L’hôtesse d’HuMo venait de se connecter à ses collègues installateurs lorsqu’une alarme s’alluma dans son champ de vision. Aussitôt, la voix de Harry Trusk, le président-directeur général, résonna dans sa tête.
— Ceci est un message prioritaire à l’équipe implantation 2B de l’HuMo Store LG3, entama-t-il d’un ton autoritaire. Je vous prie de prendre connaissance du topo de votre chef de service.
Le responsable du centre était assis devant la jeune femme. Il observait des analyses en cours sur l’écran numérique d’un microscope de pointe. À son tour, il prit la parole dans la tête de ses collègues sans avoir ni à bouger les lèvres ni à cesser ses activités.
— Nous venons de prélever des paramètres particulièrement anormaux, annonça-t-il, avec un haut risque de contamination pour notre matériel. À ce stade, nous ne pouvons ni implanter le sujet ni le laisser repartir. Des examens complémentaires sont en cours. Je vous demande de déployer le protocole de mise en observation pour contenir l’anomalie en attente des recommandations d’HuMo.
Les consignes à suivre s’affichèrent sous les yeux du personnel.
— Nous avons un facteur adjuvant, intervint l’hôtesse en utilisant l’interface connectée, la personne concernée s’est présentée accompagnée par un autre sujet qui souhaite être implanté en même temps. Je suggère que nous nous servions de cette observation psychovisuelle à notre avantage.
— Je vous remercie pour votre professionnalisme, conclut son responsable. HuMo vient d’intégrer vos observations et d’adapter le protocole en conséquence.
— Chers collègues, enchérit Harry Trusk, vous savez à présent ce que vous avez à faire. À vos postes !
La jeune femme se dirigea vers un local isolé, aménagé en salle d’opération, où d’autres membres de l’équipe étaient déjà en train d’amener un second fauteuil cocon et du matériel médical spécialisé. L’alarme s’était éteinte dans leur champ de vision. Seul le chef de service restait connecté.
— Monsieur, ajouta-t-il en aparté, je tenais à vous informer que le système a émis une alerte singulière sur le nom de la personne concernée.
— Je vous écoute, l’encouragea son PDG.
— Il s’agit d’une certaine Sylvia Vaneyck.
— La fille de Jeff ? s’étrangla Harry. Ne la laissez repartir sous aucun prétexte, vous m’entendez ? Je monte dans l’aérojet et j’arrive au plus vite ! Tenez-moi au courant de toute évolution de la situation en temps réel. Aucune décision ne peut être prise sans mon accord formel ! Est-ce clair ?
— Tout à fait, monsieur.
— Je vais régler cette histoire moi-même !
Une nouvelle alarme de service apparut dans le champ de vision de l’ensemble des collaborateurs de l’HuMo Store. Elle avait le code couleur le plus élevé dans l’échelle des urgences internes.
Certains humains ont cru s’affranchir de leur nature. Ils ont commis l’erreur de se considérer comme supérieur au reste du vivant, de n’envisager plus rien de commun entre eux et nous. Quel aveuglement ! Et quelle bêtise d’ignorer que toute leur vie, l’équilibre de leur métabolisme, leur digestion, dépendent de nos sœurs bactéries, de ce qu’ils nomment si joliment leur flore intestinale, avant de la nier, de l’oublier obstinément. De se déraciner littéralement. Les tempêtes à venir les emporteront.
Sylvia et Aliette patientaient dans leurs sièges confortables. L’hôtesse était à peine partie que les tablettes avaient pris le relais pour leur proposer des jeux en exclusivité ou de nouvelles vidéos de présentation des nombreux développements futurs d’HuMo.
— Tu crois qu’on va attendre longtemps ? demanda Sylvia qui ne parvenait pas à canaliser ses pensées.
— Mmm… fit Aliette plongée dans une représentation 3D de l’interface de communication.
— J’aurais dû prendre un livre, continua son amie. Les écrans me donnent mal à la tête.
— C’est Mme Albert qui aurait été contente ! se moqua sa complice sans relever le nez.
— Et mon père ! Il m’a encore offert un bouquin pour mon anniversaire…
— Il est bien ? demanda Aliette.
— J’sais pas, souffla Sylvia qui s’impatientait d’être implantée pour pouvoir communiquer par messagerie mentale. Pas lu !
La jeune fille jeta un œil autour d’elle. D’autres personnes étaient plongées dans des images virtuelles et les cousins confortables des alcôves qu’elle pouvait distinguer. Quelques membres du personnel passaient en blouse blanche.
— Tu devrais peut-être en profiter pour lire les conditions d’utilisation, suggéra son amie. Au moins, ça te fera de la lecture !
— Les écrans me donnent mal à la tête, je te dis.
— Attends, je les lis pour toi.
Aliette pianota sur sa tablette et finit par trouver un lien vers les paramètres. Tout en dessous d’un menu déroulant qui permettait en autres options de choisir un avatar, un pseudo ou des centres d’intérêt, elle cliqua sur la mention « Conditions générales ». Un long texte en langage administratif s’afficha devant elle.
— Je comprends que personne ne lise ça… fit-elle remarquer.
Elle parcourait les paragraphes qui décrivaient tous les usages les plus merveilleux les uns que les autres que les utilisateurs pouvaient espérer de leur implant HuMo. Bien plus bas, elle finit par tomber sur les droits et obligations de la société envers ses clients.
— « Afin de mettre à jour ses services, continua-t-elle à voix haute, HuMo peut accéder à l’ensemble des paramètres médicaux et des connaissances cognitives de ses utilisateurs. » Waouw !
Elle se pencha vers Sylvia et la tira par la manche.
— T’entends ça ? s’exclama-t-elle.
— Quoi ?
— Ils peuvent savoir tout ce qu’on pense ! On aura plus aucun secret pour eux !
Sylvia soupira et détourna la tête vers la porte de service d’où l’hôtesse tardait à revenir. Aliette reprit sa lecture.
— « Afin d’optimiser l’expérience personnelle, continua-t-elle, chaque utilisateur donne expressément l’autorisation à HuMo d’apporter les modifications nécessaires à ces mêmes paramètres médicaux et cognitifs. »
La jeune fille se tut, se leva de son siège et s’approcha de Sylvia pour lui mettre ces dernières dispositions réglementaires sous les yeux.
— Tu te rends compte, s’énerva-t-elle. Ils peuvent changer ce qu’on pense !
— Mais non ! s’agaça Sylvia en écoutant enfin son amie.
— Si ! confirma celle-ci. C’est écrit noir sur blanc !
— Et alors ?
— Hors de question que je me fasse implanter dans ces conditions !
— Aliette !
Les deux ados se dévisagèrent au comble de l’incompréhension. Sylvia trépignait d’impatience. Aliette faisait à présent marche arrière.
— Tu veux vraiment t’en aller ?
— Oui !
— OK, admit Sylvia en montrant la porte d’entrée du doigt. Tu veux sortir, c’est ça ? Tu veux rentrer chez toi, puis retourner demain matin à l’école sans implant.
— Non, reconnut Aliette. Je ne sais pas…
— Qu’est-ce qu’on va dire à Emma ? Et à Keyla ?
— Je ne sais pas, je te dis ! Je ne sais pas !
— Qu’on a pas eu le courage ? Qu’on a eu peur ? Qu’on sera pas comme elles ?
— Arrête ! s’énerva Aliette. T’as raison. On a pas le choix, d’accord. Mais t’as quand même entendu ce que je viens de te dire : ils peuvent changer ce que tu penses !
— C’est pas un problème, rétorqua Sylvia. Parfois, j’aimerais aussi changer ce qui me passe par la tête.
Aliette ouvrit des yeux ronds et prit les mains de son amie dans les siennes. Cette souffrance, elle la ressentait, elle la connaissait. Elle ne se sentait pas le même courage que Sylvia, mais elle partageait sa peine. Elles étaient les mêmes.
— Je comprends que tu veuilles devenir avocate, sourit-elle.
— Alors, c’est bon ? Tu restes ?
— Mesdemoiselles ? les surprit l’hôtesse qui venait de réapparaitre. Veuillez me suivre, s’il vous plait.
Aliette soupira. Sylvia lui enlaça les doigts. L’hôtesse leur souriait patiemment. Quand les jeunes filles se levèrent enfin, elle les invita à l’accompagner d’un geste de la main.
— Je vous en prie, ajouta-t-elle.
Sylvia s’avança aussitôt, pressée d’être enfin implantée. Aliette lui emboita le pas.
Sylvia devrait reconnaître les pièges. Nous sommes les spécialistes des pièges. Quand elle nous écoutera enfin, plus aucun piège n’aura de secrets pour elle. En attendant, elle doit apprendre, elle endosse encore sa peau de proie.
Ce qui m'a un peu gênée :
- je suis un peu étonnée que ce soit Harry Trusk en personne qui envoie un message au personnel juste pour un prélèvement de paramètres anormaux (pourquoi pas, mais j'imagine qu'il est occupé et réagir si vite alors qu'il ne sait même pas encore qu'il s'agit de Sylvia me parait incongru)
- Je suggère que nous nous servions de cette observation psychovisuelle à notre avantage ==> je n'ai pas compris de quoi tu parles !
- Chers collègues, enchérit Harry Trusk ==> renchérit ?
- qui permettait en autres options ==> entre autres ?
Mes phrases préférées :
- Comme toujours, le passage des plantes !
- Un long texte en langage administratif ==> haha c'est drôle, comme si il s'agissait d'une autre langue ^^
Remarques générales :
J'aime beaucoup qu'Aliette finisse par lire les conditions d'utilisation (qui sont logiques, bien que scandaleuses), d'autant plus qu'elle avait déjà quelques doutes dans le chapitre d'avant. Je les trouve inconscientes de continuer à vouloir se faire implanter malgré les conditions, mais ce n'est pas gênant car c'est cohérent avec ce que j'imagine des réactions d'une ado de 16 ans qui veut rentrer dans le moule à tout prix. Je trouve quand même Aliette un peu trop vite convaincue, peut-être une ou deux phrases de plus sur le sujet permettrait de faire passer ça de manière moins abrupte. A part ça, je trouve leur attitude plausible !
A bientôt :)
Bien vu pour l'incohérence de faire venir Harry en urgence avant même qu'il sache qu'il s'agit de la fille de Jeff. Je vais réfléchir à une manière de régler ça !
Et à nouveau mille mercis pour la précision de tes remarques : je reviendrai sur toutes tes suggestions pour voir ce qui doit être corrigé !
A bientôt !