Liam pose ses prunelles bleues sur la figure enfantine de Yann, y cherchant vainement la raison de cette moquerie mesquine et gratuite. Yann ne regarde pas son interlocuteur, il a sorti ça sans réfléchir, par habitude. Il n'attend pas de réaction particulière. Liam devrait-il se fâcher ? Peut prompt à la chose, il décide de lui répondre tout simplement.
- C'est mal d'être romantique ?
- Nan.
Yann affiche une expression sérieuse tout-à-coup, il pensait que Liam se tairait, un peu honteux ou bien le raillerait à son tour pour se défendre. La question toute simple de Liam le touche. Il se contente de sourire gentiment en passant une main sur la joue du Blond qui du coup rougie à vu d'œil.
- Moi je n'ai pas eu de fleurs à mon premier rendez vous haha ! affirme-t-il d'un rire nerveux en attrapant le pain sur la desserte.
Liam fixe le fond de son assiette afin de faire remonter le souvenir si lointain qu'il désire alors partager.
- Mon premier rendez-vous... Tu veux que je te raconte ?
- Va y toujours chéri, si ça m'ennuie je te le dirais !
Liam hésite, puis se lance.
- J'avais treize ans, j'allais au squash tout les mercredis, je m'y rendais seul avec mon petit sac de sport et mon gouter.
Yann pose des yeux intrigués sur lui.
- Elle était toujours là, devant les portes, en avance. J'ignore quel sport elle pratiquait, si c'était du tennis, du ping-pong ou si elle venait précisément pour pratiquer un sport d'ailleurs. Je n'ai jamais posé la question. J'étais timide, j'imagine qu'elle aussi.
- Une fille ? Qu'est-ce qui a changé notre hétéro de treize ans en suceur de queues ! ?
Liam ne l'écoute pas, il poursuit son récit, sans relever, pour lui seul.
- Nous ne parlions pas. Elle était chaque fois en avance, moi aussi. On attendait ensemble l'ouverture du complexe. Je la regardais en silence, elle me mâtait sans avoir l'air. Plutôt petite, elle n'était pas très féminine dans sa tenue, jogging baskets et invariablement une casquette à l'envers sur la tête. Pas étonnant pour une sportive, son look ne m'avait pas choqué. Elle dégageait quelque chose de lumineux qui ne s'expliquait pas et qui m'attirait. Sa chevelure brune lui descendaient à peine aux épaules. Elle soulignait ses yeux charbonneux de khôl, quelques bracelets, du vernis noir pailleté sur les ongles et c'était tout.
- Quelle mémoire...
- Un jour je suis arrivé en retard, ma mère avait oublié de préparer mon sac, j'étais un véritable assisté à l'époque ! J'ignorais où se trouvait mes affaires. Réunir mon barda avait pris du temps. J'ai ensuite dû courir durant tout le chemin et lorsque je suis enfin arrivé, la porte était déjà ouverte. J'étais très déçu, sa présence habituelle m'a manqué.
- c'est miiiiiiiiignon !
Yann se moque de nouveau, sans réussir à l'atteindre. En vérité le réunionnais se sent mal à l'aise face à tout ces bons sentiments.
- La fois suivante, me faisant un devoir d'arriver plus en avance que d'ordinaire, je l'ai attendu. À son arrivée, mon cœur s'est mis à battre et je lui ai souris.
- Et elle a souris aussi, c'est trop mimi !
- Non, elle est restée impassible, passant devant moi comme si j'étais invisible. J'ai lancé un "bonjour" auquel, il fallait s'y attendre, elle n'a pas répondu.
- Mon choux, elle t'a brisé le cœur cette pétasse !
- J'étais tellement désappointé que lorsque le gardien a ouvert, j'ai laissé tomber sac et goûté au sol.
- La salope !
Liam fronce les sourcils mais continue de raconter.
- J'ai très vite ramassé ma chocolatine glissée sur le bitume du trottoir, pris mon sac sur mon épaule et je suis rentré dans le couloir qui menait aux vestiaires, la dépassant, sans un regard non plus.
- Quel homme !
- Habituellement, j'étais seul quand je ressortais deux heures plus tard. Là, elle m'attendait, je l'ai compris de suite car elle s'est relevée du muret où elle était assise en me voyant approcher. Elle m'a tendu mes papiers. Dans la chute, mon porte feuille, ma carte d'identité et ma carte de sport étaient tombés sans que je ne m'en rende compte. Je l'ai remercié en bafouillant et elle m'a sourit, enfin. Elle n'a pas prononcé un mot. Mais j'étais aux anges.
A présent, le bassiste l'écoute, captivé. Il est certain que cette histoire doit avoir de l'importance pour Liam, son air devenu si étrange presque douloureux interpelle Yann.
- Alors...
Il sourit et se tourne pour être sûr de capter l'attention de Yann.
- La semaine d'après je suis venu avec des fleurs.
Yann sourit aussi mais n'intervient pas.
- Voilà donc le fin mot de l'histoire ?
- Ses yeux se sont brouillés, ajoute Liam qui n'a pas terminé. Et je n'ai pas bien compris ce qui m'arrivait. Elle a attrapé les fleurs, m'a pris la main m'entrainant rapidement derrière le bâtiment.
- Hou là ça devient chaud !
- Tu ne crois pas si bien dire ! Elle s'est penché vers moi et m'a embrassé, La première fois de ma vie qu'une langue inconnue venait caresser la mienne ! Sans doute un des plus beau souvenir de ma vie !
- Comme quoi les fleurs !
Liam baisse le ton et la tête, son regard se perd dans le vague et il finit son histoire ainsi :
- Après ça, elle m'a soufflé un "merci" et au son de sa voix j'ai compris.
- Quoi ?
- C'était un garçon.
De suite Yann lui envi cette histoire sans savoir comment elle s'est terminée.
- Woua !
Liam reprend sa fourchette et recommence à manger.
- Je n'ai plus jamais eu l'occasion d'offrir des fleurs à personne, ajoute-il simplement.
Un silence suit, que Yann se sent obligé de couper.
- Ça a fini comment ?
- Mes parents ont déménagés.
- Mais tu es sorti avec ?
- On s'embrassait pendant deux heures au lieu de s'entrainer, je lui tenais la main, rien de plus, on ne parlait presque pas, on était des enfants encore.
- Tu en as de la chance.
Quelque part, Yann, ça l'énerve qu'il y ait des gens qui aient le bonheur d'avoir de si jolies histoires. Il ne trouve pas normal que Liam soit si proche du rêve et ainsi si loin de son propre début sordide.
Parce que Yann ne voit bien entendu que les points négatifs de son existence. Il oublie sa relation si merveilleuse avec Marie, tire un trait sur sa jolie histoire avec Gabriel. Au moindre contretemps, celles-ci perdent de leurs superbes. Il ne comprend pas, que dans toute histoire, il y a le revers de la médaille.
Parce que si Liam a gardé le bonheur de cette rencontre et de cet amour "interdit" en lui, sa vie en a tout de même été changée. Yann ignore que l'existence de son hôte a basculée ce jour-là, qu'elle s'est compliquée. Il se fiche pas mal de savoir si cette la relation, étant morte avant d'avoir eu vraiment le temps de vivre, n'a pas laissé à Liam, en fin de compte plus de questions et de regrets qu'autre chose. Qu'il pourrait, lui aussi, très bien n'en garder qu'un amer souvenir. Pourtant contrairement à Yann et sa façon pessimiste de voir les choses, Liam ne conserve que la félicité de l'instant et une histoire précieuse.
Pendant qu'ils lavent la vaisselle, Liam observe l'énergumène d'un air soucieux. Sa petite histoire a tant ébranlé l'autre, qu'il n'en a plus sorti un mot jusqu'à la fin du repas. Ça n'était pas le but recherché, au contraire, Liam aurait aimé entamer une vraie conversation. Parler de son passé en espérant échanger avec l'autre, lui semblait être un bon début, une nouvelle erreur...
- Tu devrais me la raconter ton horrible première fois, finit par lancer le blond ne supportant plus la pression de ce silence contrit.
Yann les mains dans la mousse se retourne, interloqué et pâle.
- De quoi peut-il être au courant ? Qui aurait put lui raconter ?
Il panique légèrement.
- Que... quoi ? Qui t'as dit que...
- Je le suppose seulement. Disons que ma petite histoire ne t'a pas incité à me raconter la tienne.
Yann vexé avec peu, prend la mouche de suite, révélant rapidement sa grimace de biais coutumière.
- Holaaa braves gens ! Nous avons un psy dans l'assistance ! Je suis sauvé ! se moque-t-il.
Liam que Yann commence sérieusement à épuiser moralement sort de la cuisine en poussant un soupire de lassitude.
Yann n'en reste pas là et le suit dans la salle.
-Tu en veux du sordide ? Puisque ta vie ne t'en offre pas, je vais t'en raconter alors. À quatorze ans je pense avoir été abusé sexuellement dans les douches d'une piscine municipale. J'ai découvert le sexe en me faisant défoncer la rondelle de force, sans oser dire non ! Et tiens-toi bien, en silence hein ! Parce que derrière la porte se trouvaient mes potes hétéros et homophobes qui discutaient. J'ai dû faire semblant d'aimer ça pour que ça dure moins longtemps. Au final, le gars persuadé que j'avais pris mon pied m'a filé son numéro de téléphone.
Liam reste coi.
- C'est un plaisir de discuter avec toi ! continu l'androgyne. Écoute, on est pas obligé, parce qu'on vit ensemble, dans le même appart', d'être des amis ok ? Si on a rien à se dire, c'est pas la peine de se forcer à trouver un sujet de conversation !
Il tente de rejoindre sa chambre.
- Yann je...
Quand la main de Liam tente de le retenir, son sang ne fait qu'un tour, son point vient s'écraser en plein dans sa figure. La force surprend tout d'abords Liam, un instant chancelant, puis le geste, qu'il ne comprend pas le stupéfie carrément. Il reste abasourdi, laissant finalement s'échapper le jeune sauvageon.
*
Presqu'une semaine plus tard, ils sont toujours en froid. Depuis ce dernier exploit de Yann, la communication entre les deux colocataires est totalement coupée.
- Tu devrais t'excuser, lui conseil Marie.
- Ha bha tien, c'est une fois de plus la folle au passé sentant l'eau croupie, qui doit s'excuser d'avoir heurté la sensibilité du petit bourge, se croyant dans le monde merveilleux de Disney !
- Mais tu t'en veux non ? Sinon tu ne m'en parlerais pas !
- Il m'énerve ! J'ignore pourquoi, tout ce qu'il fait, tous ce qu'il dit, ses manières, ses propos, tous m'énerve chez ce type !
- Et ta copine ?
- Ça c'est du changement de sujet ma chère, c'est quoi le rapport ? Si je t'emmerde avec mes histoires, dit-le tout de suite !
- Hé mollo ok ! Je suis pas ton coloc' moi !
- ...
- Tu ne tiens pas une conversation de plus de deux minutes sans me parler de lui, t'es fou de ce gars ! J'te connais, t'es accroc et ça te fiche la trouille ! Crois-moi, ça m'fou la trouille aussi ! Alors ouais, je te demande ce que devient la seule barrière sexuelle qui t'empêcherait de faire une nouvelle connerie !
- Elle est en Inde pour trois semaines encore, peut-être plus, on s'est rien promis. À vrai dire, je pense qu'elle ne reviendra pas.
- Super.
- Il... il a plein de qualités, plus que des défauts. C'est un beau mec en plus. Je lui plais mais ça n'est que mon corps, la surface quoi. Je ne suis pas celui qu'il peut ou veut imaginer. Il a pitié de moi, il ne sait pas qui je suis. Et j'ai pas envie de faire d'efforts parce que je vais espérer ensuite. Espérer qu'il me regarde autrement et si ça n'arrive pas...
- Tu n'as aucune raison de faire pitié Yann.
- C'est exacte ! Je n'ai pas à avoir honte, alors pourquoi je me sens si nul en sa présence ?
- Garde tes distances, lâche l'affaire, vous êtes beaucoup trop différents.
- Aujourd'hui, il y a un lunch chez lui. Il reçoit d'anciens camarades de classe de sa promo, des élèves de son école d'architecture. Il a pris sur lui de venir me parler, il m'a demandé "aimablement" si j'acceptais de l'aider à la cuisine. Il connait mes dons culinaire m'a-t-il dit !
- Bha c'est déjà ça non ?
- Arrête, il croit que je suis du genre à bosser en cantine ou en cafétéria....
- ...
- Je te jure, j'invente pas ! J'ai l'impression d'être un esclave idiot, le problème c'est que je lui suis redevable pour le toit que j'ai sur ma tête, et je me dis que c'est peut-être juste moi qui suis un imbécile. Y'a pas de sot métier après tout. Il ne me demande jamais qu'un petit service, sa mère va l'aider aussi.
- Tu vas le faire alors ?
- Je n'ai rien répondu, j'ai envie de le laisser se démerder et en même temps, je me sentirais vraiment ingrat.
- Laisse ton putain d'égo de côté ! Lui rendre service ramènera sûrement un semblant de tranquillité dans vos échanges.