Je l’ai trouvée juste là.
Jaunie, vieillie. Lambeau de passé. Arrachée de son temps. Fenêtre sur le monde.
Je l’ai trouvée juste là, entre la commode et le mur. Entre les planches de bois foncé et la peinture écaillée. À peine accessible, lorsque l’on déplaçait le meuble. J’aurais voulu la lire plus tôt. Je te le jure, si j’avais su, je l’aurais lue bien plus tôt.
Mais j’ai cinq ans de retard, me dirais-tu.
Je l’ai dépliée, là, le dos contre la commode et le mur. Contre les planches de bois foncé et la peinture écaillée. J’avais l’esprit plus cotonneux que je l’aurais souhaité. Jamais je ne rivaliserai ta clairvoyance. Jamais.
Tu sais, j’entends encore ta voix. J’entends la couleur de tes mots, le ton de tes phrases, le timbre de tes paroles. Je l’ai entendue, j’ai senti toutes ces choses, lorsque j’ai ouvert cette lettre. Jaunie, vieillie. Lambeau de passé. De notre passé. Preuve de plus qu’il était bel et bien passé.
Perdu.
Je l’ai lue, cette lettre que tu m’avais laissée. Chaque lettre, chaque mot, chaque paragraphe. Et j’ai plongé. Plongé vers un monde que j’avais réussi à oublier. Que je ne connaissais plus. Parfois, l’Homme est si obnubilé par le présent qu’il en oublie ses rêves. Ses souvenirs lointains.
Et ce souvenir était si lointain pour moi que je m’y suis perdue. Perdue. Perdue dans ce monde dont les chemins ne me disaient plus rien.
Seule ta voix me guidait. Les traits de ta plume, excessivement trempée d'encre. Les traits épais de ta plume tremblante.
Je t’ai vu écrire, juste là, adossée à la commode, au mur. Aux planches de bois foncé, à la peinture écaillée. Je t’ai vu, dans ce monde inconnu, intangible. Ce monde qui m’est devenu indigeste, avec le temps.
Il y a des choses qu’il vaut mieux oublier, parfois.
Comme les mots.
Comme les voix.
Je l’ai repliée, ta lettre. Juste là, devant la commode et le mur. Parce qu’elle était jaunie, vieillie. Parce qu’il était trop tard.
J’avais cinq ans de retard, comme tu l'aurais dit.
Et le temps ne pardonnera jamais personne.
Eh oui, rien ne détrônera jamais la poésie du bec d'une plume traçant voluptueusement ses mots contre la surface fibreuse d'une feuille de papier...^^
Mais oui, tu as raison, voilà encore ce temps qui nous joue des tours ! Les notions de passé, de souvenirs, de chances perdues, de vies perdues aussi, ce sont autant de couleurs parfois bien tristes que j'aime beaucoup écrire...
Merci pour ton commentaire !^^