Paramètres

Sylvia s’éloigne de nous. Elle se jette dans la gueule du loup. Ou plutôt dans les entrailles de la machine. Elle a besoin de se brûler pour apprendre la chaleur du feu. Elle a besoin de suffoquer pour apprendre la fraicheur de l’air. Elle a besoin de nous quitter pour apprendre à renaître à nos côtés.

Sylvia passa le seuil du laboratoire d’implantation. Aliette la suivit en serrant les dents et en s’accrochant de toutes ses forces au bras de son amie qui l’entrainait le cœur battant. Elles empruntèrent un dédale de longs couloirs blancs, vides et parsemés de portes toutes identiques. L’hôtesse ouvrit l’une d’elles et fit pénétrer les jeunes filles dans une pièce de dimensions modestes où trônaient à nouveau deux fauteuils en forme de cocon. Autour de l’un d’entre eux, deux hommes en blouses, gants et masques chirurgicaux patientaient, des appareils médicaux à leur portée. L’hôtesse invita Aliette à s’installer.
— Je vous propose de commencer.
— Pourquoi moi ?
— Votre implant est prêt.
Aliette s’accrocha à Sylvia et l’implora du regard.
— Tu ne veux pas y aller ?
— Tu te souviens ? répondit Sylvia. C’est toi qui m’as posé cette question-là hier. C’est toi qui avais réfléchi pour qu’on se fasse implanter. On y est. Ton implant est prêt. Tu peux y aller la première.
Elle se tourna vers l’hôtesse.
— Je peux rester à côté de mon amie ?
— Tout à fait, répondit la femme. Excellente idée.
— Comment est-ce que ça va se passer ? voulut savoir Aliette.
— Vous allez d’abord vous asseoir confortablement ici, précisa l’hôtesse en dirigeant Aliette vers le cocon médicalisé.
La jeune fille s’installa. L’homme à sa droite entreprit aussitôt de s’assurer que les instruments du fauteuil d’intervention étaient bien en place.
— Et quand tout le matériel de contrôle sera prêt, continua la femme, nous allons pouvoir commencer le processus d’implantation.
Le deuxième homme avança un tabouret à Sylvia pour qu’elle puisse s’asseoir à la gauche de son amie. L’assistant silencieux resta debout et immobile dans le dos de la jeune fille.
— La première étape consiste en une petite anesthésie locale.
Tandis que l’hôtesse déroulait ses explications, son collègue exécutait les étapes annoncées. Il introduisit une seringue à la base du cou d’Aliette qui sursauta à peine.
— Bien ! approuva la femme. Ainsi, vous restez totalement consciente et vous ne ressentirez rien pour la suite.
Sylvia trouvait que ces dernières affirmations étaient contradictoires. Elle n’osa rien dire. Elle jeta un œil à l’homme derrière elle qui n’avait pas bougé. Il lui sembla qu’il avait le même regard qu’Emma lorsque Mme Albert l’avait surprise en train de jouer en classe. Peut-être contrôlait-il en direct et mentalement le bon déroulement de l’opération. Elle n’avait repéré ni tablette synthétisant les paramètres de son amie, ni écran connecté aux appareils utilisés. Pourtant, autour d’elle, tout paraissait maitrisé.
— Très bien ! reprit l’hôtesse. À présent, que l’anesthésie opère, nous allons inciser un petit trou derrière votre oreille droite, afin d’insérer la base aimantée qui sera le support de votre implant et qui maintiendra l’ensemble des éléments en place. C’est un peu comme un piercing microdermal, si vous voyez ce que je veux dire. Une vieille technique qui a fait ses preuves.
Aliette était blême et figée. Contrairement à la plupart des filles de leur classe, elle n’avait qu’une seule paire de boucles d’oreilles. Et encore moins de piercings machin truc. Cependant, elle était plus dérangée par les mots de la femme que par les gestes de son collègue qu’elle ne ressentait absolument pas. Sylvia qui avait un petit brillant dans une narine se sentit rassurée.
— Maintenant, continua celle qui avait la voix d’une présentatrice, nous allons introduire la partie principale de l’implant, qui s’insère comme l’épingle d’un bijou. C’est le cœur du mécanisme. C’est de là que les nanoparticules d’HuMo partiront pour se connecter à votre système nerveux central quand l’ensemble sera installé.
Aliette ne se rendait compte de rien. Sylvia fut quand même surprise de la taille de l’aiguille contenant la nanotechnologie. Elle avait l’apparence des racines artificielles des implants végétaux de son père.
— Parfait ! conclut la femme. L’implant est en place. Pour couronner le tout, il ne nous reste plus qu’à fixer la partie extérieure qui abrite le dispositif de communication. Quand mon collègue aura verrouillé cette petite capsule aussi discrète qu’esthétique, vous serez connectée à notre système, vous ferez partie de la communauté HuMo.
— Connexion établie, affirma l’homme qui se tenait immobile en retrait.
Le technicien releva les mains et se recula. L’hôtesse s’était tue. Aliette jetait des œillades à gauche et à droite comme si elle cherchait à voir venir de l’extérieur ce qui était en train de se passer à l’intérieur de son corps. Sylvia retenait son souffle. Tout à coup, le regard d’Aliette se figea et devint absent, presque vitreux.
— Installation en cours.
Sylvia se redressa, prête à voler à son secours et à secouer les adultes qui les entouraient. Le temps lui parut interminable, artificiellement suspendu, imperturbable comme les visages autour d’elle.
— Opération validée.
Aliette se réveilla soudain.
— Ça y est ! s’exclama-t-elle. Sylvia ! C’est dans ma tête !
Le technicien opéra une légère pression sur l’implant à la basse du cou de sa jeune patiente.

Trop tard. Sylvia vient de perdre une amie supplémentaire. Voici une autre humaine artificielle, une humaine coupée d’elle-même, une humaine d’intérieur. Avec une ironie toute relative, c’est ce que les humains ont l’habitude de nommer métaphoriquement « une plante verte ». Ironie dramatique.

Aliette battait des paupières et secouait les mains de Sylvia.
— C’est génial, s’emballait-elle. J’ai vu HuMo Smart dans ma tête ! Il me souhaitait la bienvenue ! Oooh ! J’suis trop excitée ! Comment est-ce que je peux y retourner ?
— Un instant, mademoiselle, suggéra l’hôtesse. Vous allez d’abord devoir suivre les étapes du tutoriel.
— Comment est-ce que je fais ?
— Pour le moment, expliqua la femme. Vous pouvez activer et désactiver votre implant d’une simple pression digitale sur celui-ci. Quand vous aurez totalement initialisé vos réglages personnels, vous pourrez employer les commandes mentales.
Aliette esquissa un geste vers son oreille droite. Le technicien l’arrêta fermement.
— Je vous demande encore un tout petit peu de patience, précisa sa collègue. Pendant les trois prochaines semaines, nous vous conseillons de toucher le moins possible votre implant, afin d’assurer la cicatrisation. Voici un kit de désinfection à utiliser matin et soir, durant la même période.
Elle tendit une petite boite blanche à la jeune fille qui l’observait sans comprendre.
— Je me dois d’insister, conclut la femme. C’est important pour éviter un rejet qui nécessiterait une nouvelle intervention de nos services pour nettoyer un implant infecté. Notre système interne vous rappellera la procédure à suivre pendant cette période et nous préviendra s’il y avait le moindre problème.
— Ah.
— Rassurez-vous. Tout est sous contrôle.
— Et Sylvia ? demanda Aliette. C’est à son tour maintenant ?
Elle se tourna vers son amie assise sur le tabouret à ses côtés. L’hôtesse lui fit signe de se lever et lui désigna le second cocon.
— Je vous en prie.
Sylvia traversa la pièce et se cala comme son Aliette dans les coussins immaculés. Le fauteuil était truffé de sondes de contrôle : température, rythme cardiaque, tension artérielle. La jeune fille ne put s’empêcher de penser que si son père possédait du matériel aussi spécialisé, ses expériences auraient peut-être été moins artisanales, moins bancales. Le premier technicien vint s’assurer qu’elle était bien installée. Le second s’approcha également, remonta sa manche et lui fixa un garrot en haut du bras gauche.
— Qu’est-ce que ?
— Veuillez serrer le poing, s’il vous plait, l’interrompit-il.
Sylvia obtempéra.
L’homme tapota le creux de son bras à la recherche d’une veine saillante.
— Rassurez-vous, ajouta-t-il. Ce sera rapide.
Il desserra le garrot, approcha une seringue et effectua une brève prise de sang. Sylvia retenait sa respiration.
— Appuyez bien ici, ordonna-t-il après avoir rempli un tube d’échantillon et posé une compresse.
— Mais enfin, reprit Sylvia. Pourquoi est-ce que ?
Sans plus se préoccuper de la jeune fille, le technicien tendit l’éprouvette à son collègue et les deux hommes quittèrent le local sur le champ, en emportant tout le matériel médical. L’hôtesse se rapprocha.
— Nous avons un léger souci avec vos paramètres, commença-t-elle.
— Qu’est-ce qu’il y a avec mes paramètres ? s’inquiéta Sylvia.
— Pas de quoi s’alarmer, rassura la femme. Nous avons juste besoin d’analyses complémentaires.
— Je suis allergique aux poils de chat ! s’exclama Sylvia. C’est ça ? Ça va causer un problème ?
— Nous allons vérifier tout cela. C’est sans doute les chats, vous avez raison. Je le signale à l’équipe.
La femme s’était à son tour dirigée vers la sortie.
— Mais qu’est-ce que je dois faire ? voulut savoir Sylvia.
— Rien, répondit l’adulte. Vous n’avez rien à faire. Nous allons vous garder un instant en observation.
— En observation ? Pour combien de temps ?
— Le temps que votre amie termine son tutoriel.
L’hôtesse referma la porte derrière elle. Les deux jeunes filles se retrouvaient seules dans la pièce close et aseptisée. Sylvia se tourna vers sa complice pour partager son désarroi. Dans son fauteuil, Aliette se tenait immobile, un étrange sourire aux lèvres et les yeux révulsés.

 

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Gab B
Posté le 23/02/2023
Hello Michael ! Ci-dessous mes commentaires pour ce chapitre :)

Ce qui m'a un peu gênée :
- Sylvia trouvait que ces dernières affirmations étaient contradictoires. ==> hum, j'ai relu la phrase de la femme plusieurs fois et je n'ai pas compris ce que Sylvia trouve contradictoire
- Sylvia qui avait un petit brillant dans une narine se sentit rassurée. ==> je trouve que la réaction de Sylvia est trop "loin" (physiquement, en terme de paragraphe) de la phrase de la dame, et ça fait que j'ai eu du mal à comprendre pourquoi elle était rassurée. Si tu met d'abord cette phrase et ensuite "Aliette, elle, était blême..." je pense que ce serait plus clair
- J’ai vu HuMo Smart dans ma tête ! Il me souhaitait la bienvenue ==> j'ai du mal à me figurer ça... Elle a vu le logo HuMo Smart ? Ou un personnage ?
- Pourquoi est-ce que ? ==> j'aurais mis des points de suspension avant le point d'interrogation

Mes phrases préférées :
- Elle a besoin de se brûler pour apprendre la chaleur du feu. Elle a besoin de suffoquer pour apprendre la fraicheur de l’air. Elle a besoin de nous quitter pour apprendre à renaître à nos côtés. ==> j'adore !
- Il lui sembla qu’il avait le même regard qu’Emma lorsque Mme Albert l’avait surprise en train de jouer en classe. ==> c'est joliment formulé pour dire qu'il utilise son implant
- Elle avait l’apparence des racines artificielles des implants végétaux de son père. ==> hum hum, ça ne lui mettrait pas un peu la puce à l'oreille ?
- Aliette jetait des œillades à gauche et à droite comme si elle cherchait à voir venir de l’extérieur ce qui était en train de se passer à l’intérieur de son corps ==> j'aime bien cette idée
- c’est ce que les humains ont l’habitude de nommer métaphoriquement « une plante verte » ==> du sarcasme, j'adore ça

Remarques générales :
J'aime bien que la dame explique tout ce qu'elle est en train de faire (d'une part, cela traduit son professionnalisme, et d'autre part c'est pratique pour le lecteur !!). Tout le process est bien détaillé et je trouve que c'est réaliste (le déroulement de la partie médicale, le fonctionnement de l'implant, les conditions d'utilisations, etc : je ne vois rien de choquant là-dedans, tout est très logique et conforme à ce qu'avais pu imaginer).
J'ai bien rigolé quand Sylvia dit qu'elle pense que son allergie aux poils de chat pose problème ^^ et la dame qui renchérit là-dessus ! Génial ;)

A bientôt pour la suite !
MichaelLambert
Posté le 24/02/2023
Re !
Je prends bonne note de tout ça ! Magnifique tout cette matière pour me faire avancer !

La suite arrivé !
MichaelLambert
Posté le 24/02/2023
arrive...
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