DE CES BOUTS DE NUITS ATROCES, quand mes parents me laissaient seul sans rien me dire, j'en ai connu beaucoup.
Mais ces histoires que je m'inventais pour faire taire mes angoisses n'étaient que des bulles de savon. Dès qu'elles avaient éclatées, me revenaient aussitôt mes peurs paniques. Pétrifié comme une momie, serrant les poings, je ne pouvais m'empêcher de penser tôt ou tard à la mort. Pas à la mienne, mais à celle accidentelle, tragique, de mes parents. Comme mes divagations étaient puissantes, je les imaginais le plus souvent avec les membres tout tordus, la figure baignée de sang, au fond d'un bois, ou d'une cave, ou encore empalés sur des rochers, fouettés par des vagues gigantesques. S'ils étaient morts, éloignés l'un de l'autre, j'obligeais mon esprit à les rapprocher, à ressouder leurs corps, afin qu'ils montent ensemble au ciel. Je les voulais toujours amoureux, alors je les enlaçais l'un à l'autre, bouche contre bouche, cœur contre cœur, pour qu'ils se tiennent chaud le temps du voyage jusqu'au paradis.
Et puis, une idée effroyable chassant l'autre, j'effaçais d'un coup leur funeste martyre. Ils n'étaient plus que gravement blessés. Le bon Dieu les avait sauvés, mais me demandait en échange de sacrifier l'un des deux pour que l'autre survive. Et je devais me décider vite, car le bon Dieu était très pressé. Il devait aller secourir d'autres parents qui avaient eu un grave accident de voiture.
Épargner ma mère ? Préserver mon père ? Le choix m'était à chaque fois des plus déchirants. Devant mes hésitations, le bon Dieu n'était pas content. Il tapait du pied, pianotait avec ses doigts contre un nuage noir.
Parvenu au bout de sa patience, il me lançait alors ce terrible ultimatum : je te donne dix secondes pour me dire lequel des deux tu aimes le plus, tu aimes le moins !
Ainsi, mon pauvre papa a bien dû mourir des dizaines de fois comme, la mort dans l'âme, je finissais toujours par déclamer la même prière :
Il ne faut pas ma maman que tu meures.
Il ne faut pas ma maman que tu meures.
Je ne veux pas ma maman que tu meures.
Ma maman, si tu meures, je mourrai aussi.
Ma maman, si tu meures, le monde entier mourra.
Si tu meures, ma maman, tous les chats, tous les chiens, tous les animaux de la terre, tous les jours de la vie mourront aussi.
Ma maman, si tu meures le bon Dieu sera mort.
Je ne verrai plus le bon Dieu dans le noir, ma maman si tu meures.
Il n’y aura plus de chansons d’Édith Piaf par les fenêtres, si tu meures ma maman.
Il n’y aura plus de maison, de forêts, de manèges, il n’y aura plus de bonne soupe délicieuse dans mon ventre.
Il n’y aura plus de machine à coudre qui fait tant de bruit et de belles jupes.
Il n’y aura plus tes beaux rires et tes belles larmes ma maman si tu meures.
Il n’y aura plus de maman, ma maman si tu meures.
Ma maman si tu meures, je veux mourir avec toi.
Non, je ne veux pas mourir avec toi.
Je veux mourir avant toi, ma maman si tu meures.
Amen.
Rien à redire, ton texte est abouti.
Penses-tu le présenter à un éditeur ?
Je t'ai envoyé un MP, l'as-tu reçu ?
A bientôt !