Constantine a le visage immergé de moitié, son nez et ses yeux dépassent à la manière d’une grenouille curieuse, le regard brillant fixé sur la berge. L’eau souple et tiède caresse ses lèvres. Sur son front, les gouttes glissent et forment des ruisseaux approximatifs qui dessinent les rondeurs de son visage. Sa barbe est mouillée. Il adore cette sensation. Depuis la rive, il voit des yeux qui le guettent, et il croit que ce sont des créatures. Pas des êtres, les êtres ont l’œil vif et profond d’une intelligence supérieure et joueuse. Les créatures au contraire, scrutent. Constantine les a étudiées, certaines, et parfois elles sont un peu moins que des animaux. Des artefacts vivants. Des amas de glaises et d’entrailles mêlées qui respirent et bougent mais ne réfléchissent pas. On lui a rapporté qu’elles attaquent, Constantine n’en doute pas, c’est pour ça qu’il reste immobile dans l’eau, au cas où les créatures le prendraient pour une menace. Il a un sourire rendu invisible par les reflets composés du lac. Il se demande si les créatures sont assez téméraires pour se glisser jusqu’à lui et tenter de l’emporter. Des fourrés, elles s’extraient. C’est une ribambelle d’animaux absurdes, dont le corps longiligne, grandi par des jambes en échasse, est taillé dans un bois noueux et strict. Leurs mains se déplient comme des branches serties d’épines, l’une d’elle a sur le côté d’un crâne caverneux un bourgeon qui a fleuri. Elles se traînent avec indécision, touchent l’eau du bout de leurs doigts de nature. Puis elles se mettent à frapper la source et Constantine comprend qu’elles appellent la créature qui vit au fond du lac alors prudemment, il recule jusqu’à la berge opposée et sort de l’eau. Juste à temps pour voir dans les profondeurs se mouvoir une ombre large et souple qui en se déplaçant fait remuer sur la surface une série de vagues épaisses. Constantine regarde les créatures de bois se laisser glisser dans l’eau, disparaître sous la surface avec pour traine quelques gouttes qui bullent dans leurs nœuds. Et puis elles disparaissent.
La peau sèche au soleil. Constantine s’habille avec une tranquillité étudiée. Autour de lui, rien ne bouge. Les créatures ont disparu au fond du lac, il se demande si elles jouent avec son gardien. Le vent s’est éteint, il règne sur la rive une chaleur écrasante. Constantine a le sang froid, il aime sentir sur lui la puissance ardente du soleil. Penché sur un bosquet, il touche du doigt des fleurs larges et rosées dont les corolles chutent vers la terre. Il les hume avec une sorte de tendresse, en prend une et en habille sa veste avec un plaisir serein. Il ne prend pas garde aux gloussements profonds de l’eau derrière lui. Il ne prend pas garde à l’altération de sa transparence qui devient noire et menaçante. Ses doigts touchent le duvet de la fleur, Constantine se retourne. L’eau s’élargit en trombe. Brusquement en surgissent les créatures qui bondissent sur la rive dans sa direction. Constantine recule. D’un geste doux, il pose une main sur sa ceinture et sur la baguette qu’il a emportée avec lui. Lentement il recule encore. Il a le cœur battant mais pas de peur, il ne sait se l'expliquer. Pourtant il connaît la peur. Il connaît la terreur, la panique, l'angoisse, il les connaît si bien qu'il en a exploré toutes les formes jusqu'à la crise la plus violente. Mais dans le Plan, jamais. Dans le Plan il n'a en lui qu'une vaste accalmie de silence qui lui fait penser que toutes les attitudes ne recèlent que des possibilités de dialogues. Et du dialogue sans parole. Pour lui, c'est rassurant, car Constantine ne sait pas parler aux autres. Souvent il trouve les animaux plus évidents. C'est peut-être pour ça qu'il fixe les créatures en remontant la pente qui mène au rivage toujours à reculons, sans craindre réellement l'attaque imminente qu'il lit pourtant clairement sur ces morphologies étranges. Constantine est fasciné. La curiosité l'emporte. Rien dans son instinct ne le pousse à se sentir menacé.
Soudain les créatures se tassent. Comme un groupe de félins feulant prêts à détruire l'envahisseur de territoire, elles se coulent vers lui, lianes sinueuses et rêches, accélèrent, dressent leurs épines d'os vers l'intrus qui a osé s’échouer dans leur lac. Quand elles tournent leurs visages leurs yeux sont des trous béants et leurs bouches des grottes profondes ornées de crocs en aiguilles pareilles à la gueule d'un requin. Elles qui semblaient si maladroites un peu plus-tôt sur la rive ont repris en se baignant une vigueur brutale. Constantine dévisage cette transformation avec une curiosité inconsciente. Il a posé une main sur l'amulette, au cas où, et ses doigts touchent le bois de la baguette, qui décuplera ses réflexes et lui permettra un court instant de surpasser la vélocité de ses agresseurs. Il repousse ce moment, cependant, car il aimerait toucher ces étranges êtres hybrides, toucher leur corps rugueux, toucher leurs os, comprendre, enfin. Mais les créatures ne sont pas coopératives. Bientôt elles cessent d'onduler et se dressent de toute leur hauteur.
Puis elles attaquent.
C'est un mouvement vif, brutal, intraçable. L'air siffle comme le tranchant d'un fouet. Constantine ferme les yeux. Trop tard. Une créature pousse un rugissement étranglé, il sent sur son poignet une pression déchirante, il attend l'impact.
Mais rien ne vient.
Constantine ouvre les yeux.
Les créatures refluent vers le lac. Il voit sur son poignet la marque d'une épine qui l'a piquée un peu, une goutte de sang, à peine. Quelque chose les fait fuir, et ce n'est pas lui. Confiant, il se retourne.
Les êtres primordiaux sont là et le regardent.
Je trouve si poétique de comparer les créatures agressives à des lianes.
J'apprécie cette description si bien équilibrée de mélange de calme et fascination de Constantine tout en ayant l'agressivité et le danger des créatures. Je suis époustouflé d'à quel point tu parviens à transmettre, à me faire sentir ce cocktail, pourtant pas évident à concocter.
J'ai vu dans un des coms plus bas que Constantine a 37 ans, je m'y attendais pas ! En même temps j'y avais pas réfléchi, j'imaginais juste quelqu'un qui se promenait béatement dans un endroit fabuleux où il se sent safe. Donc en gros : j'imaginais pas grand chose :'D (ne soit pas vexé.e, je n'imagine jamais les persos, pas même les miens, je fais juste l'effort de les décrire pour les autres qui me lisent xD )
Plein e bisous !
magiquement
ça semble fonctionner (je trouve ça fou hahahaha l'écriture c'est fou)
Et oui Constantine est un semi vieux garçon ! Je ne me vexe pas du tout hahahahaha je suis très team gros besoins de visualiser mes personnages à fond pour arriver à les incarner, et comme en plus je passe souvent par le dessin, ils ont généralement des traits assez précis mais à ta place j'aurais sans doute eu une image mentale assez éloignée de la "réalité", vue ce que je décris de lui (on dirait clairement qu'il a cinq ans et demi par moment on va pas se mentir il est comme ça)
Merci encooooore
Ce chapitre voit un premier tournant entre contemplatif et action ! Entre l'attaque des bêtes et l'arrivée des mystérieux sauveurs, on a le droit à une très belle chute.
La description du comportement peu à peu agressif des bestioles qui entourent Constantine retranscrivait bien sa confiance en lui jusqu'à l'attaque, la surprise. Il a l'air de connaître les "êtres primordiaux" mais en tant que lecteur on en sait encore assez peu...
J'ai été étonné de lire que Constantine avait de la bague, dans mon imagination ce n'était qu'un adolescent xD Comme quoi^^^
Mes remarques :
"l’une d’elle a sur le côté d’un" -> elles ?
"au fond du lac alors prudemment," point après lac ?
"La peau sèche au soleil." -> sa peau ?
"qui bondissent sur la rive dans sa direction." -> virgule après rive ?
"l'angoisse, il les connaît si bien" point après angoisse ? (j'aime bien quand il y a des phrases courtes pour les idées fortes, mais c'est assez subjectif)
"Souvent il trouve les animaux plus évidents." virgule après souvent ?
Un plaisir,
A bientôt (=
Ça a plus l'air de te rendre dubitatif qu'autre chose cependant ! Je tâcherai de voir si je peux raccourcir certaines parties !
Merci encore !
Il a 37 ans
hahahaha
haha
ha
On retrouve Constantine. Je suis partagée, parce que d'une part je rejette les pratiques qui semblent se dessiner pour Fergus (notamment toute cette histoire de drogue, et l'idée d'exploiter un environnement potentiellement à l'excès), mais d'autre part, des deux personnages, c'est sans doute lui qui est le plus proche de mon tempérament naturel. Constantine, lui, fait l'effet d'un esprit libre, rêveur, déconnecté de la réalité, et si je m'estime plutôt créative dans l'ensemble, je reste quand même majoritairement pragmatique, même dans mes élans les plus fantasques. Donc, intuitivement, j'ai tendance à mieux comprendre la méfiance et le cynisme de Fergus que l'espèce d'euphorie permanente de Constantine. Son absence totale de peur m'est incompréhensible. Pourtant paradoxal, quand on sait que je vais me précipiter sur un chien même s'il grogne et/ou aboie... Disons que dans ces situations l'idée de peur ne m'effleure pas, en fait. Au dernier moment la prudence reprend le dessus, voilà tout. Ici, tu décris explicitement l'absence de peur, comme s'il considérait l'option mais ne s'y aventurait pas. Il semble enregistrer les éléments qui devraient lui donner peur, mais ne pas y réagir. C'est ça qui m'apparaît comme étrange. Attention, je ne dis pas que c'est impossible ou irréaliste, juste que ça ne rentre pas dans mes propres mécanismes, hein. ^^ Non, Constantine est bien une sorte d'artiste vaporeux, et ça me parle un peu moins, rien de plus. Il reste sympathique dans sa naïveté, ceci dit.
Je ne peux pas m'empêcher de faire le lien entre la soudaine hostilité des créatures et la cueillette de la fleur de berge. On a déjà plus ou moins compris qu'il y avait une notion d'équilibre dans ce monde, grâce au rituel de Fergus, et jusqu'ici Constantine n'avait rien "pris". En revanche, je suis curieuse de comprendre l'intervention des êtres primordiaux, surtout la façon dont ils font reculer les créatures. Ne devraient-ils pas être une extension des créatures, ou l'inverse ? Tout n'es pas lié et cohérent, dans ce monde étrange ? Car les créatures sont aussi décrites comme presque non douées de raisonnement,, "moins que des animaux" et pourtant elles savent "appeler" leur copain aquatique, et ensuite elles attaquent lorsque leur environnement est touché. Qu'est-ce qui les pousse à faire ça ? Et est-ce que les êtres primordiaux vont prendre le relais de leur action presque policières ? Par la voie diplomatique, peut-être ? Ou alors sont-ils plus perceptifs et comprennent les intentions de Constantine, au-delà de son action en elle-même ?
À bientôt ! =D
P.S.: tu vas sans doute finir par m'en vouloir de trouver une nouvelle comparaison à chaque commentaire ou presque, mais j'ai des flashbacks du film "Au-delà de nos rêves" (What Dreams May Come), quand Constantine décrit le Plan Astral. Je l'ai vu petite, donc mes souvenirs sont vagues, mais j'ai une image assez nette de la séquence du paradis d'une peintre, où tout est peinture dans son monde. Ça me fait un peu penser à ça, quand Constantine se promène. Comme s'il était à l'intérieur d'une aquarelle.
Je te rejoins totalement sur le paradoxe Fergus/Constantine hahaha, Fergus est très, très éloigné de mes valeurs, pourtant je me retrouve aussi beaucoup plus dans le fond de son caractère, que dans celui de Constantine ! Constantine est aussi pour moi un être un peu bizarre, imprévisible, avec des buts mais une façon beaucoup moins cohérente d'y parvenir. Fergus a une façon de penser très éloignée de la mienne, mais par contre ses raisonnements sont beaucoup plus cohérents. C'est assez intéressant pour moi d'explorer ces deux personnalités, qui sont fondamentalement opposées en tout points, et dans lesquels je trouve aussi bien des échos que des fonctionnement qui ne me sont pas du tout naturel, à moi.
Tes théories sur le plan astral, les êtres primordiaux et les créatures sont très chouettes à lire héhéhéhéé, effectivement, dans ce plan, tout est lié et tout découle des êtres primordiaux qui sont ceux qui insufflent la vie. Mais les créatures possèdent aussi leur libre arbitre, une fois nées. Elles ne sont simplement pas douées de consciences, ni de raison.
Et je ne connais pas ce film, je le note, je tâcherai d'aller y jeter un oeil ! Encore merci pour ton retour, et j'espère à bientôt !
Je continue sous ce chapitre que j'avais lu en même temps que les précédent.
Bien, c'est fluide, bien décrit (un peu plus de virgule, ex : Dans le Plan il n'a en lui qu'une vaste accalmie de silence qui lui fait penser que toutes les attitudes ne recèlent que des possibilités de dialogues). On ressent bien les créatures et on attend l'attaque, la phrases de la fin est top car on a hâte de lire la suite. Bien joué.
Encore un beau chapitre, riche en images et en sensations. Voir Constantine en mode grenouille au début m'a fait sourire, je visualise complètement le truc xD Peut-être un peu alambiquée, la toute première phrase, et moyen de la simplifier. Quelques redondances dans les lignes suivantes aussi sur œil / yeux, mais sinon je n'ai vraiment rien sur quoi j'ai tiqué.
La description des créatures est immersive, elles dégagent quelque chose de fascinant, d'intrigant. Tu rends bien leurs mouvements, avancées, reculers, tassements, puis l'attaque, et j'aime la manière dont on les découvre à travers le regard de Constantine. Joli jeu de regards tout au long du chapitre.
Au plaisir ! =D
"Constantine a le visage immergé de moitié, son nez et ses yeux dépassent à la manière d’une grenouille curieuse, le regard brillant fixé sur la berge" -> Mmmh je pense que tu pourrais simplifier, car le immergé de moitié + nez et yeux dépassent fait un peu redondant
"Sur son front, les gouttes glissent et forment des ruisseaux approximatifs qui" -> glissent en ruisseaux approximatifs ? Ce serait peut-être plus léger ? :)
"Il a un sourire rendu invisible par les reflets" -> Mmmh en suggestion plus légère, "son sourire s'agrandit, invisible sous les reflets de l'eau."
"Des fourrés, elles s’extraient. " -> Tournure ptêt un poil Yoda-Like haha
"Constantine recule" -> Petite répétition avec "Constantine se retourne" un peu plus haut
"félins feulant" sonorité un poil redondante
"un peu plus-tôt" -> Plus tôt ?
"une curiosité inconsciente" -> Plus haut, il a l'air d'avoir conscience de sa curiosité quand même, je trouve ça un poil étrange
Je dois dire que j'ai beaucoup aimé ce chapitre. Peut-être le moment où le lac se noircit, cela m'a semblé un peu plus maladroit, mais tout le reste coule extrêmement bien. Les créatures sont fascinantes, j'aime beaucoup comment Constantine décrit leur psychologie, leur manière d'être, puis quand elles appellent le monstre des profondeurs... Bref hahahaha j'ai quasi tout aimé, hors du moment susmentionné, et encore, c'est du détail. Un chapitre au top ! Puis la fin aussi, à partir du moment où les créatures attaques vraiment, c'était très fluide, et il y avait dans l'écriture quelque chose qui m'évoquait un peu Bottero dans la gestion des scènes d'action, c'est marrant. Je me trompe peut-être hahaha mais voilà !