Mes jambes dans le vide. Juste mes jambes dans le vide.
Tout ce que je ressens se concentre, dans mon cœur, dans mes veines.
Mes jambes se balancent, au rythme de mon souffle. Au rythme de ma vie. Un rythme fragile. Elles avancent, reculent. Et moi je respire. Dans le creux de ma poitrine, j’inspire. J’inspire, et le monde entre en moi.
Les doigts habiles du vent nouent mes cheveux et se glissent dans les plis de mes vêtements. C’est sa façon à lui de me souhaiter la bienvenue. De m’accueillir, moi, et tout ce que je peux contenir.
Ressentir le monde est souvent plus facile qu’il n’y paraît. Il n’y a rien à réussir : il suffit d’essayer. Alors je ferme les yeux, et je laisse mes jambes pendre, au gré des courants d’airs. Tout, chaque bruit, chaque rayon de lumière sur mes paupières, chaque odeur de plante et de mer entre en résonnant dans mon corps, devenu si creux qu’il pourrait abriter l’univers tout entier. Le monde est là, dans le petit être que je suis, à vivre au rythme de mon souffle. De ma vie.
Avant.
Arrière.
Avant.
Arrière.
J’ouvre les yeux sur la mer. Sur la lumière du soir. Sur ces reflets qui n’existent qu’une fois. Et en moi chante cette doublure du monde, qui m’appartient un peu. Car lorsque l’on comprend l’extérieur, alors le monde existe deux fois : il se dessine devant nos pupilles, et son reflet s’agite en nous. Alors nous sommes le miroir de l’univers.
Des flots d’azur. Tapis d’émeraude. Un océan étoilé de reflets d’or.
Le rouge du ciel s’étiole. Il se dénoue, se noie dans l’encre de la nuit qui s’installe.
Une nuit n’est vraie que lorsqu’elle est noire. Sans lumières, sans artifices. Seulement quelques étoiles, et la lune, leur gardienne. Je tends le bras. Mes doigts frôlent le ciel. Son étoffe est pure. Transparente.
Le ciel me recouvre. Je l’enferme dans mes yeux, et l’univers brille. Il étincelle dans l’orage de mes iris. Je sens que tout explose. Je sens mes pensées futiles s’échapper de mon cœur. Tout m’est égal. Ma vie ne compte plus, ni celle des autres. Je m’abandonne entier dans les bras de velours que me tend ce monde. Un monde nocturne, froid, qui crie à la délivrance. Je sais à présent que tout ce qui me pesait sur le cœur n’est plus, et ne sera pas tant que le monde m’abrite. La falaise m’accueille, me sourit. Me console. Les caresses du vent me réconfortent, et je sens en moi gonfler un sentiment étrange. Un sentiment que je ne connais que trop peu. Je crois que l’on appelle cela le bonheur.
Tout flotte.
Je crois que je pleure. Je crois que mes yeux tentent de rejoindre cette mer qui s’étale, qui s’étend, qui s’étire jusqu’à recouvrir l’horizon d’un voile d’ombre. Mon âme n’est qu’un petit bout de ce monde outremer. Alors tout mon corps tente de s’exprimer. De lui parler.
Parler au monde.
Si les étoiles pouvaient me répondre… Si seulement elles pouvaient prononcer ces mots, elles me diraient qu’il faut observer les choses lorsque l’on peut les voir.
Le monde existe. Seulement c’est à nous de le chercher.
Peut-être le bonheur est-il là, tout près, caché profondément, au cœur de nos cœurs, voilé par l’ignorance, par l’illusion de la raison…
Ce texte est assez contemplatif, mais finalement, tu apportes quand même une fin (et quelle fin !) au récit.
J'ai adoré (mais dans le sens A-D-O-R-é) la description de la mer et du ciel, surtout quand il est enfermé dans les pupilles de la narratrice.
Mis à part ça, j'ai une petite question : est-ce que c'est bien une personne assise au bord du falaise, qui se demande si elle veut sauter ou pas, mais finalement, non, parce qu'elle voit le bonheur dans les détails de la vie ? C'est en tout cas mon ressenti, et même si c'est pas le but escompté, j'ai quand même trouvé la subtilité de ce texte sublime...
Bien à toi
A.
Il s'agit en effet ici d'une personne assise au bord d'une falaise, qui grâce à sa contemplation du monde, simple, sincère, retrouve une part de bonheur. Souhaite-t-elle, au début, sauter à l'eau pour rejoindre cet univers qui l'appelle ? Peut-être bien, oui... Ce qui est sûr, c'est que le monde la console et la maintient en vie.