- Nous ne sommes pas contre vous, monsieur Carbonel. Ce que nous voulons c'est nous assurer que le bien-être de l'enfant est respecté. Hors, vos heures de présences effectives à votre domicile ne correspondent pas et je ne comprends pas ce que votre "pote" a, à voir avec ce bébé. Est-il habilité à s'occuper d'un enfant si jeune ? Et votre "amie" qui est-elle exactement ? Cet enfant a perdu ses parents. Il a besoin de repères, pas d'être baladé de bras en bras ! lance l'infirmière acerbe.
- C't'amusant, quand ma sœur est morte on m'a pas posé toutes ses questions ! Vous étiez bien heureux d'vous débarrasser du paquet !
- S'il vous plait ne vous énervez pas, nous avons bien conscience que la situation dans la quelle vous vous êtes retrouvé a été difficile et c'est pour y remédier que nous sommes là, s'interpose l'assistante sociale un peu plus conciliante que sa collègue.
- Nous n'avions pas eu le temps de réaliser une enquête et pas le recule suffisant pour y voir clair dans cette affaire ! insiste sa consœur rébarbative.
- Et quoi ? Z'allez m'l'enlever c'est ça ?
- Calmez-vous, il n'a pas été question de ça pour le moment, tente encore d'intervenir l'ASS en voyant Gabriel s'emporter.
- Une instruction sérieuse du dossier va être menée et nous prendront les dispositions nécessaires, conclut finalement la désagréable infirmière.
Les larmes de Gabriel montent, le pire scénario qu'il ait pu imaginer est tout juste en train de se dérouler.
Il a en face de lui trois personnes, l'une serait visiblement une stagiaire. Muette, elle se contente de prendre des notes. Celle qui parle le plus fort est l'infirmière PMI, tout ce qu'il y a de plus terrifiante et la troisième, une assistante sociale, tentant tant bien que mal de jouer les arbitres.
Il est difficile de leur monter un bateau. L'assistante maternelle déclare ses heures et Hugo est donc plus souvent à l'appartement que prévu. Avec qui peut-il être dans ce cas ? Même en mentant sur ses horaires de travail, Gabriel n'a pas réussi à tout combler. Il a bien fallu parler de Uzu sans pour autant mentionner que celui-ci est beaucoup plus qu'un ami puisqu'il vit à domicile. En étant obligé d'ajouter Helen pour que tout soit crédible, l'histoire de Gabriel a commencée à faire apparaître beaucoup trop de nounous de remplacement, nullement habilitées à l'être aux yeux de ces trois professionnelles.
Lorsque ces dames le laissent enfin, Gabriel n'a qu'une vague idée sombre de l'avenir de son dossier.
*
Ils ont parlé tranquillement pendant quelques heures, trempé des langues de chat dans du thé à l'orange, discuté de leur emplois du temps respectifs, puis le sms de Gabriel a signé la fin de cette entrevue.
Uzu en profite pour récupérer quelques affaires et une partie de son courrier avant de partir quand une des lettres encore cachetée l'interpelle. Le prénom de l'expéditeur lui dit quelque chose. C'est un courrier personnel des plus banales mais le visage de Uzu se décompose lorsque sa lecture commence.
Bonjour, ceci est ma lettre d'excuse.
Je ne sais pas si vous comprenez ma démarche que je fais avec toute ma sincère honnêteté.
Le psy m'avait parlé d'une lettre d'excuse, ça n'a jamais été écrit pour de vrai, je prends la décision tout seul.
Je me sens plus être un homme, j'ai la honte qui me poursuit tout les jours, je souhaite vous l'apprendre.
J'ai su que peut-être je ne vais pas en prison, je ne sais pas si je suis content de ça, sûrement que oui, en même temps on me le reproche.
Déjà je voudrais m'expliquer sur mon rôle dans cette affaire malgré qu'on l'a déjà l'expliqué. J'ai que dix sept ans, ce jour-là je n'étais pas sobre (je parle du soir car après je me suis enfuit). J'ai rien compris à ce qu'il se passait, je le jure. Je n'ai pas tapé, je n'ai touché personne, je n'ai rien prémédité (je crois que c'est comme ça qu'on dit). Ça je m'en souviens contrairement à ce qu'on m'a demandé de dire devant le juge. Je n'étais pas non plus en état de vous défendre. Ce qui m'a porté du préjudice puisque j'ai été jugé comme un criminel pour avoir été simplement bourré.
Même si grâce à elle je suis protégé et ma mère aussi, votre perte de mémoire n'aide pas à la justice mais je ne peux pas vous en vouloir pour ça. Je remercie le juge et mon avocat de m'avoir empêché la prison pour l'instant si tout se passe bien.
Je sais que vous ne serez pas d'accord avec ça, ce que je peux comprendre avec votre colère normale. Je ne suis pas innocent, mais pour me défendre, si je n'ai rien fait de suite c'est que déjà j'ai mis plusieurs jours à sortir de la brume et puis j'avais peur que après on s'en prenne à moi. Il n'y a rien de plus que je pouvais faire. Je raconte ma life désolé mais faut comprendre. J'ai pas eu une bonne attitude, les choses m'ont dépassées, j'étais bourré.
J'aurais dû faire attention de avec qui je trainais et ne pas bêtement suivre les abrutis qui veulent faire des conneries car j'ai payé cher quelque chose que je ne ferais jamais seul. J'ai vraiment su ce qui vous était arrivé dans les journaux. Au début je n'y croyais pas. Je vous ai entendu crier, je n'ai pas de souvenir du reste.
Je vous demande pas de me pardonner si c'était moi, je ne le ferais pas, je tuerais mes agresseurs si ça m'arrivait pourtant j'espère que ça ne m'arrivera pas. Je n'ai pas peur de la mort mais je dois protéger ma mère.
J'ai honte aussi devant dieu et ma famille. Avec cette histoire j'ai compris mes erreurs, je ne sorts plus, je n'ai pas revu les autres et j'ai repris mes études sérieusement.
J'ai pris conscience de mes actes, je ne vous dérange pas plus. Peace.
Signé : Mr R
*
Lorsque Uzu pénètre dans l'ascenseur sa tête lui tourne, il a fait le chemin pour rentrer sans même s'en rendre compte. Sa mère l'a bien questionné au moment de partir sur sont subit abattement. Il a prit pour prétexte le sms de son amant qui n'augure rien de bon lui non plus. Il n'arrive plus à réfléchir, ses mains tremblent, il souffre de son estomac.
D'après le rapport, aucun de ses agresseurs n'est innocents. Uzu ne se souvient pas vraiment qui est qui. Pour quelle raison sa mémoire devrait-elle être capable de faire justice ? Pour l'heure une information tourne dans sa tête, l'un d'eux est libre, l'un d'eux n'ira pas en prison et il sait où Uzu habitait. Il a donc la possibilité de prendre contacte avec lui une autre fois. Pire, lui tomber dessus un jour où il passe chez sa mère ! Il réprime un haut le cœur.
Lorsqu'il ouvre la porte sur la douce lumière et l'odeur de son nouveau foyer, il a envie de se laisser aller, se plaindre dans les bras de l'être aimé lui ferait tellement de bien. Mais force est de constater que ça n'est guère le moment. Gabriel, debout contre la table, raide comme un « i », crispé, la tête baissée, laissant ses mèches noires cacher sa face dépitée, renifle fortement.
- Gabriel, qu'est-ce qui se passe alors ? Raconte-moi.
Il s'en approche et l'autre se laisse glisser contre lui.
- J'ai merdé.
Il passe la soirée à écouter son petit ami se flageller, autant qu'il injurie une certaine Mme A. Ils tentent de réfléchir ensemble au prochain rendez-vous où Uzu et Helen devront être présent et se rendre au bureau de la PMI. Pendant tout ce temps Gabriel ne se rend pas compte du malaise qui étreint l'autre, tellement focalisé sur ses propres soucis. Finalement ce n'est qu'au moment de se mettre au lit qu'il lui demande :
- Et avec ta mère ça c'est passé comment ?
Les trais de Uzu se marquent. Il ne dit rien sur le fameux courrier, raconte la vérité en omettant sciemment celui ci.
- Très bien, je crois que ça s'arrange. On était content de se voir.
- C'est bien, ch'uis heureux pour toi !
Une fois couché Gabriel se rapproche. D'humeur câline, ses mains s'égarent, sans doute a-t-il besoin de décompresser. Uzu se raidit clairement, toutefois, il n'ose pas le repousser vraiment.
- Tu m'as manqué aujourd'hui t'sais? Tu vois c'genre d'situation ça m'fait réfléchir, ch'ais vraiment pas comment j'm'en s'rais sorti sans toi !
- Ma mère m'a demandé si je t'aimais.
Gabriel jouant avec une mèche de ses cheveux l'interroge distrait :
- Tu lui as répondu ?
- J'ai dit que je vous aimez tout les deux. Moi aussi j'ai peur de cette histoire d'enquête.
*
Sa joue douloureuse sur le béton humide, cette odeur de poubelle et le goût du sang dans sa bouche, il a vécut un véritable cauchemar. L'intégralité de son corps souffrait de la torture et du froid. Ils étaient partis, le laissant là, seul, presque mourant. Nul doute, qu'ils allaient revenir. Il aurait voulu profiter de cette accalmie pour trouver un moyen de s'enfuir, de retirer ce bâillon, de se défaire de ses liens. Il chercha à ramper, en vain. Il ne sentait plus ses jambes et chaque respiration lui était atrocement douloureuse.
Un craquement se fit entendre, la porte...
Uzu détecta une présence. De nouveau terrifié, il se tortilla et poussa un mugissement au travers du tissu enfoncé dans sa bouche, lorsqu'il senti la pression d'une main sur son épaule.
- Chuuut ! Tu peux marcher ? Gueule pas j'te détache, si tu la ramènes on va s'faire gauler tout les trois !
Dans la pénombre au début, il n'aperçu que les contours de son "sauveur". Un linge raide se referma sur son corps meurtris. On le soutint pour qu'il réussisse à se lever, il vacilla très vite.
- Putain, il va nous claquer dans les doigts... C'est pas une bonne idée, viens, on s'casse ! Aboya une autre personne dans l'ombre.
- Ta gueule aide-moi !
- On va où ?
- Chez moi.
- T'es malade, ta mère va app'ler les flics!
- Ma mère elle f'ra c'que j'uis dit.
De nouveau allongé sur un sol crasseux, il n'eut pas la force de se débattre. L'ascenseur... L'odeur d'urine y fût très forte. Sa joue se trouva à quelques centimètres des chaussures, des deux garçons. Il eut peur, très peur, qu'allait-il encore lui arriver ? Quand les portes s'ouvrirent, il tenta une dernière fois de s'échapper.
- Ho là mec, tu bouges pas d'ici !
Ils l'attrapèrent sous les bras, et le tirèrent fortement en arrière.
- Lâchez-moi, supplia-t-il.
Il subit aussitôt le mouvement de ses côtes brisées, la douleur fut telle qu'il perdit connaissance.
*
Gabriel sursaute, Uzu cramponné à son cou gesticule frénétiquement en répétant :
- Lâchez-moi ! Lâchez-moi !
- Youz' ! Héééé ! Chutttt ! Calme-toi... Je suis là, c'est encore un cauchemar.
Uzu livide s'assoit sur le bord du lit, repoussant l'éteinte de son amant. Tremblant et comprimant ses côtes, sa respiration est rapide, ses gestes irréfléchis.
- Mon n'amour ça va ?
De la sueur coule le long de ses tempes. Il n'a pas le temps d'objecter, les intestins tordus de spasmes, il saute aussitôt en bas du lit et court aux toilettes.
Gabriel reste seul, bouleversé et idiot, sous les couvertures. Depuis quelques semaines Uzu n'avait plus eu de terreurs nocturnes et le goth a perdu l'habitude de ses réveils soudains et mouvementés. Il s'estime inefficace alors que cela le reprend.
- À force je devrais pourtant savoir l'aider.
L'entendre se rendre malade de l'autre côté du couloir l'affecte, il ignore comment réagir. Il suppose que ce qui arrive cette nuit est lié à la visite chez sa mère. Sans s'expliquer pourquoi, il est certain que ça ne peut pas être une coïncidence.
Uzu revient finalement, blanc comme un linge.
- Il s'est passé que'que chose aujourd'hui ? intervient Gabriel.
L'indisposé réplique d'une façon un peu aigre par une autre question.
- Quoi, qu'est-ce que tu cherches à insinuer ?
- Ch'ais pas, j'cherche un élément déclencheur y'a des s'maines que tout allait bien !
- Tu te prends pour un psy ? Excuse-moi de t'empêcher de dormir, je vais finir la nuit dans le salon.
Gabriel se lève et le rattrape in extrémis.
- Arrête d'dire des bêtises, viens là.
Uzu résiste quand celui-ci tente de se rapprocher.
- Qu'est-ce qui n'va pas mon ange ?
- Lâche-moi s'il te plaît.
- ...
- J'ai été violé et torturé, tu croyais que ça disparaissait en claquant des doigts ?
Gabriel se recule interloqué. Ordinairement Uzu est un peu ennuyé d'ajouter des problèmes à son ami, jamais jusqu'ici il n'a n'osé se rebiffer sur le sujet. C'est bien la première fois qu'il se montre agressif envers l'autre qui ne cherche qu'à le soulager.
Devant la mine déconfite de son amant, Uzu se fend d'une pseudo justification. Celle-ci est plus désagréable qu'utile.
- Écoute tes problèmes sont aussi les miens d'accord ? Par contre mes problèmes sont et resteront à moi seul. Alors arrête de croire que tu es capable de m'aider.
Il se recouche sur ces paroles acerbes, éteint la lumière et lui tourne le dos, sans attendre que Gabriel ne le rejoigne sous les couvertures.
Le goth hésite un instant avant de se rallonger à son tour, un peu désemparé.
- S'cuse-moi. J'peux pas grand-chose et ça m'fait mal pour toi. J'm'inquiète. J't'aime. J'insiste pas mais si t'as envie d'parler ch'uis là.
Quelques secondes passent puis le japonais ouvre enfin la bouche plus calmement.
- Je me doute qu'il t'est impossible d'ignorer ce qui m'arrive quand mon sommeille est perturbé. Je voudrais vraiment que ce soit le cas pourtant car je me sens humilié. J'aimerais passer à autre chose et qu'on en parle pas.
- J'comprends, seulement fuir les problèmes où les trucs chiants ça marche pas, ce s'rais trop facile sinon. J'crois pas qu'tu pourras un jour oublier. Ch'uis là, c'est tout. J'peux tout entendre de toi.
- ...
- J'prétends pas tout comprendre, là j'crois qu'y'a sûrement des éléments qui déclenchent tes cauchemars. Ch'uis pas spy c'est vrai mais...
- J'ai reçu une lettre d'excuse d'une ordure faisant partie de ceux que je tente d'envoyer en taule pour ce qu'ils m'ont fait, avoue enfin Uzu. Ce connard ne se contente pas de se permettre de me joindre, il m'annonce aussi qu'il a obtenu du sursis ou un truc du genre.
- Pourquoi tu n'men as pas parlé ? Mes problèmes avec la garde d'Hugo n'm'empêche pas d'te soutenir !
- Déjà j'ai trouvé que tu cumulais beaucoup en une journée, ensuite je crois que j'avais pas vraiment envie d'en discuter. Je me demande, peut-être que si.
Il se retourne face à son petit ami, dans le noir il n'en remarque que les contours.
- Je sais plus où j'en suis, avoue-t-il au goth, la gorge serrée.
Les bras rassurants de l'autre se hâtent de l'entourer.
- T'sais quoi ?
- Quoi ?
- On est les plus forts, on vaincra !
Uzu ricane contre son torse.
- C'est complètement nul et inutile ce que tu m'dis, tu t'en rends compte ? Mais tu me fais du bien baka* ! ajoute-t-il dans un soupir. Tu as raison, qu'ils aillent au diable tous !
- Voilà ! acquiesce fièrement le goth en resserrant son étreinte.