Confession

Par Sebours
Notes de l’auteur : Troisième chapitre sur les ancêtres de Ome.

La confrérie des enfants de Nunn est un ordre religieux qui vénère Nunn le créateur de toutes choses. Pour ses adeptes, le créateur de toute chose reste l’unique dieu du bouclier-monde. La confrérie affirme que chaque mort rejoint Nunn dans son royaume, au-delà du grand Rien. Là-bas, le créateur de toute chose juge chacun et sépare les gens bons des mauvais. Pour cette religion, les Sept ne sont pas d’essence divine. Les Sept ne sont que des imposteurs et ne sont que des enfants de Nunn au même titre que tous les autres.

La confrérie des enfants de Nunn se prétend œcuménique, mais c’est en fait une organisation impie qui ne cherche qu’à attirer dans son giron les proscrits de tous les peuples alliés des différentes races. Malgré les divers investigations menées par les sept bannières, tout le monde ignore qui se trouve à la tête de la confrérie. Pourtant, elle doit être riche à million au regard du volume de dons qu’elle reçoit de ses adeptes.

« La confrérie des enfants de Nunn »

extrait du Traité sur les sociétés de l’échiquier monde

du maître architecte Vinci

Innocent assurait depuis trois ans déjà la succession de son père Ame, à la forge clandestine. Dans trois semaines, il aurait vingt ans. La moitié de ses congénères n’atteignait pas cet âge parce qu’ils succombaient à la famine ou à la maladie. Il aurait dû se réjouir de cet anniversaire, mais à quoi bon fêter l’événement dans la solitude de son existence ? Dame, sa mère était morte en couche un an après sa naissance et son père, Ame ne se portait pas au mieux actuellement.

Les faubourgs des proscrits devenaient chaque jour plus insalubres. Disséminés dans le quartier des derniers nés de Nunn, les dépotoirs et les cimetières déversaient sans discontinuer leurs miasmes meurtriers dans la population. Ici, point de pavés et de systèmes d’égouts mais des rues boueuses où stagnait l’eau croupissante. Les elfes prétendaient qu’ils n’avaient pas disposé de suffisamment de temps pour structurer les quartiers des proscrits. Innocent les soupçonnait de volontairement rendre les faubourgs invivables pour pousser les derniers nés de Nunn à l’exode.

Depuis plus d’un mois Ame toussait du sang. Le vieux forgeron avait la chance d’avoir vécu jusqu’à plus de quarante ans, chose rare. Parmi leurs congénères, la plupart de ceux à atteindre cet âge respectable appartenaient à la deuxième caste des gens de la foi. Embrasser la prêtrise, même dans les rangs les plus inférieurs adoucissait considérablement l’existence. Les autorités elfes fermaient néanmoins de plus en plus cette possibilité. La durée de la formation théologique équivalait quasiment au temps d’exercice au service d’Abath-Khal. L’existence d’un dernier né de Nunn ne correspondait qu’à une respiration au regard de l’immortalité des elfes.

Innocent savait que le temps était compté. Personne ne vivait aussi longtemps dans les faubourgs de Zulla. Son père retrouverait bientôt sa mère, au-delà du grand rien, auprès de Nunn. Il avait tout juste pu lui présenter sa dulcinée. Elle s’appelait Tendre et il l’avait rencontré au marché. Déjà les amoureux échafaudaient des projets d’avenir. En secret, ils s’étaient unis et déjà la jeune fille attendait un heureux évènement. Malheureusement, à ce rythme, jamais leurs futurs enfants ne connaîtraient leur grand-père.

Il était stupéfiant de constater l’extrême fécondité de la race des derniers de Nunn. Ils parvenaient presque à enfanter un nouveau nourrisson par an sans discontinuer. En comparaison, les femelles elfes n’accouchaient pas plus d’une fois tous les cent mille ans, lorsqu’elles avaient la chance d’être fécondé. Le créateur de toutes choses semblait avoir offert à ses derniers enfants une faculté de reproduction sans commune mesure pour compenser leurs trop éphémères existences.

Un obstacle de taille se dressait face à l’idylle des tourtereaux. Les parents de Tendre n’envisageaient pas de marier leur fille à un jeune forgeron clandestin. Comme pour la plupart des proscrits, faire des enfants constituait pour eux un investissement. Les fils devaient assurer leurs retraites et les filles étaient vendues au plus offrant. Or, avec son joli minois, l’amoureuse d’Innocent attirait les convoitises de la ligue des ombres. Contre une pièce d’or, les infâmes géniteurs, en immondes calculateurs, voulaient pousser leur descendance sur le trottoir. Ils l’avaient déjà fait pour les trois grandes sœurs de Tendre. Ils étaient prêts à sacrifier sa vie pour une année avec le ventre plein. Lorsque sa mère avait découvert qu’elle était enceinte, la jeune fille s’était précipitée auprès de son dulciné, à la recherche d’une protection face à la fureur de sa famille.

Ame se leva pour la première fois depuis un mois parce qu’il entendait un esclandre dans la boutique. Le père et les deux frères de Tendre tentaient d’arracher la malheureuse à Innocent. Celui-ci ne s’en laissait pas conter et en venait aux mains. Le vieux forgeron fatigué s’empara du long couteau, toujours caché sous le comptoir au cas où. D’un pas assuré, il ordonna aux impudents de quitter les lieux. Tout en s’exécutant, les trois parents indignes menacèrent d’envoyer prochainement des membres de la ligue des ombres. Dès que la porte se referma, Ame s’écroula. Vite, Innocent le remonta dans son lit tandis que Tendre fermait l’échoppe. Les amoureux attendirent de longues minutes le réveil de leur sauveur. Lorsqu’il reprit ses esprits, un sentiment de panique emplit le vieux forgeron.

« Mes petits ! Touss ! Touss ! Vous devez fuir ! Vous devez quitter Zulla ! Touss ! Immédiatement ! Touss ! Touss ! » Un jet de sang jaillit de la bouche du malade.

« Non papa ! Je ferais face ! Je résisterais ! Nous résisterons ! La ligue des ombres ne fera pas sa loi chez nous ! »

« Et si… Touss ! Touss ! Et si la ligue t’envoie un gros bras, voir pire … Touss ! Un chourineur ? Ils sont sans scrupule et prêt à tout ! Ils enlèveront Tendre ! Touss ! Ils t’élimineront ! Touss ! Touss ! » Les draps se maculaient peu à peu de sang.

« Tous ceux qui tenteront d’enlever Tendre, je les tuerais ! »

« Nous les tuerons ! » renchérit Tendre.

Des flammes brûlaient dans les yeux des amoureux transis. Ils ne plaisantaient pas et semblaient prêt à tout pour rester ensemble. Ame intervint pour tempérer leurs ardeurs.

« Non ! Je ne peux pas vous laisser penser ça ! Touss ! Touss ! Sais-tu pourquoi, avec ta mère, paix à son âme ...Touss ! Nous t’avons prénommé Innocent ? Touss ! Parce que nous voulions que tu restes pur ! Touss! Tu ne dois pas avoir de sang sur les mains ! Jamais ! Touss ! Touss ! Nous ne voulions pas qu tu deviennes comme ces maudits elfes Touss ! Ne t’abaisse jamais à leur niveau comme le reste des derniers nés, mon fils ! Touss ! Touss !»

Ame déclinait. Innocent constatait bien que son père luttait pour ne pas sombrer dans une sorte de comas. Il ne savait trop que dire ou que faire. Un pressentiment l’assaillit. Son géniteur vivait peut-être ses derniers instants. Il serra la main de Tendre tandis qu’un frisson lui parcourait le corps. Le vieux forgeron choisit cet l’instant propice pour se confesser entre deux quintes de toux.

« Touss ! Touss ! Tu sais comment les elfes nous ont proscrits, ta mère et moi. Touss ! Touss ! Ainsi que tous les derniers nés de Nunn ! Touss ! »

« Oui, papa ! Tu me l’as déjà raconté mille fois ! » répondit Innocent, les yeux au bord des larmes.

« Touss ! Touss ! Mais je ne t’ai jamais expliqué comment je suis parvenu à protéger ta mère de la ligue des ombres ! Touss ! »

« Mais si, ça aussi tu me l’as raconté. C’est parce que tu fabriquais leurs armes et qu’ils avaient besoin de toi qu’ils t’ont laissé tranquille ! »

« Touss ! Touss ! Ce n’est qu’une partie de la vérité, fiston ! Touss ! En fait, un souteneur de la ligue des ombres… Touss ! Anastase...Touss ! avait des vues Dame ! Touss ! Tendre, si tu l’avais connu à cette époque ! Touss ! Elle était belle comme le printemps ! Touss ! Touss ! Le souteneur habitait prêt de la porte Nord… Touss ! Alors, avec ta mère...Touss ! Pour fuir et nous cacher … Touss ! nous nous étions établis au Sud… Touss ! Touss ! Et un jour… Touss ! Enfin, une nuit...Touss ! Anastase nous a retrouvé...Touss ! Par hasard. Touss ! Touss! touss ! »

Ame partit dans une quinte de toux qui faillit l’étouffer.

« Il m’a menacé, comme on vous a menacé aujourd’hui ! Touss ! Touss ! Le ton est monté. Il m’a attaqué. Je me suis défendu. Touss ! J’ai pris le premier outil qui passait sous ma main pour me défendre. Tous ! Tous ! Je l’ai frappé à la tempe ! Là ! Touss ! Anastase est mort sur le coup ! Tous ! Touss ! C’était un accident ! Je le jure ! Touss ! Je ne faisais que me défendre ! Touss ! Touss ! »

Ame fondit en sanglots. Le poids de son crime semblait le tourmenter.

« Touss ! C’était tard dans la nuit ! Personne ne l’avait vu entrer ! Touss ! Touss ! Alors je l’ai mis dans le foyer de la forge et j’ai brûlé son cadavre ! Touss ! Tu ne peux pas t’imaginer l’odeur, mon fils ! Cette odeur me hante toutes les nuits ! Touss ! Touss ! Mais pour ta mère, j’étais prêt à tout ! » 

Ame pleura de longues minutes. Il s’étouffait dans un mélange de sanglots et de quintes de toux. Innocent et Tendre ne savaient pas comment réagir. Ils étaient à la fois choqués par ces révélations, horrifiés par les actes commis et atterrés par l’état physique du vieux forgeron. Ainsi, il allait mourir sur ces terribles confidences ? Par amour, il avait tué ! Le moribond prit une grande inspiration qui lui permit de prononcer ses dernières volontés d’une voix presque inaudible.

« Touss ! Lorsque j’ai commis ce crime, ta mère était enceinte. Et c’est pour ça que l’on t’a appelé Innocent. Touss ! Tous les jours de ma vie, j’ai vécu avec cette menace d’être découvert par la ligue des ombres ! Touss ! Et ce meurtre a hanté mon existence ! Je ne veux pas que tu vives cet enfer ! Touss ! Touss ! Partez mes petits ! Touss ! Fuyez Zulla ! Touss ! Vivez heureux et libres loin d’ici ! Touss ! Extirpez votre futur bébé de cet enfer ! Touss ! Touss ! »

Innocent regarda son père au plus profond des yeux. Sans un mot, dans cet instant chargé d’émotion, il comprit que le vieux forgeron avait décelé le secret des deux amoureux et qu’il approuvait leur union.En adepte de la confrérie de Nunn, il estimait que la vie trouverait seule son chemin. Il n’en indiquait que la direction.

« Touss ! Touss ! Innocent, montre-toi digne de ton nom ! Touss ! Ne te laisse pas pervertir ! Touss ! Ni par les derniers nés! Touss ! Touss ! Touss ! Ni par les elfes ! …. »

La main de Ame glissa de la main de son fils. La flamme de l’existence l’avait quitté. Il s’était en allé rejoindre Dame, son épouse, auprès de Nunn, le créateur de toute chose.

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Edouard PArle
Posté le 27/11/2023
Coucou Sebours !
Je trouve que ce chapitre du pdv des derniers nés fonctionne vraiment bien. J'ai cependant une grosse réserve sur les "tous, tous" qui m'ont fait plusieurs fois sortir de la scène. Déjà de base, c'est discutable de mettre des onomatopées à l'écrit, perso je trouve que ça peut fonctionner, ça marche notamment bien dans les premières phrases d'Ame pour montrer qu'il crache du sang. Mais là, il y en a mon avis beaucoup trop, et c'est dommage parce que le chapitre et le personnage d'Ame sont vraiment bons.
Je trouve ça bien d'avoir le pdv des derniers nés après avoir autant entendu parler d'eux d'extérieur pendant les précédents chapitres. Ça confirme la dureté de leurs courtes existences, les mauvaises conditions imposées par les elfes. L'histoire d'amour de Tendre et Innocent est plutôt simple mais fait le taff pour les introduire rapidement. Le personnage d'Ame est vraiment très intéressant, j'aime bien son histoire de crime passionnel.
Juste une petite suggestion : ça aurait pu être intéressant qu'Ame prenne un mauvais coup (poignard par exemple) pendant l'arrivée de la famille de Tendre pour expliquer son agonie qui suit. Même si ça marche déjà puisqu'on sait qu'il est en mauvaise forme, ça serait à mon avis encore plus naturel.
Mes remarques :
"lorsqu’elles avaient la chance d’être fécondé" -> fécondées
"son père luttait pour ne pas sombrer dans une sorte de comas." -> coma
"et qu’il approuvait leur union.En adepte" manque un espace
Un plaisir,
A bientôt !
Sebours
Posté le 27/11/2023
Salut Edouard! merci pour ton commentaire.

C'est le premier rajout que j'ai fait. Je pense que mon écriture s'est améliorer par rapport au début.

Tu as peut-être raison pour l'arrivée de la famille de Tendre. Il faut que je relise voir si je peux améliorer la cohérence. Je suis d'accord avec toi. Je fais trop tousser Ame. J'ai pour objectif de faire une réécriture spécifique sur les dialogues. Je corrigerai à ce moment là
Peridotite
Posté le 13/11/2023
Ame a réussi à devenir forgeron. Pourquoi forgeron clandestin ? Parce qu'il ne fait pas parti de leur caste ?

C'est très étrange que père et fils vivent exactement le même destin, avec les mafieux qui viennent pour chercher leur femme. Pas impossible, après tout, mais bizarre

Pauvre Ame, il a eu une vie difficile...

J'ai trouvé les "touss touss" très théatrals, mais au final, ça donne un style, comme dans un conte.

Mes notes :

"les femelles elfes n’accouchaient pas plus d’une fois tous les cent mille ans"
> Tous les cent mille ans !! 😳

"lorsqu’elles avaient la chance d’être fécondé"
> -ées

"Il entendait un esclandre dans la boutique."
> Pas sûre que ça se dise comme ça. Faire un esclandre, mais entendre un esclandre ? Enfin, je sais pas...

"toujours caché sous le comptoir au cas où"
> J'enlèverais "au cas où"

"Nous ne voulions pas qu tu deviennes"
> que

"pour ne pas sombrer dans une sorte de comas."
> J'arrêterais la phrase après sombrer

"répondit Innocent, les yeux au bord des larmes.'
> "au bord des larmes" j'enlèverais "les yeux"
Sebours
Posté le 13/11/2023
Merci Peridotite!

Je voulait mettre le double conflit de la famille de Ome avec les elfes et la ligue des ombres. Du coup, je l'ai intégrer dès le début. Avec ta remarque, je me rends compte que je pourrais faire différemment. En fait j'essayais de montrer en filigrane l'évolution et la structuration de l'entreprise criminelle.
Ils fuient à Panamantra pour ne plus être menacer par les brigands et finalement, la ligue des ombres s'implante dans la cité comme ailleurs. Il faudrait peut-être que j'insère des phrases explicatives la dessus.
Dans tes notes, je m’aperçois qu'il y a beaucoup de mots superflus à enlever! Là aussi, il y a un sacré chantier!
Peridotite
Posté le 15/11/2023
J'avais pas vraiment perçu le fait que les mafieux s'implantent ensuite dans la cité. Pour moi, dans les deux cas, ils étaient là.

Perso, je te conseillerais de te focaliser sur leur relation avec le pouvoir en place, les Elfes, et ce qu'ils leur ont faits subir depuis toujours, en entrelaçant ça avec la plèbe. Ça te permettrait de bien montrer comment est la société elfe.

Dans un chapitre, les derniers nés peuvent rejoindre la plèbe, mourir bêtement lors d'un braquage, tomber dans la drogue. Mais ce n'est qu'une suggestion. Je te conseille vraiment de lire ou de survoler le livre que je t'ai conseillé. Dans chaque chapitre, un pan de l'histoire des afroaméricains est abordé. C'est un truc comme ça que tu pourrais faire pour les derniers nés. En un chapitre, illustrer un aspect de leur mauvais traitements par le pouvoir, les discriminations et la pauvreté des derniers nés (esclavage, stérilisation forcée, tomber dans la drogue et la pègre, travaux dégradants etc). Et dès le chapitre suivant, tu es déjà avec le prochain descendant.
Sebours
Posté le 15/11/2023
J'avais peur de passer d'un perso à l'autre trop rapidement en ne faisant qu'un chapitre par ancêtre. Et puis il n'y a que cent ans. C'est plus une idée pour la suite (j'écrirai certainement d'autres histoires sur le bouclier-monde et les guerres lemniscates). Pour l'instant, Ome est la quatrième génération. Ame et Dame = arrières grands parents, Innocent et Tendre = grands parents, Just et Fame = parents, Sauveur (qui devient Igor le boiteux)= oncle.
En tout cas, je vais lire le bouquin que tu conseilles. Je ne sais pas quand, mais je vais le lire.
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