Les vagues se fracassent sur les roches noires du paysage.
Je regarde ce spectacle avec admiration et une pointe de peur. L’eau est une force de la nature qui ne saurait contrôler sa puissance et qui briserait tout sur son fugace passage. Je n’ose m’imaginer emportée par ces masses d’eau menaçantes.
Je me sens faible vis à vis de tant de noblesse et de rage. L’Océan se heurte inlassablement contre les parois sous mes pieds et des roches humides se détachent de leurs soeurs. Son rugissement est tel qu’il couvre le cri des goélands, ces grands oiseaux blancs qui peuplent les côtes. Ils me regardent d’un drôle d’oeil, se demandant probablement ce qu’un être humain vient faire ici par une pareille tempête. Ils riraient s’ils apprenaient que moi-même, je l’ignore. L’impression de vivre un rêve a envahi ma bouche et mon corps. Un goût amer accompagne ce sentiment et l’odeur du sang s’ajoute elle aussi. Le doute s’installe dans mon esprit. Comment me suis-je retrouvée devant cette étendue grise et blanche qui hurle au vent son courroux? Était-ce lors d’une balade? Aucun éclair fulgurant ne vient foudroyer mon esprit: ma question reste sans réponse. Alors, alors, je me mets à admirer avec passion, cette houle saisissante. Les vagues glissent sans fin et le vent siffle à mes oreilles des mots dont je ne saisis pas le sens. Je m’assois et contemple.
Les eaux sont couvertes d’un manteau épais d’écume et de mousse marine. Aucune algue ne vient décorer cette veste que porte fièrement Poséidon. Il est blanc et pur. De temps à autres, les hautes vagues remuent cette parure et font miroiter dans un miroir d’ébène, les rares rayons de soleil que laissent percer Hélios. Les deux dieux se confrontent dans des éclats de colère et de tonnerre. Quelque soit leur querelle, ils se font face avec fureur et ardeur. De mon rocher perchée, je regarde cet affrontement avec conviction et admiration. Les divinités sont cruelles et sans pitié. Poséidon lance ses vagues contre le ciel. Elles tendent leurs eaux avec avidité vers le Soleil caché, elles y sont presque…presque…encore un tout petit effort pour atteindre leur but…mais elles retombent dans un grand fracas d’eau et un bruit sec.
Je me bouche les oreilles, l’impact est si fort qu’il claque à mes tympans et déverse une eau glaciale sur mes vêtements. Je frissonne mais ne me décourage pas pour autant et reporte mon attention sur le spectacle qui se déroule sous mes yeux.
Il m’a semblé que le vent devenait plus fort, mais peut-être n’était-ce qu’un fugace retour à la réalité qui m’a brusquement saisi. Je m’en retourne aussitôt à ce délire mythique avec entrain, oubliant le froid de mes apparats contre ma peau.
Les dieux ne doutent pas de ma présence et je peux avec délice les contempler sans crainte. Dans les vagues, un trident se dessine et des chevaux à la queue de poisson bondissent dans cette tempête océanique. Dans les rayons de Soleil, un char est lancé à toute vitesse! Les équidés hennissent et glissent sur la rampe dorée que leur déploie l’astre solaire! Un homme à la couronne de feu encourage ses montures, l’épée pointée en direction de son ennemi marin et ses créatures. Ils se rapprochent, cela ne fait aucun doute. Je suis toujours là, en hauteur, dévorant chaque geste, chaque scène que jouent les acteurs divinement bons. Je me lève, entraînée par cette bataille qui est sur le point de se terminer. Je veux savoir qui est le dieux qui remportera cette bataille des éléments. Mes yeux suivent le char doré qui se précipite vers les chevaux bleus comme des aimants. Ils sont désormais très proches l’un de l’autre. Il me semble entendre des cris de guerre, et les roues du char qui dévale la pente dorée! Hélios lève son épée et Poséidon dresse les vagues en fureur, l’un rencontre l’autre dans un éclair de lumière aveuglant.
Éblouie, je titube et ferme les yeux. Quand soudain, le sol se dérobe sous moi. La falaise a disparu, le bord est venu à moi. Je pousse un cri de terreur, tentant de détourner les dieux de leur combat inutile
La chute me semble interminable. Sans fin. Infinie. Vais-je heurter les roches aiguisées des hauts-fonds? Ou plongerais-je dans les eaux glaciales de l’Océan du nord?
La réponse ne tarde pas à venir. Le froid m’envahit tout d’un coup et mon souffle se coupe violemment. L’eau bouillonne à mes oreilles et la lumière du soleil ne tarde pas à être qu’un lointain souvenir. L’orage gronde encore, je l’entends bien qu’il soit étouffé par la masse mouvante de l’eau noire. Maudit soit le combat des dieux, maudits soient les dieux! Ô comme je les hais désormais! Ô ces êtres qui de leur charme divin te détournent du droit chemin! L’air me manque et le sombre vient envahir mes yeux, comme le voile d’une veuve.
Veuve.
Ce mot résonne en moi comme un écho sans fin. Oui. Je me souviens désormais. J’étais sur cette falaise pour retrouver celui que j’aimais. Pour mettre fin à mes jours.
Si les conditions me l’auraient permises, j’aurai ri avec ironie. Mais je ne peux pas et je me laisse couler inexorablement. Dans un dernier sursaut de vie, je vois la tempête se calmer et des chevaux à la queue de poisson qui regagnent les mers, avec un doux hennissement satisfait tandis qu’un rayon de soleil tente désespérément de réchauffer mon corps glacé. Je souris doucement et touche le fond.
Maudis soient-ils.