Les humains sont nos sœurs, nos frères, nos voisins, mais ils ne s’en sont toujours pas rendu compte. Ils continuent à vivre éloignés, à se couper de nous, à emménager dans des lieux dont nous sommes absentes. Pire, à nous déménager pour pouvoir eux-mêmes s’installer. Mais ils ne peuvent pas se passer de nous. Nous sommes leurs partenaires, leurs fondations, leur intérieur, leur maison.
Sylvia et Aliette admiraient la devanture de l’HuMo Store. C’était un bâtiment très récent, à la façade entièrement vitrée et des fonctions augmentées. Plusieurs passants jouaient avec les surfaces réfléchissantes interactives où des avatars les interpellaient et répondaient aux questions des curieux. Les deux jeunes filles se présentèrent face à la porte qui s’ouvrit sans un bruit devant elles. À l’intérieur, l’espace était dégagé et d’un blanc immaculé. Des fauteuils en forme de cocon étaient installés dans des alcôves, qui occupaient les pourtours et offraient des lieux plus intimes, dans cet endroit de passage plutôt fréquenté avec le succès grandissant de la firme.
— Waouw ! s’exclama Sylvia.
— Qu’est-ce qu’on fait ? s’inquiéta Aliette.
Une hôtesse vint à leur rencontre. Elle était habillée d’une blouse de laboratoire semblable à celle de son père en beaucoup plus propre et élégante. La jeune femme portait les cheveux courts, ce qui dévoilait sans peine l’implant qu’elle arborait dans le cou, derrière l’oreille droite.
— Bonjour, mesdemoiselles, les accueillit-elle. Comment puis-je vous aider ?
— Merci, esquiva Aliette en essayant de tirer Sylvia par le bras. Nous voulions d’abord regarder.
— Nous venons pour être implantées, déclara son amie avec tout l’aplomb qu’elle pouvait.
— Je vous en prie, sourit la professionnelle. Suivez-moi.
L’hôtesse les entraina vers une alcôve et leur présenta deux sièges disponibles.
— Installez-vous, les invita-t-elle. Vous trouverez une tablette dans l’accoudoir.
Cette fois, c’est Sylvia qui trainait Aliette par la manche de son manteau pour inciter sa complice à la suivre et à accepter de s’asseoir sur les coussins qui semblaient extrêmement confortables. Elle lorgnait l’écran connecté qui devait être la porte d’entrée vers le miracle technologique qu’elle espérait.
— Prenez le temps de consulter nos informations à votre aise, leur proposa la jeune femme avec un regard rassurant pour la plus petite et la plus réticente des deux adolescentes. Je reste à votre disposition si vous avez des questions.
— Allez, insista Sylvia.
Aliette ne parvenait pas à cacher ses appréhensions. Elle se laissa pousser dans un fauteuil par son amie qui s’assit dans un autre un peu trop éloigné à son goût. Chacune se saisit d’une tablette où un hologramme de présentation s’enclencha automatiquement.
— La société HuMo est fière d’être une pionnière du transhumanisme et d’avoir développé le premier implant humain global, commença la voix suave.
Sylvia reconnut aussitôt le visage d’Harry Trusk. Sa silhouette électronique était de bien meilleure qualité que sur la tablette d’Amélie. Il portait à nouveau un costume chic, sa mâchoire carrée était rasée de près, ses sourcils paraissaient épilés, sa peau lissée et ses cheveux soyeux. Il devait avoir l’âge de son père, pourtant il aurait pu tourner dans un spot pour des produits cosmétiques antirides. La jeune fille chassa un sentiment de malaise qui remontait en elle.
— Notre technologie de pointe démultiplie vos capacités cognitives et régule la totalité de vos paramètres de santé, annonça l’hologramme aguicheur. Avec le programme HuMo Smart, vous acquérez la possibilité d’accéder de manière illimitée à l’ensemble des connaissances de l’humanité. Avec le programme HuMo Save, vous préservez votre capital santé et vous obtenez l’assurance d’une espérance de vie prolongée dans le confort et la dignité. Que vous choisissiez Smart ou Save, tous les programmes HuMo sont compatibles et accessibles à partir d’un unique produit de base : l’implant humain global. Entrez dans l’univers d’HuMo et accédez à toutes nos offres ainsi qu’à nos futurs produits en développement. Devenez HuMo connecté et rejoignez toute la communauté HuMo. Avec notre unique implant global, l’ensemble du monde s’ouvre à vous. Vos relations et vos possibilités n’auront plus de limites. HuMo vous rend meilleur que vous-même.
— C’est magnifique, s’enthousiasma Sylvia. Et regarde, on peut choisir un descriptif des différents programmes. On essaie le mini pack pour voir ?
Aliette jeta un œil à son amie. Son insouciance la rassura un peu. Ensemble, elles lancèrent la présentation suivante.
— Essayez le mini pack de départ et découvrez la connectivité illimitée, suggéra l’image numérique d’Harry Trusk. Où que vous soyez, quand vous le souhaitez, rejoignez la communauté des humains HuMo connectés. Dialoguez, échangez, jouez en réseau, dans une expérience encore plus immersive que tout ce que vous avez connu en ligne. Soyez votre propre accès au monde. Avec le mini pack de départ d’HuMo, devenez plus que vous-même.
Des images des jeux les plus à la mode étaient apparues en trois dimensions pendant ce petit discours, comme si elles sortaient du crâne du responsable d’HuMo qui avait laissé place à une multitude de visages anonymes souriants. Sylvia fit signe à l’hôtesse qui était restée à quelques pas, entre deux alcôves.
— Excusez-moi, l’interpella-t-elle. Est-ce que si on prend le mini pack pour commencer, on peut se faire implanter un pack éducatif plus tard ?
— Bien sûr !
— Même un diplôme de droit, par exemple ? insista Sylvia.
— Ah, je vois ! sourit la jeune femme. C’est un excellent choix, mademoiselle. Moi-même, j’y pense. Et entre nous, je peux vous donner une exclusivité, nos équipes travaillent d’arrache-pied pour que ce pack soit prêt dans les premiers pour l’obtention de diplômes reconnus. Comme vous serez bientôt connectée, vous serez avertie dès sa sortie. Si vous êtes rapide, vous serez une très jeune avocate. Oh, j’aurais aimé être à votre place !
Sylvia s’était redressée. Elle n’avait pas remarqué l’air renfrogné et anxieux de son amie.
— Comment est-ce qu’on fait pour avoir le mini pack ? enchaina-t-elle.
— C’est très simple, affirma l’hôtesse. Vous l’ajoutez dans votre panier, vous introduisez vos coordonnées et votre moyen de paiement, puis il vous reste à valider votre commande.
Sylvia se concentra sur sa tablette.
— Mais, voulut savoir Aliette, est-ce qu’il y a une période d’essai ? Est-ce qu’on peut tester l’implant et se le faire retirer si on n’est pas satisfaite ?
— Désolé, répondit la vendeuse, je crains que ce ne soit pas possible. En tout cas, je peux vous rassurer : ce n’est jamais arrivé.
Aliette chercha du soutien auprès de son amie. Mais Sylvia remplissait son formulaire d’inscription et n’était plus disponible pour écouter ses inquiétudes.
— Voilà ! se redressa celle-ci. C’est validé ! Qu’est-ce que je dois faire ensuite ?
L’hôtesse s’approcha d’elle.
— Restez bien allongée, lui conseilla-t-elle. La machine va prendre vos paramètres.
Sylvia tressaillit.
— Pourquoi est-ce que vous devez prendre nos paramètres ? s’étonna-t-elle.
— Pour configurer l’implant en fonction de votre métabolisme, répondit la jeune femme avec professionnalisme et sans perdre son calme.
— Est-ce que certaines personnes pourraient être incompatibles avec les implants ? demanda Sylvia. Je veux dire, justement, si leurs paramètres…
— Oh, non ! Pas à ma connaissance ! Rassurez-vous !
— Vous pouvez toujours paramétrer l’implant… résuma l’ado en questionnement.
— Exactement, mademoiselle, confirma l’adulte en se penchant vers elle et en désignant un côté de la tablette. À présent, mettez votre doigt ici.
Sylvia suivit ses instructions et une petite aiguille la piqua pour prélever une goutte de sang.
— Aïe !
— Très bien, affirma l’hôtesse.
Aliette contemplait son amie qui se frottait la main et dont le sourire s’était momentanément figé. Sylvia ne lui prêtait plus qu’une vague attention. Le bout de son doigt pulsait, sa tête tournait un peu et elle s’étonnait presque de ne pas être déjà implantée.
— Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? interrogea-t-elle.
— À présent, il suffit d’attendre quelques instants afin qu’HuMo analyse vos données. Ensuite, je viendrai vous rechercher et nous passerons à l’arrière dans la salle d’implantation proprement dite.
— Aliette peut venir avec moi ?
L’hôtesse sourit aux deux jeunes filles.
— Bien entendu. Si votre amie complète son formulaire et que je peux prendre ses paramètres, assura-t-elle, je ferai en sorte que vous soyez implantées ensemble.
Sylvia se redressa et prit la main d’Aliette.
— Qu’est-ce que tu attends ?
— Je ne sais pas…
Les deux amies se regardaient sans vraiment se comprendre, l’excitation de l’une étant à la hauteur des inquiétudes de l’autre, même si ces deux sentiments se mélangeaient dans la poitrine de chacune.
— Ne me laisse pas seule, insista Sylvia.
— D’accord, souffla Aliette.
C’est ce que le jeune fille craignait le plus au monde : se retrouver encore plus seule pour un bon moment. Elle s’installa sur son siège sous le regard bienveillant de la vendeuse. Elle introduisit son nom et son adresse sur la tablette.
— C’est quoi la case qu’il faut cocher en bas ? demanda-t-elle.
— Ce sont les conditions d’utilisation, répondit l’adulte. En cochant la case, vous reconnaissez les avoir lues et les accepter.
Aliette se pencha vers Sylvia qui suivait la scène avec attention.
— Tu les as lues, toi ?
— Non ! s’exclama son amie. Personne ne les lit, ça prendrait trop longtemps.
— Ouais…
Aliette inspira profondément. Soudain, Sylvia ressentit avec précision le malaise de son amie. Elles avaient les mêmes crampes au ventre. Peut-être le trac, se dit-elle. Désobéir à son père n’était pas dans ses habitudes, même si elle revendiquait son indépendance et le droit de décider par elle-même. Sylvia rêvait d’être comme les autres tout en restant qui elle était. Comment se défaire de ce dilemme ? Si elle n’avançait pas, il ne se passerait rien. Elle n’était pas sûre d’elle, pourtant elle préférait agir plutôt que de subir. Alors Sylvia avait coché la case et accepté les conditions d’utilisation. Aliette l’imita. La machine avait déjà pris leur température et leur tension, avec bien plus de discrétion et d’efficacité qu’Amélie. Les mises en garde de l’assistante de son père lui revirent en mémoire. À la maison, soi-disant pour son bien, tout le monde avait toujours essayé de lui faire peur. Sylvia voulait aller de l’avant, sortir de l’enfance et de ses souvenirs de tristesse, découvrir le monde sans plus aucune crainte. Heureusement, elle n’était plus seule. Elle avait une amie et bientôt elle en aurait d’autres. Elle se redressa, fit un clin d’œil à Aliette qui tendit son doigt pour la prise de sang.
— Parfait, mesdemoiselles ! conclut l’hôtesse. Je reviens vous chercher dès que vos implants sont prêts !
L’environnement humain est empli de souffrances, traversé de barrières, de champs magnétiques, de béton, qui isolent, qui enferment, qui les privent de notre présence. Sylvia n’a pas encore conscience du danger. Elle s’aventure là où nous sommes absentes. Elle prend le risque d’être séparée, coupée d’elle-même, de nos remèdes contre l’artificiel et la douleur.
Ce qui m'a un peu gênée :
- avec des fonctions augmentées ==> la formulation n'est pas très claire
- qui s’ouvrit sans un bruit devant elle. ==> elles ?
- plutôt fréquenté avec le succès ==> je trouve que "grâce au succès" sonnerait mieux
- l’implant qu’elle arborait derrière l’oreille droite ==> ah bon ? j'avais compris que c'était dans la nuque avec l'implant de Keyla mais j'ai peut-être lu un peu vite (ou alors tout le monde n'est pas impanté au même endroit ?)
- leur proposa la jeune femme avec un regard rassurant pour la plus grande et la plus réticente des deux adolescentes ==> je trouve que c'est un peu lourd
- Harry Trust ==> j'avais pas capté jusque là que son nom de famille était Trust, je trouve que ça fait un peu cliché du coup. Sauf si ce n'est pas son vrai nom mais un alias (surtout que ça sonne très anglais alors que je voyais plutôt un paysage de prénoms francophones avec Aliette, François, Amélie... sans parler de Mme Albert, je viens de souvenir qu'elle est prof de français, donc on doit être dans un pays francophone ?)
- Elle encoda son nom ==> hum, j'imagine que tu es belge ? en tout cas la seule personne que je connais qui utilise ce terme était un consultant belge au boulot et aucun de mes collègues ne voyait ce que ça voulait dire !
- lui revirent en mémoire ==> revinrent ?
Mes phrases préférées :
- Elle lorgnait l’écran connecté qui devait être la porte d’entrée vers le miracle technologique qu’elle espérait
- Sylvia ne parvenait ni à cacher ni à s’expliquer ses appréhensions ==> ah ça me fait plaisir qu'elle soit quand même un peu réticente
- La jeune fille était incapable de faire taire son sentiment de malaise ==> vu le chapitre d'avant, est-ce qu'inconsciemment elle arriverait à le reconnaître ?
- elle s’étonnait presque de ne pas être déjà implantée ==> haha j'ai un peu rigolé j'avoue
- Sylvia rêvait d’être comme les autres tout en restant qui elle était ==> très joliment dit
Remarques générales :
Je suis contente d'avoir eu plus d'explications sur les packs, ce qui était une de mes remarques précédentes ;)
Je suis aussi contente qu'elle exprime enfin des doutes, même si je ne comprends pourquoi elle en a tout à coup alors qu'elle avait l'air si sûre d'elle la veille ! Peut-être qu'une explication introspective serait à ajouter ?
A bientôt !
Arf, un belgicisme m'a trahi... !!!
Merci pour toutes tes suggestions si précieuses ! Je me rends compte que je me suis mis la pression pour écrire super vite et que je vais devoir régler la psychologie de mes personnages qui est un peu trop "brute de décoffrage" pour le moment (c'est psa une expression belge aussi ça ?)
A très bientôt pour la suite (et pour mes propres lectures dans lesquelles j'ai pris du retard sorry) !
Toujours ravie de savoir que mes remarques sont utiles ! Ca me motive vraiment à continuer à le faire :D