De nouveau seuls, Marie qui a été coupée dans son élan, revient sur le sujet.
- Sauf que je ne te parle pas du tout de ce grand gaillard idiot qui semble tout droit sorti d'une pub suédoise pour les biscottes, mais bel et bien du bouffeur de sushi.
Yann parait un moment ne pas comprendre.
- ?
- Ce Yuzuuu !
- Youd'zeu...
- Ouais c'est pareil ! Il est complètement dingue de toi ce gars là !
Yann la fixe interloqué.
- T'es folle !
L'avis de sa meilleure amie le choque tout d'abords, puis le gêne, voir le panique. Il en repousse aussitôt l'idée, ne veut rien savoir, dérive comme il peut la conversation vers d'autres sujets.
Il fera visiter tout l'appartement puis sa chambre tentant de garder un semblant de calme. Se donnant un air serein et faussement enjoué.
Marie a très bien compris que le sujet est sensible, elle n'insiste pas mais n'en pense pas moins.
Yann aimerait connaître le contenu de la conversation qu'elle a dû entretenir avec le japonais, il se demande comment elle peut en être arrivée à cette conclusion pour le moins embarrassante. La peur de ce qu'il peut découvrir, et de ce qu'il pourrait se permettre de ressentir l'empêche de poser les questions qui lui brûlent les lèvres.
- Uzu ou Gabriel c'est du pareil au même, seulement de la complication inutile, se dit-il.
- C'est elle ?
- C'est Mathilde.
La photo qui trône sur la porte de sa chambre, collée à la pâte à fixe est une bonne manière de détourner l'attention de la curieuse.
- Qu'est-ce que tu lui trouves ?
Il hausse les épaules. Y aurait-il dans le son de sa voix une certaine dose d'incompréhension ?
- C'était comment le sexe avec elle ?
- Doux, agréable, Tu t'intéresses tout-à-coup à ma vie sexuelle d'hétéro toi, des regrets ?
- Tu aimes les filles mentalement et psychologiquement, ok j'ai bien compris toutefois, le corps ? Tu préfères celui d'un mec, non ?
- Jamais tu lâches l'affaire. Je trouve que les deux peuvent être très beaux. Une fille bien foutue c'est magnifique, idem pour un mec, honnêtement j'arrive pas à savoir ce que je préfère !
- Enfin Yann, ca n'a rien à voir avec la beauté ! C'est une question d'attirance sexuelle ! Il y a certains tableaux que tu trouves sûrement très beaux aussi, pourtant tu n'seras pas vraiment capable de les enculer !
- C'est délicat, t'es une vrai poète !
- Elle a moins de seins que moi, pourtant j'ai pas la poitrine de Lolo Ferrari !
- Beurk...
- Quoi beurk ? Lolo Ferrari, ma poitrine ou les poitrines en général ?
- J'aime tes p'tits seins, je pensais te l'avoir déjà dit. Mathilde a un corps de garçon. À quelques exceptions prés évidement !
- Tu n'es pas bisexuel, ça le prouve !
- Ça ne prouve rien ! Cependant, j'ai pas souvenir, avoir affirmé un jour, être bisexuel. J'men fiche de toutes vos cases à la con.
- Tu as dit que tu étais amoureux de moi.
- Je ne vois pas le rapport.
- Je suis une fille !
- La belle affaire, j'aime pas l'idée de devoir me classer suivant mes envies sexuelles ou mes sentiments. J'aime les personnes point.
- Est-ce que les poitrines t'excitent ?
- Qu'est-ce que tu essaies de prouver ? Tu attends que je te dise que je n'savais pas ce que je racontais ce jour là ? Que ma déclaration était dû au fait que Gabriel m'ait largué ? Tu espères te rassurer ? Ou bien tu as peur que je te saute dessus cette nuit ?
- J'aimerais que tu admettes que tu aimes les hommes !
- Si ça n'est que ça chérie, alors je le crie haut et fort : J'AIME LES HOMMES !
Sa voix aigüe résonne contre les murs de la petite chambre, aucun voisin n'a sans doute été épargné par cet aveu.
- T'es con. Ton proprio est en bas pas la peine de gueuler !
Il sourit.
- Sa poitrine ne t'excitait pas et le reste, son sexe ?
- Quand ai-je dis que sa poitrine ne m'excitait pas ?
- C'était le cas ?
Il soupire.
- La tienne de poitrine m'excite, elle me rend dingue, lorsque tu es nue sous ton teechirt pour dormir et que tu me laisses glisser les doigts sur tes tétons soyeux...
- Je n'ai jamais fait ça !
- Je sais, c'est dommage au demeurant, j'en ai souvent rêvé !
Il tire une langue friponne et la regarde en coin.
- Tu aimes mettre les gens mal à l'aise hein ? annonce-t-elle en sortant mi déconfite mi furieuse de la chambre du jeune homme.
Et Liam peut entendre la suite de sa tirade pendant qu'elle descend l'escalier, avant qu'elle ne prenne la porte.
- Ces dernies temps Yann, tu n'es plus qu'une aguicheuse perverse, désagréable et vulgaire, j'vais faire un tour ! Liam je suis ravis d'avoir fait ta connaissance, bon courage ! À plus tard !
La porte se referme, les deux colocataires s'observent.
- Quelle mouche la pique ? C'est elle qui a engagé le sujet ! plaide Yann en haut de l'escalier.
Liam n'ayant rien perdu de la fin de la conversation, le regarde sans un mot, enfoncé dans son canapé. Finalement si même sa meilleurs amie s'énerve, ça le rassure un peu, Liam se sent moins seul.
Yann se laisse tomber sur la première marche, d'un air fatigué.
- Une aguicheuse, ça n'est pas sensé être une personne qui donne envie au monde avec un bel étalage mais qui ne laisse même pas gouter à ce qu'elle y propose ?
- C'est une belle image.
- Sauf que je n'suis pas comme ça !
- Tu crois ? Ne séduirais-tu pas un peu à tout va, pour te prouver que tu plais ?
- J'ai un bel étalage, les gens bavent sur ma vitrine, certes, toutefois, si je ne m'abuse, c'est le client qui refuse de gouter, pas moi qui refuse d'offrir.
Le message est clair et Liam ne peut s'empêcher d'en rire.
- Ha haha ! C'est que l'amabilité du vendeur est peut-être en cause.
Yann le reluque de bas en haut, amusé, il apprécie sa répartie et trouve les répliques de Liam parfois fort amusantes.
- Elle avait l'air en colère, tu ne la suis pas ?
- NOoon elle ne l'est pas ! Elle fait juste semblant. Tu ne la connais pas. Elle va revenir. C'est juste une excuse pour allé faire un tour. Marie vraiment fâchée... bref le jour où ça arrivera, je te promets, les murs trembleront hi hi !
Liam se lève, met de la musique, branche son ordinateur, sort des documents, le tout sous les yeux de Yann toujours sur son perchoir. Liam devine sa surveillance persistante dans son dos. Chaque fois qu'il se repasse la scène qui s'est déroulée un peu plus tôt dans la cuisine, il s'affole. Il a promis :
- J'essayerai de faire en sorte que ça ne se reproduise plus à l'avenir.
Seulement quand dans sa tête il revoit le visage immobile de Yann, ses yeux fermés, dans l'attente, il ne sait plus ce qu'il doit faire. Que serait-il advenu d'eux, si la charmante amie ne les avait pas interrompus ? Différents scénarios se mettent en place. Yann l'aurait repoussé au dernier moment, se serait moqué de lui ? Le plus probable sans doute. Car bien qu'il n'ait pas objecté lors du baisé volé, Liam doute qu'il ait une seconde chance à présent.
- Pourtant...
Yann l'épie encore, toujours là haut, la tête penchée, posée contre le mur. Le poids de cet examen pousse finalement le blond à se retourner. L'attitude de Yann est paisible.
- À quoi peut-il bien penser ? Tu comptes passer la matinée là ? demande finalement Liam.
- C'est un problème ?
- Tu n'as pas mieux à faire ?
- Je croyais que tu voulais un colocataire pour te sentir moins seul, ma présence te gêne maintenant ?
- Non... pardon ça n'est pas ce que je...
- C'est pas grave, je vais prendre ma douche.
Il se lève, pénètre dans sa chambre puis en ressort aussitôt.
- Tout à l'heure, nous n'avions pas terminé de "discuter" il me semble. Je suis frustré.
Il dit ça en se dandinant, les pouces dans la ceinture de son pantalon. Son visage est celui d'un ange et Liam donnerait n'importe quoi pour avoir le courage de monter les quelques marches qui les séparent.
- Je... ne maitrise pas du tout la situation, se contente d'avouer le blond.
Yann, tête baissée, s'appuie, dubitatif, contre le mur, farfouillant nerveusement les poches avant de son jeans du bout de ses doigts.
- C'est bien que Marie soit arrivée non ? finit-il par lancer.
C'est une question et Liam est dérangé par celle-ci, il flaire le piège, quoi répondre ?
- Je suppose que oui, tu ne crois pas ?
Le regard de Yann se fait intense, puis se brouille au grand étonnement de Liam.
-Ti râle à moins*...
Le sourire de travers de Yann remplace en quelques seconde la mélancolie qui se peignait sur ses traits l'instant d'avant. Pourtant il le maitrise, lui aussi, assez vite, baissant la tête pour se reconstruire un masque sympathique. L'addition des expressions forme un ensemble assez désabusé.
Liam en est très troublé.
-Qu'a-t-il voulu dire ? C'est du créole ?
- On va dire que moi non plus, je ne maitrise pas du tout la situation.
- Yann, ne le prend pas mal, je tente désespérément d'apprendre à te connaître, à te comprendre. Tu es je crois, bien trop compliqué pour moi.
- C'est sûr...
- C'est la raison pour laquelle je te pose tant de questions sur toi. Et je n'obtiens pas souvent des réponses, soit tu te vexes, soit tu ne réponds pas, dans la plupart des cas tu m'envoie bouler.
- Ha.
Yann réfléchi un instant.
- Tu crois qu'apprendre des choses sur moi te donnera la clef ?
- Certaines sans doute, affirme Liam en faisant mine de détailler de loin, les bras de son colocataire.
- Tu réclames de savoir d'où viennent ces marques pour ça ?
- Tu n'es pas obligé de me répondre, de toute façon rien ne me prouvera que ce sera la vérité.
- Si je réponds j'aurais droit à un bisou ?
- Pourquoi est-ce que tu joues avec moi ?
- Une question à la fois...
Yann avance de quelques pas, s'appuie sur la rambarde, pose un regard insistant sur Liam, puis finit par lui tourner le dos.
- À mon arrivé à Paris, j'espérais m'installer avec Gabriel, confesse-t-il, toujours de dos. J'étais amoureux et un peu idiot, persuadé qu'il le désirait aussi. À l'époque Gabriel était à mi-temps et il m'avait fait embaucher dans le même resto que lui, là où il est encore. Imagine notre petite histoire d'amour, un peu bohème, tout un poème ! Ça ferait une belle chanson. Nous avions des salaires merdiques, je squattais la même chambre pourave. Celle-là même où tu es venu me chercher. Impossible de trouver un appartement correct avec mon seul salaire.
Il fait une pause et laisse un silence, s'assurant ainsi de l'écoute attentive de son interlocuteur.
- Moi, je rêvais des grands restaurants parisiens, tu vois ? J'aime mon métier, je voulais être le meilleur, chez les meilleurs !
Yann fait de grands gestes, en haut, dans la pénombre, sans faire demi-tour. Liam continue de l'écouter religieusement.
- Plein de prétention et avec mon CV, j'ai postulé dans les plus grands et aussi fou que ça puisse paraître, j'ai été pris dans l'un d'eux. J'y ai cru...
Il se tait de nouveau, avant de reprendre un ton plus bas, en baissant la tête.
- Ça ne s'est pas passé comme je me l'imaginais. Bien sûr j'ai eu un bon salaire et pendant quelque temps, j'ai rêvé de pouvoir m'installer dans un plus grand appartement, seulement mes collègues de travail m'ont, disons, un peu bousculé.
Il fait volte face, afin de pouvoir constater l'effet du poids de ses mots sur l'expression de l'autre.
- Il y a eut d'abords les hurlements, le harcèlement moral, les humiliations.
Il enlève son teeshirt.
- Puis comme je ne me laissais pas faire, les choses se sont aggravées, les coups de poêles bouillantes, les bousculades contre les fours, les couteaux souvent trop proches...
A chaque nouvelle information, il montre une cicatrice.
Les traits de Liam se déforment.
- Les plus gradés n'hésitent pas à se faire respecter par le bas de l'échelle de cette manière. C'est comme à l'armée, la brigade porte bien son nom.
- Tu les as dénoncés au moins ? s'écrit consterné son auditeur.
- Haha ! Non bien sûr, si tu fais ça, tu es grillé par toute la profession !
- Mais alors ils n'ont pas été punis ? Ça continu ?
Yann incline la tête et un frison subit lui parcours l'échine. Il s'étreint lui-même, comme pour réchauffer son corps refroidi par un courant d'air et se rhabille.
- J'ai tenu ainsi plusieurs semaines, ajoute-t-il exposant en avant, ses deux bras. Et puis je suis parti. J'ai quitté cet endroit. Ô pas à cause des coups, je suis un dur à cuire. Nan, j'ai repris mon job sous payé quand j'ai enfin admis que Gabriel ne quitterait jamais sa sœur.
- Mon dieu...
- Voilà ! conclue-t-il en relevant la tête. Maintenant tu peux comprendre que je n'avais pas particulièrement envie de parler de tout ça.
- Je suis en admiration devant ta force de caractère, parce que jamais je ne pourrais supporter une pareille chose, moi.
Yann reste un instant interdit avant de répondre par une question.
- Qui te dit que j'ai supporté ? Je ne suis pas un héro et ne te fais pas de film là-dessus, ma vie c'est pas du Émile Zola non plus.
- Yann, ce que tu as vécu est terrible. Est-ce que tu en as seulement conscience ?
- ...
- Je suis sérieux.
- Qu'est ce qui est arrivé à Youzeu ?
La question de Yann surprend Liam qui lui sort une moue déconfite.
- Je n'peut pas te le dire, il faudra que tu lui demandes toi-même ... J'aimerais que tu évites pourtant de le faire. Si un jour il a envie de t'en parler, il le fera. C'est une histoire très douloureuse pour lui.
- Plus grave que la mienne ?
- Ça n'a absolument rien à voir, on ne peut pas comparer deux choses différentes.
- Je ne peux pas avoir juste un indice ?
- ...
- Si je cherche sur internet ? Parce que pour avoir besoin d'un avocat, il faut que ce soit...
- Ne lui fait pas de mal. Si tu trouves, ne lui dis rien.
- D'accord, merci.
- Yann je ne t'ai rien dit !
- Mais... tu ne m'as rien dit !
- Yann ?
- Oui ?
- Merci de m'avoir fait confiance.
- Et mon bisou ? réclame-t-il malicieux et un brin effronté, descendant lentement les marches en roulant des hanches. Il fait reculer malgré lui, un Liam de nouveau intimidé.
- Ha haha ! Tu n'arrêtes jamais hein ? Honnêtement Yann, et pour être sérieux cette fois, tu es très mignon, physiquement je veux dire. Je ne crois pas, pour autant, être ton genre alors...
- Et c'est quoi mon genre ?
Il se rapproche dangereusement et le dos de Liam but contre le mur du couloir à l'endroit même ou quelques jours auparavant, il lui volait, lui-même, audacieusement un baisé.
- ...
- Pour ta culture perso, pour qu'une personne me plaise, il faut qu'elle adore le second degré, le sexe et le Nutella, hummm.... pas obligatoirement les trois en même temps. Encore que... se marre-t-il.
-Tu sais ce que je préfère chez toi ? l'interroge Liam, désormais aculé et sans espoir de pouvoir lui échapper.
- Mon corps de gladiateur ? ricane l'androgyne en se rapprochant davantage.
Ils se touchent presque.
-Ton sens de l'humour, avoue Liam, la voix pas tellement assurée.
-Vraiment ?
Yann lui pose un doigt espiègle sur le torse.
- Oui, enfin quand il n'est pas trop cruel.
- Ha oui ? Ça n'doit pas être souvent alors ! souffle Yann au raz de son nez.
- Au moins tu t'en rends compte.
- Je peux me faire pardonner.
Une goute de sueur perle à peine sur le front de Liam que la sonnerie de la porte retentie de nouveau, comme un fait exprès.
- Je vais la tuer, maugrée Yann, laissant Liam trop content de pouvoir courir ouvrir.
- Youdzeu ?
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Ti râle à moins*--> tu me plais