Alors que déjà le japonais met le contacte, Gabriel se jette sur le siège passager en râlant.
- J'imagine qu'tu vas m'prendre la tête !
- Est-ce que je t'ai dit la moindre chose ?
- Ch'uis pas jaloux ok ! Sûrement pas de cette...
- Tu t'inquiètes ?
- Pas pour lui ! C'qui m'fait chier c'est qu'ça va encore m'retomber d'ssus, j'le sens c'te connerie !
- ...
- Tu vas pas m'dire que t'as rien r'marqué !
- Elle était blindée, si c'est de ça que tu parles.
Uzu est tombé pile. Gabriel lève les yeux au ciel en même temps que les mains, en signe d'approbation, sans en dire d'avantage.
- Est-ce que Yann est susceptible de la suivre ? interroge l'asiatique perplexe.
- Dans ses délires alcoolico-droguesque ? Qu'est-ce que j'en sais, sans doute. Quand j'l'ai connu y disait pas non à un joint, ni a un verre d'punch.
- Elle part en inde, tu sais, c'est loin de lui.
- Elle revient dans un mois.
- Peut-être pas.
- ...
Les deux restent muets un instant, Gabriel a le regard perdu vers l'horizon.
- Puisqu'elle part, qu'est-ce qui t'ennuie ?
Gabriel soupire.
- Ch'uis content d'un côté qu'il reste, pour l'groupe entre autre. Mais une situation comme celle là, tu vois, ça prouve qu'il est capable de s'retrouver à faire n'import'quoi !
- Liam s'inquiète aussi pour lui.
- J'm'inquiète pas pour lui ok !
- J'ai compris.
- ...
- Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle, j'ai appris que Marie et lui ne sont plus fâchés.
Gabriel se tourne enfin et le scrute.
- C'est Yann qui t'l'a dit ?
- Et Liam, Yann a eu sa meilleure amie au tel devant lui et elle va venir quelques jours.
Uzu tente de surprendre l'expression de son petit ami. Et de Marie, Gabriel serait-il jaloux aussi ? Visiblement pas, il paraît au contraire rasséréné.
Uzu hésite un moment puis finit par demander :
- Est-ce que c'est une bonne nouvelle ?
-Oui. C't'une fille bien, affirme-t-il la tête en arrière sur le siège, signe d'apaisement sans doute.
- Peut-être que tu devrais lui parler de Mathilde.
- À qui ? À Marie ? On est pu vraiment en bon terme.
- Ha.
- Tu sais, c'est sa meilleure amie du coup forcément...
- Oui, je me doute. De toute façon Liam s'en mêlera sûrement.
Le trajet est court. Après être descendu de la voiture, Gabriel récupère lentement son matériel et ses instruments. L'expression figée, il semble réfléchir. Puis se tournant vers Uzu, il reprend la parole.
- Yann aime bien être le centre du monde. Il adore qu'on s'occupe de lui. Pour autant il a horreur qu'on s'mêle de ses affaires. Il joue au con, l'admet pourtant y déteste qu'on lui fasse r'marquer et surtout, il n'aime pas du tout qu'on l'traite comme un môme même quand y joue les gamins.
- C'est le cas de tout le monde non ?
- Sauf que tout l'monde s'venge pas et surtout pas comme lui.
Uzu le suit jusqu'à l'ascenseur en silence.
- Yann est pas méchant, sauf qu'il faut pas l'chercher et il n'a absolument aucune reconnaissance dans ces cas là. Qu'tu t'sois mis en quatre pour lui, passe au s'cond plan. Il agit avant d'réfléchir ! préviens ton Liam là.
- Surtout le prends pas mal Gabriel, mais... Tu n'exagères pas un peu ?
- J'l'ai vu agir de près !
- Tu étais son petit ami, parfois la haine remplace en partie l'amour et pousse à la bêtise non ? C'est pas pour ça qu'il va forcément agir avec tout le monde de la même manière.
- J'me fiche que tu m'crois ou non, si tu tiens un peu à ton... bref à Liam, préviens le, c'est tout c'que j'avais à dire.
- ...
- T'sais, bien que Yann s'rend compte parfois qu'il a été trop loin et qu'y r'grette, ce qui est rare, même là, y f'ra vraiment rien. Ni pour arranger les choses, ni pour s'excuser, il n'y arrive pas. Il préfère être malheureux et seul que d'admettre ses erreurs.
- La première fois que je l'ai vu, il m'a présenté ses excuses le soir même pour la crise qu'il y a eu chez toi.
Surpris, Gabriel fait tomber ses clefs en voulant ouvrir la porte de l'appartement.
- Quoi ? Quand ?
Uzu rougi, il ne lui en avait jamais parlé.
- Je l'ai trouvé devant la porte cochère, trempé jusqu'aux os et en pleur, quand je suis rentré du dîner de mon père.
- ...
*
Elle n'était pas claire. Il a eu honte bien qu'il ne l'ait pas montré, ni aux autres ni à elle. Il reconnaît que Mathilde a un problème avec l'alcool. L'alcool et le reste, il a remarqué, de plus, qu'elle n'est dans cet état qu'aux rares moments où elle doit se préparer à une épreuve. Aujourd'hui, rencontrer Gabriel est un bon exemple de ce qui perturbe sa « copine », le quitter en est également un autre.
Il ne ressent pas de vide ce soir, c'est étrange, pourtant il était bien avec Mathilde. Rien, un retour à la normal presque. Mathilde lui a dit adieu ce soir. Il ne s'imagine pas la revoir. Étrangement son départ ne lui fait pas grand effet. Il est content de l'avoir eu sur sa route, ça s'arrête là.
Il y a plus surprenant ce soir. Le comportement jaloux de Gabriel par exemple.
- Le con ! Avec le mec qu'il se paie, il se permet se genre de réaction ! S'il n'était pas l'instigateur de notre séparation ce serait plus ou moins compréhensible. Là, il ne manque pas de culot !
Bien que l'attitude du brun l'énerve, surtout quand il réfléchit à la position du pauvre Uzu, paradoxalement savoir que Gabriel ressent toujours quelque chose pour lui, le touche.
Autre chose l'étonne et ne lui déplait pas, voir Liam déjà à l'appartement alors qu'il sait, le blond animateur, tous les mercredis normalement, d'une sorte d'émission de radio pour son association. Rentrant tard d'habitude, ce changement de planning dans la vie si bien rythmée de son logeur à quelque chose d'intriguant.
Les allogènes donnent une lumière orangée apaisante, un CD de musique classique (du Chopin), imprègne l'espace de douces notes rapides. Yann n'aura pas eu besoin de chercher Liam. Ses yeux trouvent rapidement le bourreau de travail, derrière son bureau, devant les baies vitrées. Comme toujours, assis au fond de la pièce devant son ordinateur, il semble bien occupé. Yann sourit. Autant souvent cette tête blonde l'exaspère, autant parfois, comme à cet instant, ses yeux ronds d'enfant posés sur l'écran, ses pieds nus se frottant au tapis, ses mèches folles, repoussées sans cesse, dont la coupe prend la forme d'une explosion couleur poussin, l'attendrissent.
Si Yann déteste la condescendance dont Liam fait bien souvent preuve, ainsi que sa pitié mal placée et son odeur d'argent, il aime par contre son calme, son apparente douceur, sa gentillesse, son intelligence, son corps, son odeur et ce visage de poupon angélique. Il lui est parfois dur de résister à l'attirance. Il s'est promis de ne pas le toucher à moins que l'autre ne fasse le premier pas. Il s'y tient, en tout cas en apparence, car en vérité, Yann n'hésite pas à user de tous ses charmes sur le colocataire bien timide. Il ne manque aucune sorte de sous entendus, tous suffisamment clairs pour ne pas être ignoré par l'autre.
Sa relation avec Mathilde ne l'a pas freiné, plus fort que lui, le charme du blond l'empêche bien souvent de réfléchir aux conséquences de ses actes.
Par contre la présence de la jeune fille a complètement bridé L'autre. Parfois cette situation engluée dans l'immobilisme rassure Yann. Il n'est pas si certain de souhaiter risquer de perdre ce qu'il a, pour une simple histoire de cul. À d'autres moments son désir lui fait presque perdre la tête et dire bien des bêtises. De plus en plus souvent, il se demande si finalement, il ne passe pas à côté de quelque chose de beau.
- Qu'est ce tu fais ? entonne-t-il de sa voix cassée.
- Bonsoir, j'aménage un salon virtuel. Tu rentres de répèt' ?
Yann grince des dents, question anodine ou interrogatoire ? Cela a souvent l'air insignifiant, comme de prendre de ses nouvelles mais suivent forcément d'autres questions, puis ensuite des réflexions plus ou moins critiques sur sa façon de vivre.
- Humm, hoche Yann affirmativement de la tête, sans en dire plus.
- C'est qu'il est tard.
- Et après? Je suis majeur, s'irrite de suite l'androgyne.
- Je m'inquiétais c'est tout.
- D'habitude, tu n'es pas rentré à cette heure, souligne Yann.
- C'est vrai.
Sans s'en rendre compte, ils ont déjà l'air d'un vieux couple.
- J'ai raccompagné Mathilde.
Il ajoute bien évidement cette information à dessein. Une petite vengeance pour la question en trop. Il n'est pas sans savoir que Liam ne l'apprécie guère et leur relation encore moins et pour cause.
- Ha.
Pourtant voilà qu'à peine la phase terminée, il s'en veut déjà. Trop tard, le froid est entré dans la conversation. Il va monter dans sa chambre quand Liam reprend la parole.
- Tu as mangé ?
Sa voix est si douce tout-à-coup.
- Nan.
-Tu as envie de sortir ? On dîne Mac-Do ?
Yann affiche une expression consternée.
- Mon cher les mots dîner et Mac-Do sont incompatibles !
- Bon, tant pis.
- Je vais cuisiner sombre blasphémateur !
Il ne faut pas grand-chose pour que rayonne Yann. Si la musique a ce pouvoir là sur lui, l'art culinaire a également cette capacité.
- Je peux t'aider ?
- Ha nan ! Bas les pattes ! Tu ne rentres pas dans MA cuisine haha !
Liam montre une moue, mi amusée mi contrite. Yann accepte un compromis.
- Tu as l'autorisation de me contempler dans l'effort !
Liam trouve Yann à fleur de peau, souvent agressif pour rien, vraisemblablement son comportement entier cache une douleur, voir plusieurs. Le blond a maintes fois fait face à ces murs que certains érigent pour ne pas qu'on puisse les atteindre, des personnes bien souvent victimes de trop de souffrance ou d'incompréhension. S'il prend les piques de Yann comme on reçoit une gifle, il ne lui en conserve aucune aigreur, persuadé que quelque chose se cache derrière ce malaise. L'habitude aidant, il est devenu un peu philosophe avec le temps, tentant la plupart du temps de prendre du recul, de conserver sa légèreté, aussi bien au travail qu'il fait avec l'association, que chez lui, avec cette petite tornade. Cependant, il manque souvent de se protéger lui-même. Encaissant les coups, il soufre en gardant le sourire, en tout cas devant.
Ne pas ramener de travail à la maison, concernant les gens qu'il aide, lui est difficile déjà en temps normal. Puisqu'il s'engage émotionnellement la plupart du temps davantage qu'il ne le devrait. C'est son caractère, poussé qu'il est sans doute par son éducation. Et si cela est le cas pour l'extérieur de sa vie, ça l'est d'autant plus quand le "travail" se trouve être à domicile !
Et un Yann, c'est du boulot ! Sans que l'androgyne n'ait rien demandé, Liam le considère de cette manière. Le laissant envahir bientôt, aussi bien son cerveau, son cœur que son âme, Liam s'est impliqué sentimentalement, il soufre donc de cette relation plus qu'il n'en retire d'avantages. Il espère que quelque chose arrivera et ce, en dépit des comportements contradictoires de son colocataire. Parce que Yann lui plait, physiquement et mentalement. Malheureusement, pour comprendre et donc être capable d'aimer Yann, il croit devoir se battre et être fort, plus fort que le rempart que l'autre s'est construit autour du cœur. Du coup, cette douche écossaise devient douloureuse et Liam commence à y laisser des plumes, le jeune homme n'étant pas, dans les meilleures conditions possibles pour affronter ce combat là.
Qu'il est sexy et attirant ! Comme sa bonne humeur, plus agréable que ses méchancetés, est douce tout-à-coup ! Liam donnerait tout pour que cette heure dans la cuisine ne se termine jamais. Assis sur un tabouret, sagement, il observe rêveur, le jeune mignon mélanger ses sauces, choisir et saupoudrer ses épices, couper avec une dextérité toute professionnelle, les légumes et la viande.
Grâce à ce teeshirt trop court, il peut tout à loisir apprécier sans un mot et les yeux brillants, la forme des abdos de Yann chaque fois que celui-ci lève les bras pour ouvrir un placard. Une chose l'intrigue un instant, quelques éraflures dans le bas du dos mais elles semblent plutôt vieille et le spectacle est ailleurs. Matant, avec envie, la naissance de ses fesses apparaissant à la base de son jean taille basse, admirant sa nuque gracile lorsqu'il se penche sur une poêle, détaillant ses doigts fins qui dansent au-dessus de la planche à découper, Liam ne rêve que d'une chose, le prendre dans ses bras et déposer des centaines de baisers sur sa peau douce.
-Tu as faim ? Ça te donne envie ? interroge non sans arrière-pensées le cuisinier espiègle, qui bien entendu devine très bien l'intérêt qu'il suscite chez le maitre du lieu.
Liam ravale sa salive et rougie tel un adolescent, l'autre s'en amuse.
Tout est un jeu dans la vie de Yann. Surtout que les sentiments, accompagnants cet intérêt, lui échappent malheureusement. Ainsi il s'amuse à frôler plusieurs fois le pauvre garçon déjà très fortement troublé par sa seule présence. Riant intérieurement de l'effet produit sans réfléchir un instant à la souffrance ou simplement la tristesse que Liam pourrait ressentir face à ce « fruit défendu ».
Liam ne comprend pas du tout son comportement.
Quand à Yann, pour lui, Liam n'est qu'un homme, victime comme tout les hommes, de ses désires basiques. Yann n'a pas de dégout, ni de lui-même, ni du sexe, contrairement à Uzu. Ils partagent pourtant tous les deux, cette vision un peu trop raccourcie de la chose et ont, aussi bien l'un que l'autre, très peu de confiance en autrui à ce niveau là.
N'y tenant plus d'avantage Liam finit par sortir de la pièce pour attendre la fin de la préparation du repas derrière son écran d'ordinateur. Seul, il écoute le bruit des casseroles, le cœur battant, imaginant les images qu'il ne voit plus, jusqu'à ce que l'angelot diabolique refasse surface au coin du mur.
- Chéri, tu mets la table ?
- On ne mange pas dans la cuisine ? s'étonne le maitre des lieux.
Yann joue les outrés avec panache, explique que la grandeur d'une telle préparation soufre bien de lui proposer une table à sa hauteur. Liam en rit et malgré lui, une fois de plus, se surprend à espérer quelque chose de ce repas. Alors, il allume des bougies.
- C'est aussi beau que bon, tu es un artiste !
Yann n'est pas touché, prenant un compliment pourtant sincère pour de la drague pur et simple, il se contente de jouer son rôle.
- Mais yeu souiiiiiiiis oune arrtiste !
Il détaille le décore autour de lui, hilare.
- Ho tou as mis les bougies ! Tou me fait le grand jeu Casanova !
Liam s'empourpre.
- Tu as dit qu'il fallait du grand pour ta cuisine, s'excuse-t-il pratiquement, tentant de garder son sang froid et regrettant déjà son effort.
- Il est un romantiiiiique ! Je parie qu'à ton premier rendez-vous tu as apporté des fleurs hihihi !