Le pasteur Terry, Californie
1974
* * * 44 * * *
Confusion [kɔ̃fyzjɔ̃]
État nécessaire et obligatoire,
qui précède la libération de l’imagination.
* * *
Ce jour-là, le vent californien avait soufflé de plus en plus fort sur la ferme. Parfois quelques rafales avaient charrié le sable du désert de Mojave et soulevé la terre, beaucoup trop sèche, des cultures alentour. Il avait obligé les habitants de ces lieux perdus à se cloîtrer. Il fallait isoler les fenêtres et les portes, enfermer les animaux pour les empêcher de devenir fous sous les bourrasques de sable.
Ce jour-là, le vent californien, avait amené avec lui une chaleur insupportable qui asséchait les blés et les maïs. Le soleil, de toute sa force, avait écrasé les paysages, brûlé les yeux et les peaux qui s’offraient à lui.
Ce jour-là, le vent s’était arrêté subitement, laissant la place à un silence d’église, et une chaleur étouffante.
Un jour comme celui-là, les fermiers du coin ne travaillaient pas leur terre. La chaleur rendait tout effort impossible. Les fermes de cette région, avaient été attribuées quelques années plus tôt. Le New Deal de Roosevelt avait permis à beaucoup d’américains de trouver des nouvelles terres et de nouveaux espoirs. Mais ce deal avait surtout servi à vider les villes des miséreux sans travail et beaucoup avaient trouvé des terres stériles et arides. Les pauvres bougres qui avaient atterri ici ignoraient la vie rude qu’on leur avait préparée. Arrivés avec l’espoir de construire une vie meilleure, ils avaient vite compris que cette terre sur laquelle trônait le pénitencier était maudite et qu’ils payaient tous le prix de la colère de Dieu et des manipulations barbares. Ils payaient le prix des violences faites aux hommes et à la terre, le prix de la corruption arrangée par les meneurs de leur communauté. Ils payaient le prix de n’être que des travailleurs, nés sans fortune, vivant sans éducation, et de n’être que des bêtes de somme.
Ce jour-là, de l’une de ces fermes installées à quelques kilomètres du pénitencier, misérable, mal entretenue, devant laquelle attendait un vieux tracteur gris et poussiéreux, on pouvait apercevoir, au bord de la route, une troupe de bagnards qui s’activait sous le cagnard. Tous, dans la région, savaient que la sueur des taulards se vendait à un prix dérisoire pour travailler dans les champs, dans les usines ou pour les élus corrompus à remettre en états les routes pourries de la région, se gardant pour leur propres comptes les budgets alloués à ces tâches. Chacun y trouvait son compte, sauf les pauvres gars qui se crevaient le cul à creuser la terre sous un soleil de plomb.
Les prisonniers étaient à l’œuvre au bord de la seule route du coin. Ils creusaient un fossé qui protégerait la route des inondations. Les hommes étaient déjà harassés par le trajet et la chaleur. La plupart étaient torse-nu, les corps trempés de sueur, poussiéreux. Les gardiens, toujours lourdement armés, surveillaient chaque homme, chaque geste. Ils étaient prêts à faire feu à la moindre tentative de désobéissance. Les hommes le savaient et en les observant de la ferme, à quelques dizaines de mètres seulement, on pouvait sentir la tension entre ces hommes. Plus loin, sur une butte, se tenait un homme, habillé de noir, mal coiffé et mal rasé, sale. Il était immobile et observait le chantier. Il semblait être mort sur place et attendre de s’écrouler.
Quelques heures après l’exécution de Bo Lloyd, le pasteur se retrouvait à quelques kilomètres du pénitencier avec le groupe de gardiens et de prisonniers désignés pour les travaux forcés.
Le directeur avait insisté pour que le pasteur soit témoin de cette tranche de vie du pénitencier. Il voulait donner une nouvelle preuve de son autorité et de la discipline qu’il imposait à ses hommes. Une démonstration de sa puissance.
Le pasteur observait le ballet des pioches et des pelles. Il était absent, une botte dans la poussière de ce désert pénitentiaire, l’autre dans ses pensées, partagées entre l’appel de son Dieu de pénitence et le retour des souvenirs d’une vie passée. Une partie de son cœur battait au rythme des pics. Une partie de son esprit transpercée d’un crucifix tentait de revivre. Une partie de son âme vibrait sous les coups et les râles. Le pasteur était en sueur. La chemise trempée et des gouttes coulaient de son front. Il subissait le combat de ses passions.
Lassé de rester sur place, il décida de descendre de son tertre et alla se mélanger aux hommes. Il errait de groupe en groupe, observant de près ces hommes. Il pouvait sentir leur odeur, leur sueur. Il pouvait sentir leur souffle et ressentir leur souffrance. Les coups de pioches et de pelles rythmaient ses pas et sa respiration. Pour la première fois depuis longtemps, le pasteur se sentait appartenir à un groupe : celui des paumés ! Pour la première fois depuis longtemps, il ne se sentait pas seulement comme l’instrument de son dieu, mais comme un homme perdu dans une solitude infinie, abandonné par son humanité, oublié de son dieu. Comme un homme, berceau d’une hoplomachie brûlante entre le cœur, l’âme et l’esprit, chacun armé de ses passions et de ses raisons.
Le pasteur ressenti un frémissement naître dans le groupe et tous les regards se tournèrent vers la ferme.
Une jeune femme venait de sortir de la maison avec une radio et panier de lige salle visiblement assez lourd. Cette femme n’était pas une jeune femme comme pourrait l’appeler un gentleman, mais plutôt, un ange, mêlé d’un démon. Elle avait la beauté de l’ange. Les cheveux blonds et longs couvraient ses épaules et descendaient au milieu de son dos. Ils couvraient une partie de sa robe rose, qui ne cachait rien de ses formes de pin-up de magazine. Elle avait aussi le corps coupable de réveiller des démons, et les hommes qui commençaient à l’observer avaient déjà compris, qu’ils allaient devoir combattre la tentation, l’envie, le désir. Dieu merci, ces hommes se savaient protégés par des chaînes invisibles, l’obligation de rester dans leur fossé à creuser, par la certitude de prendre une balle au moindre geste suspect.
Malheureusement, tous n’étaient pas enchaînés.
Un prisonnier qui portait des lunettes noires, devint de plus en plus énervé alors que la pépée blonde se déhanchait doucement en s’approchant d’un lavoir rustique, fabriqué d’une vieille baignoire posée sous une pompe à eau manuelle.
La jeune fille s’arrêta devant le lavoir et posa sa radio sur une vieille charrue rouillée. Elle s’accroupit, la robe remontée légèrement laissa voir un peu plus ses cuisses et serra plus fort ses hanches. Elle alluma la radio. Un jazz, cool, sortit du poste assez fortement pour que les prisonniers puissent en profiter.
Toujours accroupie, Mary-Lyne, attrapa un jet d’eau qu’elle tenait fortement devant elle, entre ses cuisses et elle tourna l’extrémité pour le mettre en route. L’eau gicla.
La tension dans le groupe de bagnard montait et le rythme des coup des pelles et de pioche devint de moins en moins réguliers.
Mary-Lyne, se releva et versa son linge dans la baignoire autour de laquelle elle tournait en se dodelinant sur un air de jazz cool. Elle trempa le linge et ne cherchait pas à se protéger des éclaboussures. La finesse de sa robe ne cachait rien de ses rondeurs, et l’humidité la colla à son corps souple et juvénile.
La tension continuait de monter dans le groupe et les gardiens toujours aux aguets s’amusaient de la torture imposée aux prisonniers. Même si les pelles et les pioches continuaient de frapper et creuser le fossé, tous les regards étaient maintenant posés sur la ferme et la jeune fille.
Vraiment tous les regards.
Mary-Lyne avait commencé à nettoyer son linge avec une grosse éponge trempée et mousseuse. Elle n’hésitait pas à s’essuyer les mains trop mousseuses sur son ventre, rendant le tissu de plus en plus collant et transparent.
Elle s’accroupit en écartant ostensiblement les cuisses et frotta des dessous lentement. Elle observa les prisonniers un regard de travers et sournoisement, attaqua du regard les hommes qui l’observaient, avec un sourire enjôleur sur les lèvres pulpeuses.
– Bon Dieu de bon dieu, mais je vais crever ! Râla une nouvelle fois le prisonnier de plus en plus nerveux.
Mary-Lyne, s’attaqua aux draps. Elle se positionna face aux prisonniers, debout et se baissa pour frotter les draps au fond de la baignoire. La vue plongeante qu’elle offrait montrait que la robe était son seul vêtement. Encore une fois, elle jeta un regard embrasé vers les taulards en souffrance.
Et la fille frottait son linge de plus en plus vivement avec son éponge et son corps, mousseux et trempé.
Mary-Lyne tournait maintenant le dos à la troupe, montrant ses avantages arrière. Puis se retourna et replongea son éponge dans la baignoire. Elle la sortit, dégoulinante et la serra contre elle pour extraire le surplus d’eau et de mousse. Elle finit ainsi de tremper sa robe et frotta son ventre pour retirer la mousse. Elle remonta doucement sur sa poitrine et pressa son sein en pointant son regard vers les bagnards.
– Elle ne sait pas ce qu’elle fait ! dit un homme sur le point de craquer.
Mary-Lyne s’attaquait à des vêtements en jean. Les prisonniers profitaient du spectacle où ce n’était pas l’éponge qui frottait pas les vêtements, mais les opulences de la demoiselle qui s’écrasaient avec un rythme de jazz, sur les jeans trempés. Elle était visiblement décidée à pousser les taulards à bout et elle s’amusait de la situation. Quel plaisir pour elle de se montrer ainsi à des hommes, et faire naître en eux et partager des pulsions violentes, sans risques.
Quel plaisir et quel pouvoir.
Soudain, un coup de feu retentit !
Tout le monde s’arrêta net. Les prisonniers se redressèrent, surpris. Mary-Lyne effrayée sortit de son état second et couru vers la maison.
– Allez les gars ! Posez les outils dans le camion et mettez-vous en ligne, on rentre !
Les taulards, calmés par le coup de fusil posèrent les outils et se laissèrent poser les chaînes qui les accompagneraient jusqu’à leur arrivée au pénitencier, après une heure de marche. Plus d’un jetèrent un dernier regard vers la DeSoto brillante pour tenter d’attraper les dernières images dont ils se souviendraient longtemps, dans la solitude de leurs nuits.
La troupe se mit en marche en silence. Le frottement de la chaîne sur le sol, couvrit le jazz de la radio et le chant de la marche s’installa dans une mélodie rythmée par le métronome humain.