Personne ne lui demande la raison de sa présence mais les regards des musiciens y compris celui de Gabriel, se font inquisiteurs.
Le batteur assez jovial lui décochera un sourire sympathique, le seul. Le guitariste en train de brancher des câbles sortira une ânerie de mauvais goût :
- J'ai mal choisi mon moment pour me mettre à quatre pattes, vous fondez un club de gays ou quoi ?
La manière dont ce gars a pu comprendre que Liam est gay restera un mystère pour le concerné.
- Merde, j'ai oublié les partoches j'crois, s'inquiète Gabriel en se grattant la tête, fouillant dans son sac.
- Ça c'est une erreur fatale ! avance son guitariste toujours à plat ventre sur le sol.
- Nan impossible ch'uis en mode sans échec d'puis c'matin !
- Lol... rebout mouhahaha !
Liam les observe de loin, il ne comprend pas tout de l'échange.
La pièce est vide de siège, aucun banc, chaise, ou tabouret où se poser, reste le sol. Les autres s'activent autour de lui, il a la franche impression de gêner. Yann est en grande conversation technique avec le clavier du groupe et Uzu est absent du tableau. Liam ne l'a pas encore vu.
Yann branche sa basse sur l'ampli, le blond le trouve plus séduisant que jamais, cette façon de se tenir debout, le menton en l'air, fier. Il se dandine, d'avant en arrière, mimant on ne sait quel accord, poussant du bout du pied les câbles qui l'entourent tel des serpents. Avec son instrument, il est beau. Ses bras minces, ce corps maigre tout de muscle fins, son petit cul rond et cette grâce qu'il montre dans le port de tête. Tour à tour, il sourit goguenard ou fronce les sourcils concentré. Il passe de la blague au sérieux avec une rapidité déconcertante. Il a l'air tellement dans son élément ici.
- Hé t'as vu la bête ? Interpelle-t-il Gabriel d'une voix un peu terne, à propos du piano numérique installé dans le studio.
- Héhé, qu'est-ce tu crois ? Ta basse est branchée ? lui demande le leader en s'approchant du dît clavier.
- Ouaip !
Un calme olympien s'installe. Le guitariste rythmique règle sa sangle les yeux rivé sur nos deux musiciens qui déjà se chauffent.
- On se fait un bœuf ? Tu nous inventes un truc ? lance Steph assis dernière son propre synthé.
Ressemblant à un coureur du cent mètre sur le départ, le claviériste fixe Gabriel assis derrière le piano, les mains en suspend.
Gabriel, tremblant d'envie, fait aussitôt claqué les os de ses doigts. Ça débute. D'abord, c'est seulement deux touches appuyées à intervalle régulier, les notes sont lentes mais en staccato. Yann se met en transe dès les premiers sons du piano, ses doigts caressent les cordes de sa basse presque sensuellement. Liam ne le connaissait pas ainsi, même quand il travaille sérieusement son instrument à l'appartement. La tête en l'air, les iris voilés, le front lisse, la mèche dans les yeux balayant ses taches de rousseur, ses doigts glissent ou tapent frénétiques, en rythme.
Cette ligne de basse, lourde, pesante, aussi lente que les notes du piano, donne un côté inquiétant à la musique. Juste des notes piquées et un son de basse lourd, à eux deux, ils donnent froid dans le dos.
La mélodie se gonfle s'amplifie lourdement, le morceau n'angoisse pas seulement, il sert le cœur, laisse une empreinte pleine d'une certaine tristesse, le tout déborde de sentiments palpables. Liam n'est pas au bout de ses découvertes, la voix de Uzu, claire, profonde et lisse, arrive d'on ne sait où et empli au bout de quelques minutes le studio tout entier. Il se retourne, pour voir le japonais derrière lui, micro en main, sourire aux lèvres, yeux fermés, poussant juste un houuuu aigu sans parole, puisqu'il n'y en a pas encore et ce, dans le même ton étrange que le piano.
Uzu, tel que Liam ne l'a jamais vu lui non plus, son teint lumineux, cette joie intense qu'il affiche, ses yeux maquillés, sa bouche brillante de gloss, il peine à le reconnaitre. Il ressemble presque à une statue de cire.
Subitement le ton monte, et le synthé au son de violon s'ajoute, amenant avec lui, telle une vague, de la profondeur et de la puissance, intensifiant les effets. Tout tourne, même les murs ont l'air de valser.
Puis la « vague » s'écrase et le thème revient plus fort grâce à la guitare qui explose à son tour, ne laissant pas le temps au cerveau de Liam de réagir. La voix de Uzu rebondie. Gabriel s'énerve sur les touches du piano. Les mains du guitariste disparaissent sous la vitesse du mouvement.
Liam se retrouve essoufflé sans bouger, éberlué, pris de court. Il est passablement ébranlé par la démonstration. La batterie liant l'ensemble, forte mais tranquille, calme le violon du synthé. La vitesse de croisière semble grâce à elle, atteinte. Le morceau se stop presque quelques secondes, ne laissant échapper qu'un léger son de sample venant tromper le spectateur. On suppose l'essaie bientôt terminé et Liam manque alors d'applaudir.
Sans crier gare, ils repartent de plus bel, dans leur délire, tous en même temps. D'un simple coup d'œil, ils se sont compris. Le tout est-il vraiment improvisé ? La batterie s'affole, la voix de Yann se mêle fluette et cassée à celle du chanteur. Elles se joignent telle deux ronces s'entremêlant. Gabriel est presque debout devant le piano, ses doigts tapent, écorchent et roulent sur l'instrument. Une vraie folie de quelques minutes. Le thème piano et voix reviendra une dernière fois avant de s'achever puissant en apothéose électrique.
Pour Liam c'est juste incroyable ! Tout ce qu'il connaissait jusque là de la musique n'était que le simple plaisir de l'écouter, ce qu'il découvre aujourd'hui est loin de ce qu'il a pu ressentir. Est-ce le lieu ? Le fait de connaître la plupart des protagonistes en dehors ? Déjà comprendre que cet idiot de Gabriel est une personne avec de nombreux talents est étonnant. Il savait bien entendu que Uzu était doué pour la chanson et Yann bon à la basse mais cette magie là, est au-delà de tout.
- Putain on en tient une bonne là ! T'as enregistré la punaise ? s'exclame Math excité.
- Ça enregistre même encore haha ! lui répond Yann la face un peu rouge.
Visiblement il est content de lui.
- On est des bons les amis on est les meilleurs ! affirme le guitariste qui se tape dans les mains pendant que Uzu se marre.
- Même mieux que ça ! ajoute Steph.
- R'gardez mon chéri ricane tout seul ! se moque Gabriel.
- C'était fou non ? J'ai l'impression d'avoir bu, les murs tournent, c'était mystique, s'exalte l'intéressé.
- Mystique ? Youz' mon amour faut pas respirer autant mouhahaha ! Tu as le tournis !
- Mais nan, vous comprenez rien, il a pris du LSD ce con ! lâche Math.
- Math chéri, arrête de baver n'importe quoi ! Vous avez vu combien de temps il a tenu la note cette fois ? C'est normal mon choux d'avoir la tête dans la brume, tu manques de souffle, va falloir que tu te calmes un peu, annonce Yann.
- Vous êtes fabuleux... souffle Liam bouleversé par l'expérience.
La réflexion du jeune homme les coupe, ils n'ont pas l'habitude d'avoir un spectateur.
Les réactions sont diverses, Uzu, superbe et modeste, se contente de peindre un sourire évident sur son visage. Gabriel qui se demande si l'aveu à le moindre intérêt pour lui, se gratte juste la tête sans répondre. Math gratifie l'assemblée d'ne onomatopée : - hébé ! Steph remercie simplement et Yann rougissant se contente d'un : - T'as vu ?
*
Après le morceau d'échauffement, le groupe s'est dispersé pour une heure de boulot séparé, comme à leur habitude. Uzu est parti vocaliser dans le petit studio, Steph et Math mettent au point leurs derniers ajouts. Yann assis par terre avec sa seconde basse aux côtés de Liam, accorde celle-ci différemment pour les besoins d'un des morceaux à jouer plus tard. De la sueur coule sur son front, ses lèvres sont pâles, il n'a pas l'air dans son assiette.
- J'ai du mal à avoir l'air détaché quand je suis en sa présence, est-ce que ça se voit ? demande-t-il sans même se tourner vers Liam.
Sa voix est étrange un peu étouffée, cela surprend le blond mais il ne relève pas cet état de fait. La question de Yann lui semble plus importante.
- Tu veux parler de Youdzeu?
- Qui d'autre à ton avis ?
- Ne lui dit pas.
- J'ai peur de me retrouver seul avec lui et de craquer, c'est douloureux de réfléchir à toute cette histoire.
- Alors n'y va pas.
- On est sensé travailler les voix tout les deux, figure-toi. Remarque là, j'ai tellement mal à la gorge que je serais incapable de chanter.
- Mal, ça ne va pas ? Écoute, les autres sont occupés, Gabriel et le batteur ne sont même plus là, vous pouvez sans doute bosser ici ? Tu veux que j'aille le chercher pour toi ?
- Merci...
À droite du couloir, il entend le piano acoustique et il reconnait le morceau improvisé un peu plus tôt, la porte est entre-ouverte et il peut tout à loisir épier Gabriel, casque sur la tête s'énervé grandiose sur les touches en ivoire. L'impro ayant été enregistrée, le leader de ten'shi se la passe en boucle dans les oreilles tout en tentant de l'arranger. Gabriel en quelques minutes est remonté dans l'estime de Liam qui découvre en lui un musicien hors paire et un meneur qui sait ce qu'il veut, en tout cas en musique.
Il continu sa visite des locaux à la recherche du japonais quand il aperçoit le batteur derrière le guichet de l'entrée.
- Tu cherches quelque chose ? On reprend ? demande ce dernier.
- Youdzeu, Yann m'a demandé d'aller le trouver.
- Heu... il attend Yann dans le petit studio.
Il se penche et montre l'autre aile du bâtiment, à l'architecte un peu perdu.
- Tout de suite sur la gauche, la première porte.
Quand Liam entre dans la petite pièce, il y trouve le japonais de dos, derrière le micro, qui chante sur un playback.
- Tu es étonnant.
- Ha, je ne t'avais pas entendu entrer.
Uzu se penche pour arrêter la musique, laissant le casque glisser de ses oreilles vers son coup.
- Yann n'est pas avec toi ?
- Il m'a demandé de venir te chercher.
- Bha, on doit pas répéter ici ! ?
- Je ne suis que le messager.
- Ok, je vais voir ça avec lui. Ça va, tu ne t'ennuies pas ?
- Non pas du tout, c'est assez fascinant de se retrouver ainsi, de l'autre côté du décore.
Alors que Uzu démonte le micro pour quitter la salle, Liam s'approche de lui.
- Est-ce qu'on peut parler juste une minute ?
- Oui mais on m'attend là.
- Je fais vite ! Je... c'est vraiment un plaisir de te voir comme ça, je veux dire, tu es rayonnant.
Uzu sourit un peu gêné.
- Vraiment je suis sérieux, tu souris, tu te montres très à l'aise et avec les autres et dans ce que tu fais. Les vêtements et même le maquillage te vont super bien, qui l'aurait cru.
- C'est peut-être un peu de trop non ?
- Pas le moins du monde, tu as l'air si naturel, on dirait... vraiment toi.
- Comment ça ?
- Hé bien c'est comme-ci tu avais toujours été ainsi, tu as l'air dans ton élément.
- Je me sens bien.
- Et ça se voit.
- Merci, heu... faut que j'y aille là.
- Oui bien sûr !
- Liam ?
- Oui ?
- Avec Yann ça va mieux ?
(Soupir de Liam)
- Il est attachant en revanche, je suis persuadé que je ne dois pas tomber amoureux, il est trop instable et tu connais mon problème. À cause de ça, je ne crois pas qu'il puisse m'apporter ce que j'attends d'une relation, il me fait peur.
- Tu ne vas pas lui laisser une chance ?
- Youdzeu, écoutes, j'ignore ce qu'il attend de moi et pour être honnête avec toi, j'imagine sincèrement, qu'il ne le sait pas lui-même.
- Je te comprends, je le trouve adorable mais très compliqué. Marie et Gabriel me filent le doute à son sujet. Aujourd'hui par exemple son regard m'a plusieurs fois troublé déjà, ses yeux brillent bizarrement. Qu'est-ce que ça signifie, sur quel pied danser ?
- Il t'aime beaucoup, se contente de lui avouer Liam gêné par l'interrogation.
- Je n'en doute pas et c'est réciproque.
L'expression de son ex est bien étrange, Liam essaie de la décoder perplexe, il espère pour Yann, que l'asiatique ne se doute de rien.
En les voyant remonter le couloir, Gabriel se penche.
- Vous faites quoi ? Yann est pas avec toi ?
Uzu hausse les épaules.
- Il veut bosser dans la grande salle.
- C'est quoi ces conn'ries ? On va travailler les accompagnements là ! Z'allez même pas vous entendre ! R'tourne dans l'petit stud', j'vais régler ça ! Yaaann, bouge ton cul d'fillette ! Pas question d'faire du chant ici pendant qu'on révise les rythmes ! Ça va être une vraie cacophonie là d'dans !
Yann passe alors devant Liam, la tête dans les épaules sans moufter. Le blond tentera bien de rester avec eux, Uzu aura vite fait de le virer.
- Ha nan Liam, là c'est pas possible, j'arriverais jamais à me concentrer !