Léonard le submergeait d’un tourbillon de paroles qui traduisait son profond enthousiasme. Autant Bréchéliant s’était dès les premiers jours mué en lieu hostile à fuir, autant le château de Comper et ses environs l’emplissaient de bonheur. En chemin, il conta à son fils tous les spectacles auxquels il espérait collaborer pendant la saison estivale qui approchait. La légende arthurienne séduisait les grands comme les petits, et le coin qui regorgeait d’endroits mythiques, la faisait revivre avec ardeur. Justement, Merlin allait être aux premières loges pour en juger, puisqu'il assisterait en compagnie de quelques spectateurs privilégiés à la première représentation des conteurs. Un genre de répétition, qui aurait l'avantage de leur permettre de procéder ensuite aux dernières modifications, aux ultimes ajustements avant le spectacle définitif. Chaque membre sruterait avec avidité les réactions du public.
Il lui expliqua qu’il ferait également quelques apparitions dans le camp des héritiers de la table ronde, histoire d’encourager les écuyers, aspirants chevaliers. Il lui décrivit des armures plus vraies que nature, des tentes colorées et surtout des jeux passionnants. Mais ce qui devait occuper Léonard, c’était son rôle d’enchanteur officiel au sein de la troupe de Brocéliande. Il l’évoquait comme s’il avait trouvé le Graal. Un vrai emploi du temps de vedette! Merlin se perdit rapidement dans les dates, encore sous le coup du faux enlèvement, qu’il se garda bien d’évoquer.
Toutes les informations s’embrouillaient dans sa tête. Il retint cependant que dans le parc du château son père interprétait l’enchanteur, en compagnie de Morgane et Viviane. D’autres jours, il accompagnait les touristes dans la forêt et leur narrait les plus célèbres épisodes de la légende, s’arrêtant devant la fameuse fontaine de Barenton, celle dont l’eau bouillonne, alors qu'elle est froide, ou encore le val sans retour.
« Là, où j’enferme les amants infidèles ! s’écria Morgane en lui lançant un regard violet menaçant.
- Arrête, tu vas vraiment l’effrayer, pauvre chou ! lui lança aussitôt sur un ton de reproche Viviane.
- Je m’entraîne, il faut bien que je vois, si je suis crédible, rétorqua-t-elle en guise d’excuses. »
Crédible, elle l’était tout à fait ! D’autres jours, à l'ombre des arbres centenaires, un spectacle de marionnettes retraçerait les amours de Merlin et Viviane. Léonard l’avait déjà inscrit pour un jeu de piste consistant à dénicher un magicien malfaisant désireux de voler les pouvoirs de l’Enchanteur. Pourvu que la fiction ne donne pas des idées à la réalité, pensa le garçon ! Mélusine n’était pas en reste et devait de temps à autres se joindre au trio de Brocéliande.
Léonard parlait vite et énumérait tour à tour un marché médiéval avec force échoppes les dimanches, une quête aux œufs de dragon pour ravir les plus petits, ou encore un spectacle avec fumée et jets de feu. Son père ne pouvait faire relâche que les jours où Yvain et Lancelot prenaient le relais arpentant la forêt en quête d’aventures. Le roi Arthur serait aperçu non loin de la réplique d’Excalibur. D’ailleurs, c’était comme si les livres de Merlin tout à coup déversaient leurs personnages et leurs histoires juste sous son nez. Et son père incarnait l'un de ces personnages. Il remarqua qu'il s’exprimait de plus en plus comme un employé de l’office du tourisme du coin. Pourtant, tout cela sonnait faux, l’enfant le savait bien. C’est pourquoi, il avait un sourire timide.
« Ca ne te fait pas plaisir ? finit par s’enquérir Léonard. Il s'étonnait que son fils ne s'extasie pas davantage devant tant de féerie à portée de main. Il ignorait que Merlin côtoyait la magie, la vraie, de près depuis leur arrivée à Bréchéliant. Le petit garçon cachait cette proximité comme une idylle secrète, que condamnerait ses parents.
- Bien sûr, papa. C’est super ! lui répondit le garçon avec le plus de gaieté qu’il put.
- Si c’est la réaction de ta mère qui t’inquiète, sois tranquille. Nous en avons discuté et elle est d’accord. Elle sait à quel point tu aimes ce monde peuplé de fées et de chevaliers. Nous voulons tous les deux que tu sois heureux et que tu passes un bel été. »
Comme Merlin demeurait silencieux, il poursuivit plus bas.
« C’est vrai qu’il y a quelques tensions en ce moment au manoir et que je suis moins présent à cause de mon travail, mais laisse aux adultes leurs problèmes. Tu grandiras bien assez vite. D’ailleurs, il y a une date que se rapproche. »
Et là, dans un instant de complicité que Merlin aimait tant, son père l’attrapa par la taille, le fit voler dans les airs, et le récupéra pour le hisser sur ses épaules. Ce petit numéro de haute voltige arracha une floppée de rires au garçon. L'espace de quelques instants, il s'était senti léger comme un acrobate exécutant un saut périlleux. Oubliés les kilos en trop, le masque, Panache et tout le reste. Seul demeurait le bonheur de s'être pris pour une plume. Juché sur les épaules puissantes et musclées de son père, il goûtait au plaisir d'être grand et pour un peu se serait cru invincible.
En chemin, les conteurs croisèrent de nombreux marcheurs, curieux ou habitués des lieux, férus de légendes ou non initiés. Ils distribuèrent force dépliants. Une courte pause derrière un chêne à la circonférence imposante permit à Léonard d’entrer complètement dans la peau de son personnage. Il revint vêtu d’une longue robe mauve à grandes manches et d’une barbe blanche soyeuse d’une longueur impressionnante. Il était méconnaissable surtout à cause de sa perruque couleur neige et de ses petites lunettes rondes à la Harry Potter. Le garçon se rappela de la première fois où il lui était apparu déguisé en Enchanteur, alors qu'il se reposait dans sa chambre. Il avait failli se laisser prendre par cette illusion.
Ses deux « confrères » applaudirent en le voyant ainsi métamorphosé. Il ne lui manquait que son couvre-chef sans doute resté dans le fameux sac à dos qu’il portait. L'enfant ne doutait pas qu'il le coiffe, car dans le monde sans magie, aussi sûr que Batman portait sa cape et Zorro son masque, tout bon sosie de l'Enchanteur se devait de posséder le chapeau étoilé.
« Il faudra aussi que tu penses aux sourcils, lui fit remarquer Morgane. Dans l’art de la transformation, chaque détail compte, Léonard. "
Elle semblait bien maîtriser le sujet, et le garçon se demanda à quoi elle devait ressembler sans sa tenue de super magicienne.
" Enlève aussi ta montre ", ajouta Viviane qui voulait faire sa maligne.
Puis, elle tourna son regard vers le garçonnet, occupé à retrouver les traits de son père sous son déguisement, et prit une voix d'institurice pour s'adresser à lui.
" Je vais t'apprendre un mot savant. Si ton père oubliait d'enlever sa montre pour le spectacle, ce serait une rupture temporelle, un ...
- Un anachronisme ", compléta le petit Merlin, comme s'il s'agissait d'une évidence.
Après un instant de stupeur, elle se contenta de constater comme pour elle-même : "Effectivement, il est en avance, sacrément en avance!"
Ils marchèrent longtemps avant que Merlin aperçoive la silhouette de la célèbre forteresse de Comper. Le garçon se délecta de ce moment au cœur de la nature. Il ne se lassait pas du parfum des essences, des silhouettes des arbres qu’il croisait. Quelle curieuse impression que d'être salué en vieux camarade de jeu ! Les feuilles s’agitaient sur leur passage, comme pour lui adresser un salut amical. Elles bruissaient d’un doux murmure, qui gonflait cependant, et perdurait. Le vent, le piaillement des oiseaux, les ronds de soleil à travers les frondaisons, tout Brocéliande vibrait d’une incroyable nouvelle : « Il est de retour ! »
L’enfant éprouvait cette étrange sensation d’être en terrain connu. Il ferma les yeux pour laisser cet ancien monde l’ennivrer et célébrer leurs retrouvailles. Un sentiment de plénitude l’envahissait. Du fond de ses entrailles, il comprit le bonheur infini qu’éprouvait l’Enchanteur à vivre dans ces lieux, à communier avec les bois et les sources. Dire que cet être à la fois rustique et raffiné l’avait choisi comme héritier !
Le garçon en était là de ses réflexions, lorsque la demeure de Viviane apparut. Il fut surtout impressionné par la grande étendue bleue qui lui servait de miroir.
« Te voilà sur mes terres, lui lança la fausse magicienne. »
Il ouvrit de grands yeux devant les ruines d’un vieux rempart conquis par le lierre. Enfin, ils passèrent l’enceinte et peu de temps après, son père l’abandonna devant la façade de Comper. Il lui fallait régler quelques menus détails. Un groupe de touristes attendait déjà près du lac, auquel Merlin trouva un air mélancolique. Le château s’y reflétait avec netteté. D’ailleurs, pour le garçon, il ressemblait surtout à un manoir tout gris un brin triste lui aussi. Ces lieux désormais désenchantés pleuraient-ils la magie d’antan disparue ? Certes, on les célébrait mais dans un avènement de fausse féerie clinquante. Et sans aucun chauvinisme familial, il préférait le domaine d’Awena bien plus joli et mystérieux à son goût.
L’enfant trouva son jugement un peu sévère. Etait-ce sa part d’héritage qui parlait ? Soudain, des applaudissements retentirent, des cris d’admiration les accompagnèrent.
Viviane, Morgane et son père s’avançaient avec grâce vers les spectateurs installés près du lac. Viviane jouait habilement d’une petite flûte. Un air aux notes médiévales s’envolait dans le ciel de Comper. Morgane l’accompagnait, faisant vibrer avec art les cordes d’un luth. Léonard brossait sa barbe qui lui arrivait jusqu’aux pieds et jetait des regards énigmatiques vers le public. Il suivait la musique avec des gestes amples, comme s’il répétait un rituel magique. Il portait à présent son emblématique chapeau pointu étoilé.Les enfants ne parvenaient pas à quitter des yeux le ballet harmonieux de ses mains, qu'il fit disparaitre dans ses manches vertigineuses avant qu’elles surgissent théâtralement pour offrir un nuage de poussière dorée, qui enveloppa le groupe. Des cris de surprise saluèrent l’entrée en scène de la magie. Il agita à nouveau ses mains, comme s’il domptait les airs pour modeler une boule de vent. Tantôt ses paumes se rapprochaient, tantôt elles s’éloignaient. Ses doigts s’étiraient et se pliaient sur un piano invisible. Enfin, ils donnèrent naissance à des étincelles, qui conquirent définitivement le futur auditoire. Merlin n’avait jamais encore vu son père réaliser un tel tour. Il n’en perdait pas une miette et avait envie d’hurler : « Lui, c’est mon papa ! », mais il se retint.
Le récit commença ponctué par les interventions magiques de Léonard et de petits intermèdes musicaux. Son père racontait d’une voix posée et forte, mais aussi jouait des saynètes. Viviane minaudait à souhait pour lui extirper ses plus précieux secrets. Merlin l’appellait tendrement « sa douce amie » et elle lui répondait avec une voix douce comme le miel.
« Mon tendre amour, je me languis tant de vous ! Je connais tous les recoins de ce bois. Je vous cherche auprès de chaque source, dans le regard de chaque biche ou sanglier, mais vous demeurez aux côtés d’Arthur. Offrez-moi un cadeau à la mesure du tourment que vous me causez !
- Qu’il en soit fait selon votre volonté, je sais bien ce dont vous rêvez.
- Vraiment, vous lisez dans mes songes ? »
Puis, Viviane boude, se fâche. Son enchanteur lui a offert un lac.
« Imposteur, vous m’aviez promis châteaux et merveilles, et me voici maîtresse de quelques vilaines grenouilles et d’une grande flaque marécageuse. Même les fleurs qui y poussent sont sèches et rèches. Me voilà bien mal récompensée de vous aimer !
- Les apparences sont souvent trompeuses. »
L’enfant sursauta, il lui semblait que le vrai enchanteur lui transmettait un message personnel par le biais d’un imitateur.
Viviane s’approche alors de son lac. Le public la suit du regard, impatient de connaître la suite. La fée pousse des cris de joie et d’admiration.
« Au fond, vous avez construit en tous points le château de mes rêves ! Il scintille comme la glace, ses tours sont élégantes, et une armée de serviteurs s’affairent. Mais n’est-il qu’une illusion ? Je commence à me méfier de vos enchantements, méchant magicien. »
Elle avait prononcé la dernière phrase en tirant un peu sur la barbe de son chéri pour le taquiner.
« La merveille, c’est le lac, pas le manoir. L’eau le dissimulera au commun des mortels. Ce sera ton royaume caché. Si un serviteur dévoilait son existence, il se noierait aussitôt en essayant d’y revenir et depuis la rive le manoir se refuserait aux regards de l’indiscret. La magie restera invisible pour les non initiés. Ton lac ne livrera ses secrets qu’à ceux qui le méritent. »
Le petit Merlin sursauta à nouveau, cette dernière phrase ne pouvait être le fruit du hasard. Soudain, l’étendue d’eau se mit à briller intensément. Comme personne ne réagit, il comprit qu’il était le seul témoin de cet étrange phénomène. Le lac de Viviane désirait lui parler. Son cœur s’emballa. Le château de cristal se dévoilerait-il pour lui ? Merlin y avait-il dissimulé le précieux masque ? Pourvu qu’il interprète bien les signes ! Brocéliande regorgeait de lieux chers au magicien où il aurait pu le cacher. Si le petit garçon devait tous les explorer, c’était peine perdue. Il se découragea un peu. Le lac s’illumina à nouveau. Il lui lançait bel et bien un appel.
Après une longue pause, je reprends les aventures de Merlin. Le moment où Léonard le prend sur ses épaules est très touchant. Le passage où Merlin communie avec la forêt, très bien écrit. La fin est également très intéressante : la description du château, du lac, le message caché. J'ai été moins happée par les descriptions du festival médiéval.
A bientôt !
Un chapitre bien mené où l’on se laisse guider tout en cherchant la faille. Merlin est-il sous l’emprise de Morgane et ses impressions sont-elles le fruit d’un enchantement ? Ou répond-il en réalité à sa mission première ? Quelle est la part de vérité ou de manipulation ? C’est habile parce que l’on ne sait plus…
- Chaque membre sruterait : scruterait
A très bientôt
Merci beaucoup de poursuivre ta lecture avec autant d'intérêt. Merlin n'est pas encore confronté au vrai danger, mais les embûches dans sa quête se rapprochent. A bientôt.
Deux coquillettes :
- Chaque membre sruterait => manque un c
- - Je m’entraîne, il faut bien que je vois, si je suis crédible, rétorqua-t-elle en guise d’excuses. => que je voie, enlever la virgule après voie ?
A bientôt
Merci beaucoup pour ta lecture attentive et bienveillante. C'est toujours touchant et enrichissant de savoir quels passages ont été particulièrement appréciés. A bientôt.