Amalia assista au retour du prince Joachim. Elle avait fait le tour complet du parc du palais royal avec Michele et elle observait avec attention les impressionnantes colonnes de marbre coloré qui se trouvaient de part et d’autre de la porte d’entrée du château.
Elle s’apprêtait à rentrer lorsque l’héritier de San Gavino surgit de sa voiture : il était vêtu d’un t-shirt noir sans manche près du corps et d’un bermuda de randonnée. La sueur brillait sur son visage, sur ses bras et pour la première fois depuis son arrivée, Amalia put observer la peau bronzée et les muscles bien dessinés des épaules et du torse du prince, résultat de nombreuses heures d’entraînement dans sa salle de sport privée.
Il possédait véritablement une grâce féline lorsqu’il marchait et un puissant magnétisme se dégageait de son allure faussement décontractée.
La jeune femme frissonna : l’héritier de San Gavino avait décidément tout pour lui.
Agacée en se rendant compte qu’elle était en train de s’enflammer comme une adolescente, Amalia secoua légèrement la tête : n’avait-elle donc rien retenu de l’échec de sa relation avec le seul et unique homme qu’elle avait laissé entrer dans sa vie ?
A dix-huit ans, surprotégée par sa mère, elle était encore naïve, trop naïve, et bien trop fleur bleue. Elle avait alors appris à ses dépens qu’un individu pouvait posséder le physique d’un dieu grec mais être une véritable crapule.
Amalia se rendit compte qu’elle fixait avec un peu trop d’insistance le prince Joachim mais avant de détourner la tête en rougissant, elle remarqua le regard éteint du jeune homme. Ses yeux étaient, en temps normal, deux lacs bleu glacé au reflet changeant qui donnaient l’impression de pouvoir transpercer tout ce qu’ils fixaient. Mais là,…ils semblaient vides et dépourvus de leur éclat habituel.
L’héritier de San Gavino semblait totalement ailleurs et il passa devant Amalia sans la voir. Il ne réagit même pas lorsque Michele l’appela et il se dirigea rapidement vers l’escalier qui menait à ses appartements.
Le chef de la sécurité interrogea alors les quatre gardes du corps et la jeune femme, sur le point de s’éclipser discrètement, entendit :
— C’est toujours la même chose lorsqu’il va là-bas. Benjamin s’est renseigné une fois : c’est un endroit assez difficile d’accès, avec des piscines naturelles. Il s’y est toujours rendu seul et nous n’avons jamais su pourquoi.
Amalia songea qu’elle n’était manifestement pas la seule à San Gavino à avoir des secrets …
La jeune femme, qui pensait avoir quatre semaine devant elle afin de pouvoir répondre aux exigences d’Estelle Neffrey fut assez surprise lorsque Louise lui remis une lettre provenant de la journaliste.
Cette dernière, comme elle l’avait expliqué à la jeune femme avant son arrivée à San Gavino, lui avait écrit avec un langage codé, défini à l’avance.
Consternée, Amalia relut les quelques lignes en se demandant comment elle allait pouvoir s’en sortir.
Ma chère Amalia,
J’ai beaucoup apprécié tes propositions pour le premier chapitre.
Comme tu le sais, nous disposons d’un délai assez court et je souhaiterai pouvoir faire le point avec toi dans dix jours.
Il me faudrait alors les grandes lignes des trois chapitres suivants. N’oublie pas d’évoquer les statues de la grande fontaine du parc.
Amitiés,
Estelle.
La jeune femme resta un instant plantée dans le grand hall d’entrée du palais royale sans remarquer que la gouvernante l’observait attentivement. Elle se demanda ce qui avait pu pousser la chroniqueuse à revoir son planning si soigneusement établi : peut-être était-ce dû aux nombreuses réactions qu’avaient suscité son article.
— As-tu des ennuis Amalia ?
— Mon éditrice a sensiblement raccourci les délais prévus et je ne m’y attendais pas du tout.
— N’hésite pas à demander des conseils à Eugénie si tu cherches des renseignements particuliers. Cela fait des années qu’elle essaie de récolter le plus d’ouvrages possibles qui évoquent la famille royale.
Afin de continuer à donner le change, Amalia se rendit dans le bureau de Michele afin de taper ses notes sur l’ordinateur qui était mis à sa disposition. La jeune femme se rendit compte qu’elle commençait à se prendre véritablement au jeu : elle aimait fureter dans la bibliothèque et découvrir des anecdotes sur le passé. Michele, qui restait de temps en temps avec elle dans son bureau et qui avait demandé à lire le début de son manuscrit, lui avait dit qu’elle écrivait vraiment très bien et Amalia commençait à se demander si elle n’allait pas tout simplement mener ce faux projet jusqu’au bout.
Tandis que ses doigts courraient sur le clavier, la jeune femme repensa à l’attitude si étrange du prince Joachim.
C’est précisément à ce moment-là que l’héritier de San Gavino se rappela à elle : il entra dans la pièce telle une imprévisible tornade et il jeta un papier plié en deux sur le bureau où travaillait Amalia.
La jeune femme se figea sur sa chaise, craignant que le prince Joachim ne soit venu pour l’éjecter du palais.
Mais il ne dit rien et il sortit aussi vite qu’il n’était entré. Cependant, sa voix exaspérée résonna ensuite aux oreilles d’Amalia.
— Louise ! Bon sang, que dois-je faire pour être respecté ici ? Personne ne comprend dont le français ? J’ai déjà indiqué que je rangeais mes vêtements moi-même : il suffit de les poser sur mon lit. Quelqu’un a encore dérangé tous mes placards je commence à en avoir assez.
Surprise, Amalia entendit alors une personne répondre et ce n’était pas la gouvernante.
— Je vous prie de m’excuser Votre Altesse. Je croyais…c’est ce que nos formateurs nous ont enseigné.
— Et vous êtes ?
— Je remplace Tiffany Votre Altesse.
— Et bien vous pouvez prendre vos affaires et déguerpir d’ici. Vous êtes virée.
— Votre Altesse, je vous en prie, j’ai besoin de ce travail !
— Et moi j’ai besoin de personnes compétentes, pas des écervelées qui me font perdre mon temps et qui essaient de s’immiscer dans ma vie privée. Je vous ai vu fouiller dans ma garde-robe, n’essayez même pas d le nier ! Vous n’avez rien à faire ici. Allez vous changer, rendez votre uniforme à Louise et quittez le palais en vitesse.
Le silence se fit alors dans le hall et prudemment, Amalia décida de rester dans le bureau de Michele une demi-heure de plus que ce qu’elle avait prévu.
Elle hésita ensuite à se rendre dans l’aile où se situait les appartements du prince où elle voulait examiner deux splendides peintures représentant Castello di Gavino au dix-septième siècle.
La mine fatiguée de Michele l’en dissuada et Amalia jugea plus prudent de retourner dans le parc car elle commençait à étouffer dans le minuscule bureau du chef de la sécurité.
Lorsqu’elle fut à l’extérieur, la jeune femme respira profondément : les jardins du palais étaient, à son sens, un lieu apaisant et les hauts murs qui entouraient le domaine permettaient d’oublier l’agitation qui régnait dans la capitale du royaume.
Amalia laissa son regard errer sur la multitude d’arbres et de fleurs parfaitement entretenus et ses pas la menèrent vers un coin reculé du domaine, là où se trouvait un bassin où s’épanouissaient quelques lotus, les fleurs sacrées des hindous et des bouddhistes.
Tandis qu’elle déambulait dans l’immense parc, Amalia se sentit impressionnée par l’esthétique des formes, des couleurs, des jeux d’ombre et de lumière. Le doux parfum des plantes aromatiques mêlé à celui des fleurs vint chatouiller son nez puis c’est le murmure léger de l’eau qui se porta à ses oreilles.
Selon le souhait de l’un des premiers souverains de San Gavino, l'eau apparaissait partout : dans des bassins, des fontaines et des jets d'eau qui la faisaient vibrer en ondes, elle était l’essence même de la vie et du dynamisme des jardins du palais.
Les différents parterres de fleurs étaient magnifiquement disposés et fondus dans une composition passionnante. La nature émanait dans toutes les directions ses parfums enivrants. Tous les tons possibles de vert, de jaune, d’orange, de rose et de rouge se déclinaient à l’infini, passant du plus foncé au plus clair dans un ensemble parfait.
Amalia comparait les jardins du palais royal à un petit coin de paradis. Au gré de ses promenades, elle avait découvert dans un coin reculé du domaine un important verger où se côtoyaient de nombreux arbres fruitiers puis elle avait remarqué un jardin d’herbes et de plantes aromatiques dont le parfum subtil avait charmé son odorat. Et puis, il y avait cette roseraie, cette splendide roseraie où toutes les variétés de rose semblaient être concentrées.
L’explosion de senteurs avait été si forte qu’Amalia en était restée bouchée bée quelques instants.
Michele avait expliqué que le jardinier en chef était un véritable passionné et qu’il avait même réussi à créer une nouvelle variété de rose. Il lui arrivait même de veiller toute une nuit sur ses précieuses plantes lorsqu’il découvrait une invasion de pucerons.
Après avoir contemplé plus de dix minutes la couleur délicate des rosiers, Amalia se dirigea vers l’arrière du domaine.
Dans une allée bordée d’immenses palmiers, la jeune femme se mit à penser au prince Joachim : cet homme était une véritable énigme.
Amalia se demanda s’il était réellement sans cœur comme se plaisaient à le dire la plupart des employés du palais. Cette façade, cette attitude sévère, condescendante envers les gens peu fortunés, cette absence de compassion pour autrui cachait peut-être des blessures profondes.
Lorsqu’il était rentré de randonnée, la jeune femme avait eu le sentiment de découvrir la véritable facette de l’héritier de San Gavino : il n’était pas heureux, elle en était convaincue.
Mais cela ne lui donnait pas tous les droits.
Florine, qui avait remplacé Tiffany pour s’occuper de la chambre et de la salle de bain de Joachim de Bourbon-Conti, avait cru bien faire en rangeant les vêtements du jeune homme. Comment avait-il pu la renvoyer de la sorte ?
Une bouffée de colère l’envahit : si cela ne tenait qu’à elle, Amalia se serait précipitée dans le bureau du prince pour lui dire sa façon de penser.
Une silhouette apparue alors devant la jeune femme : en reconnaissant le futur roi de San Gavino, elle se cacha derrière un immense palmier puis elle s’éloigna rapidement.
Elle avait toujours son sac contenant son appareil photo et elle songea à la demande d’Estelle Neffrey.
Amalia constata que le prince Joachim fixait le petit port de plaisance de Castello di Gavino, situait en contrebas du palais royal et une idée germa dans sa tête.
En choisissant méticuleusement sa position et grâce à son très gros zoom intégré dans son appareil photo, elle pouvait sans problème donner l’illusion que les clichés avaient été pris par quelqu’un se trouvant sur la jetée.
Amalia changea rapidement la carte SD puis, de la petite avancée qui surplombait une partie du port, elle prit une dizaine de photos.
En les examinant attentivement, la jeune femme pfut frappée par le masque de tristesse qui s’était formé sur le visage de l'héritier de San Gavino.
Il n’esquissa même pas un sourire lorsque la princesse Victoria vint le rejoindre.
Amalia les photographia ensemble, comme le voulait Estelle Neffrey puis elle se rendit dans sa chambre pour y cacher son matériel.
Elle retourna ensuite dans les jardins en espérant cette fois pouvoir en faire le tour tranquillement mais au détour d’une allée, elle tomba sur l’héritier de San Gavino, qui était assis sur un banc de pierre et qui se tenait la tête entre les mains. Il ne cessait de murmurer :
— Je ne suis pas un monstre, je ne pouvais pas savoir…
Amalia sursauta lorsque le jeune homme se releva brusquement et elle sentit la panique la gagner lorsque le regard noir du prince se posa sur elle.