TATA MOMO M'A DEMANDÉ UN JOUR de lui dessiner l'hiver.
Elle voulait tester mon intelligence, je l'ai deviné tout de suite.
Presque aussitôt, j'ai eu l'idée de faire un bonhomme de neige.
Je m'en souviens, j'étais fou de joie d'avoir eu cette idée-là.
Dans mon coffre à jouets, j'ai pris une feuille blanche. La moins froissée de toutes.
Et, en fouillant dans la pile de jouets cassés, j'ai retrouvé ma boite de crayons de couleurs.
Je me suis allongé par terre, sur le ventre.
J'ai posé la feuille blanche devant moi.
J'ai ouvert la boite de crayons de couleurs.
J'ai pris le crayon violet, ma couleur préférée.
Et puis, j'ai réfléchi. J'ai réfléchi longtemps.
Car dans ma tête, je voulais reproduire un paysage tout blanc, au milieu duquel je voulais poser mon bonhomme de neige, qui aurait eu les bras écartés, comme un épouvantail.
Dans ma tête tout était clair, mais ma main ne comprenait pas la vision de mes pensées.
Et mes yeux ne comprenaient pas comment dessiner la neige et le froid.
Quand soudain, j'ai reposé le crayon violet.
Et à la place, j'ai pris le crayon blanc.
Je ne m'étais encore jamais servi du crayon blanc.
Pour moi, le blanc n'était pas vraiment une couleur.
C'est pour cela qu'il était le plus long crayon de ma boite. Il était le plus neuf, mais semblait le plus malheureux de tous. J'avais pitié de lui.
Aussi, je me suis dit : toi mon ami, si tu dois servir un jour, c'est bien aujourd'hui !
Sur ce, j'ai cru ressentir qu'il me disait : prends-moi, tu ne le regretteras pas !
Alors, je l'ai pris et j'ai porté sa mine vierge sur ma feuille.
En haut de ma feuille, pour figurer le ciel, j'ai d'abord fabriqué des dizaines et des dizaines de flocons blancs qui dansaient dans tous les sens.
Sur la ligne d'horizon, dans le lointain, en tout petit, j'ai commencé à dessiner un village tout blanc avec son église, ses toits pentus, ses cheminées d'où sortait de la fumée blanche. Puis, dans la partie basse de la feuille, j'ai recouvert mon champ d'un épais manteau de neige, noircissant de blanc chaque centimètre de l'espace.
Là, en plein milieu de ce champ, j'ai alors dessiner mon bonhomme de neige, tout doucement, ligne après ligne, en m'appliquant beaucoup.
Sa tête drôlatique, son gros ventre et ses long bras.
Je ne voyais absolument pas ce que je dessinais, mais je le dessinais exactement comme il était dans ma mémoire. J'en étais sûr et certain.
Quand je l'ai terminé, j'ai vu qu'il manquait quelque chose : son nez-carotte.
Alors avec le crayon orange, j'ai fait un petit trait au centre de sa tête.
Et puis, fou de joie, je me suis élancé vers tata Momo pour lui montrer mon dessin.
- Voilà tata Momo, j'ai fini.
Elle a saisi ma feuille et m'a dit aussitôt en se marrant énormément :
- C'est ça l'hiver, d'après toi ?
J'étais tout piteux. En une seule phrase, elle m'avait congelé toute ma fierté. Je pensais avoir réalisé un petit chef-d’œuvre, et c'était raté.
- Oui, regarde bien. C'est l'hiver, avec un bonhomme de neige au milieu de la campagne.
- Et ça, c'est quoi ? m'a t-elle encore dit en désignant, très ironique, le petit trait orange, le seul trait de toute la feuille, visible à ses yeux.
- Ça, c'est son nez-carotte !
- Mais il est où ton bonhomme de neige ? Tu te fous de moi ?
Très vexé, le cœur presque glacé, j'étais à deux doigts de m'effondrer en pleurs, mais à la place je lui ai dit :
- Mais pourquoi, tu ne me crois pas ? Pourquoi ?
- Je veux bien te croire Lolo. Il est peut-être encore dans ta tête, mais pas sur ta feuille.
- Si, il est sur ma feuille, je le jure.
- Où alors ? Montre-moi ! Montre-le moi ton bonhomme de neige.
- Non, tu pourras jamais le voir. Jamais !
- Et pourquoi ça ?
- Parce qu'il est comme ton cul, il a fondu !
Encore un chapitre drôle où comment se triturer les méninges pour dessiner la neige. Il y avait bien ces crayons blancs dans les boîtes de couleurs, on ne les utilisait jamais. J'ai eu la même boîte et fait le même constat. Le monde de l'enfance à sa logique simple et efficace qui échappe bien souvent à la logique de l'adulte, chacun évoluant sur une planète qui effectue sa propre révolution.
L'effronterie de la réponse agacée de Lolo, m'aurait valu un belle torgnole, et pourtant c'est un cri du cœur devant l'incapacité de tata Momo à comprendre. Le monde des adultes est souvent trop limité pour un enfant.
J'ai beaucoup ri en rêvant imaginer posséder cette audace libératrice.
Super comme d'hab.
A bientôt
As-tu lu mon MP ?