Maléfique, féroce, venimeuse… Les adjectifs ne manquaient pas pour qualifier son ennemie jurée. Pourtant, quand il la contempla vraiment, il n’en trouva que deux : belle et violette ! Pourvu que ce ne soit pas le début d’un enchantement qui opérait sur lui ! Il faut le reconnaître cette créature avait de l’allure. Ses anciens camarades de classe l'auraient trouvée : "trop stylée."Il s’en rendit compte une fois l’étrange duo descendu de la voiture. Oui, aussi bizarre que cela puisse paraître, après s’être garée sans assistance magique, Morgane avait quitté sa place le plus naturellement du monde, imitée par son père. Merlin était resté sidéré à l’arrière, ne sachant comment réagir face à un enlèvement si peu conventionnel. Pour l’instant, il les observait bien vissé sur son siège. La redoutable magicienne était aussi grande que Léonard. Ses longs cheveux noirs parcourus de mèches violette dévalaient sur ses épaules et sur son dos, comme un puissant torrent. Ils cachaient à présent la capuche que Merlin avait aperçue dans le dos de sa robe en velours aussi sombre que la nuit et sans doute que son coeur. Elle replaçait régulièrement une épaisse frange qui dissimulait son front. Des cils incroyablement fournis et recourbés soulignaient l'éclat surnaturel de ses yeux. On aurait dit deux précieuses améthystes offrant des nuances du mauve pâle au parme foncé. L'intensité dépendait assurément de l'humeur ou des intentions de leur inquiétante propriétaire. Ils s’accordaient parfaitement avec un visage aux traits délicats et au teint de porcelaine, qui juraient avec la violence contenue du terrible personnage. Son rouge à lèvres couleur myrtille, dessinait une bouche pulpeuse, qui ressemblait à un savoureux fruit des bois.
Comme son père affichait un sourire benêt, il n’eut plus de doute sur le fait qu’elle l’avait bel et bien ensorcelé. Mais lui, Merlin, restait lucide. Il se souvenait du terrible récit de Guenièvre, des forfaits de Morgane et de ses alliés pour conquérir le royaume de Logres. La maléfique ne nourrissait d'autres desseins que de monter sur le trône et d'envoyer les chevaliers de la table ronde aux oubliettes. Morgane était un monstre assoiffé de pouvoir et de vengeance. Si elle croyait le berner avec ses minauderies et peut-être quelques friandises, elle se fourrait l'ongle dans l'oeil. Il connaissait ses classiques "Hantsel et Gretel" et toutes les histoires de sorcières.
Il se demanda comment elle procédait : utilisait-elle son regard ? Sa voix ? Ils se jetaient des œillades complices et l'observaient, assis, immobile. Pas de doute, ils parlaient bien de lui. Merlin devina que tout son être devait trahir sa profonde terreur. Alors, il résolut de regarder ailleurs pour masquer ses sentiments. Une voiture se gara juste à côté. Et s’il appelait au secours ? Mais n’allait-on pas le prendre pour un fou ? Et puis pourquoi personne ne s’alarmait d'apercevoir Morgane dans son accoutrement ? Etait-il le seul à la voir ainsi vêtue ? De tels enchantements s’étaient déjà produits !
Les hypothèses tourbillonnaient dans sa tête. Il pensa qu’ils avaient peut-être résolu de le perdre en forêt comme le petit Poucet. Il retourna sa poche. Pas de petits cailloux blancs, ni même une tranche de pain de mie ! Le lieu paraissait pourtant très fréquenté, franchement touristique. Pas vraiment discret comme endroit pour des projets aussi sombres que ceux qu’il prêtait à l’amie de Léonard ! Comptait-elle pratiquer un genre d’envoûtement collectif ? Il ferma les yeux. Il avait lu que Merlin pouvait lire dans les esprits. Il comprit bien vite qu’il n’avait pas hérité de ce don, du moins pas encore. Peut-être fallait-il s’enfuir à toutes jambes ?
Soudain, la portière s’ouvrit. C’était son père qui avait pris les devants, puisque l’enfant demeurait figé depuis leur arrivée.
« Arrête de jouer les timides Merlin, descends ! » lui dit-il gentiment.
Très lentement, comme après une harassante chevauchée sur un fougueux destrier, le garçon mit pied à terre et décida d’affronter son destin. Il se planta devant l’improbable couple. Morgane sourit et découvrit au passage de magnifiques dents blanches. Elle avança sa main munie de ses redoutables ongles. Il frémit. Allait-elle lui lacérer le visage avec ? La pierre de sa bague croisa un rayon de soleil et brilla intensément. Mauvais signe ! Il plissa les yeux, redoutant l'instant fatidique du contact entre sa tignasse et la paume de la magicienne. Disposait-il d'un genre de bouclier intégré en tant qu'héritier ? Rien. Pas une étincelle de magie entre eux. Elle se contenta de l'ébouriffer un peu et de s’écrier enthousiaste :
« Il sera parfait ! »
Il s'en voulut de ne pas protester vivement devant tant de familiarité. Mais, il était bien trop soulagé de ne pas avoir été transformé en statue ou en insecte. Puis, il réfléchit : Parfait ? Parfait pour quoi au juste ? A quelle sauce comptait-elle le manger ?
« Tu vas voir mon grand, tu ne vas pas être déçu ! Ton père te réserve une sacrée belle surprise ! » ajouta-t-elle avant de lui adresser un clin d’œil.
Niveau surprise, il avait eu sa dose. Et puis ce clin d’œil, que signifiait-il ?
C’est alors que contre toute attente une femme vêtue, elle aussi d’une robe longue, approcha dans leur direction. On remarquait d’abord sa longue tresse qui semblait pousser tel un épi de blé depuis le bas de son long cou jusqu'à sa taille. Elle agita la main et les rejoignit peu après. Elle tourna sur elle-même dans un froissement d’étoffe. Ses yeux aussi bleus qu’un ciel d’été rayonnaient de bonheur. Des tâches de rousseur parsémées comme une pluie d'étoiles lui donnaient un air mutin et enfantin.
« Alors, qu’est-ce que vous en dites ? lança-t-elle aux autres avec une fierté non dissimulée.
- Tu es plus vraie que nature, ma chère », rétorqua Morgane qui admirait le tombé du tissu.
Encore une envoûtée, pensa Merlin. Il ne pouvait envisager qu’une telle candeur put receler naturellement une once de malice, mais il se savait naïf. Sapristi ne lui avait-il pas maintes fois martelé de ne pas se fier aux apparences. D’ailleurs où se trouvait-il à présent qu’il avait tant besoin de lui ?
Et puis, la nouvelle venue le considéra.
« C’est donc lui ! » Sans attendre de réponse, elle lui fit une charmante révérence.
« Mon nom est Viviane, tu m’enseigneras bien quelques petits enchantements pour me divertir. Je suis une jeune fée qui rêve de lacs et de châteaux en Bretagne ! »
Merlin sursauta à son nom. Viviane ! Autrement dit, la Dame du lac, la mère adoptive de Lancelot, et surtout l'amoureuse de Merlin. Il rougit à cette idée. Aucune fille jusqu'ici ne s'était intéressée à sa grassouillette personne. Les intellos n'étaient pas très populaires. Mais que lui arrivait-il ? Avait-il pénétré dans une autre dimension ? Toutes les créatures magiques de la légende arthurienne avaient-elles décidé de se donner rendez-vous sur un parking bondé de touristes ? A quand une licorne ? Un dragon ?
« Comme c’est amusant qu’il s’appelle justement Merlin ! » remarqua-t-elle à l’intention de Léonard.
Si c’était Viviane, elle était sensée voler à son secours, pas pactiser avec l’ennemi, se dit le petit garçon. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond ! Un couple avec une petite fille s’approcha d’eux et interrompit leur conversation. Merlin allait ouvrir la bouche pour réclamer leur aide, lorsque le père brandit son portable.
« On peut faire un selfie avec vous ? »
Léonard poussa Merlin sur le côté en le prenant doucement par les épaules. Il se laissa faire, car il était complètement déboussolé ne comprenant plus rien à ce qui se tramait. L’hypothèse d’un univers parallèle dans lequel ils auraient pénétré sans qu’il s’en rende compte lui paraissait de plus en plus probable.
La famille s’éloigna enfin et les deux fées se rapprochèrent.
« Bon, il est temps qu’on y aille, le château n’est pas à côté. Et puis, Léonard doit encore se changer, intervint Morgane.
- Quel château ? parvint à articuler Merlin.
- Le château de Comper, mon chou, lui répondit Viviane. »
Là, son père sortit du mystérieux sac à dos un plan de la forêt de Brocéliande avec ses principaux centres d’intérêt, le fameux château y figurait en bonne place. Quoi ! ils avaient prévu une rando avant de le sacrifier à une abominable force occulte ! Et puis, il glissa fièrement un dépliant dans les mains du garçon. Merlin lut le titre écrit en lettres d’or comme sur un vieux parchemin.
« Laissez vous enchanter par les plus célèbres magiciens et fées de la légende arthurienne. Des conteurs à la voix d’or qui sauront vous transporter dans l’Autre Monde. »
Un chapitre parfaitement réussi et qui coule comme un sirop de menthe bien frappé. J’ai savouré ! J’aime beaucoup ton style décalé, tes références littéraires et ton humour pince sans rire. Un régal. J’attends de voir ce que Morgane réserve à Merlin et je m’en réjouis d’avance.
A très bientôt
Tes compliments me touchent beaucoup et m'encouragent à avancer, même quand je doute. Merci d'être toujours là et de partager si régulièrement tes impressions de lectrice. A bientôt.
- Hantsel => Hänsel.
Merci beaucoup pour ton enthousiasme et tes encouragements. Ça me fait très plaisir. A bientôt dans nos lectures.
Ce chapitre est très réussi. Tu décris très bien Morgane et tu déclines la couleur violette habilement. L'apparition de Viviane est intéressante. Je ne m'y attendais pas à ce moment-là. Le fait que Merlin ne comprenne pas qu'il s'agit de conteurs apporte beaucoup d'humour.
A bientôt.
Merci beaucoup pour ce commentaire, qui me fait très plaisir. J'espère que la suite te plaira autant. A bientôt.