Lorsqu’il rouvrit les yeux, l’immortel se trouvait enseveli sous une masse de décombres calcinés, composés de poutres, de planches, ainsi que d’une épaisse branche d’un vieux châtaignier. Il resta là, immobile, contemplant le toit formé du vert feuillage de la forêt. Quelques secondes, à peine, venaient de s’écouler depuis l’effondrement des ruines, en témoignaient les rayons rouges du soleil que laissait filtrer la voûte boisée. Encore sous le choc, Kapris remua les épaules, étalé sur la terre humide, puis poussa avec force les débris qui obstruaient ses jambes. Il avait reçu un sacré coup sur le coin de la tête pour s’effondrer de la sorte, un marais pourpre entachait même sa tignasse broussailleuse. Libre, l’homme s’assit tranquillement au beau milieu de son sanctuaire, le poing logé sous le menton, il fut pris dans le tourbillon d’une profonde introspection. Venait-il de rêver ? L’ensemble des éléments à sa disposition le poussait à cette conclusion, cependant, il demeurait incertain. À tout le moins, ne voulut-il pas croire à l’hypothèse la plus censée. Ce qu’il venait de vivre restait ancré en sa mémoire comme un souvenir vivace, la mémoire d’un rêve demeurait généralement plus diffuse et incertaine. La fatigue de sa course poursuite avec l’ombre, il la ressentait présentement dans ses jambes endolories.
L’ancien chevalier se releva enfin, car le temps était venu, pour lui, de s’en aller retrouver sa famille, sa femme bien-aimée. Cette étrange soirée, en compagnie d’une revenante, était un mystère de plus que venait de lui livrer l’univers. Il prit l’expérience comme un signe de gratitude, de la nature ou de quelque dieu bienveillant, et laissa, pour ainsi dire, ses interrogations pour le jour de son trépas. La page était tournée, le livre de l’ancien monde se refermait sous le couvert d’un ciel roux et la mélodie enchantée du clapotis de la bruine. Kapris fit une ultime révérence devant la stèle gravée du nom de Katara, puis, certain que le destin lui réservait encore de nombreux tours, il tourna les talons pour sortir des ruines du Nierbòsc. Il empoigna sa charrette à main, leva les yeux aux cieux et, le cœur léger comme au jour de sa naissance, partit en chantant sur le chemin de sa belle.