genre de texte dans un concours/examen avec cette phrase à inclure pour toute consigne! Bien joué.
plumedencre
Posté le 25/05/2024
Merci.
Écrire ce genre de petits textes m'amuse beaucoup.
Ça détend et permet d'explorer différentes formes de narration. C'est aussi une technique d'écriture pour se débloquer sur 1 texte qui nous donne du fil à retordre
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