Amalia resta immobile, terrorisée par cette espèce de fauve en costard cravate qui se ruait sur elle. Ses jambes ne voulaient plus bouger et elle se mit à trembler.
Une poigne de fer se referma sur son bras : la jeune femme grimaça sous la douleur et poussa un cri. L’héritier de San Gavino la lâcha brutalement mais il resta planté face à elle, la toisant avec mépris.
— Le spectacle vous plaît ?
— Je…excusez-moi votre Altesse je…je ne savais pas que vous vous trouviez ici.
— Je vous retrouve à la bibliothèque, je vous retrouve dans les jardins, vais-je bientôt vous voir fureter du côté de ma chambre ou de mon bureau ?
— Q…Quoi ? Non ! Non !
Amalia frémit : le prince Joachim était trop près d’elle, beaucoup trop près. Elle pouvait même sentir son souffle sur son visage et cette seule constatation l’amena au bord de l’évanouissement.
S’il me touche encore, j’hurle !
La jeune femme se mit alors à chercher frénétiquement son inhalateur et malencontreusement, elle posa sa main sur le torse ferme et musclé de Joachim de Bourbon-Conti.
Quelque chose d’étrange se produisit à ce moment-là : au lieu de repousser celle qu’il appelait l’intruse, le prince la fixa avec plus d’intensité, si cela était encore possible. L’océan glacial qu’étaient ses yeux donna l’impression à Amalia que son corps était transpercé de toutes parts par des lames tranchantes.
La jeune femme recula alors précipitamment mais l’héritier de San Gavino la retint par le bras :
— Je n’ai besoin que de quelques mots, de quelques appels téléphoniques pour faire de votre vie un enfer Mademoiselle Arcangioli. Je pourrais vous briser comme tous ceux qui ont essayé de s’attaquer à moi. Je vous conseille vivement de ne plus vous retrouver sur mon chemin.
Un instant déstabilisée, Amalia se reprit assez vite : pour quoi se prenait-il ?
— Vous ne devriez pas perdre votre temps avec moi Votre Altesse. Après tout, je ne suis que l’une de ces trop nombreuses créatures méprisables qui ont envahis votre cher royaume.
La jeune femme faillit continuer mais elle garda pour elle la suite.
Et je vais vous éviter de vous donner toute cette peine pour moi : ma vie est déjà un enfer. Vous voulez me briser ? Il faudrait déjà qu’il reste quelque chose à détruire.
Peu habitué à ce que quelqu’un ose l’affronter verbalement, Joachim de Bourbon-Conti resserra sa poigne sur le bras d’Amalia :
— Comment osez-vous vous adresser à moi de cette manière ?
— Et vous, comment osez-vous rabaisser toutes les personnes qui se plient en quatre pour vous du matin au soir ? Tiffany et Florine voulaient bien faire. Avez-vous seulement pensé à ce qu’elles allaient devenir ? Sans travail, comment voulez-vous qu’elles paient leur loyer ? Qu’elles mangent à leur faim ? Et ces rumeurs au sujet de nouvelles taxes ? Franchement, vous n’avez pas honte ? San Gavino est le paradis fiscal le plus prisé de toute la planète, les députés et les sénateurs touchent un salaire à la limite de l’indécence, votre fortune personnelle pourrait nourrir des milliers de personnes pendant des années et…
La voix furieuse du Roi Maximilian interrompit la tirade d’Amalia. La jeune femme en profita pour s’esquiver avant d’être vue par le souverain, laissant le prince Joachim dans une rage indescriptible.
La colère de ce dernier s’amplifia encore lorsque, dans le bureau de son père, il subit un interrogatoire musclé de la part de ce dernier.
— Le Comte de Wisborg m’a appelé. Est-il vrai que tu as refusé d’accompagner sa fille au dîner de gala de la fondation de la princesse Mary de Danemark ?
— Oui c’est vrai. Il a lieu le soir de mon retour de Singapour. Cette mission sera déjà assez éprouvante comme cela, je n’ai pas envie d’aller perdre mon temps et de…
— Ça suffit Joachim ! J’ai fermé les yeux sur tes écarts de conduite lors de ton séjour à New York mais à présent, je reprends les choses en main. Le parlement exige que tu sois fiancé avant la fin de l’année prochaine, soit, avant que tu aies trente ans accomplis. La loi l’exige, tu le sais autant que moi.
— Et pourquoi tu ne formes pas Emmanuel ? Il est aussi qualifié que moi !
— Il a encore cinq à six années d’études devant lui et il n’est que second dans l’ordre d’accession. Tu ne réalises pas que nos partenariats commerciaux sont très fragiles et que tes frasques commencent à lasser les investisseurs.
— Tu sais comme moi que ces reportages, ces photos, tout cela n’est qu’un tissu de mensonges. Et ils les savent eux aussi !
— Oui mais le mal est fait Joachim. Je te demande donc de réfléchir sérieusement à la question mais par pitié, même si j’ai beaucoup de sympathie pour leurs familles, si tu pouvais jeter ton dévolu sur une autre fille que Teodora ou Gabriella…
— Comme cette gourde de Marie-Caroline hein…Ah oui, je reconnais que ce serait la meilleure potiche que San Gavino ait jamais eu.
— Elle est très intelligente Joachim, tu devrais sincèrement t’intéresser à elle.
— Quand elle aura abandonné ses couvertures à carreau qui lui servent de vêtements et qu’elle aura renoncé à l’idée de vouloir concurrencer Elizabeth II à tout prix, j’y penserai.
Si l’ambiance était électrique au palais de San Gavino, en Sicile, chez Tommaso Denaro Trapani, l’atmosphère était également très lourde.
Le lendemain de son retour chez lui, l’homme avait eu la désagréable surprise de découvrir son épouse complètement nue dans l’un des jacuzzis de la propriété en compagnie du fils de son ancien comptable.
Le divorce allait être prononcé dans les mois à venir grâce à la modification récente de la loi italienne en la matière. Tommaso avait imposé à sa future ex-épouse de quitter sa demeure immédiatement et, comme Ornella n’avait pas cherché à protester, au bout de six mois de séparation effective, la procédure serait enclenchée et un mois seulement serait nécessaire pour que tout soit réglé à l’amiable.
En effet, le sicilien allait verser cinq millions d’euros à Ornella et cette dernière qui savait par leur contrat de mariage qu’elle n’obtiendrait rien de plus, n’avait pas insisté. Leurs trois enfants étaient tous majeurs, ils avaient tous une situation stable et confortable, l’italienne n’avait qu’une seule préoccupation : son futur ex-époux allait-il la laisser en vie ou la réduirait-il au silence ?
Elle avait été l’un de ses adjoints depuis le début, elle avait connaissance d’une majorité des arnaques et trafics organisés par Tommaso : en le trompant, Ornella savait qu’elle risquait énormément. Elle regretta amèrement ce stupide moment d’égarement mais elle savait que le sicilien n’avait qu’une parole.
De son côté, Tommaso réfléchissait à la situation et un mois après avoir découvert l’infidélité de sa femme, il ne savait toujours pas quoi faire. Elle n’avait aucune preuve matérielle mais si elle se décidait à tout déballer à la justice, il savait qu’il passerait le restant de ses jours en prison.
Pour couronner le tout, les informations en provenance de San Gavino ne le rassuraient pas du tout.
Le sicilien appela alors l’adjoint en qui il avait le plus confiance. L’homme vêtu d’un costume sombre Armani attendit que son chef l’invite à s’assoir face à lui.
— Au moment même où nous retrouvons enfin la dernière pièce du puzzle, deux fantômes apparaissent. Je ne crois pas aux coïncidences.
— Pourtant, la taupe est persuadée que cela en est une. Nous n’avons pu établir aucun lien qui laisserait à penser que…
— Vous avez le rapport sur Zeus et Hera ?
— Oui. Ils se fréquentent depuis environ sept ans. Mais Hera est très discrète : la reconnaissance faciale n’a rien donné, nous n’avons trouvé aucune photo nulle part et ils ne se montrent jamais ensemble.
— Car à San Gavino tout se sait très vite.
— Oui.
— Je dois vous avouer que c’est un véritable coup de chance qui nous a permis de faire le lien entre eux.
— Zeus relâche peut-être son attention. A nous d’en profiter. Hera a-t-elle la filiation requise ?
— Non. Du moins, nous n’avons rien trouvé à son nom. Elle semble surgir de nulle part.
— Alors c’est un pseudonyme.
— Nous en sommes persuadés mais nous n’avons aucune preuve.
— Cependant, restons prudents, n’oubliez pas que la loi autorise à remonter jusqu’au 9ème siècle. Elle possède sûrement des documents que nous n’avons pas.
— Mais dans ce cas, d’où vient-elle ? Comment l’a-t-elle rencontré ? Nous savons qu’il est excessivement prudent. Et elle, nous avons épluché chaque évènement, chaque dîner, chaque gala et rien, nous n’avons rien.
— Il y a toujours la possibilité de la chirurgie esthétique et il ne s’agit peut-être pas de sa couleur naturelle de cheveux.
Quoi qu’il en soit, nous devons impérativement connaître ses motivations et vous allez mener une petite enquête. Je vous ai préparé une liste : vous allez vérifier tous les mouvements de ces personnes durant les cinq dernières années et si vous trouver quoi que ce soit, vous les confronterez immédiatement à leurs mensonges. Il est peut-être temps pour moi de renouveler mon équipe.
L’homme jeta un coup d’œil au document que lui remit Tommaso et il pâlit subitement en découvrant les noms inscrits :
— Mais…
— Ne discutez pas. J’ai mes raisons Davide, j’ai mes raisons.
— Même…la taupe ?
— Oui. Je n’ai pas aimé sa réaction lorsque tu lui as fait part de ma décision au sujet d’Artémis.
— Vous le voulez vraiment ? Mis à part le fait que nous avons la confirmation de son lien avec le papillon, rien ne prouve que sa présence sur place soit liée à…et puis vous…il s’agit quand même de…
— Davide ! Fait ce que je te dis.
D’un geste las, le sicilien congédia son adjoint et il se mit à réfléchir : il y avait peut-être une solution moins radicale en effet mais il ne voulait pas d’une confrontation. Cela pourrait susciter chez Artémis de nouvelles envies. Même si elle n’en avait absolument pas conscience à l’heure actuelle.